Chapitre 4
« Je ne puis soigner que les corps, mon ami. Or, Étienne est sous l'emprise d'une lubie de l'esprit. Quelque chose qui m'échappe. Il refuse de recevoir d'autre médecin que moi, même si je l'ai recommandé à plusieurs psychiatres compétents. »
Martin me donna les coordonnées de Jeanne, la jeune étudiante dont Étienne s'était épris plusieurs semaines auparavant ; cette fille semblait d'une manière ou d'une autre impliquée dans la folie de notre camarade.
La jeune femme accepta de me recevoir quelques heures plus tard, à la sortie d'un de ses cours. Je profitai de ce laps de temps pour engager des recherches sur ce fameux « Roi en Jaune » dans les rayons de la bibliothèque universitaire.
Les références étaient rares, et curieusement, les plus nombreuses concernaient des chroniques psychiatriques toutes vieilles de plus de soixante ans. Je découvris ainsi que l'ouvrage diabolique avait fait plusieurs malheureuses victimes depuis sa toute première édition. Les descriptions des commentateurs correspondaient trait pour trait à tout ce que j'avais pu observer chez mon ami. Chose étonnante, aucun cas n'avait été enregistré sur notre continent. Du moins, d'après mes succinctes recherches.
Mon téléphone vibra, signe que Jeanne m'attendait.
La beauté froide de l'étudiante me saisit alors que je découvris ses traits angéliques. Elle m'accueillit avec circonspection et ne répondit pas à mes sourires engageants. Après plusieurs tentatives de ma part pour m'intéresser à sa personne, elle m'interrompit brusquement et m'exhorta d'en venir aux raisons de ma présence ici. J'abordai donc sans ambages, le préoccupant état de santé d'Étienne. Elle écarta une épaisse mèche blonde de son front et soupira. Elle me toisa longuement avant de m'évoquer leurs dernières rencontres.
« Étienne a pour ainsi dire changé de comportement du tout au tout en l'espace de quelques heures. Je lui ai offert ce livre il y a une dizaine de jours, et, dès le lendemain, il a commencé à me malmener et à m'insulter. Ses propos étaient incohérents, et il m'a fait l'effet d'un fou furieux. Il m'a littéralement jetée hors de chez lui. J'ai voulu reprendre contact avec lui pendant toute une semaine, mais à chaque fois, il se contentait de m'insulter à travers la porte de son studio. Il ne répondait plus au téléphone non plus. J'ai perdu tout espoir de le raisonner après qu'il m'ait frappée jeudi dernier. »
Jeanne me présenta alors son poignet bandé qu'elle avait maintenu jusqu'ici sous son épais manteau de laine.
Je ne pouvais croire ses propos ; jamais Étienne n'aurait pu lever la main sur une femme. Je ne reconnaissais plus cet ami de dix ans.
Je voulus lui demander d'autres détails à propos du livre, mais elle mit très vite fin à notre entretien. Elle n'avait pas ouvert le « Roi en Jaune », ne savait même pas de quoi il s'agissait. Elle l'avait acheté sur les conseils d'un vieux libraire, pensant faire plaisir à Étienne. Je lui demandai l'adresse de ce bouquiniste. Elle me l'indiqua, exaspérée. Elle me lança un dernier regard rempli de reproches avant de prendre congés.
Ses derniers mots me laissèrent pantois, seul au milieu du couloir de la faculté.
« Tu ferais mieux de faire interner ton ami. Et tant que tu y es, fais-toi soigner aussi par la même occasion. Vous êtes en train de devenir complètement ahuris à la seule évocation d'un livre poussiéreux ! »
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