Chapitre 1
« ...Le geste qu'eut alors le Dragonnier, décrivant un cercle rapide pour ramener son arme à son côté, parut soudain familier à Eragon, comme l'avait été, depuis le début, sa façon de combattre. Avec une horreur grandissante, le garçon fixa la courte épée de son ennemi, puis les deux fentes du casque miroitant, à la hauteur des yeux, et il lança :
Je te connais !
Il se jeta sur le Dragonnier, bloquant les deux armes entre leurs corps, introduisit ses doigts sous le heaume et l'arracha.
Devant lui, sur cette plate-forme rocheuse des Plaines Brûlantes, se tenait... »
- Alizée ! Tu veux bien aller me chercher quatre œufs dans le jardin s'il te plaît ?
- Mais maman ! Protesta une adolescente allongée sur le canapé du salon. J'étais en plein suspens, là !
- Oui, et bien tu retrouveras ton livre après être aller chercher les œufs.
- Pourquoi moi et pas Robin ou Mya, d'abord ?
- Ton frère travaille sur je ne sais quoi et j'ignore où est Mya. Et c'est à toi que je le demande. Allez, dépêche-toi, déjà que je suis en retard !...
- Ça va, j'y vais...
Sans cesse de grommeler contre sa mère qui interrompait ses lectures au moment le plus important, la jeune fille se leva, ouvrit la baie vitrée et traversa leur jardin. Le soleil de juin tapait fort alors qu'il était tout juste midi.
L'adolescente se dirigea vers l'enclos des poules, ramassa quatre œufs et fit demi-tour, pressé de retrouver son livre. Elle rentra dans le salon où la fraîcheur conservée par la maison de pierre l'accueillit. Elle posa le panier sur la table de la cuisine et s'empressa de retourner dans le salon.
- Pas si vite jeune fille, dit sa mère, la coupant dans son élan. Il me faut aussi du sucre.
- Maman ! Bougonna l'adolescente, avant de cuisiner quelque chose, tu ne pourrai pas regarder d'abord si tu as tous les ingrédients et pas l'inverse ? Et où est-ce que je vais trouver du sucre ?
- Tu n'as qu'à en demander aux voisins. Et puis arrête de rouspéter, ça te feras du bien de sortir par un beau temps pareil.
- Il fait trop chaud, ronchonna encore la jeune fille.
Mais elle n'eut d'autre choix que de se plier aux ordres maternels.
Une fois dehors, Alizée marcha jusqu'à la maison voisine à la sienne en espérant que ceux-ci auront du sucre à lui prêter.
Elle sonna et patienta quelques minutes avant que la porte ne s'ouvre.
- Bonjour, excusez-moi de vous déranger mais est-ce que vous auriez...
- Ah, Alizée, tu tombe très mal, dit la fille rousse qui se tenait sur le pas de la porte.
- ... du sucre ?
- Figure-toi que Hugo et moi nous avons réalisé quelque chose d'horrible.
Derrière la fillette apparut son jumeau, à la tignasse aussi décoiffée et couleur flamme que sa sœur.
- Quoi ? Qu'est-ce qui ne vas pas ? S'inquiéta Alizée.
Bien qu'ils ne soient pas dans le même collège, Hugo et Gabrielle comptaient parmi ses plus proches amis. Ils étaient constamment de bonne humeur et les voir avec un visage aussi sombre la déconcerta.
- Tu te rend compte à quel point notre vie est fade, insipide et terne ? Reprit Gabrielle.
- En d'autres termes, elle est d'une banalité effroyable, compléta son jumeau d'un air effaré.
Malgré elle, Alizée ne put s'empêcher de lâcher un soupir de soulagement.
- Je croyais que vous alliez m'annoncer quelque chose de grave, expliqua t-elle devant leur regard interrogateurs.
- Mais c'est grave ! Répliqua Gabrielle. Je crois que tu n'as pas bien saisi ce qu'on vient de te dire. A ton avis, pourquoi tu lit autant de livres fantasy, si ce n'est pour vivre d'incroyables aventures à travers des personnages génialissimes et dans des mondes étonnant et souvent magique ? C'est parce que ta vie est elle-même est barbante et emplie d'ennuis.
- Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle, reconnut Alizée, perturbée par le raisonnement en partie vrai de son amie.
- Sinon, tu voulais quoi ? Demanda Hugo.
- Ma mère fait un gâteau pour des amies et elle a encore oubliée de vérifier qu'elle avait bien tous les ingrédients.
- Qu'est-ce qu'il te faut cette fois ?
- Du sucre, si vous en avez.
- Ne bouge pas je vais le chercher, s'exclama Gabrielle.
Elle partit en courant à l'intérieur de la maison, laissant Alizée seule avec Hugo.
- Sinon, dit celui-ci pour relancer la conversation, ça fait quoi de se dire que l'année prochaine tu rentre au lycée ?
- J'avoue que ça m'effraie un peu, j'ai du mal à m'y projeter. Pour l'instant j'essaie surtout de profiter des vacances.
- Nous on doit faire des devoirs pour s'entraîner alors qu'on est en vacances. L'horreur ! Nos parents espèrent peut-être que nos notes remonteront et crois moi, ils se mettent le doigt dans l'œil. C'est pas parce qu'on va être en quatrième à la rentrée qu'on va se mettre à bosser pour autant !
Avant qu'elle n'ait eut le temps de dire quelque chose, Gabrielle était revenu avec le sucre.
- Allez, salut Alizée ! S'exclama t-elle.
Hugo serra la main de l'adolescente et la porte se referma sur les jumeaux.
Alizée reprit le chemin du retour, songeant à ce que lui avait dit Gabrielle. Soudain, elle ouvrit la main que Hugo avait serré. Il y avait un bout de papier plié en quatre. Alizée le déplia et lu «RDVOQG16 ». Autrement dit « rendez-vous au quartier général à seize heure ».
Celui-ci était une ancienne grange qu'ils avaient retapés pour en faire leur repaire. Elle se trouvait dans un terrain vague appartenant aux parents des jumeaux.
Alizée sourit et hâta le pas, impatiente de transmettre le message à son frère et à sa sœur.
A l'heure convenue, Alizée se rendit au QG avec sa petite sœur, Mya. Les deux filles avaient peu de points communs mais étaient très complices et toutes deux savaient qu'elles pouvaient compter l'une sur l'autre en cas de soucis.
Arrivées à la grange, elles s'arrêtèrent et crièrent :
- On est là !
La porte s'ouvrit sur Gabrielle. Elle leur sourit et ses joues rondes se creusèrent de fossettes.
- Entrez vite ! On vous attendez.
Alizée et Mya pénétrèrent dans la grange où l'odeur du foin leur frappa les narines. Les deux sœurs s'installèrent à même le sol en face des deux rouquins. Alors qu'ils étaient entrain de discuter du collège et des professeurs qu'ils pourraient avoir à la rentrée, la porte de la grange s'ouvrit et deux garçon entrèrent. Victor, adolescent plutôt réservé hésita un instant avant de s'asseoir à côté d'Alizée.
- Bienvenu à vous Victor et Tiago, les salua Hugo d'une voix cérémonieuse, prenez vos aises, et soyez de bonne humeur : c'est les vacances d'été !
Victor sembla se détendre imperceptiblement tandis que son jeune frère Tiago esquissait un sourire timide. Tous deux vivaient un moment plutôt difficile car leurs parents venaient tout juste de divorcer. Ainsi, si Victor essayait de prendre sur lui pour soutenir son petit frère, ce dernier avait beaucoup de mal à retrouver de la joie de vivre. Et c'était d'autant plus compliqué quand leur frère aîné Hector les ignorait en permanence et ne leur avait adressé aucune parole de compassion ou de soutien. Mais après tout, Hector parlait peu, même avec ses amis. La seule avec qui il s'ouvrait un peu de temps en temps, c'était Gabrielle dont l'éternel optimisme le faisait parfois sourire. Enfin, les rares fois où Alizée les avait surpris en train de parler, ils discutaient surtout de leur passion commune : le sport. Gabrielle avait été diagnostiquée toute petite comme étant hyperactive, de ce fait, elle ne tenait jamais en place et avait besoin de se défouler quotidienne. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne fasse de l'athlétisme ou de l'escalade. Quant à Hector, lui, c'était un véritable passionné de boxe. Il pratiquait ce sport depuis tout petit et malgré son jeune âge, il avait déjà participé à plusieurs concours nationaux. Nul doute qu'il irait loin. Et puisque aucun de ses frères ne semblait vouloir se consacrer à ce sport, Hector appréciait de pouvoir, de temps à autre, en discuter avec quelqu'un qui comprenait son besoin d'utiliser son énergie au travers d'une activité sportive.
La porte s'ouvrit à nouveau et c'était justement Hector qui revenait de son cours de boxe. Ses cheveux blonds trempés de sueur étaient collés sur son front mais il ne semblait pas s'en préoccuper. Grand et imposant, il ressemblait beaucoup de visage à Victor, et malgré leur année d'écart, il était fréquent qu'on les confondent comme étant jumeaux.
- Où est Robin ? Questionna Gabrielle tandis que Hector s'installait à ses côtés.
La rouquine se tourna vers les deux sœurs.
- Vous ne l'avait pas prévenu qu'on avait rendez-vous ?
- Bien sûr que si ! Répliqua Mya. Mais il nous a dit qu'il finissait un truc et qu'il nous rejoignait après.
- Bon, qu'est-ce qu'on fait ? Demanda ensuite Alizée.
Les jumeaux ne furent pas long à trouver une réponse. Ils décidèrent de discuter en attendant Robin, puis de se rendre à la fête foraine qui avait lieu en ce moment-même au centre du village pour fêter la venue des grandes vacances. Hugo et Gabrielle se mirent donc à raconter aux trois frères et à Mya leur réflexion sur la triste banalité de la vie, comme ils l'avaient fait le matin même avec Alizée.
Comme ils débattaient là-dessus, Alizée réfléchit et écouta le raisonnement des jumeaux avec plus d'attention. Elle devait reconnaître que son passe-temps favori était la lecture, notamment de livres de fantasy. Elle les dévorait par dizaines et se plaisait à s'imaginer comme tel ou tel personnage, à chaque fois un être doué de pouvoirs fabuleux et non une personne quelconque à la vie ennuyeuse et sans but réel... comme la sienne.
- Donc, résuma Victor en essayant de comprendre, si on lit autant c'est parce qu'on veut en un sens fuir notre vie ?
- Je ne suis pas d'accord, contra Mya, moi je lis du fantasy mais aussi du fantastique, de la romance, bref un peu de tout et ma vie me convient parfaitement !
- Moi je préfère les documentaires, fit soudain une voix dans leur dos.
Les adolescents se retournèrent. Robin le frère d'Alizée et Mya et accessoirement le plus âgé dans leur groupe venait d'arriver. Il tenait un cahier sous son bras et se laissa tomber par terre, à côté d'Alizée.
- Salutation Robin, dit Hugo en prenant un air pompeux pour plaisanter.
Puis, voyant que l'adolescent ne réagissait pas, il demanda :
- Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Robin soupira et regarda sa sœur cadette de biais.
- On peut dire ça comme ça.
- Vas-y, l'encouragea Gabrielle avec un signe de la main, on t'écoute.
Ce qu'Alizée aimait le plus dans ce groupe, c'était le fait que quand quelque chose n'allait pas, tout les membres se serraient les coudes. Par exemple, quand l'un d'eux avaient une mauvaise note ou traversait un moment difficile, comme c'était le cas avec Victor et Tiago depuis le divorce de leurs parents. A chaque fois, leurs amis avaient été là pour les soutenir et leur apporter un peu de joie et de bienveillance.
Robin soupira une nouvelle fois avant de se lancer.
- Eh bien, commença t-il d'un ton hésitant, il y a quelques jours de ça, en discutant avec un copain du lycée j'ai eu l'idée de faire de la généalogie.
Voyant le regard perplexe des jumeaux, il expliqua :
- Ça consiste à faire l'arbre généalogique de sa famille. Pour l'instant je n'ai pas voulu remonter très loin, seulement jusqu'à mes arrières grands-parents. Or, j'ai commencé – comme vous vous en doutez – par mes parents et surtout mes sœurs. J'ai regardé dans leur album de photos pour en scanner quelques unes. Et dans le tien, Alizée, j'ai remarqué quelque chose d'étrange...
Il s'interrompit et s'agita manifestement mal à l'aise. La jeune fille reconnaissais maintenant le cahier bleu sur lequel ses doigts s'étaient crispés : son album de photo. Elle ne l'ouvrait que rarement car elle n'aimait pas particulièrement se voir en photo.
- Eh bien ? Le relança Hugo, curieux d'avoir la suite, qu'as-tu découvert ?
Robin continuait de fixer sa sœur. L'adolescente sentit l'inquiétude lui nouer la gorge. Contrairement à Mya, elle n'était pas très proche de Robin et qu'il fasse ainsi autant attention à elle voulait dire que sa découverte risquait de la déstabiliser.
Son frère prit une profonde inspiration et se lança à l'eau :
- Voilà : dans mon album et celui de Mya, il y a plusieurs photos de nous à la maternité. Or, dans le tien, il n'y en a aucune. Les premières photos indiquent que tu as un an. Comme j'étais intrigué, j'ai sortis la toute première et là une autre photo a glissé par terre. Elle était... bizarre. Je veux dire qu'elle était floue et surtout en noir et blanc alors qu'on est au XVI ème siècle. La voici.
Robin sortit délicatement de l'album la photo dont il venait de parler.
Essayant de faire taire son appréhension grandissante, Alizée prit le papier et l'examina en silence. On aurait dit que le photographe avait bougé au moment d'appuyer sur le déclencheur. Résultat, on devinait tout juste un nourrisson qui devait avoir quelques heures ou quelques jours. En bas à droite, la jeune fille reconnue son prénom dans une écrite soignée. Pas de doute, c'était elle sur la photo. Le nouveau-né avait les yeux ouvert et semblait la fixer, comme s'il savait des choses qu'elle ignorait.
- Regarde au dos, souffla Robin.
Alizée tourna la photo et aperçus des phrases dans la même écriture nette et sophistiquée. Elle lu à haute voix :
«Elle ne gardera aucun souvenir de son passé jusqu'au moment où elle y retournera et apprendra la vérité.»
L'adolescente détacha avec difficulté son regard des phrases étranges et se tourna vers Robin, dans l'espoir dérisoire qu'il aurait une explication convaincante à lui fournir.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
Malgré ses efforts, sa voix tremblait légèrement.
- Je crois, dit doucement Robin en choisissant soigneusement ces mots, je crois que ça veut dire que tu n'es pas... né ici. Et donc, que je ne suis pas ton vrai frère, et que Mya n'est pas ta vrai sœur et...
- Tu es en train de dire, le coupa t-elle en sentant un effroi glaçant l'envahir, que j'aurai été adoptée ?
Robin se tu, hésita et finit par hocher la tête.
- Non... murmura t-elle la voix soudainement rauque, ce n'est pas ... possible... je... ne...j'ai besoin d'air.
Alizée se leva d'un bond et sans tenir compte des mines ahuris des ses amis et du regard désolé de Robin, elle sortit un trombe de la grange et courut jusqu'à chez elle. L'adolescente ravala ses pleurs, mais lorsqu'elle fut dans sa chambre, à l'abri des regards, elle fondit en larme et se laissa tomber sur son lit.
De quel droit Robin se permettait-il de fouiller dans ses affaires ? Et pour mettre toute sa vie en l'air qui plus est !Mais d'un autre côté, il n'aurait jamais inventer cette histoire dans le but de lui faire du mal. Cela voulait-il dire qu'il avait raison ? Que croire ? Qui croire ?
Alizée était perdue. Ce qui lui semblait acquis depuis des années volait soudainement en éclat et rien ne semblait être sûr. Si elle avait vraiment été adoptée, pourquoi ses parents –ou plutôt ses faux parents – ne lui en avaient-ils jamais parlé ?Pensait-il qu'elle n'étais pas assez grande, pas assez forte pour affronter la terrible vérité ? Comment savoir ?
Malgré sa profonde envie de savoir si Robin avait deviné juste ou s'était trompé, Alizée ne se sentais pas capable de poser la question à ses parents. De plus, s'ils l'avaient réellement adoptée, pourquoi dans ce cas ses véritables géniteurs l'avaient-ils abandonnés ? Était-ce parce qu'ils n'avaient pas eut le choix ? Ou alors n'était-elle pas assez bien pour eux ? Mais on ne peut quand même pas laisser tomber volontairement une petite fille d'un an ! Si ?
Toutes les certitudes d'Alizée, les choses les plus simples qu'elle avait l'impression de connaître depuis toujours s'étaient effondré. Plus rien n'était stable, elle avait la désagréable sensation d'être en insécurité tant qu'elle ne connaîtrait pas l'entière vérité.
Tout à coup, Alizée se rappela un événement qui, à l'époque lui avait parut curieux mais sans importance. Elle devait avoir onze ou douze et ils étaient à un repas de famille. A un moment dans la conversation, ses tantes et sa grand-mère avait parlé de leur accouchement plus ou moins facile. Alizée se souvenait maintenant que sa mère avait parlé de celui de Robin et de Mya mais pas du sien. Sur le moment, elle s'était dit que le sien avait dû être particulièrement facile et sans douleur. Mais maintenant, elle comprenait. Sa mère ne pouvait pas parler de son accouchement puisqu'elle ne l'avait pas vécu ! Et plutôt que d'inventer quelque chose qui risquait d'attirer l'attention, elle avait préférée passer sous silence la naissance d'Alizée. Mais alors, à part Robin, Mya et ses parents, d'autres personnes savaient-elles qu'elle ne faisait pas réellement partie de leur famille ?
Épuisée par cette découverte et la tempête qui grondait dans son esprit et bien que ce fut seulement la fin de l'après-midi, Alizée finit par sombrer dans un sommeil agité et pas le moins du monde réparateur.
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