Chapitre 13



« J'ai la chieuse attitude dans la peau, j'y suis pour rien ! »

Pitoyable, je suis pitoyable. J'ai réussi à m'endormir en pleine discussion avec mon copain dans la voiture. C'est honteux, aucun autre mot ne me vient en tête. A présent dans mon lit à jouer l'endormie, je tente désespérément de ne pas attirer l'attention sur moi.

Mon incapacité à marcher commence à me prendre la tête. L'énorme attelle qui m'emprisonne s'apparente à une enclume que je traîne d'un bout à l'autre de la pièce. L'interdiction de quitter mon lit pendant trois jours et l'affreuse souffrance en prime m'arrache une grimace. Je sens que ça va être long. Terriblement long. 

Complètement dépendante des autres, je prends mon mal en patience. Austin n'a pas bougé depuis mon réveil, toujours assis occupé à envoyer des textos.

— Austin ? l'apostrophé-je.

Il sursaute comme un idiot.

—T'es réveillée depuis quand ? s'étonne-t-il.

— Il y a quelques minutes, tu es simplement aveugle.

— Je poireaute ici depuis plus de deux heures pour être à tes côtés, et c'est comme ça que tu réagis ? Iliana Midden, tu es d'un culot hors norme.

J'éclate de rire, il n'a pas tort sur ce point-là. 

— Je vais appeler papa, d'accord ? Je te le passe après, m'informe-t-il en se levant.

— Hors de question, je ne veux pas lui parler.

— Iliana, s'il te plaît.

— Non, il n'y a pas de "s'il te plaît" possible. C'est déjà tout vu.

— Il m'a appelé au moins trois fois, tu sais très bien que c'est toi qu'il veut entendre. Il essaye simplement de se rattraper.

— Mais je n'ai pas envie qu'il se rattrape. Pour le moment, je n'ai pas besoin de mon père, répliqué-je acerbe presque face à son insistance.

— Bon, ok, on verra plus tard, capitule-t-il. On va regarder une série à la place, décrète-t-il avec un clin d'œil.

— Si tu veux.

Je repousse ma couette en soupirant. Austin quant à lui, tend les bras dans ma direction avant de me déplacer jusqu'au canapé. J'envoie un message à Evan pour le tenir au courant de mon état comme il me l'a demandé. J'aurais aimé passer la soirée avec lui, mais l'absence de parent dans sa maison impose sa présence pour garder un œil sur sa petite sœur.  

— Tu as choisi ? me coupe Austin.

— Pas encore.

Je m'enroule dans ma couverture en laine. C'est bien la première fois qu'elle sort de ma chambre, appartenant autrefois  à ma mère.... aujourd'hui sera sa seule sortie.

Mon regard dérive vers la fenêtre, d'un air absent. De petites vagues se dessinent à l'horizon, m'appelant dans une langue que je suis la seule à comprendre, apprise par ma mère comme un langage venant du fond du cœur. Je dois me rendre à l'évidence,  ma cheville n'est pas la seule raison qui m'empêche de retourner à l'eau, de retrouver ma passion. 

En réalité je suis morte de peur.

Plan cœur ça te dit ? me demande-t-il en proposant un titre français.

J'éclate de rire face à cet accent si parfait, mon beau-père deviendrait fou à son entente.

— Seulement si on le regarde en français, imposé-je.

— Aucune chance, je ne regarde pas de séries en VO.

— Allez, Austin, s'il te plaît.

Ma petite moue de fille triste, accompagnée de petits yeux suppliants sont de sortie.

— Bon, t'as gagné. Je te préviens, on regarde seulement le premier en français alors.

— Merci !

Pourtant, malgré ma victoire je m'endors au bout de quelques minutes, épuisée sans même avoir levé le petit doigt durant la journée.

֍

Froid. Pourquoi suis-je pieds nus ?
Seule. Où sont passés les autres ?
Noir. Comment la lumière s'est-elle éteinte ?
Abandonnée. Que dois-je faire ?
Mensonges. Lesquels choisir ?
Maman... Quand suis-je morte ?

Assise sur cette pierre froide, je me sens terriblement seule. Dans le noir complet, j'ai l'impression d'être abandonnée. Ils étaient là, mais je me retrouve ignorée à présent. J'ai dit trop de mensonges. Tout est de ma faute.

Ma mère est assise à côté de moi, sur sa propre tombe. Je suis vêtue de noir, une robe en dentelle et mes cheveux tressés entre eux. Une rose noire dans la main, et une poignée de sable blanc dans l'autre. C'est mon tour, c'est à moi de jeter tout ça sur son cercueil. Non, je refuse de le faire. Pas encore. Ce moment hante mes rêves depuis des mois, je refuse de le vivre, encore. Le vent se lève, mais tout demeure figé. Mes larmes refusent de couler tout comme mon souffle reste en moi. Le temps s'est certainement arrêté. Ma mère a disparu, elle se retrouve debout au loin, sur cette haute colline dont elle me parle si souvent. Celle dominée par une croix en bois, et qui fait face à la plage. Sa plage. Je la rejoins silencieusement, empruntant le même chemin qu'elle, marchant dans ses pas, suivant son ombre. Arrivée en haut, elle ne fait face qu'à la mer. Je la contourne faisant dos à l'horizon.

C'est moi maman, murmuré-je alors qu'elle ne me regarde pas.

Je soulève son menton, pour la forcer à me regarder. Mais ce n'est plus ma mère que j'ai face à moi. C'est son corps, devenu froid et de pierre en moins d'une seconde. Ses yeux ont disparus, et un sourire méchant s'est ancré sur ses lèvres.

Tout est de ta faute, siffle une voix dans le vent.

Je recule sous la peur, glissant brutalement. Ma cheville ne tient pas le coup, et le vide m'absorbe alors que ma mère se penche en avant, souriant méchamment.

« C'est ton tour maintenant Iliana chérie... »

Un réveil en sursaut et des larmes inondant mes joues plus tard, je reprends mes esprits assise et tremblante. J'essuie mon visage en soupirant, pleurer est quelque chose d'horrible. Je sais bien que personne n'aime pleurer, je ne fais pas exception à cette règle. Je hais pleurer. Même si ces derniers temps, je l'ai souvent fait, j'admets. Pourtant, je n'ai pas pleuré ma mère qu'une seule fois avant cette dernière fois, assise sur le sable avec Evan.

J'observe mes pieds pendant un moment, avant de les poser enfin par terre. Je me lève doucement, et fais quelques pas. Souriant en me voyant marcher si tôt, j'avance jusqu'à ma commode et m'apprête à ouvrir son tiroir, avant de me prendre les pieds dans la pile de livre au sol. Ceux que je n'ai pas ramassés avec Evan, évidement. Je retiens mon cri de douleur, tombant dans un fracas assourdissant qui résonne certainement jusqu'au salon. Je m'assois, ramenant ma jambe contre moi et en me maudissant en silence.

— Iliana ?

La lumière s'allume d'un seul coup, imposant une dizaine d'étoiles noires contre mes rétines.

— Qu'est-ce que tu fais par terre ? Ça va ? me demande Austin.

— Non, ça va pas, ça ne se voit pas ? l'engueulé-je furieuse.

J'essuie rageusement mes larmes. Super, pleurer devant Austin était vraiment la dernière chose que je voulais faire. Il me regarde en fronçant les sourcils pendant quelques minutes.

— T'es tombée ?

— Non, je dormais par terre, ironisé-je.

— Mais pourquoi tu as cherché à marcher ? C'est complètement idiot !

— Oui, je suis une idiote mais j'avais besoin d'un mouchoir et tu vois, je n'ai pas encore appris à me téléporter, alors j'ai fait comme je pouvais !

— Mais tu es d'une humeur massacrante dis-moi, soupire-t-il.

— Il est trois heures du matin Austin, je viens de tomber comme une mamie de quatre-vingt ans et j'ai horriblement mal ! Comment veux-tu que je réagisse ?  hurlé-je contre lui.

Il se contente de soupirer. Ce garçon a un self-control de malade, indestructible même.

— Tu veux prendre un antidouleur ? me demande-t-il calmement.

— Non. Ce que je veux, c'est retourner dans mon lit et prendre un mouchoir.

— Bah viens, je t'aide, propose-t-il en s'agenouillant à côté de moi.

— Ne me touche pas, je suis encore capable de me relever seule, le menacé-je.

Il se redresse et me regarde échouer plus de cinq fois d'affilée. Je prends ma tête entre mes mains en fronçant les sourcils, me dévorant la lèvre en essayant de surpasser la douleur physique qui tiraille mon corps entier.

— C'est bon ? Je peux te remettre dans ton lit ou pas ? m'interrompt Austin.

— Non, je vais y arriver quand même ! râlé-je.

Il me tourne le dos et s'en va tout simplement. Comme si de rien n'était.

— Austin mais qu'est-ce que tu fais ?

— Je te laisse par terre, ça te fera du bien un peu. Tu m'appelles quand tu es calmée, d'accord ? dit-il en me lançant un paquet de mouchoir.

Je l'attrape au vol, et passe plus de vingt minutes à essayer de me lever. Ce qui se révèle absolument inutile.

— Austin... l'appelé-je.

Je sais qu'il m'entend, il fait simplement semblant de m'ignorer.

— Austin !

— Quoi ? râle-t-il à son tour.

— C'est bon, je suis calmée, répliqué-je tout bas comme une enfant.

Il revient tout sourire, avec une tête de petit joueur comme lui seul en a le secret.

— La petite fille a décidé d'arrêter de bouder ?

— Allez, aide-moi !

— La princesse accepte de l'aide ? Mais quel jour de chance, me nargue-t-il. Mais oui mamie, t'inquiète pas, je vais t'aider à te relever.

— Je te hais !

— Ah non, avec moi c'est s'il te plaît ou tu passes la nuit par terre.

— S'il te plaît, aide-moi à me lever.

— J'étais certain que tu pouvais être mignonne en faisant quelques efforts.

Je lui tire la langue alors qu'il passe ses bras sous mes genoux et derrière mon dos.

— J'ai la chieuse attitude dans la peau, j'y peux rien ! m'exclamé-je.

— C'est ça, tu es juste la reine des chieuses porteuse du caractère qui va avec.

Je lui pince les joues pour le faire taire, alors il en profite pour me laisser tomber sur le lit, m'arrachant une grimace de douleur.

— On est bien de la même famille c'est clair.

Il me donne une petite bouteille d'eau et mes cachets en riant.

— C'est bon, pas besoin de me border non plus, ajouté-je parce qu'il reste immobile.

— Te border ? Pas mon genre honey.

Je roule des yeux alors qu'il vient s'allonger à côté de moi.

— Bon allez bonne nuit, dit-il en éteignant la lumière.

— Tu ne peux pas rester là !

— Pourquoi ? s'indigne-t-il.

— Mais parce que ! On ne dort pas ensemble, c'est tout !

— Ne recommence pas à faire ta chieuse, je commençais à t'apprécier, m'envoie-t-il en enfonçant un cousin sur mon visage.

Je me retrouve engloutie par l'oreiller et bloquée contre le lit sous son poids.

— Tu es lourd, j'arrive plus à respirer ! m'agité-je.

— Et toi tu m'étouffes avec ta connerie. Pourtant je t'embête pas, si ?

— Austi... tenté-je sans succès envahie par le tissu et certainement les plumes.

— Houlà, je suis en train de la tuer, entends-je.

J'inspire une grande quantité d'air, et dans ce même mouvement je le surprends en lui vidant le reste de ma bouteille d'eau sur la tête.

— Mais putain mais t'es sérieuse ?

— Tu as essayé de m'étouffer ! crié-je plus fort que lui.

On se hurle de gentils petits mots pendant trois bonnes minutes, avant d'éclater de rire. On en arrive tous les deux à la même conclusion en se regardant.

— On est vraiment con, conclus-je.

— Mais alors vraiment, très con, complète-t-il.

— Je suis certaine qu'on était frère et sœur dans une vie antérieure.

— Je ne vois pas d'autres explications possibles.

Je hoche la tête en plissant les yeux pour réfléchir. Oui, c'est bien la seule option.

— Bon, on dort maintenant ? propose-t-il.

— Oh que oui, je suis morte de fatigue, avoué-je.

— Tu vas avoir de beaux cernes bleus. Trop sympa ! se moque-t-il.

— Et ça te fait rire, toi ?

— Bah oui à chaque fois que quelque chose peut te rendre plus moche que tu ne l'es déjà, je remercie le ciel d'une prière, dit-il avec sérieux et un sourire en coin.

— Bon allez, bonne nuit. J'en ai largement assez entendu, grogné-je en plaçant soigneusement le traversin entre nous deux.

— Bon, bonne nuit, capitule-t-il depuis son côté.

Je me couche sur le ventre, puis change de position. Je ne peux pas rester comme ça plus de cinq minutes avec cette cheville toute cassée ! Je me contente de me glisser sur le côté, face au traversin qui nous sépare. Étrangement, je n'ai pas honte de dormir avec Austin. Même si c'est un garçon et que je suis vêtue d'une culotte et d'un tee-shirt court cette fois, je m'en fiche.

Je ne suis pas du genre très pudique dans la vie.

Surtout face à mon demi-frère que je connais depuis un peu plus d'un mois. Dit comme ça, ça ne fait pas beaucoup, mais c'est pourtant ce qu'on a appris à être, l'un pour l'autre. Un demi-frère et une demi-sœur, dont la fonction principale est d'embêter l'autre pour son propre plaisir. Mais toujours prêt à détruire ceux qui osent le faire à leur place.

On ne compte pas ce genre de relations fraternelles en termes de mois ou de jours passés ensemble. On se souvient simplement des moments passés avec l'autre. Car à cet instant, c'est un nouveau souvenir qui s'écrit de toutes lettres dans nos mémoires.

Lorsque sa main se glisse sous le cousin, pour trouver la mienne, je retrouve mon sourire. Puis je me rappelle que c'est Austin et que « mignon » rime avec « il est con ». Il me pince la main avant d'éclater de rire. Je lève les yeux au ciel, fatiguée par ses bêtises. Finalement, il commence à caresser ma paume délicatement, geste qui m'endort plus rapidement que prévu.

À partir de là, ce sourire a refusé de quitter mes lèvres.
Et ce, pour le reste de la nuit, à l'idée que peut-être j'avais enfin trouvé le frère qu'il me manquait.

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Hey ! Voilà le deuxième chapitre comme promis !

Qu'avez vous pensé de ce petit moment « frère/soeur » ?

Le prochain sera du point de vue d'Aiden (enfin 😂🙏🏻)

A la semaine prochaine 😁

Des bisous, 😘 Lina

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