Chapitre 1

« La Baie de la Sainte Marijuana. »

La brise salée et les premiers rayons du soleil me donnent comme toujours l'impression d'être ici chez moi. Ils sont ce qui caractérise notre ville : la mer et le soleil. Les éléments qui constituent mon petit paradis personnel. Mon bonheur à moi.

Bonheur est à présent un bien grand mot. 

Je tire la fermeture de mon sweat, l'air frais s'infiltrant doucement sous mon vêtement. Malgré tous les clichés, la Californie n'est pas que soleil et grosses chaleurs, même pendant le mois d'août. La preuve, il y a du vent et une fine pluie décore les carreaux ce matin. Un temps idéal s'annonce pour demain. Parfait pour parcourir la mer.

On me fichera la paix, on le fait toujours lorsque je m'évade pour me plonger dans ma plus grande passion.  

Un groupe de touristes égarés se bousculent pour prendre une photo tous ensemble sur l'avancée. Il faut dire ce qui est : la promenade et le front de mer sont magnifiques. C'est à peu près tout le charme de cette ville. Je dépasse rapidement le panneau d'accueil, habituellement constitué d'énormes lettres dorées formant le nom de notre paradis. Santa Marina Bay. Aujourd'hui il n'est plus possible de distinguer ces quelques mots. Plus tôt dans la semaine, les adolescents du coin se sont amusés à monter sur le panneau pour y faire disparaître les lettres N et A, ajoutant à la place un J, un U, un A, un N et enfin, un A. Un nouveau nom parfaitement trouvé de Santa Marijuana Bay. La Baie de la Sainte Marijuana. Original.

Malheureusement, ça n'a guère plu à tout le monde, et l'œuvre d'art a été censurée au plus vite. Compréhensible. L'image de notre petit paradis serait trop vite détériorée, et ce n'est pas bon pour le tourisme. Une ville pourtant si parfaite, se situant sur les côtes californiennes à mi-chemin entre Santa Barbara et Los Angeles. Une population de douze mille habitants à l'année contre le double l'été. Une période florissante où poser sa serviette et aligner trois vagues de suite est chose impossible. Les touristes sont plutôt du genre invasif.

Je secoue les pieds avant d'entrer, sachant très bien que le sable sur le parquet est un véritable cauchemar. La devanture bleutée un peu passée mais toujours aussi accueillante fait face à l'océan. Un atout rare pour un simple petit café. La grande enseigne « Au sable blanc » s'expose au soleil toute la journée. C'est français, d'après ce qu'on m'a dit. La petite clochette sonne mon arrivée lorsque j'ouvre la porte d'un coup d'épaule.

— Hey !

— Iliana ! Je ne t'attendais plus.

— Désolée, j'ai pris le temps d'admirer la beauté de notre ville en venant.

— Ou alors tu étais tout simplement en retard, nuance-t-il en croisant les bras.

Je souris et hausse les épaules, vaincue.

— J'ai ramené des donuts pour me faire pardonner.

Je montre la boîte rose encore sous mon bras, avant de l'ouvrir sous ses yeux.

— C'est un donut fraise/chocolat blanc que je vois là ?

— Exactement monsieur, répliqué-je en français.

— Houlà, tu n'as pas travaillé ton accent, il est pitoyable, se moque-t-il.

Je lui tire la langue en posant le goûter sur le bar.

— Tu es la meilleure enfant que le monde ait connu. Merci ma puce, dit-il en embrassant mon front.

Je m'assois en gardant mon sourire.

— Tu veux boire quelque chose ?

— Un chocolat, mais seulement s'il a plein de crème et des Smarties.

— Je te prépare ça.

Venir ici est toujours un véritable plaisir. C'est un endroit parfait. Je passe souvent après les cours, pour me mettre dans un coin et travailler un peu mes leçons en sentant cette bonne odeur de chocolat ou de pâtisseries à peine sorties du four. Je me souviens encore lorsqu'on a acheté ce café, enfin, les travaux qui ont suivi surtout. 

C'est un endroit rempli de beaux souvenirs. Un repère rassurant et lourd de sens pour moi.

— Et voilà pour mademoiselle.  Alors, comment ça s'est passé avec la psy ?

— Hum ch'était très mien.

— Gourmande.

— Parler pendant une heure m'a affamée, avoué-je.

Je prends une photo de mon petit repas avant de mettre l'adresse.

— Arrête un peu avec ça, râle-t-il en soupirant.

— Je te fais de la pub.

— Je n'en ai pas besoin.

— Je crois que si. Il n'y a pas un client.

— Tu crois vraiment que les gens vont venir juste parce que tu as posté une photo ? quémande-t-il naïvement.

— Un groupe entier d'adolescents prêts à prendre dix kilos avec tes cookies Nutella.

Il lève les yeux au ciel en riant. Il ne croit pas au pouvoir des réseaux sociaux.

— Et toi, ma petite adolescente, que fais-tu par ici ?

— Je viens prendre les derniers cartons, et...

— Bonjour ! nous interrompent deux voix fluettes.

— Hum un groupe d'adolescents tu disais ? se moque Raph.

Deux fillettes apparaissent devant nous pendant qu'il éclate de rire. Son téléphone le stoppe, alors qu'il s'apprêtait à prendre les commandes.

— Vas-y, réponds. Je m'en occupe.

Il me remercie du regard et commence à s'éloigner en parlant français. Son visage souriant et ses cheveux poivre et sel disparaissant dans la salle principale du restaurant.

— Qu'est-ce que je vous sers les filles ?

— Deux chocolats chauds avec un supplément crème pour moi.

— Excellent choix. Je vous amène ça, allez-vous assoir à une table.

Je rassemble mes mèches dans une queue de cheval bien haute en attendant que les chocolats chauffent. Je rajoute une bonne dose de crème pour la jeune fille et apporte le tout sur un petit plateau rond.

— Merci ! s'exclament-elles en cœur.

Elles sont à croquer, et me rappellent un peu ma Célia.

— Et voilà ! annoncé-je avec le sourire en rendant la monnaie du billet de vingt dollars.

֍

Je m'acharne depuis plus de dix minutes pour accéder enfin au contenu de cette fichue caisse. Je n'ai pas de patience pour ce genre de chose.

— Arrête de t'acharner dessus ! s'écrie-t-il en ouvrant doucement le tiroir caisse.

Je fais la moue en voyant qu'il y parvient du premier coup.

— On a été coupé tout à l'heure, tu disais ?

— Tu ne m'as pas écoutée ?

— Pas tout, je l'avoue.

Je roule des yeux, sans vraiment être étonnée. Mains sur les hanches, je poursuis. 

— Je vais récupérer mes dernières affaires à l'appartement.

— Oh. Tu me quittes pour de bon ? dit-il avec cette petite voix.

Je me mords la lèvre alors qu'il cherche la clé dans sa poche.

— Je vais voir si je ne peux pas rester ce soir, mais j'en doute... Je te dirai, bredouillé-je en tendant la main vers le porte clé en forme de planche.

— Tu sais que tu peux venir à n'importe quelle heure du jour comme de la nuit Iliana. Cette maison, c'est la tienne. Elle sera toujours ouverte pour toi.

Je hoche la tête, avant de foncer dans ses bras. Il me fait un câlin et ajoute :

— Ne sois pas triste. C'est provisoire, on va trouver une solution.

J'approuve, toujours blottie contre lui. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas mon père biologiquement parlant que je ne le considère pas comme tel. C'est lui mon père. C'est lui l'homme qui m'a élevée et qui m'a façonnée de cette façon. L'autre ne symbolise pour le moment qu'un inconnu à mes yeux.

— Merci, articulé-je.

Il embrasse mes cheveux avant de me laisser partir.

Je n'ai jamais aimé les "adieux". Ils m'arrachent à lui en me proposant une vie "stable", pensé-je.

L'appartement n'a jamais été bien grand. Pourtant, il n'en est pas moins chaleureux, comparé à l'immense maison de mon père. Les photos et les souvenirs hantent encore les murs fraîchement rénovés. La fenêtre du salon donne sur la baie en elle-même, ma mère ayant toujours eu ce besoin maladif de voir la mer depuis son canapé. Parfois, elle passait des heures entières, assise sur une chaise sur le petit balcon baigné par le soleil, à regarder la mer et ses puissantes vagues.

Notre modeste appartement se tient juste au-dessus du café tenu par mon beau-père qui s'anime souvent dans les alentours de 20 h, lorsque l'arrière de sa boutique se transforme en un restaurant réputé, avec vue panoramique.

Ma mère y travaille, tout comme mon beau-père qui en est le copropriétaire. Notre chez-nous ne se trouve pas très loin, étant en réalité des locaux supplémentaires qui n'avaient jamais été agencés. Un petit nid douillet que mes parents avaient su meubler à la perfection.

Le couloir est certainement l'endroit le plus difficile à traverser pour moi. Sur chacun des meubles sont disposés des photos de nous, heureux. Notamment leur photo de mariage.

Mes doigts effleurent doucement le contour du cadre doré. On y voit ma mère, revêtue d'une robe blanche somptueuse et moulante. Des cheveux blonds cendrés réunis en une demi-queue, légèrement ondulés, des yeux bleus qui pétillent de bonheur. Et il y a moi, au milieu, dans cette petite robe bleue claire, la parfaite copie de ma maman.

Je lui ressemble tellement... J'ai parfois l'impression d'observer son propre reflet.

Elle m'avait tout transmis. Les mêmes boucles dorées, les mêmes yeux clairs et la même passion dévorante.

Sur la photo, je suis dans ses bras, blottie contre elle mais en tenant la main de Raph. Des visages souriant et une famille déjà unie. Ça n'a pas toujours été le cas, malheureusement.

On a tous des secrets. Mes fantômes figurent tous sur cette photo.

En effet, Raphaël n'est pas mon père. Enfin, scientifiquement parlant. Mes parents biologiques sont Anisa et Andrew Midden. Ils se sont mariés très jeunes, et ont eu mon grand frère, William Midden, un an après seulement, suivi par moi, deux ans après lui. Iliana Mina Emma Midden. Nous formions une petite famille heureuse. Enfin, durant un temps.

Malgré tout, les problèmes se sont rapidement accumulés. Le couple de mes parents battait de l'aile depuis un bon moment, sans compter que mon frère n'a jamais soufflé sa sixième bougie. Je me souviens à peine de ce grand frère dont on me parle tant. Mes souvenirs sont influencés par les photos et les films que j'ai vus de lui. Après son départ, mes parents ont décidé de se séparer. Autant profiter d'une douleur pour en faire passer une autre plus facilement. Mon père a déménagé, et chacun a refait sa vie de son côté. Ma mère s'est remariée avec Raphaël, m'offrant une nouvelle figure paternelle bien plus présente que l'ancienne. Je ne voyais pratiquement pas mon père, ni la nouvelle famille qu'il s'était construite. Un demi-frère qui a rapidement pris l'habitude de l'appeler "papa" alors que moi, je ne le voyais que rarement. Il a, plus tard, eu une petite fille avec sa compagne. Elle est adorable. Les quelques fois où je voyais mon père, j'étais ravie de la voir, me donnant l'impression d'être une grande sœur de remplacement.

Et puis, il y a eu l'accident. Mon père avant cela, s'occupait de moi de temps à autre. On se voyait en moyenne une fois tous les deux mois ces derniers temps. C'est ma mère qui avait ma garde, et j'en étais parfaitement contente. J'étais heureuse parmi eux. C'était ma famille. Mais depuis l'accident, tout a changé. Ma mère n'étant évidement plus en mesure de s'occuper de moi a perdu la garde. Malgré son mariage avec Raph, mon père restait mon tuteur légal numéro deux. À mon plus grand regret.

Raphaël a tout fait pour me garder avec lui, en vain. Tout était contre lui. Mon père étant avocat, a rapidement su faire pencher la balance de son côté, d'autant plus que les médecins et ma psychologue étaient tout à fait d'accord avec ça. Je perdais ma figure maternelle, j'avais donc besoin de retrouver celle qu'était supposé représenter mon père.

Je ne suis évidemment toujours pas d'accord avec ça. J'ai justement besoin de garder mes repères, quitte à rester dans cet appartement hanté par notre bonheur passé. Mais il en a été décidé autrement. Je ne suis pas majeure, alors c'est la loi qui décide. Je sais également que j'ai l'âge requis pour choisir avec qui je veux vivre, mais les médecins se sont opposés à toutes mes demandes, ma « santé mentale » actuelle ne me permettant pas de faire ce choix.

Comment peut-on me traiter de "mentalement instable" sans même me connaître ?

Me voilà donc, avec mon dernier carton dans les mains en route pour ma « nouvelle vie ». Imposée et rythmée par les choix de mon père. Une nouvelle famille, de nouvelles habitudes. Tout opposait mon père et ma mère, sauf qu'à cet instant, je ne savais pas encore que la différence serait SI grande.

Avant j'étais fille unique, dans mon modeste petit appartement sur le bord de mer. Maintenant, je me retrouve avec un frère et une sœur, dans une villa immense sur les hauteurs de la ville. J'allais devoir m'adapter, et sourire plus souvent.

Et j'allais devoir le faire au plus vite.

֍
_____________________

Hey ! Voilà enfin le tout premier chapitre !
Désolée pour le retard j'ai eu pas mal de boulot cette semaine 😪

J'attends vos avis avec impatience !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top