Cette nuit-là, Alizée fit un rêve des plus étranges.
Tout lui apparaît avec une incroyable netteté. Elle peut discerner chaque nervures de chaque feuilles de buissons, compte avec exactitude les écailles du lézard qui se dore au soleil et peut regarder le soleil sans sourciller.
Face à elle, il y a une créature légendaire comme il n'en existe plus que dans les contes.
Elle capte un mouvement du coin de l'œil. Elle voit et entend une silhouette en retrait qui entonne un chant. Alors que les mots à la fois étranges et familiers coulent sur elle, elle se sent à sa place, à l'endroit qui lui est dû. Et, au moment où la voix s'arrête enfin, un sentiment de solennité l'emplit malgré son jeune âge. Un pacte indestructible vient d'être scellé.
Dans son sommeil, Alizée s'agita et marmonna quelques mots sans suite, le visage crispé par l'inquiétude.
Soudain, tout s'accélère. C'est la nuit, une nuit noire et obscure, sans l'éclairage rassurant de la lune. Même les étoiles sont invisibles, masquées par des nuages obscurs. Elle est réveillée en sursaut. Quelqu'un lui parle doucement, sans doute pour qu'elle se rendorme. Elle comprend qu'on la porte, qu'on l'amène quelque part. Soudain, la voix murmure des phrases inintelligibles d'une voix douce. Une tristesse insondable emplit Alizée sans qu'elle ne sache pourquoi.
Puis, sans aucun signes avant-coureur, tout devint noir.
Alizée se redressa d'un coup, le souffle court et le front trempé de sueur. De son rêve, il ne lui restait plus que quelques bribes, un sentiment flou de solennité et un autre plus fort de détresse. La découverte de son adoption avait dû échauffer son imagination au point qu'elle lui joue des tours durant son sommeil. Oui, ce devait être ça.
S'étant endormie tôt, la jeune fille avait oublié de fermer ses volets. C'est pourquoi les rayons du soleil d'été éclairaient sa chambre de façon rassurante. Le rêve n'était qu'un rêve quelconque et Alizée s'empressa de le reléguer au rang des souvenirs sans importance, destinés à être oubliés.
Elle se leva et ouvrit sa fenêtre en grand. Un vent d'une fraîcheur étonnante lui gifla le visage. Bizarre, ce froid soudain en été.
Soudain, quelqu'un frappa doucement à sa porte. Alizée reconnut sans mal les coups singuliers de sa sœur.
- Entre Mya, dit-elle en s'étirant pour s'éclaircir les idées.
Le jeune fille entra à pas de loups dans la chambre de sa sœur aînée et l'observa timidement.
- Est-ce que tu vas... mieux ? Osa t-elle demander.
- Ça ira mieux dans quelques jours, répondit Alizée.
Mya hocha vigoureusement la tête avec compréhension et ses cheveux châtains clairs ondulèrent autour de son visage encore juvénile.
- J'ai fâché Robin pour ce qu'il t'avait fait, reprit la benjamine. Mais il n'a pas parut m'accorder beaucoup d'attention alors que je l'ai harcelé toute la soirée pour qu'il te présente ses excuses.
Alizée eut un petit sourire. Il lui était comique d'imaginer Mya réprimander son frère de quatre ans son aîné. Mais après tout, elle avait du caractère et l'écart d'âge ne l'empêchai jamais de dire ce qu'elle avait en tête. Alors que la fillette s'apprêtait à rajouter quelque chose, un coup de vent particulièrement violent s'engouffra dans la chambre d'Alizée et les fit frissonner de concert. Elle se dépêchèrent de refermer la fenêtre et la température redevint vite chaleureuse.
- C'est ça aussi que je voulais te dire, reprit Mya.
- Quoi donc ? Demanda Alizée sans comprendre.
- Depuis ce matin il fait très froid, enfin trop froid pour un mois de juin. Du coup je ne pense pas qu'on ira dehors aujourd'hui. Sauf pour aller chercher des œufs pour maman si elle cuisine !
Alizée se joignit au rire de sa cadette sans parvenir à ressentir de la véritable joie. Elle avait le sentiment d'avoir été trahi par ceux qu'elle aimait et considérait comme son propre sang depuis toujours. Désormais, tout était faux.
- Tu viens prendre un petit-déjeuner ? S'enquit Mya après un court silence embarrassant.
- Je n'ai pas très faim, vas-y toi, répondit gentiment sa sœur.
- Comme tu voudras. Allez je te laisse ! Et n'en veux pas trop à Robin, il ne pensait pas à mal.
Et Mya partit en refermant délicatement la porte derrière elle, laissant sa sœur seule, en proie à des émotions contradictoires.
Tout au long de la journée, le temps ne fit qu'empirer. Par conséquent, aidé de Robin, leur père fit rentrer les poules dans la maison et improvisa une sorte d'enclos à l'aide du grillage qu'elles avaient dehors. Résultat, il y avait des poules en plein milieu du salon étant donné que la maison en pierre ne possédait pas de garage.
Le soir venu, les cinq membres de la famille s'installèrent dans la cuisine pour partager le dîner. Alors qu'ils étaient en train de déguster un gaspacho au melon, le journal télévisé commença, attirant leur attention.
- Alors que ce matin, il n'y avait qu'un simple vent plutôt froid en Dordogne, en fin d'après-midi c'est une véritable tempête qui s'est déclenché aux alentours de Périgueux en plein mois de juin, disait le commentateur.
- On parle de nous ! S'exclama Mya.
- Tais-toi, lui intima Robin, je suis curieux de savoir ce qu'ils en disent.
Mya leva les yeux aux ciel mais obéit.
- Les météorologues sont perplexes, continua le journaliste, car si les orages en été sont plutôt fréquents, c'est bien la première fois qu'on assiste à une tempête de cette envergure au plein cœur de la Dordogne. Que se passe t-il ? Est-ce une conséquence du réchauffement climatique ? Reportage en direct avec Lucas Tastrophe, Damien Feuillou et Célestine Astre.
Le reportage changea de décor et montra les paysages verdoyants de la Dordogne sous une pluie torrentielle en plus d'un vent à décorner des bœufs.
- Tous les météorologues interrogés sont perplexe, annonça Célestine Astre avec des yeux exorbités, qu'est-ce qui a pu déclencher une telle tempête ? Malgré leur indécisions quant à son origine, nos experts sont formels : d'après eux, il est fort probable qu'un orage violent éclate dans la soirée et tous sont d'accord sur le fait que cette tempête risque non pas de se calmer mais au contraire de s'amplifier durant la nuit. Lucas Tastrophe, spécialiste des tempêtes marines, va nous en dire plus.
- J'estime que nous avons ici affaire à un déchaînement de force 11 sur l'échelle Beaufort, enchaîna celui-ci, autrement dit, un déferlement de force presqu'à son maximum ! Je précise que je n'en ai vu qu'une seule fois dans le milieu maritime et c'était dû à la proximité d'un ouragan. Je suis vraiment étonné d'apprendre que le deuxième de ma carrière se situe sur la terre, dans cette région magnifique qu'est la Dordogne et que, soit dit en passant, j'affectionne particulièrement pour ses spécialités locales – entre autre le foie gras pour les spectateurs ignorants qui nous regarderaient.
- Les autorités sont claires, l'interrompit Damien Feuillou qui semblait estimer qu'on s'éloignait du sujet, il est formellement interdit aux habitants concernés de sortir de chez eux car les risques d'accidents sont fortement élevé. Nous vous prévenons également que vous devez vous attendre à avoir l'électricité coupée et peut-être même serez vous privé d'eau si des arbres venaient à tomber. Quoi qu'il arrive, gardez votre calme, fermez toutes vos vitres, fenêtres, vérandas, véluxes, volets, etc. Et si vous avez des animaux au-dehors, prenez soin de les faire rentrer dans votre maison. Dans le cas où il s'agirait de vaches, moutons ou autre, enfermez-les soigneusement dans leur étable. En espérant sincèrement qu'il n'y aura pas trop de dégâts et en vous exhortant de suivre ces consignes à la lettres, nous vous souhaitons une agréable soirée.
La caméra revint vers le commentateur qui, sans se soucier plus des intempéries en Dordogne, s'intéressa au titre suivant, à savoir des chiens qui pourraient communiquer avec leurs maîtres par le biais de jouets enregistrant leur voix.
Robin se leva et éteignit la télévision.
- Je vais vérifiez que tous est bien fermé à l'étage, annonça t-il.
- Bonne idée, approuva sa mère, je pense qu'il serait préférable que l'on éteigne toutes les lumières et jusqu'à nouvel ordre, on n'utilise que des bougies.
- Maman, protesta Mya, on peu simplement prendre l'application lampe-torche de nos portables !
- Peut-être, mais j'ai de grands stocks de bougies, alors autant les utiliser. Et puis, cela va créer une ambiance chaleureuse, tu vas voir !
Mya soupira, exaspérée.
- Maman croit qu'on vit encore au XXe siècle, souffla la jeune fille à sa sœur.
Mais perdue dans ses pensées, Alizée ne répondit pas.
La petite famille dîna tranquillement, seulement éclairé des multiples bougies installées un peu partout. Mya, même si elle ne l'aurait jamais avouer, devait reconnaître qu'elle aimait bien cette ambiance cosy, d'autant plus qu'elle avait l'impression que sa maison de pierre était un refuge inébranlable au sein de la tempête qui faisant rage au-dehors. De temps à autre, le tonnerre grondait tellement fort qu'ils devaient hausser la vox pour se faire entendre les uns des autres. Les poules, bien qu'un peu effrayé au départ, s'étaient finalement endormies, se sentant complètement en sécurité.
Malgré cela, Alizée ne décrocha pas les mâchoires de la soirée et ses parents mirent son comportement sur le compte de la nervosité due à la tempête. Mais Robin et Mya, qui eux savaient ce qui tracassait vraiment leur sœur, échangeaient de temps à autre des regards lourds de sous-entendus.
Dès que le repas fut terminé et que leurs parents s'installèrent sur le canapé du salon pour lire un peu, Robin voulut s'excuser auprès de sa jeune sœur d'avoir fouillé dans ses affaires et mit à jour une vérité des plus dérangeantes. Malheureusement, dès qu'elle le vit approcher, l'adolescente s'enfuit et se ferma à double tour dans sa chambre, laissant sur le palier un Robin désemparé. Il comprenait l'attitude de sa sœur, mais il espérait quand même qu'elle ne lui en voulait pas trop. Elle avait peu parlé dans la journée, marmonnant à peine une réponse inintelligible quand on lui posait une question.
Tout l'après-midi elle était restée recroquevillée dans le fauteuil du salon et plongée dans ses livres préférés (alternant entre Eragon et Sœurs de sang. ). Robin n'était pas dupe quant au comportement presque insolent de sa sœur. Si Alizée agissait comme ça, c'est qu'elle lui en voulait, inconsciemment ou non. De plus, il savait qu'il était inutile de discuter avec elle quand elle trouvait refuge dans ses livres ;autant essayer de parler avec une armoire à glace. Lorsque qu'Alizée était triste, en colère ou profondément blessé ( et dans ce cas, les trois propositions convenaient ), elle se refermait comme une huître et se plongeait à corps perdu dans les livres. Parfois, ce comportement inquiétait Robin. Et si à force de lire elle devenait malheureuse de par sa vie si différente de celle vécu par les protagonistes ? Cette réflexion lui fit penser à ce que leur avait partagé les jumeaux la veille. Après le départ précipité d'Alizée, les deux rouquins avait essayés de détendre l'atmosphère. Mais n'ayant pas de blagues adéquates, ils avaient donc rapportés à Robin ce qu'ils venaient de dire aux autres, à savoir leur théorie selon laquelle si quelqu'un lisait autant, c'était pour fuir la réalité. Et cette obsession pour les livres était l'une des caractéristiques principales d'Alizée.
Lâchant un soupir à fendre l'âme, Robin marcha d'un pas lourd jusqu'à sa chambre et se laissa tomber sur son lit.
Espérons que les choses ne se gâtes pas, songea t-il. De toute façon, tout finira par se calmer. Il ne peut rien nous arriver de pire, j'en suis convaincu.
Jamais il n'avait été aussi loin de la réalité.
Une heure passa durant laquelle il occupa son temps en dévorant un livre de mythologie grecque. Il s'intéressait particulièrement à l'arbre généalogique car il était exceptionnellement complexe. Comprendre qui était la sœur de qui, ou quel était le cousin de machin lui prenait un certain temps mais il finissait sans trop de mal par pouvoir tous les mémoriser sans les confondre. Robin aimait beaucoup apprendre et se cultivait régulièrement en dehors des cours. Il lisait les journaux, regardait des documentaires etc.
En règle général, les autres habitants de la maison le laissait tranquille pendant la soirée. Apparemment, ce soir serait une exception. Quelqu'un venait de frapper à sa porte et sans attendre de réponse, entra. A la grande surprise de Robin, c'était Alizée.
- Écoute, je suis désolé pour tout à l'heure, commença Robin en sautant sur l'occasion...avant de s'interrompre.
Il venait de se rendre compte que sa sœur ne l'écoutait absolument pas. Elle était très pâle et sa respiration était saccadée.
- Euh... ça va ? S'enquit Robin, craignant, qu'elle ait un malaise ou quelque chose de similaire.
- Non, répondit-elle d'un ton abrupt.
L'adolescent attendit qu'elle s'explique et sa cadette finit par s'exécuter en phrases entrecoupés qui, selon lui, n'avaient pas trop de sens.
- La tempête, disait-elle, elle approche... danger...massacres... sauver... pas comprendre...
Et elle répéta de nombreuse fois le mot « danger » sans que l'explication ne soit plus claire. Robin l'observa avec attention. Sa sœur faisait les cent pas en se tordant les mains d'angoisse. Visiblement quelque chose lui faisait très peur mais malheureusement, le garçon ne voyait pas quoi.
- Si c'est la tempête de dehors qui t'inquiète, dit-il d'une voix qu'il se voulait apaisante, tu n'as pas à t'en faire. Dès demain on pourra à nouveau sortir.
Alizée s'arrêta net et le fixa d'un regard torturé. Ses yeux gris reflétait une terreur que son frère était bien loin de ressentir ou de pouvoir interpréter.
- Tu ne comprends pas, gémit-elle visiblement déchirée, si on n'agit pas maintenant, il n'y aura pas de demain. Plus jamais.
- Quoi ? S'écria t-il affolé.
Sa sœur devenait-elle folle ? Ses paroles n'avaient absolument aucun sens. D'accord, qu'il y ait au-dehors une tempête aussi importante au mois de juin était en soi assez flippant, mais il n'y avait pas de quoi en faire des caisses ! Cependant, Robin connaissait sa sœur et il savait qu'elle avait une énorme sensibilité. Peut-être que quelque chose l'avait choqué à un point qu'elle n'arrivait pas à lui en parler. Mais Robin eut beau réfléchir, il ne trouva pas ce que pouvait être ce quelque chose. En désespoir de cause, il décida de demander à ses parents. Mais à peine avait-il esquissé un pas pour sortir de sa chambre, qu'Alizée interrompit son mouvement d'un geste.
- Je t'en pris, Robin, souffla t-elle, si tu les prévient, tu ne feras qu'empirer les choses.
- Mais...
- Il faut y aller. Maintenant !
- Mais où ?! S'égosilla Robin à bout de nerf.
- Là-bas ! Répliqua sa sœur.
Et sans rien ajouter elle attrapa son bras avec un force surprenante et l'entraîna vers sa chambre. En chemin, il croisèrent Mya qui leur jeta un regard étonné.
- Viens ! Lui ordonna Alizée.
Mya obéit bien qu'elle sembla perplexe. Et il y avait de quoi. A l'évidence, Alizée avait pété un câble.
Une fois dans la chambre de l'adolescente, celle-ci ferma sa porte à clé. Puis, elle se dirigea à grand pas vers sa fenêtre et poussa le rideau. Robin ne put s'empêcher de crier de surprise. Sa sœur n'avait pas fermé son volet.
- Alizée ! S'écria t-il. Tu es inconsciente, tu aurais dû...
- Ferme-là Robin ! Hurla sa sœur.
Robin fut tellement choqué qu'il s'arrêta de parler. Il fusilla sa cadette du regard, outré. Elle n'avait pas à lui parler sur ce ton ! Même Mya fronça les sourcils parut sur le point de dire quelques chose, puis se ravisa.
- Maintenant, écoutez-moi vous deux, reprit Alizée d'une voix un peu plus calme. Nous devons partir. Ou plutôt, je dois absolument partir mais je serai rassuré si vous étiez à mes côtés. Pour aller où, je ne le sais pas précisément. Je le sens, c'est tout. C'est comme un... un pressentiment. Le pressentiment qu'une catastrophe abominable est sur le point de se produire et que je suis la seule à pouvoir l'en empêcher, ou du moins à la réparer.
- D'accord, d'accord, soupira Robin, mais ne me dis pas que pour aller à cet endroit dont tu parle il faut passer par dehors ?
Le fugitif éclair de culpabilité sur le visage de la jeune fille donna aussitôt la réponse à l'aîné.
- Alizée, s'écria t-il avec exaspération, tu vois bien le temps qu'il fait dehors ! On ne va pas partir comme ça, à l'improviste sous une tempête déchaînée ! D'autant plus que papa et maman ne nous le permettront jamais. A ton avis, que se passera t-il quand ils remarqueront notre absence ?
Alizée ne répondit pas immédiatement mais elle fixa durement Robin. Celui-ci soutint son regard sans sourciller jusqu'à ce qu'elle dise à voix basse :
- Je savais bien que tu étais un lâche.
Et sans plus se préoccuper de lui, elle se tourna vers sa sœur. Robin eut l'impression d'avoir reçu un coup à l'estomac.
- Et toi Mya ? J'ai besoin de soutien et je sais que tu saurais m'en apporter.
Mya jeta un coup d'œil indécis à Robin. Celui-ci était toujours estomaqué de la soudaine cruauté de sa sœur. Elle qui d'habitude était si douce et qui préférait toujours régler un problème de façon pacifiste ! Qu'est-ce qui pouvait donc bien lui arriver pour la mettre dans un état pareil ?
Toutefois, malgré ses pensées embrouillé, Robin finit par réaliser que sa sœur partirait, qu'ils soient d'accord ou non, mais qu'elle espérait cependant qu'ils viennent avec elle.
- D'accord, soupira t-il, on te suit.
- Où allons-nous ? Redemanda Mya.
Contre toute attente, alors que Robin était persuadé qu'Alizée répondrait de manière vague, celle-ci réfléchit un instant avant de dire :
- A la forêt d'Orbe.
- Derrière le vieux moulin ? S'étonna Robin.
- Tu connais d'autres forêt dans le coin ? Riposta sa sœur, agacée.
Puis, sans attendre de réplique, l'adolescente ouvrit d'un geste sûr sa fenêtre.
Aussitôt, un vent glacial s'engouffra dans la pièce et fit voler leur cheveux. Mya frissonna sans rien dire. Elle avait compris que, de toute manière, il était inutile de discuter. Mais au moment où Alizée enjambait le rebord de sa fenêtre, le regard de la benjamine s'illumina soudainement.
- J'ai une idée ! S'écria t-elle.
Ses aînés la regardèrent d'un air interrogateur, attendant la suite.
- Et si on prévenait le reste du groupe ? Proposa t-elle. Alizée a dit qu'elle aurait besoin de soutien, alors autant y aller au complet. Et puis, ça pourrait être marrant, surtout si on est plus nombreux, non ?
Robin songea que, finalement, Mya ne devait pas avoir bien saisie que ce qu'ils allaient faire était tout sauf marrant. Mais il devait reconnaître que c'était tentant.
- Mon portable est sur mon bureau, appelez-les mais grouillez-vous, répondit Alizée, énervée de tout ces contre-temps.
La jeune fille se laissa glisser le long du mur et atterrit dans une roulade dans l'herbe jaunie. Par chance, même si leur maison était à étage, il ne devait y avoir pas plus de deux mètres entre sa fenêtre et le sol.
L'adolescente jura en voyant que Robin et Mya ne l'a suivaient pas. Ils ne devaient pas s'être défiler mais plutôt être en train d'appeler les autres. Alizée trépigna sur place. Sans qu'elle puisse se l'expliquer, elle sentait qu'ils n'avaient plus beaucoup de temps à perdre. Depuis le début de la journée, elle avait sentie une sorte de boule d'angoisse qui lui serrait la gorge, et celle-ci n'avait cessé de grandir et cette nuit, elle semblait même avoir doublé de volume, au point même qu'elle ait du mal à respirer.
Enfin, son frère descendit et s'étala lourdement au sol, puis Mya sauta et se réceptionna en souplesse.
- Venez, vite ! Cria Alizée.
Alors qu'ils commençaient à marcher, elle se rendit soudain compte de la force de la tempête. Même en criant de toute leurs forces, ils avaient du mal à s'entendre. La pluie tombait dru et les gouttes d'eau avait une force d'impact tel qu'on aurait dit de la grêle. De plus, la pluie était de biais et en quelques secondes à peine, il furent trempé jusqu'aux os. A cela s'ajoutait le vent qui les contraignait à se plier en deux pour avancer. Le vent les giflait de toute part, rabattait leur cheveux dans leur figures, s'engouffrait sous leur vêtement et leur donnait la chair de poule.
- J'espère que tu sais ce que tu fais, cracha Robin mécontent quand il fut à la hauteur de sa sœur.
Il en avait déjà assez et rêvait de son lit douillet bien chaud et rassurant.
Alizée ne prit pas la peine de répondre. En effet, on ne pouvait pas dire qu'elle savait vraiment ce qu'elle faisait. Si ça se trouve, tout cela n'était qu'une erreur. Mais elle ne pouvait mettre de côté ce sombre pressentiment, cet instinct qui semblait lui dicter le chemin à prendre.
Mya prévint sa sœur que les autres avaient tous accepté de venir et qu'ils les retrouveraient au vieux moulin.
Ils continuèrent ainsi leur chemin, marchant péniblement tandis que ni le vent, ni la pluie ne leur offrait aucun répit. Bientôt, ils sortirent de leur village et se dirigèrent vers le fameux moulin qui avait été construit en haut d'une petite colline. Heureusement que le bâtiment était à l'abandon depuis des années, sinon la tempête l'aurait sérieusement endommagé.
Enfin, ils firent une pause en s'abritant du mieux qu'ils le pouvaient grâce aux murs encore debout du moulin. Ils n'eurent pas à attendre bien longtemps. Des silhouettes avancèrent vers eux et les rejoignirent au bout de quelques minutes.
- Que se passe t-il exactement ? Interrogea Gabrielle dès qu'ils furent à portée de voix.
Alizée se dépêcha de leur expliquer la situation en phrases brèves et précises. Par chance, lorsqu'elle en vint à décrire qu'ils devaient se rendre à un endroit particulier ( bien qu'elle ignora encore où précisément ), aucun de ses amis ne protesta.
- Allons-y, décida Robin qui voulait se remettre en mouvement pour se réchauffer.
Tous le suivirent. Mais ils n'avaient pas fait trois pas qu'un cri puissant les stoppa net. Les huit amis se tournèrent vers Alizée. La jeune fille hurlait de douleur sans qu'aucune blessure ne soit visible. Des convulsions violents la secouait tandis qu'elle tremblait de tout son corps dans la boue.
- Faites quelque chose ! S'égosilla Robin affolé.
- On ne peut rien faire ! Lui cria Hector en retour, il faut attendre que ça passe !
Alizée hurla de plus belle. L'adolescente avait l'impression qu'une lame glacé s'était enfoncé dans son cœur. La douleur avait explosé derrière ses paupières, tellement forte qu'il lui semblait qu'elle était réelle tout en sachant pertinemment que ce n'était pas vraiment elle qui l'avait reçu. Mais dans ce cas, qui était la victime ? Elle se roula en boule avec la sensation d'être dans la brouillard. Peu à peu, la douleur s'estompa, la laissant tremblante. La jeune fille finit par reconnaître le moulin et les voix inquiètes de ses amis. Encore engourdi par le choc, elle se redressa.
- Alizée ? Tu... tu vas bien ? S'inquiéta Mya d'une petite voix.
L'intéressée préféra hocher la voix de crainte que sa voix ne la trahisse. Malgré la peur et la confusion qui régnait dans son esprit, elle savait qu'il était encore plus urgent de partir.
Robin observait sa sœur d'un regard angoissé. Tout était allé si vite, sans qu'aucun d'entre eux n'ai eut le temps de réagir. Un instant elle marchait avec eux, et la minute d'après elle était prise de spasmes violent tout en hurlant comme si quelqu'un lui causait une souffrance insoutenable. Et il n'y avait pas que ça. Au moment où la jeune fille s'était effondrée, un éclair avait illuminé la nuit noire et était tombé extrêmement proche, dans la forêt, à seulement quelques centaines de mètres d'eux.
- On devait peut-être rentrer, murmura Tiago pétrifié de peur.
Lui aussi avait vu l'éclair.
- Non, fit une voix ferme.
Robin pivota. Alizée s'était relevé et rien dans son attitude ne laissait deviner la douleur qu'elle avait ressenti quelques minutes auparavant. Un éclat dur brillait dans ses yeux d'un gris orageux et on pouvait lire une détermination implacable sur son visage fermé.
- On doit y aller.
Et sans attendre de réponse, elle se détourna et reprit sa route d'un pas vif.
Les jumeaux et les trois frères échangèrent des coups d'oeil indécis avant de la suivre. Robin en fit de même suivit de sa plus jeune sœur.
- Robin, chuchota celle-ci, qu'est-ce qui lui est arrivé à Alizée, tout à l'heure ?
- Je ne sais pas, répondit son frère toujours aussi dérouté, on aurait dit qu'elle faisait une crise ou quelque chose comme ça mais ça ne lui était jamais arrivé avant. Je ne vois aucune explication possible.
Ils continuèrent leur chemin en silence, avançant aussi vite que possible pour essayer d'oublier le temps affreux. Quelques instants plus tard, ils marchaient sous le couvert des bois. Mais même le large feuillage des chênes ne parvenait pas à les protéger de la tempête. Les grands arbres étaient secoués en tous sens et de nombreuses branches jonchaient le sol. Ils durent faire attention à où ils mettaient les pieds par crainte de trébucher. Toutefois, au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient dans la forêt, l'épaisseur du feuillage finit par les abriter par intermittence du vent glacial. Alizée marquait la cadence, marchant d'un pas vif et assuré, comme si elle savait parfaitement où elle allait. Ses yeux gris orageux trahissaient une détermination implacable.
Seuls les jumeaux Hugo et Gabrielle ainsi que Mya ne semblait pas affecté par la tension qui régnait dans l'air. Tout trois échangeaient des blagues, parlaient de tout et de rien, tout en circulant avec adresse parmi les buissons touffus. Les huit adolescents marchèrent ainsi pendant une dizaine de minutes et mis à part Mya, Hugo et Gabrielle, aucun d'eux ne parlait. Tout à coup, Alizée accéléra et les autres firent de même afin de ne pas se laisser distancer. Ils enjambèrent des ronces aux épines griffus, grimpèrent par-dessus un tronc à terre et se penchèrent pour éviter que des toiles d'araignées ne se prennent dans leurs cheveux.
- On va jusque où comme ça ? grommela Hector qui ne saisissait pas bien ce qu'ils faisaient ici en pleine nuit et au cœur d'une tempête qui plus est.
- Aucune idée mais Alizée à l'air de savoir où elle va, répondit Robin qui cheminait à ses côtés.
Et lorsqu'ils débouchèrent soudainement dans une clairière, tous se turent, même les trois bavards. Tiago, qui était le dernier de la file, ouvrit des yeux ronds quand il avisa l'endroit dans lequel ils se trouvaient. Il semblait s'agir des ruines d'un village. Les plupart des murs de pierre s'étaient effondrés et les rares qui étaient encore debout étaient envahis par le lierre et autres plante grimpante. Le sol détrempé était ici étonnement sec alors qu'il pleuvait toujours à verse. Mais bizarrement, la pluie semblait ne pas pouvoir les atteindre en ce lieu.
- C'est ici, murmura Alizée d'une voix vibrante d'émotion contenue.
L'air était étrange. Il paraissait plus vif, comme dans les montagnes en haute altitude. Alizée prit une profonde inspiration. Elle sentait dans toutes le fibres de son être qu'ils étaient tout proche du lieu qui l'appelait. Sans concerter ses compagnons, la jeune fille commença à s'aventurer entre les vestiges des maisons.
- Incroyable, souffla Robin stupéfait qui n'avait pas bougé, je suis souvent venu dans la forêt d'Orbe et c'est la première fois que je vois ça.
- Les ruines d'Ilnocad ne sont visibles que pour ceux qui savent ce qu'ils cherche et où ils vont, répliqua sa jeune sœur sans se retourner.
Les autres adolescents en restèrent coi.
- Les ruines de quoi ? S'étonna Gabrielle qui pensait avoir mal entendu.
- Peu importe, soupira Alizée. Suivez-moi, c'est un peu plus loin.
L'adolescente ne savait pas d'où elle sortait cette phrase. Ce dont elle était sûre, c'est qu'autrefois ce village était important et se nommait bel et bien Ilnocad. La première surprise passé, ses amis s'engagèrent à sa suite dans l'herbe haute qui se balançait doucement sous un vent léger à hauteur de leur genoux.
- Je pense, réfléchit Gabrielle, que si cet endroit existait encore aujourd'hui, j'aurai bien aimé y vivre même si c'est un peu trop, disons, verduré à mon goût. Et un peu exilé aussi. Non mais, à votre avis, comment ils faisaient les gens d'ici pour aller acheter un pain au chocolat à la boulangerie le dimanche matin ? Il leur aurait fallu presque une heure rien que pour arriver dans le centre-ville !
- Je pense qu'ils devaient faire leur pain tout seul, répondit Hugo en haussant les épaules.
- T'es bête Hugo, se moqua sa sœur, je n'ai pas parlé de pain, mais de pain au chocolat !
- C'est toi qui est bête, répliqua le rouquin agacé, d'abord on dit pas pain au chocolat mais chocolatine !
- Oh non, soupira Hector, vous n'allez pas recommencez tout les deux !
- Et pourquoi pas ? Le défia son amie. D'après toi qui a raison ?
- Je ne sais pas... et puis, taisez-vous.
- Quoi ! S'indigna la rouquine. Tu n'as pas le droit de nous donner des ordres !
- Gabrielle, arrête de parle, demanda encore Hector sur un ton plus dur.
- Non mais, il y a plus de respect là ! Ça ne va pas du...
- Ferme-la! Ordonna soudain Hector.
C'est alors que la jeune adolescente comprit pourquoi il lui donnait cet ordre.
Ils étaient arrivé à ce qui devait être autrefois le centre-ville et, devant eux, se dressait une drôle d'arche recouverte de symboles étranges qui devait faire dans les quatre mètres de hauteur. Alizée s'arrêta juste devant. Elle sentit en elle une douce nostalgie qu'elle ne comprit pas. Une grande sérénité l'envahit alors. Elle savait ce qu'elle avait à faire. Sans rien dire à ses amis, elle marcha droit sur l'arche. Soudain, alors qu'elle passait au-dessous, elle disparut.
- Eh ! S'exclama Victor éberlué. Ben ça alors... où est-elle passé ?
- Alizée ! Beugla Robin hors de lui devant tant de mystères et de cachotteries alors qu'il ne rêvait que d'une chose : retrouver son lit douillet. Si c'est une de tes farces tu vas me le payer cher ! Reviens immédiatement sinon je cache tous tes livres dans la terre et tes précieux protecteurs d'encre et de papiers ne seront plus jamais là pour te soutenir !
Il y eut alors un flash de lumière d'une blancheur éblouissante et les huit adolescents se volatilisèrent à leur tour.
Un oiseau se posa sur l'arche et, inconscient de l'événement qui venait de se passer, se mit à chanter gaiement, le bec tourné vers les timides rayons de soleil qui venaient de faire leur apparition.
La tempête avait pris fin.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top