Chapitre 72 🌊

« Je suis bel et bien vivante. »

🌊 Iliana 🌊

Avoir un an de plus ne m'a jamais fait quoi que ce soit. Après tout, souffler une bougie ou en souffler dix-huit ne va pas changer le goût du gâteau, si ce n'est recouvrir davantage le glaçage de cire colorée.

Mon anniversaire a toujours été une date importante, surtout pour mes parents. J'ai toujours été une enfant aimée et très entourée. Une mère omniprésente, un beau-père pour qui j'étais le centre de tout... c'était mon anniversaire tous les jours à la maison.

Cette année, c'est différent. Les choses changent, on grandit. Il paraît même que les gens évoluent. Dans certains pays, la dix-neuvième année rime avec majorité. Le passage de l'enfance à la vie adulte, les responsabilités, l'indépendance... Aux Etats Unis, avoir 18 ans ne rime à rien. De toute manière, je suis déjà une adulte. Pas besoin d'attendre la date officielle, le 10 janvier 2023 ne se fait pas désirer, je suis déjà majeure au fond de moi et aux yeux de tous.

La maturité a fait son entrée sans douceur, elle m'a définie avant même que je n'en entende réellement parler. Lorsque ma mère a disparu dans les hautes vagues, elle a pointé le bout de son nez, me retirant de force du royaume de l'enfance et de l'innocence. Je me retrouve du jour au lendemain entourée de res...

- Iliana ?

Je me relève aussi vite que possible, masquant de ma silhouette la faible flamme révélée par la bougie blanche. Mon frère m'observe un instant, les sourcils froncés et les lèvres crispées.

- Qu'est-ce que tu caches ? soutient-il d'une petite voix.

- Rien, ne t'en fais pas, dis-je en appliquant un beau sourire sur mon visage.

- L'idée de la bougie près de la fenêtre c'est franchement glauque, ajoute-t-il en soutenant mon regard. En plus maladroite comme tu es, elle va finir dans les rideaux et va embraser toute la maison ensuite.

Il s'avance vers la flamme, probablement pour souffler dessus. Je l'arrête d'un geste, me plaçant devant lui.

- Non, s'il te plaît. Laisse-la allumée.

- Mets-la au moins autre part. Ce n'est pas un bon plan Iliana, soupire-t-il.

- Non, il faut qu'elle soit près d'une fenêtre. C'est important pour moi.

Il me détaille un instant, avant d'ajouter d'humeur taquine :

- On dirait que tu pries comme ça, c'est franchement bizarre.

Je baisse le menton, touchée par ce qu'il vient de dire. Un silence pesant s'installe entre nous deux, alors que son regard pèse sur mes épaules.

- Mais attends, c'est ce que tu étais en train de faire ? insinue-t-il visiblement perturbé par cette annonce.

Mes yeux trouvent les siens, alors que j'esquisse un sourire confus, à présent percée à jour. Cette petite habitude que j'ose prendre depuis quelques jours doit vous sembler bien ridicule...

- T'es croyante ?

- Pas vraiment, non, soufflé-je à demi-mot.

- Mais alors qu'est-ce que...

- Ce n'est pas pour moi que je le fais, le coupé-je rapidement, espérant en finir également avec cette discussion.

- Ta mère, évidemment, marmonne-t-il.

- Ne me juge pas, s'il te plaît. Et ne dis rien aux autres, c'est personnel, imploré-je.

Il hoche la tête, avant d'affirmer qu'évidemment il ne dira rien. Je ne peux que le croire, il a ma confiance entre ses mains tout comme j'ai sa parole entre les miennes à présent.

Un peu plus tard dans la soirée, une fois joliment vêtue d'une jupe patineuse et d'une élégante veste en jean bleu pâle, je rejoins le reste de la famille pour souffler mes bougies. L'ambiance est étonnamment douce, et agréable. La voix de Coldplay retentit en fond, juste de quoi me faire sourire en entendant ses magnifiques paroles.

Célia habillée en petit panda passe l'ensemble du repas à me faire de grands sourires, assez inhabituel de sa part mais adorable à mon goût.

Les messages et appels s'enchaînent, aucun de mes proches ne manque à l'appel, même Mahé a fait un effort. Je termine avec Aiden, dans les alentours de minuit, à lui raconter en détail la soirée qui vient de s'écouler. Il passe son temps à râler parce qu'ils ont un week-end d'entraînement, Austin et lui. Qu'ils sont obligés de partir demain matin à 11h, pour aller faire « des tours de terrain et des tirs au panier ». En même temps, c'est un peu l'intérêt de ce sport...

Il accepte de venir me chercher et de me conduire à l'hôpital pour que je puisse veiller ma mère, au moins pour la journée. Même s'il sait parfaitement que je l'ai vue aujourd'hui déjà, il ne cherche pas à comprendre pourquoi je tiens à y retourner.

J'ai l'impression de l'abandonner ces derniers temps, de la délaisser. Ces deux sentiments, couplés avec l'impuissance permanente qui plane au dessus de ma tête, sans jamais me quitter, me donne envie de tout foutre en l'air. Je n'ai jusqu'ici jamais crié à l'injustice, jamais hurlé de toutes mes forces la rage et la peur que je garde solidement en moi. Un jour, ce moment arrivera. Je le sais. Je le sens. Et ce jour là sera probablement le pire de toute ma vie.

🌊🌊🌊

6h30. Fever 333 déjà à plein volume alors que je rôde dans les couloirs silencieux de la maison. Absolument personne n'est debout, tout comme personne ne viendra m'embêter à une heure pareille.

Mes pas se croisent initiant quelques mouvements de danse, maladroits mais satisfaisants. Je bouge de la sorte, entre frigo et fourneaux pendant une bonne dizaine de minutes, suffisamment réveillée pour commencer ma journée plutôt que de rester échouée sur mon lit, telle une loutre. J'en profite pour avaler le minimum vital, tout en remuant les hanches, cuisses à découvert. Être en janvier ou en juillet, c'est du pareil au même pour moi, les nuits se ressemblent pour la plupart.

Sur la pointe des pieds, je repars dans ma chambre, troquer mon tee-shirt/culotte pour une véritable panoplie de sport. Je lasse rapidement mes baskets, avant de réaliser une queue haute parfaite. Faire de l'exercice le matin, est quelque chose que j'ai toujours adoré. Jack Miller doit se retourner dans son lit à l'idée que je reparte de plus belle reprendre mes activités comme si de rien était. Mais après tout, une rate en moins ne devrait pas m'en empêcher, si ?

Je conçois que c'est un peu tôt pour reprendre, et qu'ils ont été assez clairs sur ce point. Ils m'ont dit de ne pas me baigner, par risque d'attraper froid plus qu'autre chose. C'est vrai qu'en cette période, la température de la mer environne les 14°C de quoi faire pleurer plus d'un frileux. Personnellement, l'eau froide ne m'a jamais fait quoi que ce soit, d'autant plus que la combi m'en protège. Mais vu la manière dont mes médecins ont grincé des dents lorsque j'ai évoqué le sujet, je préfère éviter ce genre de risque. Ils ont évidement précisé que la gym était impossible, pendant une période indéterminée. Bien que dispensée pendant au moins trois semaines, je sais que je ne pourrai jamais tenir sans faire de sport. Je deviendrai folle bien avant.

Je vérifie d'un coup d'œil si mon frère dort, histoire d'être certaine qu'il ne me trouve pas dehors dans la nuit. Le soleil se lèvre dans moins de 30 minutes, je suis déjà en retard. J'emporte un sweat à contrecœur, afin de respecter ma promesse de ne pas faire l'idiote et de ne pas m'amuser à jouer avec ma santé. Comme dirait Jack « les paroles en l'air ont assez duré Iliana Midden ». Compris mon capitaine !

Je déballe un carré de sucre, avant de le fourrer dans ma bouche. Je sais, c'est aussi dégoûtant qu'écœurant, mais c'est le meilleur moyen d'éviter hypoglycémie malsaine, qui m'attend constamment au moindre effort physique. J'en glisse deux autres dans mes poches, juste au cas où.

Au moment de m'éclipser par la porte, une vague représentation de Simba apparaît au bout du couloir. Les cheveux en bataille, le pouce dans la bouche, et surtout deux pattes du félin de la famille, pendues dans le vide.

Je souris en voyant ma petite sœur approcher, puis grimace en voyant la position de son chat. J'en ai mal pour lui. Il est aussi droit qu'un humain debout le serait, le haut du corps et deux pattes bloqués par le bras replié de sa maîtresse, sans oublier le reste du corps, suspendu au dessus du sol. Le pauvre.

- Célia, qu'est-ce que tu fais debout ? Il est très tôt ma chérie...

Je m'agenouille à sa hauteur, avant d'avancer ma main vers son minois pour lui caresser la joue. Même endormie, la benjamine de la famille recule d'un pas, évitant tout contact avec moi.

Mon cœur se serre doucement, suite à son refus. Je bloque un soupir entre mes lèvres, avant de sourire une nouvelle fois. Ce n'est pas vraiment de sa faute après tout.

- Che gnarribe plus à chromir.

- Ton pouce, murmuré-je en évitant son regard.

- Je n'arrive plus à dormir.

- Mais c'est trop tôt pour le moment. Il n'y a même pas encore le sept sur l'horloge ma puce.

Elle croise les bras d'un seul coup, laissant retomber le chat sur ses pattes. Ouf... Elle se met à bâiller la minute qui suit, avant de se frotter maladroitement les yeux. Je n'insisterai pas si elle n'était pas fatiguée. Hors là, c'est le cas.

- Tu veux aller voir papa et maman ? proposé-je en penchant la tête.

Elle hoche la tête, avant d'ajouter d'une voix tremblotante :

- Mais... ils ne veulent pas... La porte est fermée alors qu'elle n'est jamais fermée d'habitude... Papa la laisse toujours ouverte, mais là elle est fermée alors qu'elle n'est jamais fermée le matin.

Ses petits yeux bleus s'emplissent de petites larmes, aussi vite que sa phrase est achevée. Je ne peux pas la prendre dans mes bras, simplement m'armer de mots et de patience pour la convaincre que ce n'était qu'un accident, un oubli. Célia n'aime pas qu'on change nos habitudes, les horaires doivent rester les mêmes, les objets dans une certaine disposition et à une place précise. Elle n'arrive pas à retrouver ses repères si ce n'est pas fait. Et elle panique vite.

- Ce n'est rien, ils ont simplement oublié ma chérie.

- Ils m'ont... oubliée ?

- Non, non, paniqué-je. Pas du tout. La porte. Ils ont oublié d'ouvrir la porte. Ou alors je suis sûre que c'est le chat qui l'a refermée avec sa patte, sourié-je en mimant ma pensée.

Elle fronce les sourcils, puis essuie ses yeux.

- Mais Iliana, les chats ne referment pas les portes, affirme-t-elle en clignant des paupières.

- Certes. Mais ton chat est un petit malin.

Elle hoche la tête, avant de remettre son pouce dans sa bouche. J'adore la voir comme cela, une petite fille encore endormie et bercée par l'enfance et ses charmes. Elle est surtout magnifique cette petite bouille.

- Tu veux bien que je te porte petit lion ? demandé-je la permission en faisant référence à son pyjama Le Roi Lion, identique au mien.

Elle hoche la tête, alors je glisse mes bras autour de son petit corps léger et la dépose contre le mien d'un geste protecteur. Je fais évidemment attention à ne pas la serrer trop fort contre moi, pour ne pas lui donner l'impression que je l'enferme ou que je la force.

Elle s'abandonne d'elle-même contre moi, son front presque enfoui dans mon cou, et sa joue déposée sur la base de ma poitrine, à la naissance de mon sein. Je maudis en silence ce couloir si petit, je voudrais tellement qu'il soit plus long. Garder ce doux contact éphémère avec ma petite sœur, blottie contre moi.

Je la dépose somnolente dans le lit conjugale, sous la couette, contre sa mère. Instantanément l'enfant recherche la chaleur maternelle. Célia a toujours eu un lien fort avec sa mère, davantage renforcé par sa différence et sa difficulté à accepter le contact. Sa mère était une belle exception. Celle en qui elle avait confiance éperdument. Son seul et unique repère.

Elles sont tout simplement magnifiques toutes les deux.

Je me force à détourner le regard, le sentant déjà devenir plus brumeux que voulu. Avant que je quitte la chambre, un petit souffle endormi me murmure :

- Merci ma puce... Sois prudente...

Je confirme d'un signe de tête, comme si mon père pouvait me voir, alors qu'il est coincé entre le monde du rêve et la réalité. Je m'éclipse doucement, refermant légèrement la porte, et lançant AM I HERE ? pour me motiver davantage.

Son rythme est idéal, et suivre les basses avec mes pas est la solution pour ne pas perdre mon souffle. Elle commence doucement, en augmentant la vitesse progressivement. Jusqu'à atteindre une mélodie insoutenable, une des rares qui me donnent envie de crier cette même rage, de me laisser déborder par toutes mes émotions.

J'en perdrai mon souffle, poussant mon corps et ses limites à bout. Mais c'est mon unique solution. Mon seul moyen.

Celui qui me rappelle que je suis bel et bien vivante.

Je me glisse à l'extérieur, remontant les pants de mon sweat contre ma peau. Les 11°C avenant n'aident en rien, mais ne me découragent pas pour autant. Je traverse le jardin à grandes foulées, bercée et décidée à m'agiter avec la musique, qui me monte déjà à la tête. Les refrains m'achèveront, c'est certain.

Les marches sont franchies, je dépose mes premiers pas sur le sable humide. La météo des derniers jours ne va pas arranger mon cas, ma difficulté à courir rapidement, ni mon essoufflement soudain, je m'enfonce trop vite. Après tout, ça ne sera ni la première, ni la dernière fois que je me pousse à bout. J'augmente le volume avant de me lancer, inspirant le nectar salé de la mer à pleins poumons.

Mes jambes semblent suivre, j'accélère. Je n'ai pas couru depuis tellement longtemps, ça me manque beaucoup trop. Mes semelles laissent une belle tr ace de mon passage, comme un chemin dessiné pour le prochain perdu du coin.

L'humidité me coupe le souffle, m'étouffe, mais je continue. Les joues rougies par l'effort, et les jambes engourdies par cette rude reprise, j'accélère de nouveau, dépassant la vitesse de croisière mais retrouvant un bon rythme. La musique éclate de nouveau, me forçant à prendre encore de la rapidité. Alors que les premiers rayons du soleil abordent la côte californienne, diffusant rouge, jaune et orange au milieu de la nuit noire, seule ma silhouette est repérable sur ce sable gris. Telle une ombre passagère de la vie, je continue à me pousser à bout, vite, vite, vite. Plus vite encore, j'en suis capable. Je suis vivante.

Comme poursuivie par un danger imminent mes pas foulent agilement les grains blancs, sans jamais glisser ou perdre la cadence. Je cours. Vite. Encore davantage. Jusqu'à mourir étouffée, privée d'oxygène et d'air frais. Je continue, de nouveau. Jusqu'à avoir mal, jusqu'à frôler l'évanouissement. Jusqu'à confier mon esprit et les battements de mon cœur à cette route que je suis, à ce rythme que je m'impose. J'avance, plus loin encore. Loin de chez moi, et pourtant si bien.

Je meurs sans souffle. Mais respire pour la première fois depuis longtemps.

🌊🌊🌊

- Tu es un amour, merci beaucoup, me sourit mon copain, en refermant sa portière.

- Je sais que je suis la meilleure, c'est gentil, ajouté-je avec ce même sourire.

- Tu es bien de bonne humeur aujourd'hui... Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

- Je sens que ça va être une bonne journée, expliqué-je simplement en replaçant proprement ma jupe sur mes jambes.

- Tu es debout depuis longtemps pour avoir eu le temps de me faire des cookies ? demande-t-il en croquant un bout du gâteau.

- Oui, assez. Je suis allée courir un peu, répliqué-je sans mentir.

Son regard m'assassine dans la minute qui suit.

- Courir ? Comment ça courir ?

- J'ai pris une paire de baskets, mes jambes à mon cou, et hop. Le long de la mer au milieu du sable ! précisé-je pour l'embêter, telle une petite fille.

- Tu rigoles j'espère. Dis-moi que tu rigoles.

- Absolument pas Aiden, soupiré-je en piquant un de mes propres cookies. J'avais envie d'aller courir, alors j'y suis allée. Je ne vois pas où est le drame.

- Le drame ? Ah oui, tu ne le vois vraiment pas ?

- Non, tu en fais toute une montagne, pour rien. Comme toujours copain-poule.

Je croque dans mon gâteau, oubliant rien qu'une minute les conneries qu'il diffuse autour de lui. Hum... Ils sont divins en plus...

- Je n'en fais pas toute une montagne, c'est toi qui fais l'enfant. Qu'est-ce que mon père t'a dit Iliana, pas d'effort physique ! Je suis sûr que tu es allée courir comme une dératée sur le sable mouillée, en plein mois de janvier...

J'avale ma bouchée, préparant un à un mes arguments dans ma tête. Optant pour un air convainquant, j'articule noblement :

- Tu m'étouffes copain-poule. Laisse-moi respirer un peu parce que sinon ça va vraiment pas le faire, appuyé-je mes dires en mimant mon propre étranglement.

- Tu sais très bien que je ne dis pas ça pour te faire chier, ajoute-t-il en s'appliquant davantage sur sa conduite, histoire de ne pas nous envoyer tout droit dans le premier arbre qu'on croisera.

- Parfois, je me le demande.

- Ne sois pas bête mon cœur. Tu sais parfaitement que je veux juste éviter de te retrouver en miette sur la plage, dissolue au milieu des grains de sable.

Je pouffe.

- Un poète en plus, non mais je rêve ! Attention à toi Aiden, tu deviens niais et attachiant. Ce n'est pas bon pour ton CV de petit copain parfait ça, crois-moi.

Il roule magistralement des yeux. Insolant.

- Ce que tu peux être idiote toi aussi parfois, rit-il en terminant sa gourmandise.

Je l'ignore, haussant simplement les épaules. Avant de saisir un nouveau gâteau et de croquer dedans à pleines dents.

- Es-tu vraiment en train de manger tous mes cookies ? m'embête-t-il.

- Dois-je vraiment préciser qui a fait ces petites merveilles ? ironisé-je.

- Attends, mais tu manges ? demande-t-il rapidement, en me lançant un regard étonné.

- Oui, ils sont tellement bons faut dire, murmuré-je en terminant ma bouchée.

- Non mais normalement je veux dire ! Iliana, c'est super ! se réjouit-il.

J'ai envie de lui rappeler qu'il ne s'agit là que de deux-trois gâteaux. Guerre plus. Mais il a l'air tellement ravi, que je passe ce détail.

- C'est même le troisième que je mange, précisé-je avec le sourire.

- Mais qu'est-ce qu'il t'arrive aujourd'hui ?

- Le traitement qu'ils m'ont donné est efficace faut croire.

- Bonne nouvelle alors.

- Mais tu vois, je vais reprendre dix kilos, alors que je suis très bien comme ça, soupiré-je.

- Non, je préfère largement que tu en prennes dix, voir quinze, ça ne peut que te faire du bien.

- Me faire du bien ? De ressembler à une boule ? Je ne crois pas non, nuancé-je.

- Tu ne vas pas recommencer avec cette horrible psychose des moindres grammes en trop ou en moins, si ? Je pensais que c'était terminé tout ça moi !

- Non, il n'y a aucune psychose possible, je ne vois pas de quoi tu parles. Je dis simplement que je suis bien telle que je suis actuellement, et que je dois faire un peu attention. Alors courir ne peut pas me faire de mal, au contraire.

Et voilà, comment clore la discussion. Un bel argument, servi sur un plateau d'argent. Iliana : 1 et Aiden : 0.

Je souris, totalement satisfaite de moi-même, pour une fois.

- Tu es insupportablement chiante aujourd'hui. Et moi qui pensais que c'était de la bonne humeur ! Quel con ! Mets nous de la bonne musique au lieu de raconter des conneries, ajoute-t-il en me lançant presque son téléphone.

Je m'exécute, en soupirant évidement. Avant même d'avoir le temps d'ouvrir Spotify, un message provenant de mon père attire mon attention. Je l'ouvre avec impatience, avant d'observer une longue suite d'échanges, tous datant des dernières semaines. Le dernier indiquant un vague « les papiers sont à rendre au plus vite, signés par ton responsable légal 1. Ton témoignage doit être entièrement rédigé, et les points clés soulignés en bleu. ».

Mon sang ne fait qu'un tour. Je jette un coup d'œil à mon copain, son regard visé sur la route. Je m'apprête à cliquer sur les documents en lien PDF mais il m'interrompt avant, d'une voix agacée :

- Tu trouves ? Qu'est-ce que tu fabriques encore ?

- Oui, capitulé-je en quittant la page, me promettant d'y revenir plus tard. Je ne trouve pas de Coldplay dans ta playlist, ajouté-je pour le convaincre.

- J'ai une playlist entière de lui, c'est toi qui l'a faite je te rappelle.

Je confirme, et lance la première chanson de mon groupe favori qui me tombe sous la main. Aiden la chantonne à mes côtés, rythmé par le bruit de ses mains claquant sur le volant. On arrive rapidement, s'arrêtant sur l'arrêt minute, juste devant l'entrée.

- Bonne journée petit oiseau, me sourit-il. On s'appelle ce soir ?

- Evidemment ! Fais attention à toi, ne te casse rien, et ne déboîte aucune épaule, à personne et surtout pas à mon frère, ajouté-je joyeusement en sortant du véhicule, et en lissant ma jupe.

- Aucune chance, ne t'en fais pas ! Pareil pour toi, les marches des escaliers sont hautes dans cet hôpital, regarde où tu vas, s'il te plaît !

- Mais oui, affirmé-je en roulant des yeux. Où est ta confiance en moi ? Regarde, j'ai mis mes Converse bleues, il ne peut rien m'arriver !

Il éclate de rire, avant de se faire klaxonner en beauté. Les gens sont tellement impatients de nos jours... Je lui envoie un bisou avec ma main, et l'agite pour lui dire au revoir. Avant d'aller une fois de plus dans le hall de cet endroit familier.

Submergée par un ensemble de bruits peu agréables, et étouffée par les couloirs bondés, classique pour un samedi midi, je fonce jusqu'aux escaliers pour rejoindre l'étage le plus tranquille de l'établissement. Les médecins me saluent, me sourient avec compassion. J'apprécie leurs gestes à mon égard. Il n'y a rien de méchant ou de déplaisant dans toutes ces petites attentions. Et je veux bien admettre qu'une jeune mineure qui vient rendre visite à sa maman dans le coma trois fois par semaine, peut inspirer de la pitié. Une compassion bienveillante que je digère de mieux en mieux ces derniers temps.

Je passe plus d'une heure et demie à raconter ma journée à ma mère, celle d'hier, ce que j'ai fait ce matin, revenir un peu sur les évènements clés de cette semaine. Au bout d'un moment, un peu à court d'idées pour briser ce silence agaçant, et couvrir le bruit des machines, je décide de mettre de la musique.

Le père d'Aiden, Jack, est déjà passé deux fois pour vérifier que je n'avais besoin de rien, et pour parler un peu avec moi. Il est adorable, et mine de rien, sa présence me rassure énormément. Il vient juste de partir, refermant prudemment la porte derrière lui.

Je connecte la baffle, règle le volume pour ne pas déranger tous ces endormis, et lance la chanson préférée de ma mère. Le vent nous portera, du groupe Noir Désir. Leurs chansons ont pendant longtemps été un sujet tabou, au vu des actes du chanteur, Bertrand Cantat. Mais cette musique est tellement belle, et j'ai été bercée par ce son depuis ma plus tendre enfance, bien avant le drame. Je ne souhaite pas me prononcer sur ce sujet, ni prendre parti. Je suis amoureuse de cette musique, ça ne veut pas dire que je cautionne pour autant ce qui a suivi.

Dès les premières notes, je me détends. On a tous un son incroyable qui a constitué notre enfance. Celui qu'on connait par cœur depuis nos trois-quatre ans alors qu'on ignorait même chacun des mots répétés machinalement. Cette voix atypique qui m'a toujours faite frémir, cette mélodie incroyablement douce qui m'a toujours emportée plus loin... Pour rien au monde je ne renoncerai à cette musique, pilier de mes valeurs, source de mon bonheur.

- Tu te souviens maman, évoqué-je remplie de nostalgie en me posant sur le bord du lit, nous chantions tout le temps cette chanson. Elle résonnait constamment dans l'appartement, et tu me disais combien tu aimais ce groupe. Combien il te faisait rêver, imaginer un monde meilleur. Les plus beaux matins étaient constitués de cette musique, résonant à plein volume entre deux pièces, la lumière du soleil baignant la baie vitrée et le salon, vers midi et demi. Il t'arrivait même parfois de faire brûler de l'encens, et de danser noblement dans ton paréo rouge orangé. Tu me chantais et me répétais qu'un jour, le vent nous portera. Aussi sûre que le sable reste toujours blanc.

Je bats des paupières, pour ravaler mes larmes discrètement. Ma main se glisse dans celle de ma mère, avant de me penchée davantage vers son visage. Le bruit de sa respiration artificielle est calme, couverte par notre musique favorite. Je murmure du bout des lèvres les paroles, comme un souvenir intact, profondément enfoui dans nos mémoires.

- Je veux encore revivre ça. C'est vital pour moi maman. Il faut que tu reviennes, j' ai beaucoup trop besoin de toi. Ils ont tort, je ne suis pas une adulte. Je suis ta fille, ton petit bébé comme tu me disais souvent, et j'ai tellement besoin de ma maman. Le vent ne peut pas t'emporter tout de suite, j'ai besoin de temps. J'ai besoin de me réveiller baignée par le soleil, te découvrant aussi belle que le jour en train de chanter notre chanson. Je veux entendre ta voix me répéter que le sable restera toujours blanc. Si tu dis vraiment la vérité, tu devrais ouvrir les yeux. Respecter ce proverbe qui nous tient tant à cœur. Me prouver que tout ira toujours bien, comme tu le clames depuis si longtemps. Je t'en prie...

Quelques larmes roulent sur mes joues. Je porte sa main à mes lèvres, et l'embrasse doucement. Je la serre, contre mon cœur l'instant suivant, lui adressant mes plus belles pensées. Sa paume directement appuyée contre ma peau, mes yeux maintenant clos et remplis de larmes, je serre une nouvelle fois ses doigts, criant au miracle.

Entre songe inespéré et réalité rêvée, ses doigts se referment sur les miens, m'ouvrant d'un seul coup les yeux, pour ensuite perdre mon souffle, disparu devant mon prodigieux miracle insensé.

🌊

_______________________

Hey ! Ne me jeter pas des cailloux pour cette fin 🙈

Comment allez-vous ?

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

On retrouve d'abord une Iliana un peu perdue par les événements... Elle garde espoir, s'accrochant à ce qu'elle peut devant ses proches, impuissants.

Qu'avez-vous pensé du petit moment avec Célia ?

Celui de la course ?

Et pour finir, le passage à l'hôpital, rempli de douceur et d'amour...

Est-ce que ça vous a plu ? Et la fin ?

Je vous avais bien dit, les solutions commencent à arriver 😎

Quelque chose à ajouter ?

De gros bisous à tous, et merci d'avoir lu ! Bonne journée, Lina 😘

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