Chapitre 6
Les Sorcières sont des créatures violentes et avides d'une revanche sur leur vie perdue. Pour défier une Shawilum, il n'y a rien de plus simple : il faut tuer sa descendance. Pour devenir Reine, il n'y a rien de plus cruel : il faut tuer l'enfant, la vulnérabilité que la souveraine a osé exprimer. Si l'enfant est tué de ta main, tu obtiens le droit de mener la fronde contre la Reine et la légitimité aux yeux des clans d'être celle qui ira au bout pour défendre les Sorcières et qui ne montrera aucune faiblesse.
Le bruit des conversations se propageait dans les couloirs en marbre qui menaient à la grande salle du Consiliarerum. Yuzu s'en approchait à pas feutrés, se dissimulant dans l'ombre des arches qui parsemaient les couloirs. De larges portraits d'illustres Sorcières décoraient les murs. Dans le Palais de la Reine existait une énorme galerie qui mettait en valeur les figures les plus marquantes de l'histoire Sorcière. Celles et ceux qui n'avaient pas la chance d'être invités dans ce lieu devaient se contenter des portraits dissimulés dans le creux des arches du Consiliarerum. Sekina la Verte Maîtresse des Nébuleuses Empoisonnées, Minh le Tigre aux Yeux Scintillants, Yejide la Grande Terreur, Shuvi Arkadelevi le Curieux Lotus de la Cour Céleste, ou même Brewen, la Faux à la Lame Tachée de Rubis ... Il y avait déjà du beau monde, songea Yuzu. Leurs yeux figés dans la peinture étaient rivés sur le centre du couloir et donnaient en permanence l'impression d'être épiés. Peu étonnant que les Sorcières préfèrent se réunir en pleine lumière.
Yuzu ne souhaitait pas attirer l'attention. De nombreuses Shawilum étaient déjà présentes dans le grand hall qui faisait office d'antichambre, à attendre que les gigantesques portes ne s'ouvrent. Elles parlaient entre elles, se saluaient, s'échangeaient des sourires plus ou moins sincères et des nouvelles des quatre coins du monde.
Les clans de Sorcières étaient répartis sur l'ensemble de la planète. Il en existait une myriade, plus ou moins importants, et toutes les Shawilum n'avaient pas la possibilité de siéger au Consiliarerum. Les clans s'alliaient souvent entre eux, soit à des clans plus forts pour bénéficier d'un représentant au Magisterium, soit ils formaient une alliance de petits clans et présentaient la candidature de l'une de leurs Shawilum pour les représenter tous. Toujours était-il qu'une fois le siège réclamé, la première chose fournie à la Shawilum était une bille. Cette bille lui permettait de se téléporter directement dans le hall d'entrée du Magisterium de n'importe où dans le monde. Ce sort-là était l'un des plus complexes au monde au point que même les Célestes le prenaient souvent comme modèle.
De là où elle s'était positionnée, contre un mur en face des portes, Yuzu pouvait observer tranquillement le ballet qui précédait chaque séance, les arrivées, les salutations, les retrouvailles, l'échange de nouvelles, les sourires, avant qu'enfin les portes ne s'ouvrent, dévoilant l'immense salle aux murs courbes sous une coupole qui laissait entrer la lumière de la nuit. Quatre piliers formaient les coins carrés de la salle, flaques d'ombres où se tenaient discrètement des gardes.
Dans un brouhaha fort peu discipliné, les Shawilum s'avancèrent pour prendre place aux tables rondes éparpillés sur les hautes marches en pierre de l'amphithéâtre qui faisait face au trône et aux quelques sièges qui l'entouraient. Chaque table était dédiée à un clan où seules la Shawilum, sa Mar Bar Sukkalmah - son héritière - et éventuellement la Mar Bani qui les accompagnait pouvaient prendre place.
Yuzu s'avança enfin dans la lumière du vestibule et quelques regards se posèrent sur elles. Les discussions à l'entrée du Consiliarerum étaient tout aussi importantes que celles qui se tenaient dans l'enceinte de la salle. Les alliances étaient négociées ici et révélées là-bas. On la salua plusieurs fois, et Yuzu répondit, en inclinant le buste, parfois avec un 'Namaste' ou encore par de brefs hochements de tête polis, alternant les langues et les saluts selon son interlocutrice. La Gardienne des Savoirs est l'une des hautes dignitaires qui entourent la Reine. Ici, elle jouait autant le rôle d'hôtesse que Mélainaka.
Une voix portée par les airs murmura soudainement son nom à l'oreille. Yuzu se retourna brutalement, faisant sursauter les Sorcières autour d'elle. Elle ignora leur regard noir et chercha des yeux la Sorcière qui avait osé attirer son attention de manière aussi cavalière.
Shaina était là, au milieu d'un groupe de Shawilum qui s'empressaient autour d'elle, lui accordant mille attentions et sollicitant ses conseils à tout va. La cheffe de la faction modérée du Consiliarerum était aussi resplendissante qu'à son habitude, ses longs cheveux blancs détachés et vêtue d'un kimono violet à grosses fleurs blanches. Elle portait le nœud de son obi à l'avant de son buste et ses longues manches effleuraient presque le sol. Ses yeux bridés et noirs d'encre croisèrent ceux de Yuzu et elle lui sourit de manière provocante, l'air de dire : si tu déclines cette invitation-là, qui sait ce que je ferai ensuite pour t'embarrasser ?
Yuzu leva les yeux au ciel et se résolut à s'approcher du groupe. Shaina avait toujours été ainsi, joueuse et taquine. Beaucoup avaient regretté de s'être trop concentrés sur cet écran de fumée et d'avoir oublié qui elle était et comment elle en était arrivée là.
- Gardienne des Savoirs, la salua-t-elle.
- Shawilum Azura.
- Que de sévérité, s'amusa son interlocutrice.
Quelques regards en coin assortis de murmures suivirent cet échange. Comme à chaque fois, les Shawilum spéculaient sur l'étrange amitié qui liait les deux femmes. La Shawilum du clan Azura était aussi connue pour son caractère joueur que pour l'indifférence qui se cachait derrière. Shaina avait toujours choisi précautionneusement ses proches. Et Yuzu ne se mêlait pas aux gens, même pour leur signifier si elle les appréciait ou non. Pourtant ces deux-là n'avaient jamais caché qu'elles se connaissaient, s'entendaient et se voyaient en dehors du Magisterium et ce depuis la première fois que Yuzu avait posé un pied sur ce sol en tant que jeune et fraîche Inquisitrice.
- Cesse de jouer, répondit Yuzu, sévère. Toi aussi tu auras du fil à retordre à mon avis.
Shaina lui adressa un sourire entendu puis la dépassa et entraîna à sa suite toutes ses courtisanes. Elles passèrent les immenses doubles portes de la salle décorées d'images racontant les origines mythiques des Sorcières. Les portes étaient également un hommage au culte officiel des Sorcières, la Déesse-Monde, même si elles n'étaient guère un peuple religieux. Enfin, tout au-dessus des portes, une inscription avertissait de la principale règle à suivre dans l'enceinte de la salle : 'La grâce nous a fait don de la politesse. Respectez ce don et votre sang ne coulera point'. Formule quelque peu sibylline pour rappeler que les sorcières invitées au Consiliarerum étaient protégées. Il était donc interdit de faire couler leur sang, songea Yuzu. Quant aux autres indésirables ... Les Sorcières avaient toujours su protéger leurs lieux les plus sacrés.
La Gardienne des Savoirs attendit que les quelques trois cents Shawilum qui composaient le Consiliarerum sur les milliers de clans qui existaient aient en majorité pris place pour faire son entrée. Elle rajusta ses manches sur ses bras et pénétra dans la salle. Elle s'arrêta brièvement pour jauger la foule. En tant que Mar Bar Shalkikku - c'est à dire une sorcière solitaire sans clan - elle avait réclamé et obtenu un siège au Consiliarerum. Elle avait le droit de s'asseoir à sa table et de se représenter. Mais ce soir, elle se dirigea vers les sièges situés une marche sous le trône de Mélainaka. Pour cette séance, elle serait la Gardienne des Savoirs, manifesterait son soutien envers Mélainaka et s'assimilerait au « clan du Magisterium » comme on aimait appeler ceux qui travaillent pour la Reine. Les Shawilum prirent note de sa décision qui ne lui permettait pas de choisir la neutralité voire l'opposition en tant que Mar Bar Shalkikku.
À peine eut-elle pris place que quelqu'un d'autre arriva pour s'installer auprès d'elle.
Félicie Camahalo, de son titre Gardienne des Caves ou Gardienne des Techniques. Félicie ne lui adressa pas un regard mais se décida à lui parler à sa grande surprise :
- Notre Grand Maître Inquisiteur préféré, Nathanael, vient. C'est plutôt inhabituel.
- La séance va être agitée, commenta Yuzu.
Félicie ne l'aimait pas. Yuzu aurait aimé en dire autant mais à vrai dire, son sentiment à son égard s'approchait plus de l'indifférence. Malheureusement, cela ne l'aidait pas à gérer l'hostilité de Félicie, qui en tant qu'ancienne amante de Mélainaka, semblait surtout jalouse de l'attention que recevait Yuzu et des rumeurs les entourant, la Reine et elle.
Reine qui choisit d'ailleurs ce moment pour faire son entrée, ce qui calma brutalement toute la clameur ambiante. Royale dans son fourreau noir et or qui s'évasait en une large corolle sous ses genoux, Mélainaka s'avança lentement vers son trône tandis que la foule se levait et s'inclinait. Toutes touchèrent leur front, leurs lèvres puis leur cœur avant d'incliner légèrement le buste. Lorsqu'elle arriva au niveau de ses trois dignitaires, ils se levèrent à leur tour - Nathanael avait surgi de l'ombre derrière le trône à la dernière minute - pour adresser leurs respects. Elle jeta un regard étrange à Yuzu qui paraissait soudain être partie très loin et avait tardé à se lever puis fit signe au Hérault d'annoncer l'ordre du jour.
Au moment où ce dernier s'apprêtait à prendre la parole, la Gardienne des Savoirs ouvrit la bouche et tendit la main en même temps alors que quelque chose frappa brusquement toutes les Sorcières présentes dans la salle. Félicie et Nathanael se jetèrent devant Mélainaka et les Mar Bani s'empressèrent de dresser des boucliers pour contrer la vague de puissance qui a surgi de nulle part mais également l'énorme vague d'eau salée qui l'avait accompagnée.
L'assemblée reprenait lentement ses esprits et Mélainaka s'écria furieusement :
- Qu'est-ce que ... !
Et l'eau retomba brutalement. Tout le monde put alors voir la scène qui se déroulait au centre de l'amphithéâtre.
La Gardienne des Savoirs avait bondi hors de son siège et braquait désormais un pistolet argenté datant d'un autre siècle sur la tempe d'une grande femme à la peau foncée et avec un moko kauae - un tatouage traditionnel maori sur le menton. Ses cheveux longs, très raides et bruns étaient encore humides des profondeurs d'où elle avait visiblement surgi. Yuzu et elle se dévisageaient, à deux pas l'une de l'autre, prêtes à en finir. L'intruse sourit et le bruit des vagues que l'on entendait à sa proximité s'accrut soudainement. On aurait dit qu'un typhon faisait face à la Gardienne, qui ne baissa pas sa garde et renforça même sa prise sur son arme, prête à tirer.
Wai-nui, l'une des Sorcières les plus redoutées au monde, sourit d'un air menaçant.
- Voyons Gardienne, murmura-t-elle d'une voix sépulcrale, ce n'est guère poli que de pointer son jouet sur la tempe de quelqu'un plutôt que de profiter de vos petites intuitions du futur pour annoncer ma venue ...
Son sourire s'élargit. Et elle chuchota :
- Baissez ça maintenant où je vous noie.
Ses yeux noirs ne lui promettaient aucune pitié. Yuzu serra la mâchoire mais ne répondit pas plus qu'elle ne baissa son arme. Plus personne dans la salle ne semblait respirer, suspendu au dénouement de cette confrontation.
Mélainaka choisit ce moment pour se lever et surplomba du regard les deux antagonistes.
- Ça suffit.
Sa voix calme parut ramener de l'oxygène dans la salle.
- Wai-nui, tu es évidemment la bienvenue à ce Consiliarerum. Ton siège t'attend à la même place et avec la même dignité que la dernière fois où tu t'es présentée à nous, il y a de cela quatre siècles. En revanche, tu ne peux pas blâmer ma Gardienne de sa réaction ; il n'était pas plus poli de ta part de te manifester ainsi que de demander à l'un des miens d'annoncer ta venue. Ma Gardienne est une Mar Bar Shalkikku aussi honorable que toi, Wai-nui.
Le ton de la Reine était implacable mais Yuzu comprit le message. Attaquer Wai-nui n'était pas envisageable mais Mélainaka savait remercier sa prompte réaction. Son humiliation et le dénigrement de ses capacités ne seraient pas tolérés. Yuzu crispa sa bouche en une moue peu avenante mais fit un pas en arrière tout en relevant son pistolet de la tempe de la Sorcière. Elle rangea l'arme dans sa ceinture tandis que Wai-nui inclina la tête en direction de la Reine. Puis elle se détourna majestueusement et monta les marches tranquillement vers sa place, au sommet de l'amphithéâtre. Toutes les Shawilum suivirent sa procession en silence, y compris Yuzu toujours debout au centre de la salle, un regard mauvais braqué sur son dos. Enfin elle finit par se détourner et regagner sa place.
Le Hérault s'éclaircit la gorge et sur un geste de la main de Mélainaka l'invitant à reprendre la séance, il annonça le premier sujet :
- Le clan Arkeydievnieya porte la parole du clan Beauchamp, installé en France depuis près de 10 ans. Le clan Beauchamp est composé de six membres et a tout juste 15 ans d'âge. Ce clan n'a pas de Shawilum au sein du Consiliarerum mais a accepté la représentation du clan Arkeydievnieya. Pour des raisons liées à son travail de façade dans le monde humain, la Shawilum du clan Beauchamp a souhaité changer de ville et a emmené son clan avec elle. Lors de leur installation dans un village de 5 000 habitants dans l'ouest de la France, elles se sont heurtées à la meute locale qui a refusé de les laisser s'installer à moins de se plier aux règles de la meute et donc de désavouer le Magisterium en devenant renégates. Le clan a souhaité porter sa plaidoirie devant le Consiliarerum par l'intermédiaire de la Shawilum Lizbetta Arkeydievnieya.
Des murmures se firent entendre dans la salle. Une Sorcière âgée d'environ une quarantaine d'années lorsque le temps s'était figé pour elle, se leva alors. Yuzu grinça des dents. Lizbetta et son clan représentaient le cœur de la faction radicale, l'une des trois grandes factions au sein du Magisterium. Les deux femmes ne s'appréciaient guère, autant pour leurs différences de point de vue que pour le mépris qu'elles avaient pour les opinions de l'autre.
- Le clan Beauchamp s'est adressé à nous il y a de cela une semaine, commença Lizbetta. Les faits sont graves, Mesdames. Ce clan est peut-être un clan mineur mais cela le rend-t-il pour autant négligeable ? Non. Il tient à cœur à ce Consiliarerum et au Magisterium de protéger chaque Sorcière de ce monde. Or ce clan s'est fait intimider ! Par des bêtes ! Les Célestes ont lâché leurs... mignons sur nos sœurs ! Elles ont dû utiliser la magie pour se défendre à plusieurs reprises, s'exclama-t-elle. Et ces... animaux, ces Sans Ailes, sont allés se plaindre à l'Archidémone ! Ils sont allés se cacher dans les jupes de plus forts qu'eux après avoir attaqué plus faibles, ricana-t-elle. C'est intolérable !
Les murmures s'intensifiaient désormais. Shaina, dont la table se trouvait en surplomb de celle de Lizbetta, ouvrit brusquement son éventail et s'éventa de manière violente et fort peu efficace d'un air mi-ennuyé, mi-agacé. Elle sentait ce qui allait venir ensuite.
Lizbetta laissa la foule s'énerver quelques instants avant de poursuivre son plaidoyer.
- Au nom du clan Beauchamp et au nom de la dignité de toutes les Sorcières, le clan Arkeydievnieya tout entier demande que réparation soit faite, ma Reine ! Ne laissons pas cet acte impuni et rappelons que les Sorcières ne sont pas bonnes à se laisser marcher sur les pieds !
Des hochements de tête vigoureux dans les rangs de sa faction suivirent sa déclaration. Mélainaka leva une main pour faire revenir le silence et tourna la tête vers les membres du clan du Magisterium assis sur les chaises au pied du trône, un cran encore en dessous des trois dignitaires. Elle fit signe à une jeune femme aux longs cheveux dorés et vêtue d'un tailleur noir de parler. La jeune femme, une de ses multiples petites mains qui travaillent à l'administration du Magisterium, probablement dans le service qui faisait le lien avec les Célestes, se leva à son tour.
- Le Magisterium a bien été informé de cet incident, Shawilum Arkeydievnieya et ce, depuis plusieurs jours. En revanche, les faits que vous décrivez ne nous ont pas été relatés de la même manière.
Elle parlait d'une voix claire et posée, les yeux bien fixés sur la Shawilum à qui elle s'adressait. Yuzu approuva. Mélainaka avait fait le bon choix en conviant cette sorcière là à parler. Peu auraient eu le cran de remettre la parole de Lizbetta en cause en public avec autant d'aplomb.
- En effet, la meute a bel et bien déclaré avoir été à l'origine de certains accrochages mais il s'agissait de représailles pour ceux que les Sorcières ont elles-mêmes causés. Il ne s'agissait visiblement pas seulement de légitime défense quand le clan Beauchamp s'est décidé à utiliser la magie. En conséquence, la partie Céleste s'estime la plus lésée et demande des réparations pour la meute attaquée. Certains de leurs membres ont été blessés.
Des grognements se firent entendre cette fois-ci. Lizbetta était prête à bondir pour protester devant ce qu'elle devait considérer comme un mépris propre à piétiner à jamais la dignité de toute Sorcière.
Alors que la jeune femme blonde se rasseyait, une autre Sorcière vêtue d'un très beau caftan vert se leva.
- La position des Célestes est inadmissible. Le clan Beauchamp a peut-être pris des mesures vindicatives en premier mais le tort originel n'est-il pas de leur avoir refusé de s'installer convenablement ? Ce sont eux les plus lésés et je me dois de soutenir la proposition de la Shawilum Arkeydievnieya. Nous devons répliquer à cet affront.
Yuzu soupira, guère étonnée de la position de cette Shawilum en particulier. Son clan, les El Farah, était allié avec celui des Arkeydievnieya depuis plusieurs millénaires maintenant. Elle se laissa aller contre le dossier de son siège et se prépara à écouter le torrent de récriminations des Shawilum de la faction radicale. Les Sorcières se levaient les unes après les autres, proposant rétorsion après rétorsion.
- Mes sœurs, haranguait désormais une Shawilum venue vêtue de cuir d'entraînement au combat, les Célestes et leurs créatures sont allés trop loin cette fois-ci. Il est temps de réagir devant cette menace existentielle - et à ces mots Yuzu haussa les sourcils se demandant comment elle en était arrivée à cette conclusion - je propose donc d'aller abattre toute la meute, termina-t-elle en levant du poing.
Ce fut le moment que choisit Shaina pour s'étouffer avec son saké. Elle éclata d'un rire sonore et la Sorcière ainsi que Lizbetta et toute sa clique lui jetèrent des regards offensées.
- Ma proposition vous amuse donc tant que cela, Shawilum Azura ? persifla l'autre.
Très dignement, Shaina tapota ses lèvres avec sa serviette puis se leva et inclina la tête en direction de Mélainaka.
- Veuillez m'excuser de ce petit moment d'égarement, ma Reine. Pendant un bref instant , je me suis juste crue dans ces arènes politiques humaines que certaines Sorcières présentes aiment tant décrier en les qualifiant de ridicule, d'hystérique et autres adjectifs peu flatteurs ...
Et elle leur adressa un sourire narquois devant l'air vexé qu'elles abordèrent soudainement.
- Pour revenir à notre sujet initial je ne pense pas qu'aller abattre toute une meute soit une solution politiquement viable, reprit Shaina sur un ton dédaigneux. Les deux parties sont en tort : la meute a refusé l'installation du clan Beauchamp alors qu'elle n'avait aucune prérogative pour ce faire, en plus de l'avoir fait en dehors de tout accord avec le Magisterium et sans donner de raison. Mais le clan a également sur-réagi en tardant à passer par la voie légale. J'ajouterais, ma Reine, que le fait que le clan Beauchamp ait été lent à nous contacter est sans doute la conséquence de l'éloignement du Magisterium des clans mineurs sans Shawilum pour les représenter ici.
Un cri indigné retentit. La Shawilum au caftan vert se releva et apostropha Shaina :
- Comment pouvez-vous ne pas défendre vos sœurs devant cette injustice ...
- Ça suffit, clama Mélainaka. Shawilum El Fhara, rasseyez-vous maintenant, ordonna-t-elle.
Son regard balaya la salle et se posa sur Shaina, drapée dans son kimono, attendant la permission de reprendre. Mélainaka plissa les lèvres, contrariée.
- La proximité du Magisterium avec les clans mineurs n'est pas le sujet d'aujourd'hui même si je sais - et elle insista sur ce 'je sais' - que cette question vous tient à cœur, et c'est tout à votre honneur. Terminez votre développement, je vous prie, Shawilum Azura.
Shaina inclina la tête.
- Comme je le disais, avant de me faire grossièrement interrompre - et ce commentaire lui valut un regard noir mais résolument royal - je ne pense pas qu'il y ait une partie qui soit plus lésée que l'autre. Proposons un échange aux Célestes : réparation contre réparation.
Et sur ce dernier mot, elle se rassit, satisfaite de sa prestation. Les Shawilum autour d'elle et à ses pieds, hochèrent la tête avec enthousiasme devant la sagesse et l'intelligence de la proposition. L'une d'entre elles se leva alors :
- Pourquoi pas un échange d'objets magiques ou de grimoires ? Les Célestes aimeraient depuis longtemps récupérer certaines de nos possessions et nous-mêmes convoitons également certaines des leurs.
Les murmures d'approbation dans la faction modérée se firent plus importants et certaines Mar Bar Shalkikku manifestèrent également leur soutien. Cela satisferait tout le monde.
- Vous allez donner des armes à nos ennemis ? intervint alors Lizbetta, incrédule.
- Depuis quand les Célestes sont-ils nos ennemis, Shawilum Arkeydievnieya ? Les Terribles Guerres sont loin dans la mémoire de tous sauf la vôtre et vous persistez à oublier ce qu'elles nous ont coûté. Une escalade pour des broutilles ne nous apportera rien et les Sorcières n'ont nul besoin de montrer leur puissance. Nous sommes nous-mêmes des puissances, répliqua Raven, une des dernières protégées de Shaina et l'une des plus brillantes.
Elle avait été Mar Bani dans le clan Azura pendant de longues années avant de récemment partir fonder son clan et réussir avec brio à réclamer un siège au Magisterium.
Courroucée, Lizbetta s'apprêta à répliquer lorsque Mélainaka l'interrompit :
- Je pense que nous sommes à un stade du débat où il est nécessaire de demander l'avis des concernées si nous devions procéder à un échange d'objets ou de grimoires. Pour apporter un éclairage différent, ce sera je pense très utile, n'est-ce pas Shawilum Arkeydievnieya ?
Lizbetta se rassit.
- Bien sûr ma Reine.
Mélainaka se tourna vers Félicie et Yuzu.
- Qu'en disent la Gardienne des Techniques et la Gardienne des Savoirs ?
Félicie jeta brièvement un œil à Yuzu qui lui fit signe de commencer. Elle se leva et s'éclaircit la gorge.
- La proposition de la Shawilum Azura me semble assurément être la meilleure à prendre dans ces circonstances. Néanmoins, en tant que Gardienne des Techniques, je ne peux balayer de la main les inquiétudes de la Shawilum Arkeydievnieya. Il y a des objets dans les Caves qui ne peuvent être sortis à la légère et encore moins échangés aisément. De plus, j'aimerais rappeler que le Temple, cette institution qui représente la religion chez les Célestes et qui rêve de nous voir brûler pour idolâtrie, convoite également certaines armes présentes dans les Caves ... Si la proposition est bonne, je la considère tout du moins très risquée.
Mélainaka inclina la tête, satisfaite de cette réponse.
- Je te remercie Félicie pour cette contribution. Yuzu ?
Et instantanément tous les regards se braquèrent de nouveau sur la protagoniste du drame de début de séance qui avait su se faire si commodément oublier. Yuzu se leva lentement de son siège et dévisagea l'assemblée.
- Je ne pense pas avoir d'opinion sur la question, ma Reine, si ce n'est que les Grimoires de la Bibliothèque sont à disposition de ce Consiliarerum pour un échange si besoin. Je rejoins tout de même Félicie sur un point : il y a des grimoires que je déconseillerais d'échanger.
Mélainaka haussa un sourcil.
- C'est tout ?
Elle sembla déçue. Sa Gardienne des Savoirs l'avait habituée à plus d'éclats.
- Comme je vous l'ai dit ma Reine, je ne pense pas qu'il faille que j'aie une opinion sur la question puisque l'issue sera probablement la même.
La Reine pencha la tête sur le côté, intéressée tandis que l'assemblée s'agitait. La Gardienne des Savoirs avait-elle eu une vision du futur ?
- Explique-nous cela, ordonna Mélainaka.
- Et bien, quelle que soit la décision que prendra le Consiliarerum, en l'état actuel des choses, nous perdrons quoi qu'il arrive. En sang ou symboliquement, cela n'a pas d'importance. Et devant les crispations et les regards horrifiés des Shawilum, Yuzu ajouta : ce n'est pas une vision, juste une certitude.
- Comment cela ? hurla Lizbetta, Comment pouvez-vous insinuer que nous allons perdre face à ...
Mélainaka ouvrit alors grands les yeux et jeta un regard brillant à Lizbetta. Un claquement retentit dans toute la salle et le petit doigt de la Shawilum Arkeydievnieya se brisa en trois sèchement.
- Quel avertissement n'as-tu pas compris Lizbetta, chuchota Mélainaka d'une voix sombre. Respect et politesse dans cette enceinte et devant les miens. Est-ce clair ?
Malgré sa blessure dont la Shawilum ne sembla pas s'émouvoir ni même se formaliser de la douleur, celle-ci effectua une profonde révérence.
- Mes excuses. Cela ne se reproduira plus. Vous savez, ma Reine, que ces sujets me tiennent autant à cœur que la fameuse proximité du Magisterium avec les clans mineurs pour la Shawilum Azura.
Le silence s'étira un instant avant que la Reine ne rende son verdict.
- Bien. Poursuivons. Yuzu, développe ta pensée et fais-nous profiter de ce savoir que tu gardes si précieusement.
Yuzu sentit que la patience de la dirigeante venait de s'épuiser pour la soirée. Mieux valait s'exécuter avant de la contrarier davantage. La présence de Wai-nui qui avait assisté au flagrant manque de respect de Lizbetta n'y était sans doute pas étranger.
- Ma Reine. Le désaccord entre les Célestes qui représentent la meute et nous-même qui représentons le clan Beauchamp est là. Et c'est bien le seul point sur lequel les deux parties s'accordent puisque nous sommes déjà en conflit pour savoir qui est le plus lésé. Proposer quoi que ce soit dans ces circonstances, c'est risquer de perdre du terrain.
- Mais y a-t-il autre chose sur lequel se mettre d'accord lorsqu'on est agressé ? Autant retourner directement la frappe, répliqua perfidement la Shawilum El Fhara.
Yuzu ignora le commentaire et poursuivit son exposé :
- L'Archidémone Kamila qui préside en Europe et moi-même avons un point commun : nous pouvons voir l'avenir. Je n'oserais pourtant pas mettre mes maigres capacités au même niveau que les siennes : elle est au moins aussi vieille que le continent qui lui a été confié. Aller au conflit est trop risqué et ferait trop de dégâts.
- Parmi les humains vous voulez dire ?
La Shawilum El Fhara semblait bel et bien décidée à poursuivre le jeu des interruptions.
À ce commentaire dédaigneux, il y eut quelques rires mi-nerveux mi-exaspérés dans la salle. Tout le monde avait manifestement envie d'écouter la Gardienne des Savoirs jusqu'au bout et commencer à se lasser des petites luttes intestines. Mais cette fois-ci, Yuzu décida de ne pas laisser passer et offrit un sourire mielleux à son adversaire :
- L'Archidémone Kamila est connue pour avoir décapité pas moins 6 personnes en quelques secondes. À votre avis, combien de temps lui faudra-t-il pour avoir votre tête à ses pieds ? asséna Yuzu d'une voix forte. La magie ne fait pas tout Mesdames, et combien d'entre vous savent brandir une arme humaine ? Personne dans cette salle ne s'est non plus demandé pourquoi le chef d'une meute respectée et bien établie, qui a de plus déjà vécu avec des sorcières dans la même ville, s'est soudainement mis en tête de les bannir ? Mais surtout, le chef Ewen est très fidèle aux Célestes. Il a combattu dans l'armée d'un représentant. Il connaît nos us et coutumes et sait être diplomate. Bref, tout ceci ne s'est pas fait par hasard ! Comprendre pourquoi la meute et les Célestes - car les Célestes ont eux aussi la mémoire longue des Terribles Guerres ! Et au vu de leur prompte réaction, ils soutiennent totalement Ewen dans sa décision, au mépris de leur attitude habituelle à notre égard. Comprendre pourquoi ils ne voulaient pas des sorcières dans le village, est le plus important. Ces informations seront peut-être décisives et là nous pourrons tirer le meilleur parti de la situation. Arriver en leur laissant toutes les cartes en main, c'est aller au-devant d'une défaite courue d'avance.
Sur cette assertion magistrale, Yuzu se rassit et dans ce mouvement, croisa les yeux pétillants de Shaina qui lui adressa un sourire victorieux. Au moins, elle avait satisfait une personne dans l'assemblée ce soir. Et ce serait probablement la seule au vu du silence éloquent dans la salle alors que les Shawilum digéraient la leçon infligée.
Un applaudissement presque sinistre provint alors des hauteurs de l'amphithéâtre. Wai-nui tapait des mains, un sourire froid aux lèvres qui n'atteignait d'ailleurs pas ses yeux. Yuzu et elle se dévisagèrent un long moment alors que l'atmosphère s'alourdissait dans la salle. Le mécontentement était palpable et la tension également. Mélainaka braqua des yeux inquisiteurs sur sa Gardienne. Wai-nui et elles n'étaient pas étrangères, la Reine en était désormais persuadée. Elle finit par rompre le silence :
- Merci à toi, Yuzu pour ta contribution. Je pense que nous avons fait le tour des propositions sur la question. Je rendrai ma décision à la prochaine séance.
Sur ce mot final, l'assemblée tout entière s'inclina pour saluer et manifester son approbation.
- Poursuivons. Quel sujet est ensuite à l'ordre du jour ?
Mélainaka se faisait maintenant plus impérieuse et semblait avoir hâte de finir la séance. Yuzu observait sa Reine peu habituée à ce brusque changement de caractère.
Le Hérault prit la parole :
- La situation avec la sorcière renégate au Brésil n'est toujours pas réglée, dit-il sobrement.
Toute l'attention se concentra sur le maître des Inquisiteurs. Nathanael avait peut-être le visage impassible mais son poing était crispé. Il se leva.
- Les Inquisiteurs travaillent sur ce problème depuis plusieurs mois maintenant. Deux des nôtres sont déjà morts et désormais elle se cache. Nous sommes en train de constituer une équipe pour nous en occuper mais sa magie est difficile à appréhender. Elle est forte. Et aucun des clans ne s'est manifesté pour nous en dire plus sur son passé, sa magie et son identité, ajouta-t-il d'une voix amère.
Les clans rechignaient souvent à se voir associer à une sorcière renégate et oubliaient fortuitement de signaler qu'elle leur avait appartenu. Une position culottée puisqu'ils n'aimaient pas non plus qu'on leur reproche leur manque de diligence. Et ce même s'ils étaient aussi les premiers à râler que le problème ne soit pas encore résolu.
Mélainaka soupira.
- Les Inquisiteurs devraient être capable de faire leur travail avec ou sans ces informations, s'agaça-t-elle. J'exige que ce sujet soit réglé en priorité. Carmen, l'Archange qui préside l'Amérique du Sud n'est pas plus commode que Kamila ! Et sa femme a l'art de fourrer son nez partout. Je refuse que les Célestes mettent encore une fois le nez dans nos affaires. Est-ce clair ?
Nathanael serra les dents mais inclina la tête avant de se rassoir. Les Shawilum détournèrent la tête pudiquement comme si elles ne voulaient pas assister à l'humiliation et aux remontrances que leur Reine venait d'infliger à l'une des personnes les plus dangereuses de cette salle mais qui n'était pas mieux traitée qu'un chien de garde. Personne ne dit rien. En revanche, Yuzu nota la surprise de Wai-nui. Les Inquisiteurs avaient déjà perdu de leur superbe il y a quatre siècles mais pas à ce point.
- L'heure est à l'échange ! annonça fortement le Hérault comme pour dissiper l'atmosphère de malaise dans la pièce.
L'échange était le moment où les Shawilum pouvaient librement poser leurs questions à la Reine mais également aux trois dignitaires du Magisterium : les deux Gardiennes et le grand maître des Inquisiteurs. Les clans peuvent également s'interpeller entre eux ou demander l'arbitrage du Magisterium pour un conflit entre clans.
Une des Shawilum dans les premiers rangs se leva.
- Une question pour la Gardienne des Savoirs. Comment avance l'enquête sur le pendu ?
Yuzu se retint très fort pour ne pas grogner. Sa soirée venait d'être irrémédiablement gâchée.
- Je n'ai pas de commentaire à apporter sur cette question. Si le Consiliarerum faisait son travail en réfléchissant sur la politique à mener en Europe, je pourrais alors consacrer plus de temps au mien, répondit-elle sèchement.
Mélainaka lui intima d'un regard de modérer son ton. Les questions piégées de l'échange faisaient partie du jeu.
- Qu'en est-il de l'humain ? s'entêta la Shawilum.
Yuzu aurait voulu la foudroyer sur place.
- L'humain est intouchable et ne doit être blessé sous aucun prétexte. Gabriel me l'a fait comprendre, il a envoyé Antoine, l'ange qui lui sert de bras droit et de cireur de chaussures en chef, pour espionner ma première rencontre avec lui. Il écoutait la conversation depuis la fenêtre et n'a même pas essayé de se cacher. Les interférences extérieures sont donc à exclure Mesdames, poursuivit Yuzu d'un ton péremptoire. En revanche, il sera facile à manipuler donc il ne nous gênera pas si cela vous inquiète.
Quelques Sorcières se renfrognèrent, peu enthousiastes à l'idée d'un humain aussi près de leurs affaires. Beaucoup dans cette salle auraient aimé tuer Kendricks tout simplement. Ou à défaut, le laisser dans un état qui le rendent incapable de travailler pendant un long moment.
La Shawilum se rassit enfin et Yuzu considéra que son message était passé. Kendricks ne se prendrait pas en boomerang les petites querelles intestines du Magisterium ou la paranoïa de celles qui n'arrivaient pas à tourner la page de leur passé douloureux.
Une autre Sorcière se leva de nouveau, située plus haut sur les marches de l'amphithéâtre cette fois-ci.
- Une question pour ma Reine, clama-t-elle haut et fort. Des rumeurs circulent au sein du Magisterium, notamment à propos de tentatives d'assassinats ... Certaines d'entre nous auraient été empoisonnées. Est-ce vrai ?
Yuzu se figea. La question était dangereuse et très frontale. Mais Mélainaka ne sembla pas se formaliser de l'interrogation à propos des rumeurs qui circulaient sur l'incident de ce matin et haussa les sourcils à la place.
- En avez-tous été victime Shawilum Outrayakello ? Avez-vous été empoisonnée ? Si c'est le cas, mes services conduiront immédiatement une enquête. On ne peut laisser impunie une tentative d'agression envers un membre vénérable du Consiliarerum.
La Shawilum Outrayakello rougit et déclina la proposition d'une voix balbutiante. Elle abandonna la partie et se rassit sous quelques rires étouffées. Cette réponse-là ressemblait bien plus à la Mélainaka habituelle, calme et maîtresse d'elle-même, qui ne se laisse pas désarçonner.
Cette dernière promena son regard sur la salle quelques instants.
- Si le Consiliarerum n'a plus de question alors cette séance est levée. Mesdames, je vous souhaite une bonne nuit, tout du mieux pour ce qu'il en reste.
L'assemblée se leva à nouveau et s'inclina sur le passage de sa Reine qui s'en fut à travers la grande double porte. Les Shawilum et leurs accompagnatrices s'éparpillèrent alors dans la salle et en profitèrent pour débriefer et émettre toutes sortes de commentaires croustillants. Félicie adressa rapidement un coup d'œil à Yuzu et s'en alla rapidement, probablement vexée qu'elle lui ait encore une fois piqué la vedette. Nathanael partit lui aussi rapidement, pressé de rejoindre ses Inquisiteurs. Yuzu se leva de son siège tranquillement et observa quelques instants la salle. Shaina finit par la rejoindre et, plutôt que de lui parler , contempla elle-aussi la scène. Tout le monde regardait du coin de l'œil l'actrice imprévue de la soirée qui ne semblait pas encore disposée à disparaître. Toutes purent ainsi voir Wai-nui descendre lentement au bas des marches et se diriger vers la Shawilum Azura et la Gardienne des Savoirs.
- Shawilum Azura.
- Mar Bar Shalkikku Wai-nui.
Wai-nui n'avait pas de nom de clan - elle était Mar Bar Shalkikku et son prénom suffisait pour dire sa puissance. Et son salut était excessivement poli. Derrière cette politesse se cachait le fait que Shaina était sûrement l'une des seules Sorcières de cette salle à pouvoir défier Wai-nui et espérer gagner.
Wai-nui se tourna ensuite vers Yuzu et regarda de haut en bas son ancienne adversaire. Elle lui sourit.
- Gardienne des Savoirs. Est-ce que nous ne nous connaîtrions pas déjà par hasard ?
- Mar Bar Shalkikku Wai-nui. C'est fort peu probable Madame. Je suis fort jeune et je ne vous ai jamais rencontrée. Il y a bien longtemps que vous ne vous êtes pas manifestée à la surface.
- Vraiment... J'ai eu lors d'un bref instant, lorsque vous avez braqué ce pistolet sur ma tempe, une étrange impression de déjà-vu. Votre expression, ce mélange de pugnacité, de détermination et de froide intelligence m'a rappelé quelqu'un que j'ai connu il y a de cela fort longtemps - et elle eut un petit rire à faire descendre des frissons dans le dos du diable - je ne saurais d'ailleurs dire si j'aurais été heureuse de la revoir ou non !
Yuzu sourit poliment.
- J'espère alors pour cette personne que vous ne la reverrez jamais Madame. Elle ne semble pas vous avoir mise dans les meilleures dispositions.
- C'est un euphémisme ma chère mais c'est en effet peu probable : elle est morte il y a voilà des millénaires et même elle ne serait pas tenace au point de revenir d'entre les morts n'est-ce pas ?
La fin de la phrase était plus persiflée qu'autre chose. Sans attendre de réponse, Wai-nui leur tourna le dos et passa les portes. À peine eut-elle posé un pied hors dans le vestibule qu'elle disparut, ne laissant qu'une flaque d'eau et une odeur d'iode derrière elle.
Yuzu abordait un air sombre.
- Je vais devoir y aller. Nous reparlerons vite, j'ai repéré un nouveau café avec du très bon thé où nous pourrons nous voir, murmura-t-elle à Shaina.
Puis elle marcha prestement vers les portes, crispée par les insinuations de Wai-nui et fortement agacée qu'elle ait pu perturber tout ce qu'elle avait patiemment construit depuis sept ans. Et on disait qu'elle-même était rancunière ! Devant son attitude, Shaina sourit plus largement, amusée. On ne peut pas indéfiniment cacher ce que l'on est.
Yuzu sortit enfin de la salle, laissant derrière elle le Consiliarerum et toutes ses Shawilum avec leur milliard de questions sur le fait que la plus vieille sorcière du monde l'aurait soi-disant reconnue.
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