Chapitre 2
Ils avaient dansé jusqu'au milieu de la nuit, couru dans les ruelles, bouteille à la main.
Enflammés par les souvenirs macabres et le fantôme des cris, ils riaient à en pleurer, ivres morts.
Ce bal raté avait planté un nouveau couteau dans le cœur de Samaël, et Léandre était encore là pour le panser.
Plusieurs mois étaient passés depuis, sans que rien ne change. Tout était toujours aussi terne, invivable.
Un soir, alors que la lune brillait d'un éclat spectral, Samaël fit un rêve étrange. Alors qu'il se trouvait dans de sombres marécages entourés d'un épais manteau brumeux, le rouquin entendit une voix lointaine.
— Samaël... Samaël...
Le jeune homme se retourna dans toutes les directions possibles, sans jamais trouver d'où cette mystérieuse voix provenait. Elle était partout et nulle part.
— Samaël...
La voix qui l'appelait était profonde et envoûtante. Samaël s'extirpa des marécages hostiles et se retrouva au milieu d'une plaine ensoleillée où l'herbe verte et humide lui chatouillait les pieds.
— Samaël...
Une silhouette s'avançait vers lui, lentement. La lueur émanant du corps l'aveuglait. Samaël dut plisser les yeux pour tenter d'apercevoir quelque chose.
Soudainement, la lumière disparut, laissant une forme blanche devant Samaël.
Le roux vit au milieu du tissu blanc des mains fripées et une longue barbe blanche dépasser.
— Belle barbe papi.
L'homme releva la tête et rencontra le regard de Samaël.
Les yeux d'ambres s'écarquillèrent lorsqu'ils virent le bleu électrique des iris de l'autre.
— Merci Samaël.
Les fines lèvres du vieil homme s'étirèrent en un sourire de sage. Il s'avança vers Samaël et le dépassa.
— Suis moi.
Sceptique, le rouquin hésita un instant avant de s'engager derrière l'inconnu à l'habit blanc.
Ou la couette, selon Samaël.
— Où est-ce qu'on va ?
Seul le silence lui répondit. Ils continuèrent leur marche, traversant forêt, clairière, rivière et montagne.
— Qui êtes-vous ?
Le vieillard se retourna. Ils étaient arrivés devant ce qu'il semblait être une grotte que l'on retrouve dans les livres pour enfants.
— La lumière.
Samaël plissa les yeux et pinça les lèvres.
— Je ne comprends pas.
L'homme ne se retourna pas, mais Samaël put deviner qu'il souriait.
— Suis moi Samaël.
Il s'engouffra à l'intérieur, suivit de près par le rouquin.
Ils prirent plusieurs chemins sinueux. Des gouttes froides tombaient du plafond sur le crâne de Samaël, leurs pas résonnaient en écho dans la grotte.
Le vieillard s'arrêta de nouveau devant un grand mur rocheux où des pierres lumineuses trouaient la roche noire.
Il se retourna face à Samaël et prit son poignet d'une main.
Avec l'autre, il fit glisser le ruban accroché au jeune homme entre ses longs doigts filiformes.
— Ceci est un ruban de rêves Samaël.
Samaël grogna en reniflant.
— Merci, mais je le savais déjà ça.
— Ne sois pas si sec.
Samaël observa le ruban à son tour.
— Je ne le remarque jamais. Dans mes rêves.
Le vieillard sourit en continuant à faire couler le ruban entre ses doigts osseux.
— C'est normal.
Il marqua une pause et observa l'espace qui les entourait.
— Ton Léandre n'est pas loin... Je dois te parler.
Il laissa le ruban doré et se dirigea vers le mur rocheux noir.
Il effleura les pierres lumineuses de ses mains blanches. Celles-ci réagirent en émettant une lueur plus vive.
— Vous avez les mains baladeuses.
— Chaque pierre correspond à un ruban.
Il décrocha la pierre orange du mur. Un fil orangé semblable à celui accroché au poignet de Samaël suivit la pierre que le vieillard venait d'extirper.
— Ceci est la pierre d'humeur.
— Un peu nul comme nom. Vous êtes un mage ?
Le dit mage fit glisser le ruban orangé entre ses doigts.
— Ce ruban relit deux individus choisis à leur naissance.
— Donc c'est vous qui m'avez lié à Léandre ?
— Les deux nourrissons exprimaient déjà un lien profond. Le ruban ne fait que développer cette connexion et la spécialise.
— Comme la spécialisation des cellules ?
Le regard électrique se posa sur Samaël.
— Grossièrement.
Il reposa la pierre à sa place et se dirigea vers le côté opposé du mur. Il pointa un endroit précis sur la roche.
Cependant, il n'y avait rien.
— C'est une pierre transparente ? Un genre de pierre d'invisibilité ?
— C'est votre pierre. Du moins, c'est là où elle devrait se trouver.
Samaël plissa les yeux avant de les écarquiller. Sa bouche formait un o.
— J'y crois pas... Vous l'avez perdue.
Le vieillard secoua la tête en fermant les yeux.
— Ces pierres ne sont pas des pierres communes que les Hommes trouvent en creusant dans la terre ou dans la roche. Ce sont des artefacts puissants qui peuvent apparaître et disparaître bon gré mal gré. La pierre de rêves est partie. Sans son ruban.
— Et c'est un problème ?
Le vieil homme hocha la tête.
— Toutes ses pierres constituent un ensemble. Un équilibre. Tant qu'elles sont accrochées à leur ruban, l'équilibre est préservé. Même si elles disparaissent, le ruban est relié au sanctuaire, reliant alors la pierre jusqu'ici.
— On est dans un sanctuaire là ? Non en fait, pourquoi avez-vous enlevé le ruban de la pierre pour l'attacher à nos poignets.
— Tous les millénaires, au moins deux individus doivent être liés.
— C'est débile.
Le vieillard s'approcha de Samaël et posa sa main sur son épaule.
— Votre village n'est pas le seul à avoir sombré. L'équilibre est perturbé depuis plusieurs années dû à la perte de cette pierre.
Samaël l'observa, perdu.
— Vous voulez dire que ce n'est pas à cause de la maladie que tout le monde est comme ça ?
— L'épidémie était une excuse. Afin que le changement d'humeur des villageois paraisse normal.
Samaël était pantois. Blanc comme un linge, il prononça d'une voix ce qu'il commençait à redouter.
— L'épidémie, aurait-elle pû être évitée ?
Un moment de suspens lui coupa la respiration. Le bleu électrique brillait tels des éclairs traversant les nuages sombres d'une tempête.
— Non. La pierre a disparu, il n'y avait pas d'autre scénario possible.
— Mes parents... Mes sœurs, tout le monde aurait pu vivre !
— Non.
Le silence qui suivit gifla Samaël. On entendait seulement sa respiration erratique et les gouttes d'eau s'écraser violemment sur le sol de pierre.
— Il y a un moyen pour régler tous ces problèmes.
— Ma famille, pourrait-elle revenir ?
— Non Samaël.
— Vous n'avez pas une pierre du temps pour revenir dans le passé ?
— Samaël. On ne peut changer le passé, mais le futur est encore à modeler.
Le rouquin serra les poings, crispé. Il était en colère. Frustré. Peiné. Triste. Il avait envie de pleurer, crier, hurler. Les bras de sa mère lui manquaient, le rire de son père lui manquait, les voix de ses sœurs lui manquait. Terriblement.
Il ne pouvait entendre que les pleurs de sa mère et les cris douloureux de ses jeunes sœurs.
Samaël relâcha soudainement tous ses muscles. Il expira l'entièreté de l'air contenu à l'intérieur de ses poumons.
— Qu'est-ce que je dois faire ?
Le vieillard acquiesça, les lèvres pincées.
— Retrouver la pierre des rêves.
— Et comment je suis censé faire ça ?
— Il y a dans les montagnes derrière votre village ce que l'on appelle la Larme d'Éternité.
— On ne pouvait pas faire plus cliché.
Le vieil homme ignora de nouveau l'intervention du jeune homme et continua son discours.
— Elle peut réaliser un souhait. Profond. Elle seule est capable de ramener une Pierre d'Équilibre.
— Donc en gros je dois partir en rando pour chercher je ne sais quoi de l'éternité et lui parler comme le génie de la lampe ?
— Le ruban vous guidera.
— Vous ?
— Léandre doit t'accompagner.
Samaël croisa les bras, sourcils froncés. Il commençait à s'impatienter.
— C'est dangereux ?
Les perles bleu électriques rencontrèrent les perles d'ambre.
— La vie est un danger constant.
•••
Samaël avait fini par partager son rêve avec Léandre.
Le brun n'avait pas montré une once de surprise.
— J'étais là. Sans l'être. C'était flou mais clair à la fois. Enfin, tu vois ce que je veux dire. Le super ruban de rêves.
Le rouquin avait ri, soulagé de ne pas avoir à tout expliquer à son ami et le convaincre de tenter le danger sans qu'il ne pense qu'il soit fou.
Les deux jeunes hommes préparaient leurs affaires, fourrant le nécessaire dans leurs sacs de randonnée.
— Il faut que je prévienne Oudin de mon départ.
— T'es pas obligé. Ça le fera rager.
Samaël lança un sourire mesquin à Léandre qui roula des yeux.
— Très mature Sam. J'ai pas envie de me faire virer merci bien.
Léandre s'avança vers l'entrée et enfila ses souliers.
— Je reviens, t'as besoin de quelque chose ?
Samaël reposa son regard d'ambre sur lui et fit un clin d'œil.
— Reviens en vie, ce serait sympa.
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