1/6 - Rencontre.
SEMAINE 1, JOUR 1.
Il s'appelait Elie Leblanc. En y réfléchissant aujourd'hui je ne peux que me dire que ce nom lui allait comme un gant, car la première chose qui m'avait surpris, lorsque j'avais ouvert la porte de l'appartement, était la pâleur presque aveuglante de sa peau. Aujourd'hui, un an plus tard, je me souviens encore de ce jour où je l'ai rencontré comme si c'était hier.
C'était un jour morose et pluvieux comme nous en avions l'habitude à Paris, et j'avais passé ma journée à la fac, zonant d'amphithéâtres en amphithéâtres, en passant par la bibliothèque dans laquelle j'adorais - et adore encore - travailler. La journée terminée, j'avais raté le métro et avais dû patienter sept minutes supplémentaires avant que la rame suivante n'arrive. Poisseux jusqu'au bout, cet incident du métro m'avait fait rater le coche concernant mon bus et, impatient à l'idée de rentrer dans mon chez-moi, j'avais opté pour mes pieds pour rentrer plutôt qu'attendre quinze minutes l'arrivée du bus suivant. En conclusion, ce jour-là, j'étais arrivé trempé dans mon appartement du onzième arrondissement. Ma colocataire précédente s'était tirée pour raisons personnelles et le loyer m'étant impossible à assumer seul, j'avais fait comme la plupart des étudiants et posté une annonce sur facebook, intitulée « RECHERCHE COLOCATAIRE - Paris 11eme ».
Trois jours plus tard, parmi la quelque dizaine de mails que j'avais reçue, le nom d'Elie avait attiré mon attention, son adresse provenant du Canada. Après quelques jours d'échange par mail, j'en étais venu à le choisir lui plutôt qu'un autre afin de partager mon T3 : je l'avais trouvé intéressant.
Même si je n'avais pas eu l'honneur d'entendre sa voix avant son arrivée à Paris, j'avais été surpris par nos points communs concernant notamment la littérature ainsi que notre mode de vie. Gêné, même s'il ne s'agissait que d'un simple courriel, il m'avait avoué ne pas souhaiter vivre dans un environnement désordonné, puant le tabac et mal-entretenu. Heureusement pour lui, j'étais le genre de garçon qui aimait les plantes, le bois et les matériaux naturels, et un peu trop ordonné voire carrément fou-furieux du rangement parfois. Comme lui, je ne fumais pas - ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Quand il avait donc sonné à l'interphone et monté les escaliers en traînant sa grosse valise derrière lui, j'avais été contraint d'ouvrir la porte les vêtements trempés de mon retour de fac sous la pluie, les cheveux dégoulinant sur mon visage et l'air dépité, car je n'avais pas eu le temps de me changer.
- Salut, Yoan.
Là étaient les seuls mots qu'il avait prononcés, le temps de quelques secondes, me regardant de haut en bas un sourire en coin. Je me demande aujourd'hui s'il se moquait de moi ou si, comme moi j'avais perdu la raison en le voyant, je lui avais simplement déjà tapé dans l'oeil.
- Ravi de te rencontrer.
Je lui avais souri, silencieux, abruti par l'accent québécois adorable qui s'échappait de ses lèvres. J'avais eu l'impression de ne plus savoir respirer, tant sa beauté m'avait coupé le souffle. Pour le décrire, je n'avais jamais été capable de choisir entre l'ange et le soleil mais, aujourd'hui, je me dis qu'en fait il était les deux : pâle comme le paradis blanc et lumineux comme l'astre maître. Ses cheveux blonds foncés, presque châtains, et dorés donnaient l'impression qu'il rayonnait partout autour de lui. Ses lunettes rondes et boisées sur son nez, dans un style Harry Potter qui me faisait craquer, faisaient ressortir ses jolis yeux noisette et presque jaunes.
- Viens entre, je vais te montrer ta chambre.
Ce furent les premiers mots que je prononçai. J'aurais pu l'inviter à boire quelque chose ou lui faire visiter les parties communes avant de l'entraîner vers sa chambre, mais si j'avais été à sa place je sais que j'aurais aimé découvrir mon espace privé en premier. J'avais poussé la porte, sentant son odeur terriblement agréable et masculine dans mon dos, et lui avais présenté sa tanière. Peu lumineuse à cause d'un simple velux et du ciel sombre, la lumière artificielle baignait cependant la pièce d'une lueur chaude et douce, semblable à la couleur de ses cheveux. Il m'avait dit par mail qu'il aimait l'odeur de l'encens, alors j'en avais fait brûler une mèche sur la petite bibliothèque afin qu'il se sente le mieux possible à son arrivée. Il m'avait sourit, satisfait, avant de déposer son énorme valise au pied du lit, devant le dressing.
- C'est superbe, merci beaucoup.
Avec du recul, je n'ai plus honte d'avouer que j'étais tombé sous son charme dès les premiers instants. Elie avait été un coup de foudre, un coup de poing dans le ventre si terrible que je n'en avais pas dormi pendant des jours suivant son arrivée : je ne parvenais pas à trouver le sommeil avec un garçon aussi charmant, physiquement beau et atypique dans la chambre jouxtant la mienne.
- Tu... tu veux boire quelque chose ? , avais-je finalement demandé. Ou bien je te laisse t'installer... ?
- Je veux bien du thé. Tu as du thé ?
Heureusement pour lui j'en avais, même si je n'affectionnais - et n'affectionne toujours pas - ce breuvage si particulier. J'avais beau aimer les plantes dans mon appartement, le goût végétal provenant du thé ne m'avait jamais emballé. D'après moi, cela ne cassait pas des briques, que ce soit chaud ou glacé. Encore un produit surcoté. Les sachets qui traînaient dans le placard appartenaient à mon ancienne colocataire.
Je lui avais préparé sa tasse tandis qu'il errait dans le salon une fois ses chaussures retirées. J'avais profité de son inattention pour l'observer un peu plus, de haut en bas, analysant chaque courbe de son corps malgré les vêtements qu'il portait, soit un jogging vert kaki à la coupe moderne, serré aux mollets, et un sweat à capuche gris qui semblait tout doux et moelleux. Ses cheveux étaient décoiffés et humides sur sa tête et, même si les grains de beauté qui parsemaient son visage attiraient toute mon attention, je n'avais cependant pas omis de remarquer les cernes sous ses yeux.
- Long voyage, hein ?
En soit, sept heures de vol n'était pas si terrible que ça. J'avais conscience que certaines personnes passaient des journées entières dans un avion pour traverser le monde. Sauf que, à mes yeux, passer plus d'une heure assis sans bouger et enfermé dans un tube à des kilomètres au-dessus du sol m'était - et m'est encore - inconcevable.
- Pas tellement, m'avait-il dit en souriant, c'est juste épuisant. Les bébés qui pleurent, les gens qui se plaignent, le petit décalage horaire...
Je lui avais répondu par une grimace, horripilé à l'idée qu'il ait dû endurer des bébés braillards dans le ciel. Avec un sourire, j'avais déposé sa tasse de thé chaud sur le petit comptoir qui séparait l'espace cuisine du salon à l'instant où il baladait ses doigts sur le dossier du canapé deux places. Le salon, boisé, fleuri et bien rangé, semblait tout droit sorti d'un catalogue Ikéa. C'était peut-être cliché, mais c'était ce que nous aimions tous les deux. Le calme et la sérénité, la nature et le cozy.
- Tu repars quand, exactement ? , lui avais-je alors demandé.
- Je suis à peine arrivé que tu me demandes déjà quand est-ce que je repars ? , m'avait-il dit avec un rictus provocateur et amusé.
- C'est pas ce que je voulais dire.
J'avais rougi, parce que ses mains autour de sa tasse étaient fortes et belles. Même si nous avions le même âge, son corps carré et musclé dégageait une aura et un charisme fous. Il avait l'air si mâture et moi, à côté, je me sentais tel un gamin. J'avais aussi des muscles et étais loin de ressembler à une crevette, mais j'étais sans aucun doute plus petit et moins baraqué que lui.
- Je sais, je plaisante. Je repars en juin, le 23.
Nous étions le 23 avril ce jour-là, un lundi plus exactement. Je savais qu'il ne resterait que deux mois, car je connaissais toute l'histoire : il avait passé l'année scolaire précédente à Paris, dans le cadre d'un programme ERASMUS de commerce international. Cependant, à deux mois de la fin, il avait dû rentrer à Montréal suite au décès brutal de son frère dans un accident de la route. Les deux mois qu'il venait passer à Paris, dans mon appartement, avaient pour seul but de lui permettre de valider son année ERASMUS. L'idée qu'il ne soit plus là dans deux mois, même s'il venait à peine d'arriver, m'avait serré le coeur.
- OK. Tu connais déjà Paris. Le métro, tout ça, tu sais comment ça marche ? Si tu as besoin, il y a les plans de tout ça dans la bibliothèque là-bas.
Maladroit, c'était ma façon à moi de le mettre à l'aise et de lui montrer que je me souciais de son bien être et de son intégration. Je ne voulais pas passer pour le parisien désagréable qui ne sait pas accueillir, malgré leur réputation qui n'était malheureusement plus à faire. Il m'avait sourit à nouveau avant de répondre :
- Je connais mais... je vais devoir m'y remettre. Je ne me souviens plus trop des lignes, et de tout ça.
J'avais allumé la télévision, angoissé par ce silence que je trouvais extrêmement gênant. Je le connaissais sans le connaître, par le biais de quelques courriels, et n'avais aucune idée de quoi lui dire même si je mourrais d'envie de le harceler de questions. Je voulais qu'il me parle de lui, qu'il me raconte le Quebec et qu'il me dise d'où lui venait ce corps si bien sculpté. Sauf que je n'avais pas osé et, encore et toujours trempé jusqu'aux os, je m'étais excusé auprès de lui et m'étais enfermé dans ma chambre.
Dans mon dressing parfaitement rangé au centimètre près, j'avais fini par dégoter un slip de marque propre, un jogging tout doux et un pull simple. Je m'étais enfermé à double tours dans la salle d'eau ensuite, et avais pris une rapide douche avant de rejoindre le salon. Dehors, je me souviens que l'orage avait éclaté subitement et que la pluie qui tombait sur le toit de notre sixième et dernier étage faisait un bruit assourdissant. Le salon était désert, abandonné d'Elie qui s'était tranquillement occupé de ranger ses affaires dans son dressing, et j'avais fini par ouvrir le réfrigérateur et les placards à la recherche d'un repas pour le soir. J'en avais sorti des pâtes et un bocal de sauce tomate aux herbes de provence, puis avais fouillé dans le congélateur afin d'en dénicher deux steak hachés premier prix surgelés. Un oignon découpé plus tard et une casserole sur le feu, la présence d'Elias dans mon dos m'avait fait sursauter : il sentait bon.
- Merci, pour le repas.
- Y a pas de quoi.
Je savais que je lui devais au moins ça, lui qui avait passé la journée dans un avion et qui débarquait dans un endroit inconnu. Tandis que je cuisinais, je lui avais indiqué le réfrigérateur et expliqué :
- Tu vois la feuille, là ? Ce sont les règles qu'on avait mises en place, avec mon ancienne coloc'. Manière que ce soit organisé. Si ça ne te convient pas, on peut en changer.
Ces règles concernaient notamment la répartition de nos biens personnels dans le réfrigérateur et les placards, les tours de ménage et de vaisselle, ainsi que de descente de poubelle. J'avais trouvé cette organisation quasi-militaire lorsque Lola me l'avait proposée mais, après quelques semaines, je m'étais vite aperçu que c'était en fait indispensable au bon fonctionnement de la coloc'.
- Ça m'a l'air bien.
Il ne m'avait rien dit de plus et s'était planté là près de moi, les fesses appuyées sur le plan de travail et les jambes tendues devant lui. Il m'avait regardé cuisiner en me parlant de Paris, des endroits qu'il aimait et ceux qu'il appréciait moins et pourquoi, et mon attention avait finie par être attirée par un cliquetis désagréable. En me tournant vers lui, j'avais remarqué le Rubik's Cube qu'il tenait entre ses mains. Aucune face n'était pleinement résolue.
- Tu aimes ce jeu ?, lui avais-je demandé.
- Oui, ça me détend. Et puis, apparemment c'est bon pour le cerveau et la concentration.
Quelques minutes plus tard, nous nous étions installés sur la petite table en bois qui trônait au centre de la pièce à vivre. Elie avait mis la table et j'avais déposé sous ses yeux la gamelle de pâtes à la bolognaise que je m'étais appliqué à cuisiner. À la télévision, tout en mangeant, nous écoutions les informations du jour qui ne relataient rien de bien particulier.
- C'est délicieux.
Le sourire qu'il m'avait lancé à cet instant-là, par-dessus son assiette, m'avait coupé le souffle. En moi, j'avais senti mon coeur se gonfler d'un bonheur intense et inopiné. Il était beau, sans l'ombre d'un doute, et craquant à mourir.
Nous avions vaguement discuté de nos vies pendant le repas, de la façon dont je m'étais retrouvé ici à Paris alors que j'étais Basque à cent pourcent. Je lui avais parlé de mes centres d'intérêt à l'exception de la littérature, soit la guitare dont je pouvais passer des heures à gratter les cordes ou le footing. Puis, alors que nous étions en train de débarrasser la table, il m'avait confié être vice-champion de natation au Canada en catégorie junior, ce qui me confirma la raison de son corps si bien fait.
La soirée était passée vite dès l'instant de son arrivée, et nous avions fini dans le canapé devant une enquête économique. Plans ouverts sur la table basse, je lui avais ré-expliqué ce qu'il connaissait en partie déjà concernant les transports en communs parisiens. Je me souviens avoir perdu mes moyens le temps de quelques secondes, lorsque son genou avait frôlé le mien et que son odeur était parvenue à mon nez. Nous nous étions regardés dans les yeux à cet instant, comme bloqués l'un sur l'autre, dans un autre monde.
Puis il avait baillé malgré lui, brisant la magie du moment, juste avant de s'excuser et de partir se coucher. C'est après qu'il m'ait souhaité une bonne nuit que j'avais éteint la télévision et rejoint ma propre chambre. Son odeur dans mes narines, ce fut en passant près du comptoir de la cuisine que son Rubik's Cube avait attiré mon regard.
La face blanche était complète.
. . .
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top