Chapitre 7

Il s'agit tout d'abord d'un éclat fugace au coin de l'œil. Puis la vision prend lentement forme devant soi. Elle prend de la place également dans notre univers mental. Elle grandit, se développe et se déploie. Une vision peut sembler sans consistance aucune mais elle n'en reste pas moins réelle sur un plan de réalité différent. Partager une vision, c'est accepter de se rejoindre tout en étant à une distance considérable l'un de l'autre. 

La migraine la poursuivait depuis deux heures maintenant. 

C'était une douleur lente, à vous broyer le crâne sous un étau. Dans une vaine tentative pour soulager un peu la douleur, Yuzu posa sa tête contre la porte d'un placard de la cuisine de son appartement de fonction au Magisterium. La porte était fraîche mais cela ne changea pas grand-chose à son mal de crâne persistant. Elle prit un verre d'eau, but une gorgée puis marcha vers sa chambre. La pièce baignait dans la pénombre et Yuzu se glissa entre les draps en grognant. Sa tête tomba sur l'oreiller et elle ferma les yeux, espérant parvenir à dormir malgré tout. Après la séance au Consiliarerum, elle en avait plus que besoin.

Une voix lancinante s'éleva alors dans le noir. Yuzu se sentit froncer les sourcils à ce son qui lui écorchait les oreilles. Ce n'était pas vraiment la voix mais plus la qualité de l'enregistrement qui grésillait terriblement. La voix féminine persistait pourtant à chanter 'la vie en rose' sur un ton éraillé. Yuzu s'agita. Elle sentait que quelque chose n'allait pas. Son corps lui paraissait flotter entre deux eaux, une sensation intimement familière. Une vision. Un claquement de mains retentit. 

- Bravo. Vous êtes rapide. 

Yuzu comprit alors ce qui se passait. Privée de choix, elle força son corps physique à se détendre et à plonger vraiment dans le sommeil. Alors qu'elle lâchait prise sur la réalité, elle sentit son esprit descendre, encore et encore, comme le long d'un interminable escalier en colimaçon, qui tourne sur lui-même à l'infini ... 

- Outch ! Vous allez me donner le tournis ! Arrêtez cela nom d'une pâquerette ! 

Ses pieds touchèrent enfin quelque chose de moelleux. Probablement une moquette. Yuzu consentit enfin à ouvrir les yeux pour hausser un sourcil devant le décor choisi par son visiteur nocturne. Son esprit se trouvait dans une pièce ronde, dont les murs étaient molletonnés avec du damas rouge. Un feu crépitait dans la cheminée sur sa droite et deux fauteuils - d'un rouge bordeaux cette fois-ci - avec de grands dossiers attendaient qu'on y prenne place. Pas de fenêtre mais des rideaux en satin doré pour égayer un peu les murs et quelques tableaux avec des personnages ayant triste mine. Un vieux tourne-disque posé sur une petite table basse et qui diffusait 'la vie en rose' d'Edith Piaf complétait l'insolite situation. 

- C'est... agressif, fit remarquer Yuzu. 

Son interlocuteur ne s'embarrassa pas à lui répondre, trop occupé à la dévisager de haut en bas. Il faut dire qu'elle portait en tout et pour tout un vieux tee-shirt noir délavé dont une des manches pendait sur son épaule et un legging gris qui s'arrêtait en dessous de son genoux. 

- Je vous imaginais autrement, avoua l'homme. 

- Il fait nuit. Les gens dorment la nuit, répliqua Yuzu sur le ton du reproche. 

Ce fut son tour d'examiner l'inconnu qui venait de troubler les quelques heures de sommeil qu'elle était parvenue à grappiller. Il était plutôt grand et vêtu décemment contrairement à elle. Un pantalon en lin couleur sable et une chemise bleu pâle. Des cheveux blond vénitien, soigneusement lissés et peignés en arrière à l'exception d'une mèche qui tombait négligemment devant des yeux bleu ciel. Une mâchoire ferme couronnée d'un sourire avec des fossettes. Et détail supplémentaire : des boutons de manchettes argentés. L'accessoire, plutôt désuet, tranchait avec le reste de la tenue et même de la pose, résolument adaptées au monde moderne. Cet homme avait du charisme, pensa immédiatement Yuzu. Beaucoup de charisme. Et sans doute un peu trop foi en sa capacité à séduire les gens pour penser à déranger la Gardienne des Savoirs en toute impunité, même à travers ses visions. 

- Blaise Matelson, je présume ? demanda Yuzu, feignant d'être blasée. 

L'autre ne s'embêta pas à dissimuler sa surprise. 

- Et bien, vous êtes vraiment forte ! Ça, ça correspond plus à ce que j'attendais ! siffla Matelson.

- Et à quoi vous attendiez-vous donc ? 

- Une femme assez petite à la démarche déterminée, au long manteau noir flottant dans le vent, de même que sa tresse écarlate, au regard perçant et glacial, à l'aura menaçante qui incite le respect immédiat ! 

- Vous vous enflammez un peu trop... 

- Professeur. Si vous me permettez, je propose que nous nous asseyions et que nous fassions des présentations formelles. Nous avons beaucoup à discuter vous savez, s'exclama Matelson d'un ton ravi. 

Il tendit la main vers les deux sièges, laissant Yuzu choisir celui qu'elle préférait. Elle hésita un instant et prit celui le plus proche. La pièce ne semblait posséder ni porte ni fenêtre. Mais si ce que la Gardienne des Savoirs pensait était exact, cela n'avait pas vraiment d'importance puisque l'endroit n'était pas réel. Matelson sourit à sa manière, un grand sourire un peu ironique, ses fossettes faisant ressortir le côté rondouillard de sa figure. 

- Je me présente donc : Professeur Blaise Matelson. Vous devez déjà vous en douter mais je suis aussi un sorcier Mar Bar Shalkikku, je ne vous apprends donc rien. Je suis spécialisé dans un domaine de recherche un peu particulier : la génétique magique. J'étudie la reproduction à l'aune du facteur magique. C'est un tel plaisir de vous rencontrer ! 

Il tendit la main vers Yuzu. Celle-ci le regarda en face puis baissa les yeux vers sa main avant de soupirer.

- Je m'appelle Yuzu Li D.D. Schwartzen. Je suis également Mar Bar Shalkikku et je siège au Consiliarerum à la fois en tant que ma propre représentante et Gardienne des Savoirs de Sa Majesté. Je suis actuellement en charge de l'enquête sur le meurtre de Bhuvan Mahto, trafiquant connu du service des Inquisiteurs, et pour lequel vous êtes actuellement le principal suspect. C'est également un plaisir de vous rencontrer, professeur Matelson. 

Matelson cligna des yeux, surpris. 

- Vous êtes directe.

 - Je déteste m'ennuyer dans une conversation. Être directe surprend et surprendre les gens est un excellent moyen d'éviter cela. Sans compter que cela permet aussi d'aller droit au but et d'en finir au plus vite. 

Yuzu se cala plus confortablement dans son fauteuil et croisa les jambes pour mieux observer l'intriguant personnage en face d'elle qui réfléchissait visiblement sur la tournure à donner à cette conversation.

- Je n'étais pas sûr que vous viendriez, finit-il par avouer. 

Yuzu haussa les sourcils. 

- Vous êtes la Gardienne des Savoirs. Certes vous avez de nombreux ennemis mais votre virtuosité en magie est reconnue. La Reine vous respecte en cela, sans compter votre formation chez les Inquisiteurs. Je me doutais donc que votre esprit était protégé et qu'il était inutile de tenter de vous imposer un rêve ou autre chose ... Non seulement vous m'auriez détecté mais en plus vous auriez pu remonter jusqu'à moi. J'ai donc préféré user d'un sort peu commun : j'ai projeté mon esprit dans une vision. Et j'ai parié sur le fait que vos pouvoirs feraient le reste, termina-t-il avec un sourire enjôleur. 

Yuzu grinça des dents. 

- C'est malin. Vous avez parié sur les rumeurs de mon don de vision. J'ai une vision de vous au présent et vous avez votre propre vision de moi parce que j'ai répondu à la vôtre. Cette pièce ou plutôt ce pan de réalité nous permet de nous rejoindre mais dans le même temps nous ne pouvons atteindre l'autre car nous sommes enfermés dans nos visions respectives. Du beau travail. 

Et il avait surtout compris que son esprit, aussi bien protégé qu'il était contre les invasions extérieures, ne pouvait rien contre un don intérieur.

- À ma décharge, c'est la cinquième fois que je viens ici. Je vous ai attendue durant des heures, se plaignit-il. 

- Vous semblez être terriblement désoeuvré pour un criminel en fuite, Professeur. Voulez-vous que je vous aide à trouver de l'occupation ? Ironisa Yuzu. 

- Non merci. Vos occupations sont un peu trop radicales pour moi, Mar Bar Shalkikku.

- Alors pourquoi vous donner tant de peine pour me rencontrer sans risque ? 

- J'ai une demande à vous soumettre.

- Celle de mourir rapidement et sans douleur ? Matelson frissonna. 

- Sur le nom de Levahatein, certainement pas. En fait, mourir de votre main ne fait pas du tout partie de mes plans actuels. J'aimerais que vous prouviez mon innocence dans le crime dont vous m'accusez ! 

Yuzu posa son coude sur l'accoudoir du fauteuil et glissa négligemment sa tête sur son poing pour observer de biais son interlocuteur. Voilà qui était nouveau. 

- Vous êtes innocent ? 

- Du crime dont on m'accuse oui ! 

- Ah. Donc vous n'êtes pas innocent tout court. 

- Mais qui l'est donc aujourd'hui ? Surtout après des siècles d'existence ! 

- Donc, si je creuse, je devrais bien trouver une raison pour vous exécuter de ma main ? 

Matelson fit la grimace. 

- Vous êtes vraiment têtue, lui reprocha-t-il. 

- C'est effectivement l'un de mes nombreux pouvoirs magiques, répliqua Yuzu. 

- Je suis victime d'une conspiration politique. On a donné mon nom en pâture au Consiliarerum car mes recherches dérangent, voilà tout ! Serez-vous ma preuse chevaleresse, Gardienne des Savoirs ? 

Il battit même des cils pour faire bonne mesure.

- Je suis sûre que rien ne plairait plus à Lizbetta que de me faire nettoyer son linge sale. Néanmoins, je pense, professeur, que vous n'êtes pas victime dans cette affaire. Vous avez voulu jouer au même niveau que les autres mais voilà, vous êtes finalement l'agneau sacrificiel de cette conspiration et vous cherchez maintenant un bouclier ... Sur quoi porte vos recherches, professeur ? 

- Je proteste devant vos accusations sans fondement ! Et pourquoi donc cette question sur mes recherches ? C'est hors de propos.

- C'est vous qui avez dit qu'elles dérangeaient. Cela me paraît donc à propos de vous demander, rétorqua sèchement Yuzu. 

- Je doute que vous puissiez y comprendre goutte, gloussa Matelson. 

Yuzu le fixa d'un regard glacial, réprimant l'envie de lui fermer le caquet. 

- Vos recherches doivent aborder des sujets bien spécifiques et dangereux pour que vous ayez besoin de contacter un trafiquant de grimoires volés pour vous procurer des livres interdits ? 

Là, Matelson se figea. La Gardienne des Savoirs était plus fine que ce qu'il pensait. Le jeu en valait toujours la chandelle mais il venait aussi de se corser considérablement. 

- Je vous laisse trouver la réponse à cette question vous-même. C'est votre travail après tout, conclut-il sur un ton dédaigneux. 

- Soit. Puis-je vous poser plus de questions ou votre coopération pour prouver votre innocence s'arrête là ? Demanda Yuzu, en frottant ses ongles contre le tissu du fauteuil. 

Matelson plissa les yeux. 

- Je crois que je préférais quand nos échanges restaient cordiaux. 

- Je crois que vous préfériez quand je faisais semblant d'être crédule et je tolérais votre ton de professeur. Rappelez-vous qu'il est difficile de donner un âge à une Sorcière, Blaise Matelson. 

- Ah ! Parce que vous croyez que je n'ai pas fait mes recherches ? Tsss ... Enfin peu importe. Reprenons. Je n'ai pas pratiqué ce rituel 5 fois pour que nous nous disputions comme des chiffonniers ! 

Yuzu leva les yeux au ciel. 

- Quelle est votre relation avec Jessica Miller ? 

Matelson ouvrit de grands yeux ahuris. 

- Qui ça ? 

- Jessica Miller, s'agaça Yuzu, la fille de Wolfgang Miller, parrii du clan d'Aheela ! 

- Ah. Oui. Celle-là. 

- La mère de votre enfant. 

- L'enfant compte bien plus à mes yeux que la mère, sans vouloir vous offenser. 

- J'avais cru comprendre. Un désir soudain de paternité ? 

Le visage de Matelson se fit sérieux, tous ses traits se contractant. Il déglutit bruyamment, comme sur le point d'accomplir un acte déchirant. Yuzu se tendit dans l'expectative. 

- Cet enfant ... C'est un garçon vous savez ? Ce fils ... il n'est pas encore né mais j'en suis déjà fier. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point. 

Ses yeux s'illuminaient au fur et à mesure qu'il parlait. Ses mains commencèrent à s'agiter, révélant son émotion. 

- La question est indiscrète mais avez-vous déjà eu des enfants, Mar Bar Shalkikku ? Vu ce que je suppose sur votre âge, je dirai que non mais bon. J'ai attendu cela toute ma vie je crois. Enfin, probablement pas toute ma vie mais ... Cela fait longtemps que j'y pense. Avoir un enfant. Quelqu'un de votre sang, qui vous ressemble, qui continue votre héritage. Une personne avec qui partager votre soif de connaissances, vos rêves, vos ambitions, nourrir cette nouvelle vie avec toutes les expériences vécues dans une vie ... ! N'est-ce pas une idée formidable ? La fierté que l'on ressent à l'idée de ces futures réussites ? 

Il s'enflammait. Il était passionné par ce bébé, Yuzu ne pouvait le nier. Il allait certainement tenter de le récupérer mais vraisemblablement pas avant que Jessica n'accouche, vu le peu de cas qu'il faisait d'elle ... À cette pensée, Yuzu eut une vague de pitié pour la jeune femme. Entre son clan, son père et le père de son enfant, personne ne semblait vraiment lui prêter d'attention ou même de crédit. 

- Alors, répéta impatiemment Matelson, vous comprenez ? 

La lueur dans ses yeux, percuta Yuzu, en pleine face. Elle lui donnait un air dérangé. 

- Je pense pouvoir concevoir cela oui. Voir la personne que vous avez élevé, l'enfant à qui vous avez tant donné réussir et s'élever ... C'est une joie énorme et une fierté très noble. 

- Ahaha oui ... Vous voyez donc un peu ce que je ressens aujourd'hui ... et mon désespoir à la perspective d'en être privé ! Jessica ... Jessica n'est rien. C'est une vulgaire parrii et si j'avais eu le choix, elle n'aurait jamais été la créature pour porter mon enfant. 

- La créature ? Répéta Yuzu. 

Matelson lui lança un regard blasé. 

- Les parrii sont pires que les humains vous savez. Les humains ne prétendent pas à une magie auxquels ils n'ont aucun droit, pour laquelle ils n'ont pas souffert le plus atroce des sacrifices ! Alors que les parrii ... 

Son visage se contracta. 

- Les gens qui pensent comme vous sont des fanatiques. Les parrii ne réclament aucun droit sur la magie et les clans sont bien contents de les avoir sous la main pour les basses besognes ou même pour assurer les protections du clan ! Sans Sorcières, il n'y aurait pas de rituel pour donner accès aux parrii à la magie du clan, non ? s'emporta Yuzu. 

Matelson la regarda placidement et balaya ses arguments d'un revers de la main. 

- Nous avons nos différents sur cette question. Soit. Mais ce que je veux dire par là, c'est que Jessica n'est pas une menace. 

Yuzu fit un bruit amer mais ne répondit pas à sa provocation. 

- La vraie menace, reprit Matelson, c'est Aheela et son clan de malheur. Cette Shawilum est engoncée dans la tradition. Elle ne vit que par ça. Et cela la rend même incapable de prendre la moindre décision ! Elle n'est même pas alignée dans une faction du Magisterium, voyez-vous ça, alors que son clan est l'un des plus grands du continent américain ! 

- Son clan est prospère et attire de nombreuses Sorcières peu puissantes qui souhaitent juste vivre en paix avec leur famille. Et dans ce processus, la relative neutralité qu'Aheela affiche la majorité du temps au Consiliarerum y est pour beaucoup. Tout le monde ne souhaite pas se mêler de politique.

- Et bien elles devraient ! cracha Matelson. Car nos lois concernent toute la communauté Sorcière ! 

Yuzu hausse les épaules. Quand la politique devenait aussi dangereuse que celle des Sorcières pouvait l'être, elle ne blâmait personne de ne pas vouloir s'y frotter. 

- Ça ne vous choque pas ? insista Matelson. 

- Les lois du Magisterium sont claires : tuer n'est pas interdit mais cela est punissable si l'on a des preuves. Le reste est à la discrétion du Consiliarerum et de la Reine. Autant les attaques entre clans, les meurtres par vengeance, jalousie ou autre sont généralement jugés et punis - comme dans notre affaire par exemple, les meurtres en politique, eux, ne servent qu'à consolider la réputation des unes et des autres. Même si la Reine voulait agir, il lui faudrait des preuves et souvent il n'y en a pas. Tout le monde ne veut pas d'une fin précipitée pour avoir dit un mot de travers à la mauvaise personne ! 

Matelson renifla. 

- C'est vrai que la vôtre de réputation n'est plus à faire. La Reine choisit elle-même ses deux Gardiennes et le grand maître des Inquisiteurs. Les trois piliers de son pouvoir. Mais bien souvent pour les Gardiennes, elles sont assassinées pour mieux être remplacées. Vous, vous avez eu le culot de la pousser à la démission ! Vous savez qu'elle n'est plus réapparue en public depuis ? ricana-t-il. Qu'avez-vous trouvé de si compromettant ? 

Yuzu détourna le regard. Elle ne parlait jamais de cette histoire, préférant que les autres le fassent pour elle, comme pour bon nombre de sujets la concernant. Les rumeurs sont plus accommodantes que la vérité. Matelson dut comprendre qu'il n'obtiendrait rien car il laissa tomber avec un soupir. Il s'étira avec nonchalance dans son siège.

- Bon. Où en sommes-nous dans nos petites affaires ? Ai-je répondu à toutes vos questions ? Je dois admettre que débattre avec vous est très amusant, Gardienne. Vos opinions sont si ... contraires aux miennes ! 

La main de Yuzu la démangea. Son ton guilleret rendait le tout encore plus insupportable. 

- Nous ne sommes nulle part à vrai dire. Vous avez plaidé votre cause auprès de moi, je me ferai ma propre opinion en temps et en heure. Pour le reste, vos opinions sont à peu près aussi détestables que vos manières professorales arrogantes et votre manie de prendre les gens de haut, Monsieur. 

- Ouille, quelle riposte. Mais moi, j'aurais une dernière question, Gardienne. 

- Et qu'elle est telle ? 

- Moi, je suis l'agneau sacrificiel de l'histoire, Bhuvan le dommage collatéral sur lequel tout le monde se concentre, et dans les ombres les conspirateurs s'agitent... Mais vous dans tout ça ? Quel est votre rôle ? 

Sa question semblait sérieuse, comme si la réponse qu'elle pouvait lui fournir l'aiderait à décider de la suite. 

- Vous ne savez pas ? s'étonna Yuzu.

- À part me retrouver et me tuer en bonne Inquisitrice ? Non pas vraiment. Sacrée insulte d'ailleurs. Rabaisser la Gardienne des Savoirs à un rang d'assassin chargé des basses besognes ...

- À chacune son fardeau. 

- Vous n'allez pas m'éclairer ? 

Yuzu médita un instant. 

- Je pense que la réponse est simple. Je ne suis là que pour comprendre. 

Matelson fronça les sourcils. 

- Comprendre ? Mais comprendre quoi ? La conspiration ou les motivations ? 

- Je vous laisse trouver la réponse à cette question vous-même. C'est votre travail après tout non ? De trouver des réponses aux questions ? Sourit Yuzu. 

Et elle sentit son fauteuil être tiré en arrière. Les deux visions se détachaient progressivement l'une de l'autre. Tandis que Matelson ouvrait de grands yeux, la pièce se fendit de la cheminée jusqu'au mur opposé et les deux parties basculèrent dans le néant. Yuzu battit doucement des pieds dans ce noir et elle regarda Matelson tenter de reprendre contenance. Elle se laissa flotter, habituée aux visions et à leurs lois imprévisibles, et adressa un signe d'au revoir à Matelson avant de se laisser emporter par la magie. 

Quand elle ouvrit de nouveau les yeux, elle était dans son lit et sa migraine avait disparu.

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