Chapitre 5

« Le Roi Jaune dites-vous ? »

Le vieux libraire se moquait de moi. Je lui avais décrit à plusieurs reprises l'apparence et le contenu du livre et il en était encore à feindre l'innocence. Je savais déceler les manigances des commerçants, et celui-ci était un piètre menteur.

Je lui fis comprendre que je perdais patience et l'intimai, avec une véhémence que je ne me connaissais pas, de me révéler toute information utile dont il disposait au sujet du « Roi en Jaune ».

Le vieillard sourit, loin d'être intimidé par ma démonstration d'autorité. Il rehaussa ses lunettes rondes sur le bout de son nez et s'attabla dans un recoin de sa boutique, entre deux imposants rayonnages. De part et d'autre, nous étions cernés par une quantité innombrable d'opus de sorcellerie et de recueils ésotériques.

« Oui, je vois de quoi vous voulez parler, maintenant. J'ai en effet cédé l'un de mes précieux exemplaires à une très jeune femme il y a peu. Elle souhaitait acquérir un objet exceptionnel et était prête à y mettre le prix. Je lui ai donc fourni ce qu'elle désirait. Je l'ai toutefois mise en garde, mais elle m'a demandé « de lui épargner mes boniments de magiciens ». C'est ce qu'elle a dit, en effet. Comme il est dommage de ne pas prendre en considération les avertissements des esprits éclairés, ne trouvez-vous pas ? Oh, mais je vois que vous êtes vous-même un sceptique. Laissez-moi vous posez quelques questions, dans ce cas. L'avez-vous lu ? Avez-vous ressenti une sorte d'oppression à sa lecture ? Êtes-vous retourné depuis sur les lieux décrits ? En songe ? »

Je refusai de croire à ses balivernes. Pourtant, un sentiment de désespoir me poussait à l'écouter plus avant. Je remisai pour un temps ma fierté et mon assurance et le conjurai de poursuivre ses explications.

« Le Roi en Jaune, Hastur, le Maître des Hyades, l'Insondable... Autant de noms pour décrire la même entité. Il est connu des humains depuis des temps immémoriaux, pourtant il reste inaccessible, même aux plus doctes des mages. Personne ne peut l'invoquer. C'est lui qui choisit de se révéler. Car, voyez-vous, s'il peut se transfigurer dans notre monde, son existence ne relève pas de la magie des Hommes. Il existe depuis plus longtemps que notre soleil et il évolue dans de très nombreux lieux de l'univers. Nous ne sommes que des jouets entre ses esprits démesurés.

» La pièce que vous avez lue, peut-être est-ce lui qui l'a léguée lui-même aux terriens, comme une sorte de piège à rats pour que nous l'attirions à nous. Quoi qu'il en soit, si vous avez l'audace de plonger vos yeux dans les eaux de l'Hali, vous n'y découvrirez que désolation et folie. Je suis désolé pour vous, mais vous allez vivre vos derniers instants de vie matérielle dans une contemplation croissante, appelé par les beautés et les horreurs d'éthers qui nous resteront à jamais insaisissables.

» Et si vous me demandez s'il y a un moyen d'échapper à cette malédiction, je ne pourrai rien pour vous. Je ne peux décemment vous encourager à mettre fin à vos jours. Quand bien même, ce qui vous attend au-delà de la vie, est sans aucun doute encore pire.

»Tout au plus, je peux vous enseigner une alternative. Pas un recours, ni un moyen de sauver votre âme, mais une autre damnation qui vous occultera aux desseins d'Hastur... »

Je pris soudainement conscience des sornettes de ce charlatan. Il voulait m'entraîner dans je ne sais quelle absurde pantomime, dans une infernale spirale de rites douteux et de désenvoûtements aussi aberrants que hors de prix. Je renversai une pile de livres et pestai contre ma propre ineptie. En quittant ce traquenard, j'entendis le vieillard rire aux éclats derrière mon dos et me lancer une dernière malédiction.

« Vous reviendrez me voir. Vous reviendrez pour que je vous conduise à la Demoiselle d'Ys ! »

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