Chapitre 3

Je feuilletai les pages de cette pièce de théâtre et m'arrêtai sur un passage au hasard. Tout d'abord intrigué, je tombai vite dans une sorte de fascination indescriptible qui m'obligea à en lire la totalité. Le début de ma lecture se fit au son des gémissements indolents de mon ami, mais bientôt je ne prêtai plus aucune attention à ses plaintes et je plongeai dans des affres immatérielles.

L'intrigue me porta sur les rives brumeuses du lac Hali, aux pieds de la Cité de Carcosa. Je suivis comme dans un rêve éveillé les aventures ahurissantes d'Hastur de Cassilda, les ravages de Camilla et les plans néfastes du Roi en Jaune.

Mon regard se perdit au loin, cherchant à percevoir un élément tangible à travers les brumes du lac maudit. Les nues se dissipèrent après une éternité et je revins à ma pleine conscience des heures après avoir refermé l'ouvrage.

Il faisait désormais nuit noire sur ma cité terrestre et Étienne ronflait sur sa couche dévastée. En quelques instants j'oubliai mes visions et les raisons des frayeurs qui avaient agité mon absence ; elles s'étaient désormais muées en vague malaise que je mis sur le compte de la fatigue de mon récent voyage et de la commotion causée par mes funestes retrouvailles avec Étienne.

Je m'approchai du lit de mon ami et découvris que son sommeil était particulièrement agité. Son front était luisant de sueur et il respirait péniblement, comme sous l'effet d'intenses efforts. Je perçus en outre des bribes de phrases, soupirées dans un étrange langage qui m'était inconnu.

Je pris soin de le couvrir de ses lambeaux de couvertures et de draps avant de quitter sa pitoyable demeure.

La nuit ne m'apporta aucun repos; des rêves implacables m'acculèrent au fond de ma couche, à travers lesquels je revécus une expérience proche de celle que m'avait procurée la lecture du « Roi en Jaune ». Toutefois, dans ces lointaines contrées oniriques, je faisais désormais partie d'une nouvelle pièce qui se jouait malgré moi. Prisonnier de visions ineffables, je ne pouvais me soustraire à ces rêves, malgré une singulière conscience de ma situation.

L'aube me trouva épuisé, les yeux embués de larmes. Quelques instants après mon éveil, je tentai d'avaler un frugal déjeuner ;j'allai vomir immédiatement le café encore chaud, pris de violents spasmes.

Je luttai pour ne pas céder à l'angoisse ; il me fallait me rattacher à de concrètes considérations si je ne voulais pas que le mal qui avait saisi Étienne, ne se propageât jusqu'à ma psyché.

Je décidai d'appeler Martin, un de nos amis communs, lequel finissait son internat à l'hôpital. Nous prîmes rendez-vous sur le champ, car lui aussi souhaitait partager ses inquiétudes quant à l'état gravissime d'Étienne.

Nous nous rencontrâmes à la cafétéria de l'hôpital. Je parvins à me rassasier de quelques viennoiseries et d'un thé clair. Martin me révéla qu'il avait déjà ausculté Étienne à trois reprises. Son corps semblait perdre toute vitalité à vue d'œil. Les résultats des analyses sanguines ne révélèrent la présence d'aucune toxine, encore moins d'un quelconque virus ou bactérie nuisible. Cependant, d'importantes carences dans son organisme commençaient à se faire jour à une vitesse que rien ne permettait d'expliquer. 

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