Chapitre 51
Ils partirent de bonne heure, comme Dixan l'avait ordonné ; dès que les premiers rayons du soleil levé offrirent de leur ouvrir la voie, en fait. Lida, Rolan et Jade les accompagnèrent jusqu'aux remparts. Nilly, elle, ne pointa pas une seule fois le bout de son nez. Lani leur révéla qu'elle avait tenté de lui parler peu de temps après la réunion ; mais toutes ses tentatives étaient restées lettres mortes, et elle avait bien dû finir par capituler. Il allait sans dire que les prochains jours allaient s'avérer cruciaux, en ce qui concernait la présence de l'ancienne apprentie parmi eux : si celle-ci ne parvenait pas à surmonter la blessure qu'on lui avait infligée, elle devrait tôt ou tard être éconduite et écartée du Zygos, pour sa propre sécurité.
En attendant, d'autres priorités s'imposaient à eux. Leur périple au travers des sentiers gelés qui serpentaient entre les montagnes put commencer à cheval. Cela permit à Akis de profiter du peu de senteurs florales que le vent lui expédiait au visage, portées depuis des altitudes plus clémentes. Son regard se posa à maintes reprises sur des marmottes et autres chamois, surpris de trouver des humains si loin des cités au sein desquelles ils se cantonnaient habituellement. Les pas réguliers de sa monture le bercèrent longtemps, et il dut lutter pour ne pas sombrer dans le sommeil tandis que tous faisaient silence. Semblant percevoir son assoupissement, Sora se porta finalement à sa hauteur et le héla, entamant avec lui quelques conversations anodines afin de l'empêcher de chuter lourdement.
Après une bonne poignée d'heures d'une promenade apaisante, les membres des Brigades durent finalement jeter pied à terre ; le sentier s'effaçait sous quelques gravats qui s'étaient échoués là, vestiges d'un éboulement ayant eu lieu jadis. Puisque le sol, traître, se dérobait sous les sabots de leurs montures, il allait sans dire qu'il était inutilement cruel de demeurer perchés sur leurs dos. Ainsi libérés du poids de leurs cavaliers, les chevaux purent reprendre la route bien que d'un pas mal assuré, profitant des conseils et de l'intelligence humaine qui les accompagnaient. Une nouvelle paire d'heures permit à tout ce beau monde de quitter la zone sensible sans qu'aucune blessure ne soit à déplorer ; une courte pause leur bénéficia, leur permettant de profiter d'un premier repas dans ce cadre des plus champêtres.
Un ruisseau, qui coulait depuis les glaciers qui les surplombaient, leur permit par ailleurs de désaltérer les bêtes. Après avoir englouti sa ration et offert à son cheval de boire jusqu'à plus soif, Akis l'accompagna jusqu'à un champ de verdure dans lequel il l'abandonna, serein. Le soleil était encore haut, le temps frais ; mais à quelques dizaines de mètres de là, Dixan, Nakata et Erik conversaient soucieusement.
— On a pris beaucoup de retard, déplora Erik en secouant la tête. Selon les cartes, il faut compter une bonne douzaine d'heures à cheval pour arriver à Kalk Azon, depuis le Zygos. En l'occurrence, il nous en a fallu quatre pour réaliser le cinquième de ce chemin... On va devoir camper.
— Ce serait irresponsable de le faire sans abri, répliqua Dixan. On va reprendre la route pendant trois ou quatre heures, une fois que tout le monde se sera bien reposé. Ensuite, on devra chercher un endroit où passer la nuit.
— On devrait continuer, répondit Nakata après un instant de silence. Tant que le terrain le permet, en tout cas. On devrait arriver aux abords de Kalk Azon de nuit ; on sera alors plus bas, en altitude. Il fera moins froid, et on pourra trouver refuge dans une forêt plus facilement que dans les montagnes. En prime, la forteresse sera à portée de main. On gagnerait du temps.
— Si tout le monde passe une mauvaise nuit et qu'on attaque la forteresse groggys, on risque de courir au fiasco. Je comprends ton point de vue, Nakata, mais on ne peut pas courir ce risque.
— C'est la Neuvième qui court un risque, si on s'attarde dans les montagnes inutilement. Ce sont eux qui risquent d'être pris pour cible et balayés par l'armée kaloise. Admettons qu'on ne réalise que la moitié du chemin aujourd'hui ; qui te dit que nous pourrons...
— Argument irrecevable, ricana Dixan avec maîtrise. Si l'autre moitié du chemin qu'il nous restera à parcourir nous pose problème demain, c'est qu'elle nous aurait posé problème aujourd'hui. Autant l'attaquer de jour plutôt que de nuit, donc.
Il l'avait non seulement précédé dans son schéma de pensée, mais aussi contrecarré méthodiquement ; une fois de plus, Dixan montrait qu'il avait de la suite dans les idées. Cela sembla déplaire à Nakata, qui soupira et secoua la tête avec agacement. Finalement, il fit demi-tour et commença à s'éloigner en adressant aux deux autres combattants un simple signe de la main las.
— Bien, on fait comme tu veux, commandant.
— Sois pas mauvais joueur, le railla Dixan.
Cet entracte qu'ils offrirent à Akis sonna la fin de leur pause à toutes et à tous ; le périple reprit, ainsi, et leurs chevaux eurent la lourde charge de les porter encore un peu. La décision de scinder le voyage en deux se répandit évidemment comme une traînée de poudre ; tous approuvèrent la décision de Dixan, soucieux de préserver leurs forces avant d'engager une nouvelle escarmouche contre les forces de Kale. Une heure s'écoula avant qu'Amara et Lani ne viennent se porter à la hauteur d'Akis, de part et d'autre de ce dernier. D'abord surpris, il les détailla un peu pensivement avant que la première ne se mette à le questionner.
— Alors ? Comment tu te sens, le petit chouchou du commandant Nakata ?
Sa voix ne recelait qu'un amusement innocent ; pas une once de méchanceté ou d'agressivité n'animait ses traits, comme à l'accoutumée. Amara était une sarcastique, mais elle était dotée d'une bonté ineffable : aussi comprit-il sans peine qu'elle cherchait à le taquiner plus qu'à l'intimider, ce qui lui permit de lui répondre aussi pertinemment que possible.
— Je... Je suis pas son chouchou ! Il veut juste m'entraîner. Mais ça va, reprit-il en s'empourprant.
Elle le mettait un peu mal à l'aise, comme, peu ou prou, toutes les femmes de la Huitième Brigade. Lani était bienveillante et avenante, toujours prompte à rendre service ; cette gentillesse désintéressée, qu'il n'avait jamais pu observer chez quiconque d'autre, avait tendance à le désarçonner. Jade était agressive, Nilly hautaine. Silvia dégageait une aura de majesté qu'il aurait pu s'attendre à déceler chez une princesse... et Lida était Lida, bien entendu.
Quant à Amara, elle avait le don de le faire tourner en bourrique à la moindre occasion, à la moindre de leurs interactions... et elle agissait manifestement en conscience. En outre, ses jolis yeux bleus contribuaient à happer son attention malingre à chaque fois qu'ils se plongeaient dans les siens. Ce qui ne l'aidait guère, par conséquent, à conserver son impassibilité.
— Tu sais, reprit-elle en changeant de sujet nonchalamment, il ne faut pas en vouloir à Jade. Elle est comme elle est ; elle a été élevée ainsi. Et je suis bien placée pour savoir qu'il est difficile, voire impossible, de se détacher complètement de nos racines.
— Elle finira par t'accepter comme l'un des nôtres, acquiesça Lani. Comme elle a fini par accepter Sora.
— Elle ne l'aimait pas non plus ? questionna Akis ingénument.
— C'est peu de le dire, ricana Amara en retour. Quand on l'a recrutée, elle croyait qu'il était un apprenti, vu son jeune âge. Elle a commencé à le traiter comme un égal, pendant un ou deux jours... Jusqu'à ce qu'elle apprenne la vérité, en fait. Ça l'a pincée. Elle l'a défié en duel, il a accepté, et il l'a vaincue sans peine. Avant ton arrivée, elle passait le plus clair de son temps à se comparer à lui dans tous les domaines ! Comme pour essayer d'égratigner son prestige, pour éviter qu'il ne la surplombe.
— Elle a vraiment mauvais caractère, pesta-t-il.
Amara se départit d'un éclat de rire généreux face à cette observation agacée de la part du rouquin d'Aville ; Lani elle-même pouffa, et Akis sourit béatement en réaction. Ses deux camarades reprirent finalement :
— C'est une façon de voir les choses, concéda Amara.
— Mais non, s'offusqua soudain Lani. Elle sait que tout le monde a placé beaucoup d'attentes en elle ! Elle cherche à se montrer à la hauteur, c'est tout. Comme toi, pas vrai, Akis ?
Le principal intéressé tressaillit, et sembla se raidir sur la selle de son destrier ; celui-ci piaffa de mécontentement, rappelant son cavalier à l'ordre, et le rouquin prit ainsi le parti de se détendre avant de répliquer. La question de Lani l'avait d'autant plus touché qu'elle avait très clairement mis le doigt sur la vérité : il n'avait eu d'autre hantise, depuis son entrée au sein de la Huitième, que celle de ne pas décevoir ses nouveaux compagnons.
Ce qu'il avait échoué à faire, bien sûr, en condamnant Keylan et Merogor, malgré tout ce qu'on avait bien pu lui dire pour tenter de le convaincre du contraire.
— Peut-être. Mais moi, je me sens pas obligé de mal parler aux gens.
— Je te le concède, tu es plus facile à vivre qu'elle, répondit Lani avec un clin d'œil avant de demander à sa monture d'accélérer le pas.
Pris de court, l'ancien apprenti les laissa lui fausser compagnie pendant qu'elles gloussaient, manifestement ravies de cette discussion et de son déroulé ; le garnement eut bien l'envie de les poursuivre, mais il se rappela que son destrier n'était guère du genre à apprécier les écarts comportementaux. Akis demeura donc tranquille tandis que leur cohorte progressait. Une poignée d'heures supplémentaire leur permit d'arriver au pied du versant d'une montagne. Le long de ce dernier se dessinaient un grand nombre d'anfractuosités ; Dixan sembla aviser qu'ils ne trouveraient pas meilleurs abris pour passer la nuit, et demanda donc à chacun de marquer une halte.
— On va passer la nuit ici ! Kurl, Lani, Malir et Laley, j'aimerais que vous prolongiez un petit peu. Suivez le sentier pendant encore une heure, puis revenez. Essayez de noter tout ce qui pourrait ralentir notre route demain. Si la route est claire et dégagée, on partira un peu avant le lever du soleil, pour avancer plus longtemps. Les autres, on va explorer ces grottes pour essayer d'en trouver une, ou plusieurs, qui seront susceptibles de nous conférer un bon abri pour la nuit. Les chevaux devront être attachés dans le coin, donc on fera des tours de garde pour veiller sur eux. Autant éviter de faire saliver les loups inutilement.
Tous prirent acte des nouvelles directives du responsable de leur expédition, et se mirent au boulot sans plus attendre. Akis lui-même jeta pied à terre, profita d'une bonne rasade d'eau, puis commença à grimper en direction des premières sinuosités rocailleuses de taille à les abriter, Sora et Andrek sur ses talons.
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