Chapitre 44

Avant de passer aux choses sérieuses, je me permets une petite aparté, exceptionnelle, pour vous faire part d'une bonne nouvelle : le Royaume de Balhaan est arrivé 3ème de la seconde édition du concours Imaginarium, catégorie Dragon ! 
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J'en profite pour vous remercier toutes et tous pour vos lectures assidues, vos votes et vos commentaires. Ça permet de conserver son enthousiasme !


Et c'est parti pour le 44ème chapitre !

***

Il avait soif. Et faim. Et mal aux jambes. Une bonne façon de célébrer ce nouveau départ, lui aurait rétorqué son père avec une sévérité feinte ; un crime de lèse-majesté selon sa mère, qui se serait fâché et aurait demandé à Nakata et à Aiz de traiter son marmot plus convenablement. Du point de vue d'Akis, tout cela n'était rien de plus qu'une peine largement tolérable : d'autant plus qu'ils ne marchaient, finalement, que depuis une bonne heure. Les sentiers escarpés et givrés du Zygos, difficilement praticables, faisaient de la moindre marche un véritable chemin de croix. Et il s'y abandonnait avec une discipline qui devait forcer le respect, d'un point de vue extérieur.

Après que Nakata leur eut révélé qu'il entendait faire d'Akis un héros, la plupart de ses pairs s'étaient esclaffés, refusant de croire qu'il ne leur mentait pas. Lida, bien sûr, s'était franchement renfrognée ; cela aurait une fois de plus pu la pousser hors de ses gonds si Aiz n'avait pas décidé d'intercéder en faveur du blondinet, rappelant qu'il serait là pour veiller sur le rouquin, pour attester que ses progrès ne se feraient pas aux dépens de sa bonne volonté et de sa bonne santé. Puis on avait décidé de se séparer : les uns devaient reprendre la route pour revenir auprès des leurs après ce tragique interlude, les autres devaient sans plus attendre s'en retourner à leur quotidien routinier. Ne restaient dorénavant plus qu'eux trois, qui gravissaient une pente abrupte sous le rythme des ahanements du colossal commandant.

Le soleil pointait tout juste à l'horizon quand Nakata, qui cavalait en tête avec une adresse insolente, leur proposa d'enfin poser le camp. Akis se laissa tomber sur un rocher séance tenante, et se saisit d'une outre qu'il transportait pour s'offrir une rasade d'une eau fraîche et revigorante ; Aiz, cette effarante armoire à glace, vint déposer près de lui tous les paquetages qu'il transportait manifestement sans effort, lesquels abondaient de vivres et d'eau potable. Le commandant de la troisième leur avait certes signifié qu'ils n'allaient pas prendre le risque de dormir à la belle étoile, dans un lieu si propice aux caprices météorologiques et au déferlement de tempêtes glaciales, mais il leur avait aussi et surtout fait remarquer qu'ils n'allaient pas réaliser un tel périple pour une seule paire d'heures : en somme, ils devaient s'attendre à passer au moins une demi-journée à cette altitude, loin, si loin de la forteresse au sein de laquelle Akis s'était régulièrement recroquevillé ces derniers jours.

— Pourquoi... pourquoi venir jusqu'ici ? interrogea Akis en haletant.

— Pour que personne ne nous entende. Je n'ai pas spécialement envie que Lida cède à l'envie de nous interrompre à tout bout de champ, l'éclaira le pétulant commandant.

— On aurait pu s'écarter juste un peu... protesta le rouquin, sans conviction toutefois.

— Pour qu'elle puisse percevoir les échos de tes hurlements ? Je ne suis pas assez sadique pour lui imposer ça.

Nakata avait répliqué en gesticulant outrancièrement, dans une mauvaise parodie des comédiens qui se donnaient parfois en spectacle dans les auberges qui bordaient la grand-route corgenienne. Akis déglutit en blêmissant, et commença à se demander quelle mouche avait bien pu le piquer pour qu'il consente à se fourrer dans un tel guêpier. La présence d'Aiz, néanmoins, le rassura franchement : il avait bien vu comment ce titan avait été en mesure d'attraper l'épéiste blond, à Corgenna, et comment il avait su l'écarter de la Huitième Brigade avec tout le flegme qui le caractérisait. Si le fougueux bretteur en venait à contredire sa volonté, le natif d'Aville ne doutait pas que le gigantesque pugiliste prendrait son parti : nul doute que cela sonnerait la fin de leur périple.

— Qu'est-ce qu'on fait ? questionna Akis en constatant que nul ne prenait d'initiative.

— On attend que tu sois en pleine forme, rétorqua Nakata dans un sourire. Ensuite, j'aimerais que tu te concentres pour... m'emprunter mon pouvoir.

— Votre... ton pouvoir ?

Le regard réprobateur du fringant commandant le dissuada d'user du vouvoiement ; certes, Nakata avait déjà eu l'opportunité de le rappeler à l'ordre sur ce plan, mais le rouquin n'avait de cesse de vouloir marquer le respect qu'il ressentait à son égard à chaque fois qu'il lui adressait directement la parole. Finalement, son vis-à-vis ne sembla pas s'en émouvoir davantage et préféra plutôt passer sans plus tarder aux choses sérieuses.

— On va profiter de cette opportunité qui nous est conférée pour te mettre au défi. Pour tester tes facultés, si on veut. Tu ne sais pas exactement quelle est la nature de mon pouvoir, pas vrai ?

— Je... Non. Je sais juste que tu es... invincible.

— D'une certaine manière, c'est vrai. Mais l'invincibilité ne se résume pas qu'à l'invulnérabilité de Lida. Il est bien des moyens de parvenir à cette fin. J'en incarne un autre.

Akis opina du chef avec lenteur, comprenant finalement où Nakata voulait en venir. Puisqu'il n'avait qu'une vague idée des compétences de Cydystari de son interlocuteur, il allait devoir trouver un moyen de les copier sans savoir trop précisément à quoi s'attendre... Or, lorsqu'il avait dérobé son invulnérabilité à Lida, c'était à son pouvoir qu'il avait pensé si ardemment, et non pas à elle : impossible, de ce fait, de savoir s'il serait en mesure de réitérer l'exploit avec un pouvoir dont il ne connaissait rien.

Le commandant de l'île Bleue lui fit signe de se relever ; Akis obtempéra docilement, et se rapprocha de son vis-à-vis avec une légère appréhension. Il lui demanda de lever la main ; le natif d'Aville, là encore, obéit sans piper mot. Puis il lui entailla la paume d'un coup de poignard vicieux, le poussant à bondir vers l'arrière en jurant : un sourire moqueur naquit sur les lèvres de Nakata tandis qu'il répondait aux outrages de son nouvel élève.

— Putain ! Ça fait mal ! Pourquoi t'as fait ça ?

— Pour vérifier. Manifestement, tu as besoin de te concentrer sur quelque chose pour espérer voler un don... Là, ce n'était pas le cas.

— T'es cinglé ?! En plus, on n'a pris aucun bandage...

Nakata le coupa dans son élan en retournant sa propre lame contre son épaule : il l'y enfonça sèchement, et une expression de douleur sincère vint déformer son visage. Le commandant retira finalement le poignard et le jeta au sol, non sans écarter au passage le sillon qu'il avait creusé dans ses habits ; le sang y pulsait au rythme des battements de son cœur, et la plaie, bien visible, donnait l'impression qu'elle laisserait au sulfureux combattant une cicatrice éternelle. Sa curiosité soudain piquée au vif, ne s'étant pas attendu à ce que son nouveau maître d'arme agisse d'une si violente manière, Akis se désintéressa momentanément de sa propre blessure afin d'observer celle du blond. Ce dont il fut ensuite témoin lui glaça le sang, le saisit aux tripes.

Les deux bords de la plaie s'étendirent, s'étirèrent et s'unirent pour refermer cette vilaine blessure sans plus attendre. Le visage de Nakata se durcit à mesure que sa peau se restaurait d'elle-même : ne demeura finalement, en guise de témoin de cette blessure auto-infligée, que le carmin s'étant écoulé de ses veines et ayant tâché ses habits. Puis, d'un air entendu, le commandant capta le regard de l'ancien apprenti ; avec franchise, et avec une confiance qui aurait pu impressionner le garnement d'Aville si ce dernier n'avait pas été pétrifié par cet inconcevable spectacle, le grand soldat ne lui souffla qu'une seule paire de mots.

— Vas-y.

Cette petite idée se développa dans le fond de son cerveau, maligne, incontrôlée. Et s'il dérobait son invulnérabilité à Nakata ? Ou plutôt, sa faculté à se remettre de n'importe quelle blessure ? S'il jouissait de sa capacité hors-norme, lui permettant de ne craindre aucun coup, aucune arme ? Cette ambition fugace, et indépendante de sa volonté, se heurta bientôt au peu de bon sens qu'il avait jamais cultivé : quelque chose clochait. Certes, le corps de Nakata semblait être en mesure de se remettre de n'importe quelle blessure : mais dans ce cas, pourquoi avait-il pris la peine d'éviter la moindre des estocades que Lida lui avait décernée, à Corgenna ? Pourquoi disposait-il d'un style de combat si fougueux, si adroit, si aérien, comme s'il cherchait précisément à ne jamais courir le risque d'être atteint par la lame adverse ? Le rouquin, malheureusement, eut la réponse à sa question bien plus promptement qu'il ne l'aurait souhaité.

Une douleur extrême se mit à lui dévorer la main, lui faisant momentanément oublier celle qui s'était exprimée, bien plus pudique, lorsque le commandant de l'île Bleue lui avait infligé sa légère estafilade. Il sentit ses chairs se mouvoir d'elles-mêmes, s'abattre les unes contre les autres avec la ferme intention de couper court au flux sanguin qui s'échappait de son corps par sa paume ; toute son enveloppe charnelle protesta devant ce spectacle contre-nature et il s'effondra sur ses genoux, écumant, pleurant, crachant et hurlant, tandis que cette épouvantable agonie lui vrillait le cerveau et lui retournait les tripes. Il se sentit vomir, et ses yeux, embués de larmes, papillonnèrent tandis qu'il manquait de perdre connaissance ; puis le calme revint, sans crier gare. Les battements de son cœur reprirent un rythme plus ordinaire, un frisson désagréable parcourut sa peau pour remettre son corps en fonction... et il sentit sa main gauche, intacte, nette. Comme si elle n'avait jamais été atteinte par aucun coutelas.

Akis entendit Nakata s'approcher plus qu'il ne le vit ; puis il constata que le blond s'était agenouillé devant lui, et lui tendait un morceau de viande séchée avec un sourire amical. Ce fut à cet instant que le rouquin se rendit compte que son estomac criait famine : sans plus attendre, il se jeta sur la denrée qu'on lui proposait et se mit à l'engloutir, tandis que son interlocuteur tâchait de clarifier l'événement traumatisant qu'il venait de vivre.

— Mon pouvoir me permet de résorber toute blessure qu'on cherche à m'infliger. Mais le corps humain n'est pas pensé pour ça... Selon moi, les nerfs s'étendent et se déforment dangereusement à chaque fois que mon pouvoir s'exprime. La douleur que tu as ressentie... Elle m'accompagne systématiquement. Alors, certes, je suis l'un des deux Invincibles de Balhaan... mais j'ai tout intérêt à vivre sans jamais faire appel à mon don.

— Pourquoi... Pourquoi, à Corgenna... commença un Akis encore déboussolé.

— Pourquoi j'ai cherché à me battre contre Lida, puis contre Ajima, c'est ça ? Pour tester mes compétences. C'est peut-être stupide, mais... tant que je ne suis pas en mesure de me battre contre elles sans jamais être blessé, je sais que je continuerai à ressentir cette douleur indicible. C'est uniquement lorsque je me serai élevé au-dessus de quiconque, lorsque je serai devenu le plus puissant combattant du continent par la seule force de mon corps, que je pourrai partir du principe que ce martyre ne fait plus partie de mon quotidien.

Soufflé par cette révélation, à mille lieux de l'inconséquence irrationnelle et immature qu'il avait illustrée de prime abord, Akis détailla les traits du bretteur, mutique et désarçonné. Nakata lui sourit, puis se redressa prestement : il lui tendit la main, l'enjoignant à se redresser.

— Cet entraînement que je vais t'imposer, c'est exactement celui par lequel j'ai obtenu mes progrès les plus spectaculaires. Tu vas copier mon pouvoir... Et je vais t'attaquer. Chaque blessure que je t'infligerai te fera vivre un enfer... Alors, en réponse, tu apprendras à esquiver, à parer, à contre-attaquer pour ne pas avoir à compter sur cette capacité maudite. Si tu acceptes de t'entraîner avec moi, tu souffriras comme jamais ; mais tu progresseras, plus et plus vite qu'avec quiconque.

Aiz, à quelques pas de là, s'était assis sur un rocher et, les bras croisés, attendait patiemment le verdict d'Akis. Celui-ci avait le choix, une décision à prendre : et tout un chacun serait contraint de la respecter.

Souffrir, et grandir... ou rester le même, pour le meilleur comme pour le pire.

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