1 - Un visiteur dans la nuit
— Solnitchka.
— Hmm...
— Boyd. Boyd.
— Hrmgrbl.
— Henry !
— J'dors.
— Quigley ! Au rapport !
Le jeune militaire sursauta et bondit hors du lit double duquel Raven s'était éclipsé quelques minutes auparavant. L'Américain pouvait entendre l'océan Pacifique et une brise froide rafraichissait la chambre en cette nuit de juillet.
— Mais qu'est-ce que tu fiches, hun ?! Il fait encore nuit !
— Mets un t-shirt, Boyd.
L'intéressé, qui ne portait qu'un boxer, ignora son compagnon et se saisit du smartphone qu'il avait laissé en charge sur la commode.
— IL EST CINQ HEURES DU MATIN ! glapit-il en tendant l'écran lumineux vers le visage de Raven, qui détourna les yeux, aveuglé.
— Quigley, fais ce que je te dis.
La voix du Russe, calme, froide, était en contradiction complète avec ses traits tirés, ses yeux écarquillés par la peur et son teint, plus pâle qu'à l'accoutumée. Son compagnon se calma aussitôt et lui saisit le bras.
— Raven, qu'est-ce qu'il se passe ?
Il jeta un rapide coup d'œil au coffre-fort électronique que l'on pouvait distinguer en haut de l'armoire, mais le brun secoua la tête :
— Non, ça ne servira à rien. Habille-toi.
— Dis-moi au moins ce qu'il se passe, ordonna l'Américain d'un ton sec, saisissant néanmoins les habits qu'il avait jetés pêle-mêle au bas du lit, la veille.
— Mon père est là.
Boyd se releva brutalement, manquant de déchirer le short qu'il essayait tant bien que mal d'enfiler. Il se tourna en direction du coffre-fort, le visage fermé, mais son amant le retint à nouveau :
— Non, Boyd, je suis sérieux. Ne prends aucune arme.
— Je ne vais pas rencontrer ton daddy les mains vides, enfin, hun ! Ma mère ne me le pardonnerait jamais.
— Sois sérieux, s'il te plaît.
— Mais...
— Je le connais : il s'est mis dans le salon, juste devant les baies vitrées. Il y a forcément des snipers qui scrutent la pièce au moment où je te parle.
— Ben il a qu'à venir dans la chambre.
— Arrête et suis-moi.
Le jeune militaire secoua la tête mais s'exécuta à regret.
— Orlov, siffla-t-il, si je meurs aujourd'hui, je te jure que je reviendrai te hanter sur dix générations !
— Ce n'est pas ce qui me dérangera le plus, rétorqua le Russe sur le même ton.
Les stores automatiques du salon n'avaient pas été baissés : le jeune couple avait pour habitude de les laisser ouverts pour profiter, même en pleine nuit, de la vue que la baie vitrée offrait : l'océan n'était qu'à quelques dizaines de mètres en contrebas et la lune se reflétait sur l'eau, éclairant la pièce d'une lueur bleutée.
Une seule lampe avait été allumée, celle qui se trouvait sur le bureau, près de la bibliothèque remplie de livres variés. Devant le bureau, sur un fauteuil blanc crème, était assise une silhouette dont on distinguait mal les traits. Boyd vit ses derniers espoirs s'éteindre : il ne s'agissait pas d'une plaisanterie... Quelque chose, sur les prunelles luisantes du poids-lourd de la mafia russe, fit se dresser les poils sur la nuque de Boyd. D'une raideur singulière, Raven s'approcha de son père, qui avait fait un signe très discret de la main.
— Boyd, murmura Raven en se retournant vers son compagnon, viens.
Le regard du blond était resté fixé sur le mur où, comme un insecte malfaisant, un point rouge avait glissé à une vitesse stupéfiante.
— Ils ne sont là que pour assurer ma sécurité, capitaine Quigley, déclara le parrain en plissant les yeux, évoquant au militaire la désagréable rencontre qu'il avait faite avec un gigantesque crocodile, deux mois auparavant.
— Qui assure la nôtre ? s'enquit l'interpelé avec une hargne palpable.
— Moi, pour ne rien vous cacher, répondit lentement le père de Raven en croisant les doigts. Mais je ne viens pas troubler votre... joli petit ménage, articula l'homme d'un ton plein de mépris, pour vous tourmenter. Je viens en paix.
— Je vois, grogna Boyd en louchant sur les nombreuses têtes d'épingle rouge vif qui tremblotaient sur son t-shirt.
— Prenez ça comme une marque de respect, capitaine Quigley. Si mes hommes n'étaient pas là, cela signifierait que vous ne représentez absolument aucune menace.
— Oui, je le prends comme un compliment, siffla l'Américain avant de recevoir un coup de coude dans les côtes.
— Nous t'écoutons, père, intervint Raven qui craignait que la situation tourne au vinaigre.
— On doit rester debout comme quand j'étais à l'internat et qu'on se faisait attraper à faire le mur, ou...
— Asseyez-vous, coupa Igor Orlov en montrant le sofa qui faisait face à son fauteuil. Raven, assieds-toi.
Son fils n'avait pas bougé d'un cil, alors que son amant s'était lourdement assis, adressant un regard noir à la baie vitrée. Le jeune Russe finit par obéir, comme à regret.
— Tu n'as pas été facile à trouver, mon fils, j'imagine que je dois féliciter ton... ami... pour son professionnalisme ?
— Père, que se passe-t-il ?
— Ma venue tardive – ou précoce – est justifiée par un vol pour New York que je dois attraper dans quelques heures. Je reviens du Mexique, où j'ai dû me rendre pour essuyer les plâtres que ton incapable de frère a bâtis en un temps record dans le Yucatan et rétablir nos relations avec le cartel de los Zetas.
— Vos relations, père.
Les deux Orlov échangèrent un regard mortel. Raven n'avait pas donné l'habitude à son père de le corriger, mais il n'était pas dans la maison familiale. Boyd sentit à nouveau ses poils se hérisser.
— Très bien, mes relations, puisque tu es toujours si précis.
— Quel rapport avec moi ?
— Oui, quel rapport avec nous ? renchérit Boyd en levant un sourcil.
— Je pense qu'en tant qu'aîné de la famille, je me devais de t'informer que certains membres de los Zetas ont eu vent de l'exécution d'un « touriste russe » près d'une cenote non fréquentée par les touristes. Mes hommes ont recueillis deux témoignages contradictoires : la première est que ce Russe, en toute probabilité Ivan, a été exécuté par l'Alligator en personne. La seconde, beaucoup plus populaire, est qu'Ivan aurait été vu dans une sorte de village, plus loin de la civilisation que ne l'est déjà la cenote où il aurait été assassiné. On parle de spectre mais, comme tu le sais, les morts ne reviennent pas et je me suis laissé dire qu'il avait peut-être survécu – dans quel état, je l'ignore, et peut-être est-il finalement décédé à la suite de blessures graves.
— Je... commença Raven, la voix blanche.
Son père leva la main, brusquement. Boyd sentit son compagnon se tendre et ne put s'empêcher de poser une paume sur sa cuisse. Le jeune brun repoussa avec douceur l'Américain.
— Je n'ai pas fini, fit Igor Orlov en ignorant le geste du blond. Ivan n'a pas été très tendre avec toi ces dernières années, sans doute parce que tu l'as terriblement déçu par tes choix de vie. Il t'en voulait. Mais je sais que toi et lui étiez proches durant votre enfance et je sais aussi que votre mère n'aurait pas voulu que tu l'abandonnes à son sort dans la jungle s'il est encore vivant. Elle n'aurait pas non plus voulu qu'il ne reçoive pas de sépulture chrétienne.
Raven retint à temps Boyd, qui avait fait mine de se lever. S'il avait marché en direction du parrain, le militaire aurait eu de la chance s'il s'en était tiré avec les jambes brisées par les balles des snipers qui les épiaient. Furieux, Quigley gronda :
— Vous n'êtes qu'une sale pourriture.
— Disons plutôt que Raven tient de sa mère plus que de son père, soupira Igor en haussant les épaules.
Il se leva et se tourna vers le bureau, saisissant une carte touristique pour la jeter en direction de son fils. Ce dernier dut à nouveau contenir Boyd qui fumait de colère.
— Mes hommes ont encerclé la zone où la probabilité d'obtenir plus d'informations sur Ivan est importante.
— Envoie un contingent sur place ! lança soudain Raven, des larmes dans la gorge.
— Tu pourrais envoyer toi-même un contingent dans la jungle si tu revenais dans la sem'ya (1). Mets-toi à ma place, de quoi aurais-je l'air auprès de nos associés mexicains et auprès de l'Alligator si j'investissais un kopek dans une débroussailleuse pour retrouver un fantôme ? Quand bien même il serait encore en vie, ton frère ne vaut plus rien pour nous. Il nous a humiliés plus que tu ne l'as jamais fait. Je suis juste venu te présenter ces informations en mémoire de votre mère : en ce qui me concerne, si par miracle il est encore en vie et s'il venait à essayer de reprendre contact avec moi, je le ferais sans doute exécuter.
— Donc si je comprends bien, j'ai le choix entre reprendre ma place comme premier lieutenant de la sem'ya, ou partir tout seul dans la jungle pour retrouver une personne qui est sans doute déjà morte.
Igor laissa un sourire de reptile traverser son visage :
— Tu lis dans mes pensées.
*
(1) Littéralement « famille » en russe, mais terme argotique équivalent à « bratva » et désignant un groupe mafieux en Russie.
*
Merci pour votre fidélité ! J'espère que ce tome 2 vous plaira autant sinon plus que le tome 1 : n'hésitez pas à laisser un commentaire / une étoile :-)
Bisous
Sea
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