Chapitre 2 - Le passé

Emily n'arrive pas à dormir. Elle est encore tourmentée par ses révélations de la veille. Personne n'était venu chercher son journal. Elle avait même fait semblant de dormir pour voir s'ils viendraient pendant son sommeil : mais non. Personne, pas une âme qui vive. Peut-être que le professeur Newman lui avait donné un vrai conseil. Il ne lui avait pas menti en déclarant que ce journal lui était personnel, du moins, jusqu'à la fin de son séjour. Telle une biche craintive sortant de la forêt pour la première fois, Emily se lève de son lit, soulève le matelas pour y récupérer sa petite lampe de poche et cherche à tâtons le carnet vert pâle. Ca y est, elle l'a trouvé. Elle le sert dans sa main et tourne la tête pour chercher la caméra. Aucune lumière rouge. Elle n'est pas observée. Armée de sa lampe frontale et de son vulgaire stylo rose à paillettes, la jeune adolescente s'assied avec douceur sur son lit, tourne les pages de son journal, prend une feuille vierge et commence à y inscrire :

Le 26 septembre : 23h45

Cher journal,

Le professeur Newman m'a affirmé qu'écrire dans ce carnet était la dernière étape de ma réhabilitation. Je le crois maintenant. Ce carnet est personnel et me permettra d'oublier le passé, d'aller de l'avant et de faire mon deuil. Il est donc temps de percer l'abcès et de s'attaquer au nœud du problème : mon père.

Emily fait une pause, inspire et expire, appréciant chaque bouffée d'air frais. Elle devait le faire, elle doit le faire. C'est son unique chance de partir d'ici : écrire et faire son deuil. La jeune fille reprend son récit, priant pour quitter cet endroit de malheur.

Mon père est mort dans un accident d'avion en direction de New-York.

Bref, court et précis. Cette phrase est tellement simple mais terriblement vraie et qu'est-ce que ça fait du bien. Elle l'a dit, elle l'a fait. Mais ces quelques mots ont suffi à déclencher des tremblements incontrôlables et des sueurs froides chez l'adolescente. Il faut qu'elle continue, elle le sait.

Il était PDG d'une grande entreprise de technologie, basée dans le Downtown LA. Los Angeles était sa ville préférée et la mienne aussi. Nous avions beau voyager à travers le monde, nous ne nous sentions que totalement heureux ici. J'avais la chance de côtoyer des écoles prestigieuses et de faire partie d'un milieu au-dessus de la moyenne : belle maison, beaux habits, belles manières. Du moins, c'est ce que je croyais. Tous les gens faisant partie de ce monde ne sont que des lâches et des hypocrites. Ils sont vos meilleurs amis mais vous abandonnent dès qu'il y a des complications. Je déteste ces gens-là, des personnes pareilles à ma mère. J'ai beau lui ressembler comme deux gouttes d'eau, je n'en suis pas moins complètement différente. C'est pour ça que je m'entendais magnifiquement bien avec mon père : « même caractère, même cœur », comme il aimait me le dire lorsque j'étais plus jeune.

Emily sourit à cette pensée : « Même caractère, même cœur ». Si différent mais si proche à la fois. C'est ce genre de relation père-fille qu'elle a eu la chance de partager. Elle jette un coup d'œil à sa montre DKNY, un cadeau de sa mère. Elle a du mal à l'admettre mais celle-ci a pour une fois eu une excellente idée. Le cadran indique minuit passé de vingt-cinq minutes. Cela fait déjà quarante minutes qu'elle divague et se laisse aller à ces bons souvenirs. Mais elle doit impérativement se coucher. Elle ne veut pas se faire prendre en flagrant délit et rester un mois de plus à Heavenhakken. Le professeur lui avait dit qu'elle sortirait début octobre. Plus qu'une minuscule semaine à tenir. Elle ne peut donc pas se permettre le moindre faux pas.

Emily éteint sa lampe frontale, la range avec son journal en-dessous de son matelas et attend. Elle attend que le sommeil vienne. Mais son cerveau n'est apparemment pas de cet avis. Une petite voix lui souffle de terminer son récit. Elle ne peux pas rester comme ça, indéfiniment perdue et triste : elle doit en finir. Et le seul moyen d'y arriver est de raconter cette putain de journée qui a chamboulé sa misérable vie. Les larmes dévalent ses joues, ses mains tremblent. Non, elle ne peut pas rester comme ça, dans un monde de crainte et de désespoir. Elle doit s'en sortir, pour son père. Maintenant qu'elle est à nouveau elle-même, elle doit raconter cette journée. C'est son unique chance de sortie.

Comme si elle était en manque, elle saute brusquement hors de son lit, manquant de trébucher, reprend sa lampe et son journal, s'assied à terre et tourne les pages d'une main tremblante et humide.

Le 27 septembre : 1h02

Cher journal,

Je dois te le dire, je dois l'écrire. Ce n'est pas que je le veuille...Mais c'est une obligation. Je dois aller de l'avant, je dois écouter les conseils du professeur Newman et tout redeviendra comme avant. J'aurai mes deux meilleures amies, ma mère et mon ancien lycée. Tout sera à nouveau dans l'ordre, tout,...

J'étais à l'école, on devait être en mars et j'avais quinze ans. Je parlais avec mes deux meilleures amies : Vanessa et Rebecca. On était comme des sœurs, nulle n'avait de secrets pour l'autre. Nous étions en cours de mathématiques et on se moquait ouvertement de notre professeur : Monsieur Ruberstein. Tu nous excuseras mais avec un nom pareil...on ne pouvait pas s'en empêcher. Bref, on était pliée en quatre et le pauvre tentait désespérément de nous ramener à l'ordre, mais sans succès.

Il faut dire que j'étais une sale gosse de riche. Je me comportais comme une garce et prenait tout le monde de haut car j'avais de l'argent et mon père était « quelqu'un ». Quand j'y repense, c'est vraiment stupide car moi, au fond, je n'étais personne. Juste la fille de Roger Vegas.

C'est alors que la principale est entrée comme une tornade dans la classe et m'a demandé de son ton sévère de la suivre dans son bureau et je cite, tout de suite ! Je peux vous dire qu'on ne rigolait plus à ce moment-là. J'ai regardé mes meilleures amies qui étaient perdues, tout autant que moi. J'avais ensuite quitté le cours sous le regard curieux des élèves pour suivre les cliquetis des talons hauts, qui étaient ignobles soi-dit en passant, de notre principale. Une fois arrivée à son bureau que je ne connaissais que trop bien, elle m'invita à m'asseoir et me considéra d'un œil nouveau. Pas celui plein de reproches et d'accusations que j'avais l'habitude de voir lorsque les filles et moi avions fait une connerie. Non, c'était plutôt un regard plein de pitié et de tristesse. Je me souviens que j'avais été surprise et terrassée par son regard bleu-gris. Rien qu'en un regard, elle avait réussi à me clouer le clapet. Je respirais à peine et attendais qu'elle prenne enfin la parole. L'air dans ce bureau était tellement insupportable. Il faisait lourd et chaud et lorsque Madame Brownski ouvrit la bouche, l'atmosphère se fit dix fois plus pesante. J'étais écrasée sur mon siège, haletante, sans savoir réellement ce qu'il se passait. Sûrement un sixième sens.

« Mademoiselle Vegas, je suis vraiment désolée de devoir vous annoncer cela...

-Quoi ? On se moquait juste de lui...pas de quoi en faire tout en plat ! la coupai-je, tout en ricanant nerveusement, ne voulant pas entendre la suite de cette phrase qui n'augurait rien de bon.

-Pardon ? Je pense qu'il y a un malentendu. »

Elle soupira

« Je ne vous convoque pas pour votre comportement, bien que déplacé, en classe. Je vous ai convoquée parce que votre mère m'a chargée de vous annoncer une terrible nouvelle. »

Autre inspiration.

« Cela concerne votre père...

-Je...que ce passe-t-il ? »

Mon cœur battait la chamade. J'ai soudainement été prise d'un mauvais pressentiment, j'avais comme un trou dans la poitrine et j'avais du mal à respirer.

Encore une inspiration.

« Euh, comment dire...Il y a eu un terrible accident tôt ce matin. Votre père, qui était à bord du Boeing A67 en direction de New York a...

-A quoi ? Mais bon Dieu dites-le moi à la fin, m'emportais-je ! »

Elle se leva, tapa sa main sur son bureau et déclara :

« Il est mort ! Votre père est mort ! »

Elle se rassit, livide, le visage blême. Mon cerveau avait encore du mal à digérer ces informations. Pourquoi me dit-elle une chose pareille ? Ma mère aurait pu me prévenir non ? Elle aurait pu me le dire elle-même à la place de donner à cette pauvre Madame Brownski une charge aussi lourde. Je comprenais maintenant sa réaction et j'eus pitié pour elle. Les larmes coulaient abondamment sur mes joues alors que je me répétais sans cesse : « mon père est mort, mon père est mort, mon père est mort ». Comment avait-il pu me laisser ! Me laisser avec une femme qui n'était même pas capable d'annoncer à sa propre fille la mort de son mari ! Il m'aimait, il me l'avait dit. Il ne pouvait pas, non il ne pouvait...

Je refusais d'y croire et un tourbillon de colère et de tristesse s'empara de moi.

Je m'étais laissée glisser le long de ma chaise et était maintenant affalée sur le sol, le visage baigné de larmes et les membres tremblants. Je me souviens que Madame Brownski me caressait tendrement le dos en me disant que ma mère arrivait, qu'elle viendrait et que tout s'arrangerait. Mais comment tout pouvait s'arranger ? Mon père était mort.

La porte s'ouvrit et deux mains fraichement manucurées se posèrent sur mes épaules. Je me dégageai de cette prise. Je ne voulais pas que ma génitrice pose ses mains sur moi, pas après ce qu'elle avait fait. Elle retira ses mains et me regarda avec étonnement. Je n'ai pas décelé une seule once de tristesse dans son regard. Je me suis recroquevillée dans un coin du bureau, le dos appuyé sur le mur et les bras entourant mes genoux afin de les ramener à ma poitrine.

A travers mon chagrin, je n'étais pas en colère contre mon père pour être parti et m'avoir abandonné, ni contre le pilote du Boeing pour avoir tué mon père ni contre le monde entier comme j'aurais dû l'être, comme n'importe qui aurait dû l'être. La seule personne que je haïssais, c'était ma mère. Et je m'étais promise ce jour-là que jamais, au grand jamais, je ne la pardonnerais pour m'avoir laissé seule face au décès de mon père.

***

« Où est-elle bon sang ! Elle n'a pas pu disparaître ! s'exclame la jeune dirigeante.

-Je ne sais pas, Tari, nous avons perdu sa trace il y a un an et depuis, nous ne l'avons plus retrouvée, se justifie le jeune homme, honteusement.

-Vous êtes censé être le meilleur soldat Ethan ! Je peux savoir comment cela se fait que vous n'avez aucune nouvelle depuis plus d'un an ? s'emporte la jeune fille.

-Je ne sais pas...Mes combattants sont pourtant dispersés dans tout l'état de Californie...Je...

-Ne vous justifiez pas. Je vais envoyer moi-même une personne compétente.

-Je... »

Et Ethan se retrouve seul dans la salle du Conseil, honteux d'avoir failli à sa mission.

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Un peu de suspens pour terminer ce deuxième chapitre !

Vous en savez maintenant un peu plus sur notre fameuse Emily.

-> Qui est ce mystérieux Ethan ?

-> À votre avis, qui cherche-t-il ?

N'hésitez pas à répondre dans les commentaires !

La suite au prochaine chapitre ;) !

***

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