Chapitre 110
Au cœur de l'Esplanade :
Lida, Nakata, Akis, Rolan, Silvia, Emilia, Charles Delistel, et L'Oracle.
Aux abords des murailles :
Dixan, Aiz, Vivel et Amilista.
A l'entrée de l'Esplanade :
Andrek, Amara, Kurl, Laley, Satin, Malir, Erik, Jade, Sora, Istios, les subordonnés d'Aiz, les subordonnés de Vivel et d'Amilista.
A l'extérieur de Corgenna :
Mezagar et Ajima.
***
Aiz avait traversé l'espace qui le séparait de Vivel en une fraction de secondes, ainsi porté par le courant aqueux que Dixan avait précipité contre son dos. Il s'était planté face à la jeune femme, avait tenté de la gratifier d'un coup de poing impétueux ; mais il s'était heurté à la masse qu'elle avait expédiée à sa rencontre, vigoureuse et alerte, tuant dans l'œuf toute chance de l'Orphelin de lui régler son compte à l'occasion de cette première passe d'armes. Le choc manqua de le rendre gourd. Le moindre de ses muscles le rappela douloureusement à l'ordre tandis que la force extraordinaire dont il était empreint lui permettait envers et contre tout de remporter cette première manche. Elle dut céder du terrain, effectivement ; seulement une poignée de mètres, après lesquels elle parvint à se rétablir sans trop de peine. Deux de ses soldats en profitèrent pour s'avancer dans la direction du commandant massif. Il les fit exploser en les balayant d'un coup de pied circulaire ; puis il fondit à nouveau sur elle, soucieux de ne pas lui laisser trop de temps pour organiser son armée d'argile.
Ils n'auraient aucune chance de victoire s'ils se contentaient de les laisser agir. Dixan était au bord de l'apoplexie, à en croire son état de fatigue généralisé et les blessures graves qu'il avait accumulées au fil de ses précédentes batailles. Aiz lui-même n'était pas des plus fringants : son combat contre Aristof avait laissé des traces, certes moins perceptibles que celles de son partenaire de prime abord, mais pratiquement au moins aussi décisives quant à sa faculté de livrer bataille. Tôt ou tard, il le savait, ses membres ne répondraient plus avec le même mordant qu'à l'accoutumée. Il manquerait d'équilibre, de robustesse, de vitesse... et elle n'aurait aucune peine à en tirer profit. Elle ou Amilista, bien sûr, laquelle ne manquait pas, toujours en retrait, de les suivre du regard en se tenant prête à intercéder en faveur de Vivel. Le moindre baiser pouvait s'avérer fatal, dans de telles circonstances : le temps que l'Orphelin aqueux ne lui vienne en aide, elles pourraient essayer d'instaurer un flottement qui leur bénéficierait en ligne droite...
Alors il revint au contact d'une foulée énergique ; son coup de poing manqua le torse de Vivel, qui se pencha sur le côté, répliqua d'un coup de masse bien senti. L'acier percuta la hanche gauche du colosse ; il grogna pour extérioriser la douleur et la frustration, ne flancha pas, essaya sans y parvenir de la cueillir d'une claque en plein visage. Consciente qu'un simple coup risquait de la désorienter plus qu'elle ne pouvait se le permettre, son adversaire se courba pour réchapper à cette riposte fracassante ; elle utilisa la hampe de son arme pour frapper contre le buste d'Aiz, le contraignant à marquer un pas de recul. Avec un peu de distance de sécurité pour respirer, elle ordonna à deux de ses créations d'essayer d'encadrer le pugiliste ; les deux choses virent leurs crânes saisis par les mains proéminentes de l'Orphelin, qui les pulvérisa d'une seule pression.
Un troisième soldat s'éleva dans le dos d'Aiz ; un fin filet d'eau à haute pression le pulvérisa, s'assurant qu'il ne puisse rien tenter de déloyal, et le baroudeur reprit la lutte là où il avait été contraint de la délaisser. Un coup de coude menaça ainsi de percuter le front de Vivel ; elle bloqua avec son arme, recula, grommela d'inconfort, répliqua d'un coup de masse en visant le genou de son opposant, constata qu'il ne fléchissait toujours pas, recula à nouveau. Envers et contre tous les efforts du colosse, cette lutte était bien partie pour se prolonger ; parce que les deux commandantes ne disposaient pas de pouvoirs suffisamment offensifs pour régler la partie en un tournemain, et parce que leurs deux ennemis, quant à eux, demeuraient bien trop fébriles pour se permettre des prises d'initiatives spectaculaires et décisives. En prenant acte de cela, Dixan, le premier, tâcha de se mettre en mouvement ; non content de se rapprocher un peu d'Aiz afin de se tenir prêt de lui en cas de besoin, il déploya son bras encore en état d'usage et projeta un geyser véritable en direction d'une rangée de soldats d'argile, de façon à les éloigner de son camarade en toute hâte.
Ainsi débarrassé des obstacles qui, jusqu'à présent, pullulaient sur tous ses flancs, le pugiliste eut l'esprit plus tranquille et put se jeter à la rencontre de Vivel. Son coup de poing heurta la masse expédiée derechef à sa rencontre ; mais il ne s'arrêta pas en si bon chemin, profita de l'allonge naturelle que lui conférait ses bras pour essayer de percuter la commandante d'un coup de poing en plein abdomen. Elle tournoya, laissa son offensive la frôler sans trop la craindre, utilisa sa masse pour amplifier son mouvement et percuta Aiz d'un coup en plein dos. L'Orphelin, qui l'avait solide, ne put toutefois pas s'empêcher de perdre l'équilibre ; il tomba à genoux, et Dixan, sans plus attendre, lui porta assistance en projetant droit vers Vivel un fin filet d'eau à haute pression. Elle bloqua avec suffisamment d'adresse pour n'endurer aucune blessure, bondit en retrait au moment où la main massive de l'Orphelin le plus costaud menaçait de s'emparer de sa cheville... esquissa un sourire en constatant qu'à quelques mètres de là seulement, Amilista ne restait pas complètement passive.
D'un baiser farouche, la commandante projeta vers Dixan la forme de ses lèvres. Il l'anticipa, bien sûr ; même diminué, il n'était pas assez stupide pour ignorer qu'elle allait tenter de s'en prendre à lui de cette manière. Il se jeta ainsi sur le côté... mais constata avec horreur que son bras droit, ballant, privé de force, demeura une fraction de secondes de trop sur le sillage de cette attaque assujétissante.
— Je t'avais prévenu, gloussa Amilista en savourant cette franche réussite.
Sur la chair souillée de sang du commandant à la chevelure perlée apparut effectivement la forme de ses lèvres ; Aiz, horrifié, s'apprêta à se jeter à la rencontre de Dixan lorsque deux soldats de terre se précipitèrent vers lui et l'étreignirent. Il n'eut besoin que d'une paire de secondes pour se débarrasser de ces gêneurs, mais il savait, au fond de lui, que cette paire de secondes était tout ce dont Amilista avait besoin pour que son pouvoir fasse effet.
C'était là la fin de leur résistance opiniâtre.
Confronté à Dixan, il finirait par succomber à son tour ; et les deux commandantes auraient tôt fait les envoyer à la rencontre des autres Orphelins, de leurs subordonnés, qui ne pourraient rien entreprendre de concret pour leur barrer la route. Ils étaient en situation d'échec et mat.
— Aiz ! Maintenant ! beugla Dixan en affichant un sourire ostensible.
Rappelé à l'ordre par son cadet, il fit volte-face sans réfléchir, se planta face à une Vivel qui s'était légèrement endormie sur ses lauriers ; déstabilisée, les paupières arquées, elle n'eut que le temps d'interposer sa masse sur la trajectoire du coup de pied d'Aiz. Bien incapable de lutter sur le terrain de la force frontale, elle fut balayée comme un fétu de paille : projetée dans le décor, qu'elle traversa en de maintes occasions, les murs des bâtisses proches fragilisés ne suffisant pas à interrompre sa projection folle, elle n'eut même pas le temps de se demander ce qui venait tout juste d'advenir ; Amilista elle-même ne le comprit qu'avec horreur.
Le bras droit de Dixan, sur lequel se trouvait la forme des lèvres de l'envoûtante combattante, se détacha du reste de son corps.
Il avait, semblait-il, été détaché net, tranché par une épée invisible.
Par l'eau que Dixan avait répandu dans son propre corps, par l'entremise de sa blessure. Il le savait depuis le terme de son combat contre l'Oracle : il ne recouvrerait jamais l'usage de son bras droit. Il préférait encore le perdre au combat, de façon utile, que de se bercer d'illusions à ce sujet ; et il se tourna en direction d'Amilista en interrompant momentanément ses propres saignements, l'eau qu'il contrôlait parachevant précautionneusement sa petite stratégie en raccompagnant son propre sang, lequel cherchait à s'échapper de son corps par cette plaie dorénavant béante, dans ses vaisseaux.
— Trop vieille, réitéra-t-il, au faîte de son impertinence.
— Enfoiré, susurra-t-elle en retour, les lèvres crispées en un rictus enragé.
Sans plus attendre, Aiz se jeta dans la direction d'Amilista ; il savait que Vivel ne manquerait pas de revenir à la charge, tôt ou tard. Elle était solide... Dans ce registre, elle devait même figurer au nombre des commandants les plus compétents, après, bien sûr, Lida et Aiz eux-mêmes. Elle serait capable de se remettre du coup frontal qu'elle avait eu à endurer. Mais elle le ferait trop tard. Parce que le colosse comptait bien régler son compte à Amilista avant que cela n'advienne.
Ainsi, lorsque, quelques poignées de secondes plus tard, Vivel s'extirpa d'un bâtiment à demi-effondré, elle remarqua avec horreur qu'Aiz se tenait devant le corps inanimé d'Amilista. Il avait été entaillé à maintes reprises ; même si elle ne brillait pas par ses talents de combattante, elle n'était pas devenue commandante par hasard, et savait se défendre, grâce à une lame fine qu'elle tenait camouflée dans la pipe élégante qu'elle transportait avec elle. Mais il était encore en état de combattre... De même que Dixan qui, ignorant magistralement son propre bras désormais manquant, lequel reposait sur les dalles dorénavant poussiéreuse de cette rue abîmée, accueillit la maîtresse des pantins d'argile sans parvenir à masquer sa félicité.
— Si tu veux retourner ta veste, c'est le moment ou jamais. Si tu décides de continuer à résister, il faudra l'assumer jusqu'au bout...
Elle se renfrogna, courroucée ; puis elle esquissa un nouveau pas dans sa direction, obligeant Aiz à s'approcher à son tour. Toujours armée de sa masse, elle ne manqua pas de se mettre en garde, son armée de pantins continuant à l'environner de toute part.
— Ne me fais pas rire. Je suis largement suffisante pour m'occuper d'un infirme et d'un pugiliste exténué.
— On ne devrait pas tarder à en avoir le cœur net, observa Dixan, moins rieur.
Malgré toutes ses fanfaronnades, il le savait : il ne serait pas aisé de venir à bout de Vivel, même dans ces circonstances infiniment plus favorables que celles au cours desquelles ils avaient dû s'exprimer précédemment. Leur victoire sur Amilista était une aubaine...
Celle sur Vivel n'était encore qu'hypothétique.
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