Chapitre 7

Plus tard, on m'expliqua que j'avais été touché par le rebond d'une balle de pistolet qui avait frappé vraisemblablement le poignard de mon ami Étienne. Bien que la blessure était superficielle, le projectile m'avait tout de même déchiré une partie des muscles juste en dessous de la clavicule gauche. Mon bras était dès lors immobilisé contre ma poitrine et je devais garder le lit pour encore quelques jours.

On me fit avaler des pilules pour m'endormir mais à chaque nouveau sommeil, je me réveillais, tétanisé par la même scène de la pièce de théâtre, que je revivais sans cesse. J'implorai mes soignants de laisser Martin me rendre visite. Je pus enfin le voir après deux longues journées passées au service des urgences.

Ensemble, nous examinâmes les radiographies et les quelques pages de mon dossier médical. Martin s'inquiéta de mon état psychologique après la tuerie de l'avant-veille. Je lui fis part de mes rêves et de la boucle épouvantable dans laquelle ils me maintenaient à chaque fois que je fermais les yeux.

Alors qu'il me précisait que durant les premières heures de mon hospitalisation, les médecins m'avaient fait passer des examens cérébraux et que je ne souffrais d'aucun traumatisme crânien, je perçus un mouvement derrière lui. Je me redressai tant bien que mal sur mon lit et me penchai douloureusement pour regarder derrière son dos.

Camilla me toisait depuis l'autre bout de la chambre d'hôpital. Elle tenait à la main son habituel masque blême, fissuré. Ses sandales tissées de fils d'or juraient avec le vert fade et passé du linoléum. Les boucles claires de ses cheveux entouraient son visage d'un halo bienveillant. Bien que sa présence aurait dû me terrifier, j'éprouvai un étrange sentiment de soulagement à la voir ainsi pénétrer le monde réel. La voix de Martin continuait à égrainer des informations futiles et me parvenait assourdie, comme s'il parlait depuis une autre pièce. Même la masse de son corps assis sur mon lit, me parut intangible.

Camilla s'adressa à moi dans son langage d'origine, celui des Pléïades et je ne fus pas surpris de comprendre la moindre de ses paroles.

« Je ne sais comment tu as su changer les plans du Roi, Étranger. Il semble pour un temps vouloir épargner Cassilda. Cependant, la pièce doit être jouée et le rideau doit bientôt retomber. Avant le dernier acte, l'un des protagonistes devra pourtant mourir. Nul ne peut échapper à l'intrigue qui se joue depuis que le Monde est Monde. Étranger, je t'en conjure, tiens-toi à ton rôle. Ne cherche pas le répit. Tôt ou tard, tu devras tomber le masque.

— Donc, tu vois, tu n'as pas à t'inquiéter de quelconques séquelles cérébrales. Tu m'écoutes ? Oh, pardon. Tu dois être épuisé. Je vais te laisser à présent. »

Martin se leva et je me trouvai une nouvelle fois seul face à l'appréhension du sommeil. Sur mon chevet, un pétale de rose tomba d'un vase. Je n'avais jusqu'ici pas fait attention à ce détail. Posé contre le récipient oblong d'une couleur terne, une minuscule enveloppe attendait que je la décachetasse.

J'éprouvai quelque mal à l'ouvrir d'une seule main et ce que j'y lus me troubla infiniment.

J'ai appris ce qu'il t'est arrivé l'autre jour. J'en suis fort désolée et je regrette la tournure des événements, tout comme je me désole d'avoir manqué de patience envers toi lors de notre rencontre.

Si tu le souhaites, je voudrais t'accueillir quelques jours chez moi en bord de mer pour ta convalescence.

Appelle-moi,

Jeanne.


Contre toute attente, les deux jours suivants à l'hôpital m'apportèrent enfin un peu repos. Je ne souffris d'aucune vision et aucun rêve ne troubla mes nuits. Je quittai ma chambre, le bras engoncé dans une écharpe, sous les encouragements de Martin.

Jeanne m'attendait à la sortie et je m'empressai de la rejoindre dans sa voiture dès les formalités de mon départ évacuées.

Nous roulâmes près de deux heures dans un silence gêné sur les routes bretonnes. En approchant de notre destination, sur le littoral non loin de l'île de Groix, Jeanne m'avoua que le choix du « Roi en Jaune » n'avait pas été aussi anodin qu'elle me l'avait avoué plusieurs jours auparavant. En effet, elle était issue d'une longue lignée de bardes et de sorciers et avait été initiée aux rites païens dans son jeune âge. Puis, lassée des traditions rétrogrades de sa famille, elle avait choisi de délaisser son pays pour entamer des études qui, avait-elle espéré, lui prouveraient qu'aucune magie ne régentait notre monde matériel.

En découvrant la collection d'Étienne, elle s'était aperçue qu'elle avait lu bon nombre de ces ouvrages et qu'il portait un réel intérêt bibliographique pour ce type de littérature ésotérique. Elle avait depuis longtemps eu connaissance du « Roi en Jaune » sans jamais l'avoir ouvert, mais, aveuglée par son scepticisme scientifique, elle n'avait pas voulu prendre garde aux avertissements des traditions.

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