Chapitre 4
Combien de Sorcières sont restées à attendre à côté des tombes de leurs enfants, espérant qu'ils se relèvent ? Combien de jours avant que l'espoir ne disparaisse ? Quel degré de désespoir pour souhaiter voir la chair de sa chair traverser le Tabou ? Dans ces conditions, n'était-il pas plus aisé de haïr et de mépriser plutôt que de se laisser à aimer ?
La porte s'ouvrit sur un homme sorti d'un autre siècle. Un majordome revêtu d'un élégant costume noir assorti à sa fonction.
- Madame Schwartzen ? lui demanda-t-il poliment.
- Oui.
- Nous vous attendions.
Il s'effaça pour la laisser entrer.
Un hall marbré de blanc et un escalier au fond à droite partait à l'étage.
Le majordome la conduisit dans les profondeurs de la maison. Elle lui semblait froide, presque inhabitée.
- Tout le clan réside-t-il sur place ? s'enquit Yuzu auprès de son guide.
- Je crains que non, Madame. Le clan Miller possède une résidence dans les terres. Les membres du clan logent ici seulement lorsqu'ils ont des affaires à traiter en ville.
Dans les terres. Yuzu jeta un coup d'œil prudent à son interlocuteur. La gargouille était vieille et son alliance avec un clan de sorcières peu surprenante. Les Sans Ailes se mêlaient à la population sorcière bien plus aisément que les Célestes. Pour les moins puissants d'entre eux, c'était une manière de s'assurer une position dans un environnement stable : les sorcières mortes étaient aussi immortelles.
Le son de leurs pas se réverbérait contre les murs immaculés.
Yuzu n'était pas surprise de ne pas être introduite dans la demeure principale du clan. Cela aurait été imprudent de la part d'une Shawilum aussi expérimentée qu'Aheela.
L'enfilade de portes closes n'en finissait pas. Finalement ils arrivèrent devant une porte entrouverte. Le majordome - dont Yuzu ignorait toujours le nom - la lui ouvrit et lui fit signe d'entrer. Une mise en bouche très politique donc.
Yuzu pénétra dans la pièce d'un pas lent. Une grande baie vitrée donnait sur un jardin qui tenait plus du parc, un immense peuplier ombrageait la pelouse soigneusement entretenue. Des violettes étaient plantées en jardinières.
Dans la pièce se trouvaient un homme et une femme. L'homme était assis dans un fauteuil en simili-cuir blanc, en face d'une étagère remplie de livres et d'un bureau. La femme était debout, contemplant les livres.
Le père de Jessica, Wolfang Miller et une des Mar Bani, probablement Jacinda, la première des Mar Bani du clan, songea Yuzu.
Wolfang était nerveux. Très nerveux. Il faut dire que dans la pièce, il était le seul à ne pas être un vrai sorcier. Depuis quelques milliers d'années et la parution du Mundi Circularii, les sorcières avaient trouvé le moyen de donner à leurs descendances un certain accès à leur magie - quoi que cet accès restait limité. Les parrii comme on les appelait n'étaient pas immortels contrairement aux veratii et n'avaient pas subi l'épreuve qui vous conduisait à devenir une sorcière, une vraie sorcière. Les parrii étaient aussi de moindre puissance mais ce n'était pas là leur valeur pour le clan. Coincé entre une des plus hautes dignitaires du Magisterium et une des Mar Bani - ces sorcières choisies parmi les plus puissantes du clan pour assurer sa protection et sa garde - ce parrii là avait de quoi être nerveux.
Wolfang respira un grand coup puis se leva et tendit la main vers Yuzu :
- Madame Schwartzen.
Jacinda lui lança un regard courroucé.
- Le cérémonial ... commença-t-elle d'un ton méprisant
- C'est bon.
Ils sursautèrent tous les deux.
Yuzu se tenait là, figée au milieu de la pièce. Avec son long manteau noir, elle aurait pu prétendre au rôle de faucheuse. Ses cheveux gouttaient encore un peu de sa marche dans les rues pluvieuses de Sorreitheia.
Apparemment, personne ne s'était attendu à ce qu'elle prenne la parole sans y être invitée. Elle regarda sans un mot la main tendue de Wolfang Miller qui finit par la baisser précipitamment. Yuzu tendit alors la sienne - gantée.
- Je suis Yuzu Schwartzen. Je serai, entre autres, chargée de la protection de votre fille.
Il y eut un moment de flottement. Puis Wolfang saisit sa main et la secoua, empressé.
- Merci. D'avoir accepté, je veux dire ...
- Il n'y avait rien à accepter. La Reine et le Consiliarerum ont voté.
Jacinda encore, et d'un ton tranchant.
Elle le méprisait, pensa Yuzu.
Non. C'était plus compliqué.
Elle était hautaine mais elle protégeait le clan. Elle avait accepté d'être là après tout.
Yuzu ne répondit rien à son commentaire. Il n'y avait pas matière à dire grand-chose de toute manière.
Nouveau moment de flottement.
Yuzu dégagea délicatement ses doigts de la poigne de Wolfang.
- Par-pardon bafouilla-t-il.
Elle haussa un sourcil. On lui avait décrit un homme très différent lorsqu'elle s'était renseignée sur cette branche de la famille Miller. Le clan portait le même nom mais c'était pour mieux s'intégrer au monde moderne. Le vrai nom du clan, le vrai nom d'Aheela ... était caché. Elle n'était pas encore assez vieille pour exhiber de la sorte sa puissance par la simple mention de son nom.
Yuzu se tourna vers Jacinda, ses yeux calmes braqués sur elle.
Le silence s'étira et devint pesant. Jacinda tripotait la couverture d'un livre du bout des doigts, mal à l'aise.
La Gardienne des Savoirs était une présence dérangeante dans la pièce, elle ne disait rien et attendait que tout sorte. Comme si elle était sûre d'obtenir toutes les réponses à ses questions à la fin de l'entrevue. Aheela avait raison, pensa la Mar Bani. C'est une femme pénible qui ne fait pas son âge, et un loup tapi dans un bouquet de pâquerettes.
- Jessica est là-haut. Nous vous la présenterons après avoir discuté un peu, finit-elle par dire.
Même pas un battement de cil. Yuzu se tourna néanmoins vers Wolfang Miller qui se racla la gorge.
- Ma fille ... Mon unique fille ...
Jacinda renifla.
C'était donc ça ... comprit Yuzu. Le mépris ce n'est pas directement pour le père. C'est pour la fille, la faiblesse qu'elle représente alors qu'elle ne vaut probablement rien aux yeux du clan. Pourtant cette branche est la seule descendance directe d'Aheela et elle porte le nom du clan. Le symbole est là.
Wolfang chercha ses mots sous le poids du regard de Yuzu.
- Je souhaiterais savoir ... Comment allez-vous faire ? Comment cela va se passer ? Je veux dire ... Elle est enceinte. Il ne faut pas la brusquer. Et puis elle est jeune vous savez ... Elle a parfois un petit grain de folie vous voyez ?
Son regard était plein d'un espoir qui s'éteignit presque aussitôt devant l'air impassible de son interlocutrice.
Non, Yuzu ne comprenait pas. Ses grains de folie n'avaient probablement rien eu à avoir avec ceux de Jessica Miller ... À moins que celle-ci ait une prédilection pour les voitures de collection et pour les mystères mathématiques de la Chine de Confucius. Yuzu Schwartzen n'avait jamais été l'archétype de ce que les gens branchés et populaires appelaient une fille drôle.
Une petite toux alors que le père se reprenait.
- Donc ... Comment fait-on maintenant ? demanda-t-il d'une petite voix suraiguë.
Jacinda et Yuzu le regardèrent un instant. Un petit homme coincé entre deux femmes pour la santé d'une troisième ...
- Rien, finit par dire Yuzu.
- Rien ?
Il répéta comme un perroquet.
Elle soupira.
- Vous ne faîtes rien. Et je ne peux rien vous dire, Monsieur Miller. Moins il y aura de gens au courant, plus sûr ce sera pour votre fille.
Jacinda se détourna. Elle s'y attendait mais avait tout de même voulu en être sûre. Et elle l'avait par la même occasion laissé se ridiculiser. Charmante, la protection.
Wolfang Miller, lui, ressemblait soudainement plus à l'homme qu'elle avait en tête, un homme d'affaires qui avait l'habitude d'obtenir ce qu'il voulait. Il était prêt à s'énerver.
- Mais il s'agit de ma fille !
Justement. Vous n'êtes pas le mieux placé pour savoir quoi faire objectivement.
- Puis-je la voir ? demanda Yuzu, imperturbable.
- Attendez.
Jacinda encore.
- Restera-t-elle dans cette maison ?
Une pause tandis que Yuzu réfléchit à ce qu'elle pouvait dire.
- Non. Mais la localisation du lieu où elle résidera ne vous sera pas communiquée.
Wolfang se leva d'un coup.
- Mais si nous voulons aller la voir ? Comment allons-nous faire ?
Un regard intimidant.
- Vous n'irez pas la voir, Monsieur Miller.
L'homme parut coupé dans son élan. Il ne s'attendait visiblement pas à ce qu'on lui dénie tout accès lorsqu'il avait réclamé à cor et cri une protection renforcée pour sa fille.
- C'est scandaleux, lâcha-t-il.
Tu t'enfonces mon brave. Et je vais te faire peur si tu continues ... Je ne crois pas que Jacinda bougera le petit doigt pour m'en empêcher.
- C'est pour la sécurité de votre fille, Monsieur Miller.
- Mais si elle accouche ! s'indigna-t-il Je ne pourrai pas être là ? Je ne pourrai pas voir mon petit-fils ?
- Tout a été prévu pour prendre soin de votre fille au vu de son état. Vous verrez votre petit-fils une fois que tout sera terminé. Les premiers jours sont de toute manière rarement les plus intéressants à défaut d'être les moins bruyants, répliqua Yuzu.
Là, il était complètement bouche bée. On dirait une cocotte-minute. Je deviens de plus en plus douée pour faire cet effet aux gens ...
- Je ne l'accepterai pas, Inquisitrice ou pas ! cria Wolfang.
Le silence qui s'ensuivit fut très embarrassant. Wolfang Miller était la bouche grande ouverte et Jacinda lui jetait un regard horrifié comme s'il avait dit un gros mot.
Yuzu esquissa un sourire glacial.
- Je suis un peu plus qu'une Inquisitrice, Monsieur Miller. Mais vous êtes libre de vous plaindre.
Sa pomme d'Adam descendit puis remonta bruyamment.
- Eh bien à votre clan ! Même si dans le cadre de vos fonctions ...
Il s'interrompit lorsqu'il se rappela une chose très importante ; la Gardienne des Savoirs n'avait pas de clan. Elle était Mar Bar Shalkikku. Une Sorcière solitaire. Et une anomalie souvent pointée du doigt.
Ses yeux étaient exorbités désormais. Pour se plaindre d'elle, il fallait le faire à la Reine.
Jacinda soupira, lasse du nombre de bêtises que Wolfang était capable de débiter.
- Jessica est là-haut. Vous voulez la rencontrer, je présume ?
- S'il vous plaît.
Jacinda se dirigea vers la porte pour lui montrer le chemin tandis que Miller semblait hésiter à les suivre. Il se décida enfin et emboita le pas de Jacinda.
Ils marchaient assez lentement dans les couloirs, en marbre toujours. Ils paraissaient remonter jusqu'au hall d'entrée et au grand escalier.
Durant le trajet, Miller se retrouva en tête alors que Jacinda venait se placer aux côtés de Yuzu. Elle avait visiblement envie de discuter.
- Une sorcière sans clan est une sorcière faible, annonça brutalement Jacinda.
Un préjugé ancien qui datait des Terribles Guerres où une sorcière isolée ne faisait pas long feu face aux Célestes.
Un préjugé qui courait aussi dans le temps car les sorcières savaient également très bien se faire la guerre entre elles. Et dans ce cas, mieux vaut être à plusieurs et pas uniquement pour démultiplier sa magie et lancer des sorts complexes. Certains clans, songea Yuzu, tiennent plus de la meute de hyènes que d'un groupe de lionnes. Les femelles ne partent pas chasser en solitaire mais elles s'acharnent sur leurs victimes.
Que peut faire un seul chat contre ça ?
Mais la guerre n'était plus depuis longtemps et Yuzu n'avait jamais voulu d'un clan. Il lui suffisait de Mélainaka pour obéir et des grimoires pour responsabilités. Sans compter le personnel de la bibliothèque. Les jeunes apprentis bibliothécaires étaient si tête en l'air que c'en était affligeant.
Yuzu n'était pas encline à répondre à l'affirmation ni à engager la discussion mais Jacinda attendait patiemment une réponse. Elle soupira.
- C'est votre avis.
- Mais pas le vôtre ?
- Disons que jusqu'à présent, je me débrouille fort bien sans.
- C'est aussi mon avis, ricana doucement Jacinda. Et celui de suffisamment de personnes pour que cela dérange.
- Je suis loin d'être la seule, répliqua doucement Yuzu.
- Mais vous êtes la plus visible.
Il n'y avait rien à répondre à cela.
Jacinda reprit :
- Comment se porte Mélainaka ?
Yuzu médita ses mots.
- Bien.
- Bien ?
- Bien. La Reine ne discute pas vraiment de ses états d'âme avec moi. Elle préfère ses amants pour cela.
- Mélainaka a aussi des amantes. Comme vous si je ne m'abuse.
Yuzu sourit avec complaisance. Cette rumeur-là était une des favorites parmi les clans. La Gardienne des Savoirs et la Reine auraient été ensemble mais... Rupture compliquée, amantes cachées passionnées, jalousie... Toutes les versions avaient leur sel. La préférée de Yuzu - probablement parce qu'elle était la plus invraisemblable pour les concernées - était celle où Mélainaka et elles avaient été amantes à son arrivée au Magisterium mais la rupture tragique qui s'en était suivie les avaient amené à se détester tout en restant attirées l'une par l'autre ... Un vrai soap opéra.
- Je n'ai pas plus à dire sur les fréquentations dans le lit de Sa Majesté que je n'ai à dire sur ses états d'âme.
Ne jamais gâcher une bonne rumeur, surtout quand l'infirmer ne ferait que la renforcer. Autant entretenir un léger flou artistique ...
Jacinda parut comprendre qu'elle n'obtiendrait rien puisqu'elle changea de sujet.
- Cela ne doit pas être aisé de travailler avec l'envoyé du Cénacle.
Ah. Kendricks.
- Il le faut bien. Nous n'avons pas besoin de tension supplémentaire en ce moment.
Une pause.
- C'est vrai ? Qu'il est... humain ?
Le mot était dit avec dégoût. Encore une dont la mort a été affreuse...
- Oui.
Pour tout dire, Kendricks ne savait même pas qu'il était l'envoyé du Cénacle mais ça, Yuzu préférait ne pas le dire. Autant garantir à l'inspecteur le minimum de protection qu'il pourrait trouver.
- Et ce n'est vraiment pas trop compliqué ? insista Jacinda.
Elle était obstinée celle-là.
- Vous savez , je suis une jeune sorcière. Cela ... ne s'est pas passé il y a longtemps.
Les sorcières n'évoquaient presque jamais directement leur mort. C'était tabou, et on disait que les tabous n'étaient jamais de bonnes choses. Mais en même temps, qui parlerait librement d'un sujet aussi intime que sa propre mort ?
Jacinda, elle, lui lançait des regards dubitatifs. Son âge était sujet à beaucoup de questions et trop peu de réponses.
- Veratii.
- Pardon ?
- Dites veratii, pas sorcière, soupira Jacinda.
Yuzu sourit innocemment. Son personnage était décidément discordant mais il fallait bien semer le doute et brouiller les pistes. C'était plus drôle. Quant à la vérité , d'ici à ce que quelqu'un ait suffisamment d'imagination pour la deviner, elle avait le temps de voir venir.
Ils montaient désormais d'interminables marches pour gagner l'étage.
Jacinda semblait avoir obtenu tout ce qu'elle désirait puisqu'elle ne parlait plus. Wolfang, lui, devenait de plus en plus nerveux au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de sa fille. Est-elle si terrible que ça ?
Ils longèrent une nouvelle série de portes avant d'arriver, vers le fond du couloir, devant un battant en chêne. Wolfang toqua trois petits coups secs et entra. Un salon avec des meubles classiques mais de belles factures les attendait. Jusqu'ici, toute la demeure avait été luxueuse sans être ostentatoire ni de mauvais goût. La pièce ne faisait pas exception. La musique qui perçait les murs en revanche était d'un univers bien différent de celui des propriétaires de la maison.
Du rap, identifia rapidement Yuzu. Pas du très bon en plus.
Wolfang lui lança un regard d'excuse.
- Je vais lui dire que vous êtes là.
Yuzu fit un geste. Visiblement les suites étaient protégées par des sorts pour ne pas laisser filtrer les sons à l'extérieur. En revanche, quand on toquait à la porte, ils prévenaient l'occupant du visiteur qui l'attendait. Un procédé commun dans les maisons de sorcières et la politesse voulait que l'hôte se prépare en conséquence à vous recevoir. Peine que n'avait pas pris Jessica.
Wolfang s'engouffra dans la pièce attenante et la musique fut rapidement coupée.
- ... pourquoi tu as fait ça ?
Une voix stridente.
- Ne fais pas l'enfant !
Un cri exaspéré.
- Mais ...
- ... ça suffit. C'est la Gardienne des Savoirs. La Gardienne des Savoirs ! Celle qui a ...
- Des conneries ça.
- JESSICA !
Silence. Froissements de vêtements, de choses que l'on range.
Jacinda lança un regard éloquent à Yuzu, toujours debout et impassible dans le salon.
- Elle n'est pas facile, lui fit remarquer la Mar Bani d'un air narquois.
Elle semblait s'amuser du pétrin dans lequel l'ex-Inquisitrice avait été fourrée.
- Ce ne sera pas un problème, dit sobrement Yuzu.
Un regard surpris.
- Si Jessica ne revient pas indemne, aussi bien mentalement que physiquement, de cette expérience, le clan sera en droit de se plaindre.
Sourire ironique.
- Je sais.
La conversation s'arrêta.
Une porte, ou une fenêtre peut-être, claqua de l'autre côté.
Une femme parut dans l'embrasure de la porte, portable à la main. De longs cheveux blonds, décolorés en fait, et un peu filasses. Elle avait un regard hagard, renforcé par des yeux bleu clair et ronds comme des billes. Son ventre proéminent rappelait sa grossesse de huit mois maintenant. Un vieux tee-shirt gris pendait sur elle et cachait un shorty noir qui lui ne cachait rien, assorti à des chaussettes en moumoute blanche pour tenir ses pieds au chaud.
Elle faisait tache à côté du costume trois pièces de son père et du tailleur parfait de Jacinda.
- Tu aurais pu faire un effort, la tança vertement cette dernière.
- Elle n'a pas eu le temps, s'empressa de la défendre son père, elle était malade à cause ...
Il désigna d'un mouvement de tête le ventre de sa fille qui, elle, baissa les yeux vers l'excroissance comme si elle venait de se rappeler de son existence. Elle releva les yeux vers Yuzu et l'examina sans gêne avant de claquer la langue.
- Et bien, vous ne devez pas avoir les plus beaux dans votre lit mais ils doivent avoir de sacrés fantasmes.
Un hoquettement horrifié de son père et le regard glacial mais désabusé de Jacinda.
Yuzu soupçonna alors que cette situation devait bien arranger Aheela et un certain nombre de vieilles biques du Consiliarerum. Jessica allait cracher insulte sur insulte et elle ne pourrait pas demander réparation au clan puisqu'elle était en mission. Son devoir. Bref, ses ennemies et détractrices relâchaient leur venin à travers la fille du clan Miller et dans des termes bien plus crus et directs que ce qu'elles n'avaient jamais espéré ...
- Tes manières, la rabroua tout de même Jacinda.
- Ta gueule toi, je t'ai pas sonnée, lui rétorqua immédiatement Jessica.
Ah. La dynamique jusqu'à présent avait plutôt été d'un autre ordre. Wolfang se taisait face à Jacinda. Le père s'écrase mais il garde aussi les faveurs de son aïeule. La fille, elle, fonce dans le tas pour tenter d'obtenir ce qu'elle croit lui être dû. Intéressant comme dynamique de clan au quotidien. Jessica n'avait sans doute jamais été plus sévèrement punie pour son comportement grâce à la position de son père qui faisait fructifier les finances du clan. Mais à quel point en était-elle consciente ?
Yuzu observait la prise de bec d'un air calme. Elle n'était pas décidée à intervenir.
- Qu'est-ce que tu fous encore là de toute façon ? enchaîna Jessica. T'es pas déjà rentrée auprès de ta maîtresse ? Quelqu'un pour te relayer est arrivé non ?
Cette dernière remarque avait été ponctuée d'une grimace. Jacinda la toisait, énervée. Yuzu était peut-être celle insultée mais le clan en restait ridicule.
- Jessica, je te présente Yuzu Schwartzen, la Gardienne des Savoirs et maîtresse de la Bibliothèque Abyssale. C'est elle qui s'occupera de toi.
La voix de Jacinda à cet instant fit penser à Yuzu aux crèmes onctueuses que l'on étale sur les pâtisseries. Pesant sur l'estomac à la longue avec toute sa moellosité.
Le regard dégoûté de Jessica se reporta sur elle.
- Elle paie pas de mine, grinça la jeune femme.
- C'est pour mieux vous dévorer mon enfant ... murmura Yuzu.
- Pardon ?
Encore un sourire qui n'atteignit pas ses yeux.
- Enchantée, Mademoiselle Miller.
Jessica attendit la suite mais rien ne vint.
- Et dans votre lit alors ? relança-t-elle, provocante.
- Je ne suis pas une grande dormeuse, je crains de ne pas y passer beaucoup de temps, répondit Yuzu calmement.
Jessica cligna des yeux et éclata de rire.
- C'est une blague ? demanda-t-elle d'un ton traînant.
- Si vous avez envie que c'en soit une.
Une pause puis un soupir.
- Alors on fait quoi maintenant ? demanda Jessica.
Yuzu se tourna vers Wolfang Miller et Jacinda.
- Pourriez-vous nous laisser seules je vous prie ? J'aimerais discuter un moment avec Mademoiselle Miller.
Jacinda hocha la tête et s'apprêta à sortir. Le père lui, fut plus hésitant jusqu'à ce que la Mar Bani lui saisisse le bras d'une main ferme.
- Ce n'est plus une enfant. Elle a fait ses choix, lui siffla-t-elle.
La porte se referma sur eux.
- Et maintenant ? demanda à nouveau Jessica.
Yuzu croisa les mains derrière son dos.
- Vous êtes enceinte de huit mois et deux semaines, est-ce exact ?
Jessica lui jeta un drôle de regard.
- Oui. Pourquoi ? Le môme vous intéresse ? Vous le voulez ?
Elle se retourna et entra dans la pièce d'à côté. Yuzu la suivit d'un pas souple. Une chambre, assez spacieuse et peinte dans une couleur bien plus bon marché que le reste de la maison. Un véritable fouillis y prenait place.
- Le "môme" semble beaucoup intéresser votre père, fit remarquer Yuzu.
- Pas étonnant. Il a toujours voulu un fils mais même le défilé de ses secrétaires n'a jamais été capable de lui en donner un.
Une pointe d'amertume. Vraiment, pensait-elle que son père n'avait aucune fierté à s'incliner devant Jacinda et les autres ? Les clans de sorcière n'étaient pas des endroits tendres dans leur majorité. Surtout pour les parrii.
- Vous le sous-estimez.
- Pardon ?
- Rien, éluda Yuzu.
Jessica n'aurait pas compris. Elle interpréterait sa remarque à l'aune du défilé de secrétaires. Et c'était vrai que Wolfang en changeait souvent sans compter les deux demi-soeurs de Jessica qu'il n'avait jamais reconnues sous peine de les voir entrer dans le clan.
- Alors, reprit Jessica, comment on fait ?
Yuzu s'approcha d'un pas lent de la fenêtre, les bras toujours croisés derrière son dos.
- Vous faites très militaire dans cette position, lui fit remarquer la jeune femme.
- Une vieille habitude, soupira Yuzu. J'ai un ami qui fait exactement la même chose.
Elle fit une pause avant de reprendre :
- Nous allons vous changer de maison. C'est plus prudent. Vous serez gardée par une équipe d'Inquisiteurs. Je passerai vous voir de temps en temps si cela peut vous tranquilliser.
Jessica haussa les épaules, indifférente. Elle agita la main pour lui faire signe de poursuivre. Yuzu plissa les yeux, appréciant peu son attitude.
- Vous ne pourrez pas sortir. Dans votre état, ça ne serait tout simplement pas prudent. Il y a dans l'équipe, un médecin apte à vous prendre en charge quand débutera votre accouchement.
- Vous semblez être sûre que je vais accoucher dans les prochains jours ...
Yuzu fixa son ventre.
- C'est imminent.
Nouveau haussement d'épaules et bâillement.
- Autre chose que je doive savoir ? s'enquit Jessica.
- ... Mon équipe vous expliquera les autres règles plus en détail.
- Quelles règles encore ? ronchonna la forme désormais enfouie à chercher que-ne-savait-on sous les couvertures.
- Les règles à suivre, Mademoiselle Miller.
- Vous n'êtes pas drôle, vous savez. Chiante comme la pluie et moche comme un poux, ricana Jessica. Vos règles, je les suivrai si j'ai envie et je change de maison si j'ai envie. Pas question de me faire trimballer comme un colis, vous avez compris ?
Sa tête sortait des couvertures et elle fixait Yuzu comme si elle s'attendait à ce qu'elle s'agenouille et dise : Oui Maîtresse.
Malheureusement, pour elle, la seule chose qu'elle récolta, ce fut un regard vide d'émotions.
Jessica se détourna, pensant le sujet clos.
- Je ne sais pas si c'est vrai ce qu'on dit ... Que vous avez buté la Gardienne avant vous pour avoir sa place.
Elle lui jetta un regard curieux et attendit quelques instants une réponse qui ne vint pas.
- Bref ici, c'est moi qui décide. Je suis importante pour votre enquête et je n'ai pas l'intention de me laisser faire par qui que ce soit ok ? Par qui que ce soit ! Même par l'infirme de la Super Grande Bibliothèque.
Toujours aucune réaction.
- Bon, aidez-moi plutôt à ranger tout ça, ok ? S'il faut que je prépare des affaires, je dois m'y retrouver avant.
Yuzu eut un sourire placide avant d'extraire tranquillement de sa poche un sablier en argent rempli de poudre bleue. Elle leva une main sous les sourcils froncés de Jessica qui ouvrit la bouche. Puis Yuzu claqua des doigts, purement pour le spectacle avouons-le.
Jessica ouvrit grand les yeux et disparut, téléportée dans le sablier, encore en tee-shirt et chaussettes.
Elle tapait encore contre les parois du sablier quand Yuzu le rangea dans une des poches à l'intérieur de son manteau.
Yuzu avait passé l'heure et demie précédente à examiner mentalement les moindres failles dans les protections de la maison. Un travail fastidieux mais salvateur en fin de compte. Elle avait appris un certain nombre de choses utiles en plus d'avoir la satisfaction de s'être débarrassée de Jessica.
Elle avait lu dans son dossier qu'elle supportait mal les téléportations. Cela la rendait malade ... Et un petit séjour coincé dans un sablier à crier dans le vide ne lui ferait pas de mal et lui apprendrait peut-être à ne pas défier une veratii ...
Une insulte ne s'oublie pas, ne se pardonne pas, et la vengeance est un plat qui se mange froid. En particulier quand le goûteur s'avère être mesquin et susceptible.
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