3/6 - Flirt.
SEMAINE 5, JOUR 27.
Nous avions passé beaucoup de journées semblables au jour 10. Elie adorait Paris et, comme moi, il aimait par-dessus tout se poser dans un espace vert et bouquiner pendant des heures. De temps à autres, nous appréciions de nous asseoir à la terrasse d'un bar pour discuter de tout et de rien en regardant les parisiens défiler sur le trottoir.
En dehors de ces moments beaucoup trop agréables à mon goût, parce qu'ils me permettaient toujours d'observer son joli visage parsemé de grains de beauté, nous ne partagions pas grand chose. J'aimais cuisiner avec lui, de temps à autres, et regarder la télévision à ses côtés. Mais comme moi je l'étais, Elie était aussi solitaire et passait beaucoup de temps dans sa chambre, à lire ou à traîner sur son ordinateur.
Ce jour-là nous étions samedi et, même si je ne savais toujours pas si je pouvais le considérer comme un ami ou bien une simple connaissance, j'avais pour la première fois accepté de sortir avec lui et ses amis. J'avais passé des heures enfermé dans ma chambre avant notre sortie du Duplex, à chercher une tenue vestimentaire convenable et qui sortirais de l'ordinaire : je voulais lui plaire.
Le fait de savoir qu'il était gay, malgré ce que j'avais imaginé, n'avait pas tellement changé les choses. Je ne culpabilisais simplement plus à l'idée de le regarder de façon insistante lorsqu'il sortait de la douche, parfois en boxer, ou qu'il rentrait des cours. C'est à cause de ces moments que, peu à peu, j'avais commencé à tomber pour lui.
Ce fut après trente minutes de métro que nous avions enfin mis les pieds en boîte. Je me souviens avoir passé une grande partie de la soirée caché derrière son corps massif, un verre de whisky-soda à la main, car ses amis bruyants et extravertis me mettaient mal à l'aise : je détestais - et déteste toujours - ces garçons bruyants, beaux et qui le savaient, et ne pouvaient s'empêcher de s'en vanter et de draguer tout ce qui bougeait. Le temps d'une soirée et même si je détestais les boîtes de nuit, derrière Elie, je m'étais senti en sécurité.
- Tu danses...?
Il avait demandé ça d'une voix que j'avais trouvée aguicheuse, au creux de mon oreille, tandis que nous étions assis sur des banquettes en cuir et que nous enchaînions les verres. J'avais jeté un regard autour de moi, fixant ses amis qui dansaient coller-serré sur la piste de dance avec des jolies filles en mini-jupe.
J'avais eu le souffle coupé, le temps de quelques secondes, parce qu'il s'était parfumé le cou et que son parfum me chatouillait les narines, sensuel et sauvage, piquant et excitant. Il avait troqué ses lunettes contre une paire de lentilles et, quand j'avais relevé les yeux pour voir s'il était sérieux, mon regard s'était pour la première fois entièrement plongé dans le sien. J'avais à peine eu le temps d'apercevoir un petit sourire en coin mais gêné sur ses lèvres avant de me lever, sur un coup de tête, le cerveau en bordel. J'avais chaud.
Sur la piste de danse, comme s'il se fichait éperdument du regard des autres, il avait immédiatement posé ses mains sur ma taille. Je m'étais senti minuscule et ridicule ainsi contre lui, balançant mon corps de droite à gauche au rythme du sien et de la musique. J'avais senti ma nuque me piquer, les battements de mon coeur s'emballer et ma respiration se faire compliquée.
- Ça va...?
Son haleine contre mon visage puait l'alcool mais, même comme ça, il n'en était resté pas moins attirant à mes yeux. Ses cheveux blond et dorés, en pétard sur sa tête, m'avaient donné envie d'y passer mes doigts. Ce que, sur un coup de tête, j'avais fait. J'avais craqué pour la douceur de ses mèches que je sentais glisser entre mes phalanges tandis que, lui, s'affairait à caresser mes reins par-dessous ma chemise noire et satinée.
- Oui, ça va.
J'avais répondu en un soupir, ne trouvant pas la force de parler. Après les quelques minutes qu'il m'avait fallu pour me décoincer entièrement et me laisser aller contre lui, je dois avouer que j'avais fini par prendre mon pied : parce qu'il était beau, parce qu'il sentait bon, parce qu'il était sexy et parce que j'étais dingue de lui. Comment aurais-je pu ne pas craquer pour Elie Leblanc ? Il était unique à sa façon et atypique dans son allée. Quand je le voyais rentrer des cours chaque soir, vêtu de jeans délavés assez amples et de pulls qui semblaient tout droit sortis des années 90, ses lunettes sur son nez et ses cheveux décoiffés, je ne pouvais m'empêcher de penser à un auto-portrait d'Egon Schiele.
- Je suis content que tu sois venu...
Je lui avais souri, amusé, parce que je l'avais compris bien avant qu'il ne le dise à haute voix : la façon dont il me tenait contre lui, ses mains sur la peau brûlante de mon dos, me l'avait bien fait comprendre. Cependant, je ne comprenais pas la raison de ce rapprochement si soudain, alors que rien ne s'était passé de tel ou de semblable en trois semaines de collocation. Mais l'alcool qui me montait peu à peu au cerveau et le plaisir que je prenais m'avaient empêché de lui poser la question, et je m'étais contenté d'apprécier simplement le moment que nous étions en train de partager, ensemble. Le temps des questions viendrait plus tard.
- Je suis content que tu sois-là...
Je l'étais. En fait, j'étais même aux anges. Je m'étais senti comme un nuage à l'instant où il avait ancré son regard dans le mien pour ne plus le détourner, car j'avais eu l'impression que je lui plaisais tout comme lui me plaisait. Je m'étais dit que j'avais peut-être une chance de vivre quelque chose avec lui, peu importe ce dont il se serait agit, et j'étais aux anges. Là, dans ses bras, c'est comme si j'avais trouvé une raison de vivre supplémentaire.
- Tu es trop beau ce soir...
Sa voix était grave à mon oreille et j'avais senti son corps brièvement tanguer contre le mien. J'en avais déduit que, trop alcoolisé, il disait tout haut ce qu'il pensait tout bas. L'alcool seulement guidait ses paroles et ses gestes, et avait comme déconnecté son cerveau. Il ne réfléchissait plus, là contre moi à me serrer contre lui et à me toucher sensuellement. Même si la situation aurait pu m'effrayer, parce qu'il était plus costaud que moi et qu'il me pressait entre ses doigts, je n'avais pas eu peur : je le désirais.
- Elie...
Mes doigts s'étaient agrippés à sa nuque lorsqu'il avait déposé un baiser au creux de mon cou, juste au-dessus du col de ma chemise. J'avais fermé les yeux, tandis que ma main gauche glissait sur son torse par-dessus son t-shirt blanc. Je sentais ses muscles sous mes doigts, bombés et forts, et j'imaginais la douceur de sa peau.
L'instant que je trouvais magique avait cependant été rompu par une bousculade autour de nous. J'avais perdu l'équilibre et étais tombé par terre sous la violence du coup. Alors que les fêtards me piétinaient, j'avais eu le temps de comprendre que nous nous trouvions au beau milieu d'une bagarre qui venait d'éclater. J'avais ramené mes bras contre mon visage et replié mes jambes contre mon torse, en guise de protection, incapable de me lever à cause de la foule. Mon souffle s'était emballé, angoissé, et les larmes avaient embué mes yeux.
- Yoan, hé...
J'aimais entendre mon prénom sortir de sa bouche, sexy à mort avec son accent québécois. Il m'avait empoigné par le bras et m'avait sorti de là, usant de sa carrure imposante et de sa force pour se frayer un passage au milieu de la foule une fois la bagarre terminée. À bouts de forces, il m'avait installé sur une banquette à l'écart des fêtards et avait posé sa main sur ma joue.
- Tu vas bien, Yoan ? Parle-moi.
J'avais marmonné un « oui », sonné par ce qu'il venait de se passer. Je voyais des étoiles voleter devant mes yeux et mon coeur battait si vite que j'en avais la nausée. Si j'avais pu m'enfuir en courant, sortir et prendre l'air, je l'aurais fait. Mais mes jambes étaient engourdies et je me sentais trop faible pour bouger. J'avais mal au dos.
- Je suis désolé... tu es tombé et avec les lumières je ne te voyais plus, s'était-il sincèrement excusé. Tu veux qu'on rentre ?
Même si je n'avais pas été particulièrement emballé à l'idée de lui gâcher sa soirée, j'avais hoché positivement la tête : je ne me sentais plus en sécurité ni serein. Cet endroit exiguë, bondé d'étudiants déchaînés, m'étouffait. J'avais besoin de prendre l'air. Je me souviens vaguement du baiser qu'il avait déposé sur mon front avant de m'aider à prendre le chemin de la sortie.
Nous avions marché, quelques minutes, jusqu'à la bouche de métro. L'air frais me faisait du bien, même si je pouvais sentir la pollution dans mes narines, et Elie me soutenait. Je me sentais encore faible, engourdi par les coups que j'avais reçus au sol sans même que mes bourreaux ne s'en rendent compte. À l'exception d'Elie, je sais que personne n'avait remarqué mon corps recroquevillé sur le sol de la boîte.
Quand nous nous étions installés dans le dernier métro de la journée, presque désert, à deux heures du matin environ, j'avais posé ma tête sur son épaule et fermé les yeux. Lui était resté là contre moi, à caresser affectueusement mon dos. En y repensant aujourd'hui, je me dis qu'il s'agissait certainement d'une façon de s'excuser encore.
Le trajet jusqu'à l'appartement m'avait semblé trop court, tant j'étais bien là blotti contre lui. Alors que nous devions changer de ligne, nous nous étions aperçus qu'il était trop tard et qu'aucune rame ne passerait avant les cinq heures du matin. Grâce à son portable et habitué à ce système, Elie avait réservé un Uber qui s'était pointé devant la bouche de métro cinq minutes plus tard seulement. Là encore, à l'arrière de la voiture, j'avais posé ma tête sur son épaule : j'en avais envie et, étant donné qu'il ne semblait pas décidé à me repousser, j'en avais profité.
Nous étions restés collés l'un à l'autre comme des aimants et ce même à l'intérieur de notre appartement. L'odeur du poisson que nous avions cuisiné avant de sortir était encore présente dans l'atmosphère, désagréable, mais je m'étais malgré tout senti beaucoup mieux. J'aimais - et aime toujours - l'environnement fleuri et boisé dans lequel nous vivions. De plus, sa présence m'apaisait.
Même si nous avions flirté toute la soirée, je ne comprends toujours pas pourquoi aujourd'hui il m'avait emporté avec lui dans sa chambre. Nous étions tombés comme des masses du le lit, un peu trop alcoolisés je l'avoue, et j'étais resté contre lui à respirer son odeur et à écouter les battements de son coeur. Son t-shirt blanc était doux sous ma joue et son odeur m'apaisait.
Alors que j'étais en train de m'assoupir, je me souviens avoir entendu le cliquetis caractéristique du Rubik's Cube qu'il essayait de résoudre. Je savais que, tous les soirs, il passait quelques minutes à jouer avant d'aller se coucher : d'après lui, ça l'apaisait et l'aidait à trouver le sommeil. Moi, je trouvais ça énervant et frustrant : à sa place, je n'aurais pas pu dormir sur un goût d'inachevé.
En trois semaines rien n'avait bougé. Les faces blanches et bleues étaient toujours complètes et, la veille, j'avais simplement aperçu une ligne de carreaux rouges. Peut-être était-il parvenu à résoudre cette couleur ? Lorsque j'avais entrouvert les yeux, quelques secondes à peine, j'avais pu constater que j'avais vu juste.
La face rouge, dont les neuf petits carrés étaient alignés à la perfection, fut la dernière chose que j'avais aperçue avant de tomber dans un sommeil profond et paisible.
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