Chapitre 1 - Heavenhakken
Le professeur Newman a eu la bonne idée de croire qu'Emily devait écrire un journal intime. Non mais franchement, quelle idée absurde ! D'après lui et sa science infuse, cela l'aiderait, lui ferait oublier le passé et elle pourrait soi-disant mieux aller de l'avant, faire son deuil,...Bref, des conneries et en plus elle a eu le malheur d'assister à un grand discours scientifique durant une demi-heure pour au final recevoir un vieux carnet vert pâle tout pourri et un stylo rose à paillettes. Non mais...elle n'avait plus six ans tout de même.
N'arrivant pas à réfréner sa curiosité maladive, elle tourne le carnet dans ses mains et l'inspecte dans tous les sens. Les premières pages ont été arrachées et la reliure est abîmée. Elle pense sérieusement que ce carnet est passé de mains en mains au fil des siècles...Brrr...dégoûtant. Elle jette le carnet répugnant dans le coin de sa cellule et retourne s'asseoir sur son lit peu confortable. Les draps blancs et violets n'ont pas été lavés depuis des mois et elle commence vraiment à en avoir assez de ce milieu blanc et parfait, sans tâche ni défaut. Toute cette perfection lui retourne l'estomac : la perfection n'existe pas, et elle a la fâcheuse impression d'être la grosse tâche de ketchup sur un top blanc tout neuf. Sa pièce fait à peine dix mètres carrés et elle n'arrête pas de tourner en rond, comme en lion en cage, en attendant qu'on la sorte de là. Elle sent la petite caméra installée au coin supérieur gauche de sa cellule l'observer. Elle sait ce qu'ils attendent d'elle : ils veulent qu'elle écrive dans ce foutu journal pour pouvoir analyser son comportement et ses pensées. Mais c'est hors de question ! Elle n'a jamais écrit de journal de sa vie et elle n'allait pas s'y mettre maintenant. Elle n'a jamais respecté leurs règles et s'était toujours rebellée face à ce système ridicule. Elle ne compte même plus les mois qu'elle a passé dans cet établissement de malheur tellement elle en a plus qu'assez de rester toute la journée dans cette cellule aseptisée. Mais d'un autre côté, si elle veut un jour sortir d'ici, elle doit se plier à leurs règles. Et elle veut sortir...
Elle décide enfin de se lever, faisant grincer les ressors de son lit en fer, et ramasse le carnet maintenant éventré, n'ayant pas survécu au choc. Elle lance son plus beau sourire hypocrite à la caméra en levant le carnet et va s'asseoir en tailleur sur le sol froid et blanc, le dos en appui sur le mur. Elle tourne la première page du carnet, toujours observée par cette petite bête noire tapie dans l'ombre. Rien, du blanc. Que des pages blanches immaculées. La bile lui monte à la gorge rien qu'en fixant cette couleur infâme. Certains pensent que le blanc est signe de pureté, de bonté et de légèreté. Avant, elle voyait le blanc comme une possibilité de construire son rêve, de s'évader. Mais maintenant, cette couleur lui donne juste envie de vomir.
Elle lève le petit stylo rose à paillettes et le tient fermement dans sa main, en espérant que les mots viennent d'eux-mêmes. Mais rien n'y fait. L'angoisse de la page blanche. Elle relève sa tête et fixe encore cette stupide caméra d'un œil meurtrier. Pour le bonheur de l'humanité, mais surtout pour le sien, elle doit prendre son courage à deux mains et commencer à écrire. Elle s'applique soigneusement, ajoutant de petites fioritures par-ci, par là. Elle sourit intérieurement : ils doivent penser qu'elle écrit un roman et être heureux de sa coopération. Mais la jeune fille a juste calligraphié son prénom. On peut maintenant lire en grande lettre manuscrite.
EMILY VEGAS
Elle est fière d'elle. Elle a passé dix minutes à perfectionner son œuvre. Elle lève à nouveau la tête et constate, à son plus grand désarroi, que la lumière rouge de la caméra est toujours allumée. Zut, son petit subterfuge n'a pas fonctionné comme elle l'espérait. Ils l'observent encore et en attendent plus. Elle souffle, leur faisant clairement comprendre qu'ils l'agacent. Mais c'est peine perdue, la lumière est toujours allumée et cette stupide caméra la surveille encore et toujours. Elle tourne donc une page supplémentaire. Elle réfléchit, faisant fonctionner ses méninges. Elle est excitée par l'envergure que prend cette nouvelle règle. Cela faisait longtemps que la jeune fille n'avait pas autant ri et réfléchi. Elle pouvait enfin jouer et ruser, ce qu'elle n'avait pas eu le courage de faire depuis bien longtemps. Elle remet sur son épaule la manche de sa robe de chambre qui avait légèrement glissé sur son bras. Puis elle commence à écrire, tout en souriant malicieusement en pensant à son idée de génie. Pourquoi ne pas écrire ce qu'ils savent déjà ? Elle aura fait sa part du boulot en respectant la consigne de Newman et ne pourra pas être punie plus que ce qu'elle ne l'est déjà. Eux, de leur côté, auront de quoi l'analyser. Parfait, juste parfait.
Le 25 septembre : 10h25
Cher journal,
Non, elle ne peut pas écrire ça. Quoique...Jouons le jeu à fond.
Commençons d'abord par une petite présentation, qu'en penses-tu ?
Ca y est, elle commence à parler à du papier...Pathétique. Elle pousse un autre long soupir et continue d'écrire.
Je m'appelle Emily Vegas, j'ai seize ans.
Sans blague, comme s'ils ne le savaient pas. Elle fait taire sa conscience et reprend son écriture.
Je suis enfant unique (heureusement car je n'aurais pas supporté un mini moi courant dans tous les sens en criant et en pleurant).
Venait-elle réellement d'écrire ça ? Apparemment oui...Ce journal la fait complètement délirer. Mais c'est plus fort qu'elle. Elle ressent d'un coup un besoin viscéral de se confier. Sa réaction l'étonne et lui fait peur. Le professeur Newman n'aurait-il pas raison ? Ne se libérerait-elle pas d'un poids en expliquant enfin ce qu'il s 'était passé ? Cela fait tellement longtemps qu'elle n'a parlé à personne. Elle pense même qu'elle n'a jamais raconté le fin mot de l'histoire. Refaisant monter les souvenirs en elle, elle laisse sa plume la guider.
Ma mère est une magnifique femme et je l'adore, enfin, je l'adorais. Mais ça, c'est une autre histoire. Elle a maintenant trente-huit ans et en paraît pourtant vingt. Elle est tombée enceinte de ma petite personne à l'âge de vingt-deux ans. Elle est institutrice maternelle à l'école Fanburg, mon ancienne école primaire. Elle me ressemble énormément : un visage rond avec un nez délicat, des lèvres fines, des yeux noisettes resplendissants et des longs cheveux bruns bouclés. Je suis, comme elle, assez grande, 1m75, et assez élancée. Mon père...
Elle s'arrête. Tout ça va beaucoup trop loin. Elle ne peut pas parler de son père, pas maintenant. Elle repousse le journal et se recroqueville sur elle-même. Qu'est-ce qui lui prend tout à coup ? Elle ne veut pas se rappeler, et encore moins l'écrire et le raconter à ces gens-là. Emily regarde le carnet. Il la nargue, c'est sûr. Il veut qu'elle lui confie tous ses secrets, mais il en est hors de question. Jamais elle ne fera ça. L'ancienne Emily, oui. Mais pas la nouvelle. La nouvelle est devenue forte et n'est pas intimidée, en tous cas, pas par un stupide carnet vert moche et inutile. De toute façon, que pouvait-elle bien écrire au sujet de son père ? Elle ne se souvenait pas de lui. Son visage, son sourire, ses yeux, ses blagues, son odeur,...Tout, elle avait tout oublié. Elle avait noyé ses derniers souvenirs de lui un an plus tôt dans l'alcool et la drogue. Elle n'avait pas fait tout ça pour se remémorer tous les moments douloureux seulement un an après quand même. Foutu camp de désintox ! Ce trou à rats allait la tuer, elle est en convaincue.
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Voici le premier chapitre de mon roman. J'espère qu'il vous a plu.
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La suite au prochaine chapitre ;) !
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