Chapitre 111


Au cœur de l'Esplanade :
Lida, Nakata, Akis, Rolan, Silvia, Emilia, Charles Delistel, et L'Oracle.

Aux abords des murailles :
Dixan, Aiz, Vivel et Amilista.

A l'entrée de l'Esplanade :
Andrek, Amara, Kurl, Laley, Satin, Malir, Erik, Jade, Sora, Istios, les subordonnés d'Aiz, les subordonnés de Vivel et d'Amilista.

A l'extérieur de Corgenna :
Mezagar et Ajima.

***

— Par ici ! ordonna Istios en continuant à les guider.

Au fil des secondes précédentes, leurs poursuivants avaient décidé de muscler leurs interventions. Ils le savaient, dans le fond : le fait que les deux commandantes aient été forcées et contraintes de leur fausser compagnie rendait l'équation nettement moins insolvable aux yeux des félons, au nombre desquels Erik s'était surpris à cultiver à nouveau un tantinet d'espoirs. Kurl et Laley étaient forts. Plus intéressant encore, leurs compétences étaient complémentaires. Elle était agile, véloce, capable de se jeter dans la mêlée pour y semer le chaos à grands renforts d'offensives vigoureuses, en lacérant tout ce qui se présentait devant ses serres effilées. Il était plus réservé, moins fantasque, mais pouvait devenir un support d'une utilité formidable en projetant sur leurs opposants des flèches aériennes plus redoutables que les ordinaires, faites de bois et d'acier. En comptant sur les deux Orphelins, ils pourraient peut-être réussir à faire front commun, et à opposer à leurs adversaire une résistance opiniâtre, suffisamment en tout cas pour les tenir en respect, voire pour les pousser à battre momentanément en retraite. Si cela devait arriver... ils auraient alors devant eux une poignée de minutes pour se réorganiser, pour établir une stratégie plus aboutie, plus efficace. Y compris si Vivel et Amilista devaient l'emporter sur Aiz et Dixan. Y compris si d'autres renforts, comme la Brigade Royale menée par Ajima, devait choisir de se joindre aux festivités.

Il y avait encore trop d'inconnues susceptibles de rendre cette situation déjà tendue parfaitement invivable, et le quadragénaire en avait plus conscience que quiconque ; alors il fut ravi, comme il s'y était attendu, de constater qu'un sifflement familier s'invitait à ses oreilles. Dans la seconde qui suivit, une flèche aérienne fila entre lui et Jade ; elle serpenta entre leurs alliés du moment, fondit vers l'un de leurs assaillants, lui perfora la cuisse gauche et l'obligea à choir au sol en poussant un hurlement de douleur des plus saisissants. Ses camarades se figèrent, l'espace d'un instant. Laley, qui venait de revêtir une forme hybride et se chargeait de rejoindre les fuyards au pas de course, intervint à son tour, mais vocalement.

— Ripostez, maintenant !

L'opportunité était trop belle, sans l'ombre d'un doute ; alors Jade, la première, obtempéra. Elle fit ainsi volte-face, projeta sur leurs opposants une nuée d'épines qui menacèrent de les pourfendre l'un après l'autre. Deux d'entre eux se détachèrent de la masse informe de soldats qu'ils incarnaient, entreprirent d'y répondre en usant de leurs facultés. Erik et Sora, moins utiles à une telle distance, se contentèrent de demeurer sur la défensive tandis que certains des subordonnés d'Aiz s'échinaient à imiter l'initiative de la Delistel ; ils ne furent pas davantage couronnés de succès, mais contraignirent toutefois, sous la force du nombre et par le biais de l'effet de surprise que venait de générer l'intervention de Kurl, leurs ennemis à reculer globalement de quelques mètres. Une première passe d'arme globalement insatisfaisante, donc, mais qui avait le mérite de diminuer un peu la tension qui pesait sur leurs épaules jusqu'à présent ; ils apprécièrent cet état de fait alors que la Reine Harpie se jetait dans la mêlée, au nez et à la barbe de ses plaies tout juste pansées.

— Il ne faut pas la laisser seule, se fit entendre Kurl en les rejoignant au pas de course, son arc bien en main. Elle doit commencer à fatiguer, et risque de commettre une erreur !

— Je me charge de la couvrir, répliqua Sora en se précipitant vers elle au pas de course.

— Je viens aussi, s'exclama Erik, bien conscient du fait que son pouvoir serait d'une utilité indéniable au beau milieu d'adversaires susceptibles de chacun déployer un pouvoir potentiellement redoutable.

Cela sembla satisfaire l'archer, puisqu'il se remit en position de tir sans plus attendre, gratifia leurs opposants d'un nouveau projectile qui rencontra toutefois nettement moins de succès ; puisqu'on avait eu tout le loisir de constater le danger qu'il incarnait, on le tenait à l'œil, et deux des sous-fifres de Vivel parvinrent à détruire sa flèche avant qu'elle ne menace de les atteindre, par le biais de projectiles qu'ils parvenaient a priori eux-mêmes à renforcer grâce à des pouvoirs de Cydystari.

Le combat aux abords de la place où les archers ordinaires abondaient quelques minutes auparavant seulement risquait de dégénérer d'une seconde à l'autre, dans la mesure où personne n'avait intérêt à faire traîner les choses en longueur, quitte à ce que les quatre commandants réussissent à se départager dans le même temps. En outre, les explosions volcaniques dûment perceptibles à l'extérieur de Corgenna ne cessaient de s'amplifier ; si la capitale toute entière ne serait probablement pas recouverte de magma dans la minute, la manifestation infernale du pouvoir de Mezagar restait bien assez inquiétante pour les pousser à presser le pas...


***

— Fuyez, vers le sud ! Plus vite ! beugla Leon à l'adresse de quelques civils empotés qui peinaient à détaler comme ils auraient dû le faire déjà plusieurs minutes auparavant.

La plupart d'entre eux se voyaient affublés de réflexes stupides, à partir du moment où ils constataient que des membres des Brigades Royales venaient les déloger ; ils se sentaient soudainement en sécurité, partaient du principe qu'ils avaient devant eux suffisamment de temps pour boucler quelques affaires, emporter les biens ayant le plus de valeur à leurs yeux. Le doyen des Brigades n'arrivait pas à digérer cette inconséquence, d'autant qu'il avait bien conscience que cette catastrophe naturelle qu'avait invoqué son commandant risquait de coûter la vie de tous les soldats qui avaient choisi d'endiguer cette éruption par le biais de leurs propres pouvoirs. Lui-même ne pouvait pas être utile dans ce registre, malheureusement, ses talents en matière d'invisibilité ne lui permettant pas de repousser des vagues de lave sans avoir à craindre pour sa propre intégrité ; alors il veillait à sauver autant de vies que possible en les poussant à arpenter les artères de la cité qui ne s'étaient pas encore effondrées sous le coup des tremblements que générait ce véritable cataclysme. Deux de ses camarades s'échinaient encore à déblayer une bâtisse au sein de laquelle ils parvenaient à entendre des cris de détresse qu'une poignée de voix leur parvinrent ; un peu de renfort, mesura-t-il avec un sentiment de gratitude ineffable.

— Leon ! 

— Qu'est-ce qui se passe, ici ?!

— Markus ! Olympia ! Bon sang, je n'ai jamais été aussi ravi de vous voir !

Il ne les connaissait pas tant que ça, ces deux subordonnés du commandant Aristof ; les Brigades ne se croisaient pas si souvent. Mais sa position bien particulière de doyen au sein des Brigades contribuaient à le rendre un tant soit peu incontournable. Il était celui qui avait observé de ses propres yeux l'évolution de leurs rangs depuis le plus longtemps... et il avait eu, ainsi, maintes opportunités de bavasser avec les autres soldats, y compris ceux qui ne servaient pas le même commandement que lui.

— Le commandant nous a ordonné de venir par ici, expliqua précipitamment Markus en marquant un arrêt à deux pas de lui. Ce foutoir, c'est...

— Mezagar, avoua Leon sans prendre de gants. Je crains... que ce soit un phénomène que plus personne ne puisse endiguer, à ce stade. Même plus lui.

— Quelle folie...

L'abattement auquel Olympia s'abandonna ne fut que de courte durée ; elle se retourna en direction des quelques hommes qui les avaient accompagné, elle et Markus, après qu'Aristof ait considéré qu'il valait mieux voler au secours des habitants de Corgenna tant qu'il en était encore temps. Après une volée d'ordres sommaires, ils se séparèrent et tâchèrent de rejoindre ceux des subordonnés d'Ajima et de Mezagar qui s'échinaient déjà à guider les civils à l'écart de cette éruption cauchemardesque. Leon, toutefois, ne put réprimer éternellement sa propre curiosité ; il n'aurait pas le fin mot de tout ce conflit invraisemblable d'ici le terme de la nuit, sans l'ombre d'un doute, mais cela ne coûtait rien de se renseigner un minimum...

— Si vous êtes là, vous...

— Ouais. Le commandant a perdu. Contre Aiz.

Leur Brigade avait été prématurément sortie du tableau par les félons, donc ; Leon en prit bonne note, d'un simple hochement de la tête relativement strict, et entreprit de se rendre utile en aidant un vieillard à enjamber un tas de décombres qui s'étaient effondrés devant le pas de sa porte. Il n'aurait jamais envisagé, avant que le contingent mené par Nakata, par Dixan et par Aiz ne parvienne à s'inviter au sein de la capitale de Balhaan, que leur folle épopée pourrait connaître une fin heureuse... mais il commençait en l'occurrence à se demander s'ils n'étaient pas bien partis pour réaliser un exploit. Le sacrifice de Mezagar, l'échec d'Aristof, tout cela nourrissait en lui l'intime conviction que les astres s'alignaient pour offrir à ces renégats l'espoir de bouleverser l'ordre établi. En tout cas, qu'ils parviennent à leurs fins ou pas, il allait sans dire qu'ils avaient déjà causé suffisamment de troubles pour marquer l'histoire de leur Royaume de façon indélébile ; restait à savoir si on les retiendrait comme de dangereux et égoïstes criminels, ou comme des héros dotés d'un courage hors-pair...

Une nouvelle explosion eut lieu, au centre de la plaine déchirée qui n'en finissait plus de suinter du magma, et de nouvelles roches se détachèrent des entrailles d'Ipeiris, s'élevant dans le ciel pour mieux menacer de retomber sur Corgenna, une fraction de secondes plus tard. Leon, brave, les ignora du mieux qu'il put et se jeta à l'assaut de la porte d'un autre immeuble, qu'il entreprit d'ouvrir en hurlant à ses occupants de déserter les parages au plus vite.

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