1.8 : Rencontre


L'odeur les fit ralentir bien avant d'arriver devant le village.
Niall tira sur les rênes de son cheval et se tourna vers Brogan. Lui aussi avait froncé les sourcils et humait l'air avec circonspection.

Le soleil n'allait pas tarder à se lever, déjà une lueur blanchâtre illuminait l'horizon. Ils décidèrent de descendre de cheval, et de mettre Daron à l'abri avant de s'approcher.

Ils avaient déjà tous deux une idée de ce qu'ils allaient trouver, même s'ils repoussaient cette pensée pour l'instant. L'odeur caractéristique du feu et de la mort flottait dans l'air.
Après avoir attaché les chevaux, Brogan se pencha sur Daron, installé contre un gros rocher, sous le couvert des arbres.

— Vous devriez me laisser ici, murmura ce dernier, à bout de force.
— Ne sois pas stupide, guerrier ! bougonna Brogan en vérifiant sa blessure.

Le sang avait totalement recouvert le bas de sa chemise et commençait à imprégner son pantalon.

— Je vous ralentis, insista Daron. Les capes rouges sont toujours après nous...
— Si on te laisse là, il t'attraperont en premier. Mauvais calcul. Je savais bien que la tactique militaire n'était pas ton truc, Dare...

Il se mit à rire, mais s'étouffa de douleur. L'inquiétude marqua le visage tanné de Brogan.
Lorsqu'il reprit son souffle, il réussit à murmurer :

— Je serais mort avant. On le sait tous les deux.

Brogan serra les dents.

— Hors de question !
— On savait tous dans quoi on s'engageait, Brog. On savait que la mort nous attendrait à chaque tournant...

Brogan ferma les yeux.
C'était ce qu'il leur avait dit quand il les avait recrutés, lorsqu'il les avait alignés devant lui. À cette époque-là, il voulait qu'ils comprennent bien qu'il n'y aurait aucune gloire, ni fleurs sur leurs tombes. Ils étaient des parias qui soutenaient un roi déchu.

À cette époque-là, il ne les connaissait pas. À part Daron. Ils avaient grandi ensemble. C'était le premier homme vers qui il s'était tourné pour former sa garde.

Il tapota l'épaule de son ami avant de se lever.
Il ne voulait pas avoir ce genre de conversation.
Niall croisa son regard qui ne dit rien. Il n'y avait rien à dire.
Il se dirigèrent vers le village avec prudence et se figèrent d'horreur devant le spectacle qui les attendait. La mort régnait partout, même dans les yeux des femmes qui restaient.

Brogan jura, Niall resta silencieux.
Il avait compris en un instant que cette tuerie avait eut lieu à cause d'eux. Et il était sûr que s'il longeait la côte, s'il retrouvait les villages des autres hommes qui les avaient aidé lors de la libération d'Odhrán, il trouverait le même massacre. Il passa une main lasse dans ses cheveux trop longs.

Tous ces hommes, ces enfants étaient morts à cause de lui.
— C'est pour cette raison que c'était aussi facile, murmura Brogan à ses côtés.

Niall le regarda.
— La libération d'Odhrán s'est passée sans encombre, parce qu'ils nous ont laissé faire... L'attaque dans la forêt, ce massacre, c'est lié. Ils nous ont suivi.

Brogan jura.
Comment avait-il pu être aussi stupide ?!
Sa vigilance s'était relâchée et des dizaines d'hommes et d'enfants en avaient payé le prix.
Écœuré par lui-même, il traversa le village à grande enjambée et couru jusqu'à la mer. Il lui fallut peu de temps pour revenir. Niall essayait de réconforter les femmes. Mais il ne pouvait rien faire de plus.

Il retrouvèrent Daron qui s'était endormi, affaibli par sa blessure.

— Il y a une embarcation encore en bonne état sur la plage, expliqua Brogan alors qu'il préparait les chevaux.
Daron ouvrit les yeux. Niall le regarda sans comprendre.

— Le meilleur endroit pour nous cacher pour l'instant, c'est sur une île.
— Ces îles sont peuplées de sauvages ! s'exclama Niall, perplexe.

Brogan haussa un sourcil.
— Comme les sauvages du Sud, rétorqua-t-il. Cavan en était un...
— Tu oublies les sauvages du Nord, marmonna Daron.

Un court silence entoura les trois hommes.

— Et à l'Ouest ? demanda Niall, une lueur malicieuse dans le regard.
Brogan continua de s'occuper des bêtes.
— Hum... à coup sûr, il doit y avoir quelques sauvages par là-bas aussi.
Niall se mit à rire franchement et secoua la tête.
Ils avaient raison.

Chaque peuple qu'ils ne connaissaient pas était traité de « sauvage ». Son règne n'avait duré que quatre ans, pas assez longtemps pour qu'il se préoccupe de ce qu'il y avait au delà de ses frontières. Pas lorsqu'il devait gérer les guerres intestines à l'intérieur de son propre pays.
Son père, qu'il respectait et détestait en même temps, avait laissé le pays à feu et à sang. Ce n'est que lorsqu'il avait compris les erreurs de l'ancien roi, qu'il avait mesuré l'ampleur de la tache.

Quatre ans à temporiser avec le peuple, à remettre les nobles à leur place et à construire des fortifications. Rien qui ne lui serve à présent. Il aurait mieux fait de se préoccuper de ce qu'il y avait au-delà de ses frontières.

Les trois hommes embarquèrent en silence mais ils n'eurent pas le temps de pousser l'embarcation à l'eau.
Un cri, sur la droite de Brogan, lui fit tirer son épée. Niall avait déjà sauté hors du bateau pour se tenir à ses côtés.

En face, cinq hommes vêtus de cuir tanné et de peaux de bêtes. Certains avaient une partie du crâne rasé, d'autres avaient leur chevelure maintenu par des tresses ou des lacets de perles.
Ils avaient rencontré les sauvages plus tôt que prévu.
Brogan poussa un cri et fonça vers eux.

— Attends !

Trop tard, les sauvages avaient sortis leur hache d'armes et venait à leur rencontre avec un cri de guerre rauque et guttural.
Le combat fut bref.

Lorsque Brogan arriva devant les hommes, il eut la surprise de voir l'un d'eux sauter au niveau de son visage tandis qu'un autre plongeait dans ses jambes.
Il évita le premier, le manquant de peu avec son épée, mais ne fut pas en mesure d'échapper au second. Déséquilibré, il plongea dans le sable. Lorsqu'il voulut se relever, un coup à la tête l'envoya valser en arrière. La violence du heurt l'assomma presque. Il prit trop de temps pour se relever. Deux hommes le maîtrisaient déjà.

La longue chevauchée avec Niall et l'attaque de la forêt avaient miné ses forces. Il resta à terre, haletant, le visage couvert de sable, et pourtant hargneux.
Niall avait compris dès le début que la situation n'était pas à leur avantage, mais avant d'avoir pu arrêter Brogan, ce dernier avait foncé tête baissée.

Il avait pensé que les choses ne pouvaient pas être pires, mais quand il vit les hommes avoir le dessus si facilement sur son maître d'arme, il comprit qu'ils étaient dans une situation désespérée.

Les sauvages arrivaient maintenant sur lui. Derrière, dans l'embarcation, Daron était inconscient. Il n'avait aucune chance de les repousser, même si deux d'entre eux étaient restés avec Brogan pour l'attacher.

Il rangea son épée.
C'est le moment de voir si tu es un aussi bon diplomate que Petus... se dit-il, une pensée pour son jeune frère.

Il leva les mains pour montrer qu'il n'avait pas d'arme.
— Nous ne sommes pas là pour nous battre, leur cria-t-il.

Aucun ne répondit. Niall attendit, nerveux, qu'ils s'arrêtent devant lui.
Celui qui lui fit face dégageait l'aura la plus dangereuse qu'il ait jamais ressenti. Même Lochlainn ne lui avait pas fait cet effet là. Le guerrier était pourtant réputé pour être hargneux et redoutable.

Aussi menaçant fût-il, Niall ne détourna pas le regard et le fixa avec la même assurance royale que lorsqu'il avait fait face à son cousin Darguen.
À bien y réfléchir, d'ailleurs, cela lui avait valu pas mal d'infortune. Il serait bien avisé de prendre des cours de diplomatie, finalement.

L'homme le transperça de son regard bleu comme la mer. En travers de son visage, une cicatrice soulevait le bord de sa lèvre supérieur, formait un arrondi sur sa joue avant de plonger vers son nez. La balafre semblait ancienne, mais Niall imaginait bien la douleur d'une telle blessure.

— Nous ne voulons pas de guerre entre nos pays, répéta-t-il plus doucement mais avec assez de fermeté pour ne pas montrer sa peur.

Il avait compris une chose en les voyant : il avait en face de lui les sauvages venus des îles. À sa connaissance, ils ne s'aventuraient jamais sur terre. Même le troc qu'ils pratiquaient se faisait sur bateau.
Alors que faisaient-ils ici ?

Niall repensa au village, aux hommes massacrés, mais il repoussa cette idée. Ils n'avaient aucune blessure, aucun sang sur eux. À moins qu'il y ait eu plus d'hommes déjà repartis.
Il jeta un coup d'œil derrière eux.
Petus, pourquoi n'es-tu pas là ?!

La plage était déserte, le soleil était levé et rien n'indiquait le déplacement de troupes ou d'hommes armés.
L'un des hommes, qui avait le crâne rasé sur les côtés comme celui à la cicatrice, leva la tête vers le ciel.

Il laissa échapper quelques mots que Niall ne comprit pas. Un dialecte guttural des îles, supposa-t-il.
Ses compagnons eurent le même geste et d'un seul coup, il sentit la nervosité les traverser. Sauf chez celui à la cicatrice qu'il supposa être le chef.

Derrière eux, des cris retentirent.
Brogan essayait à nouveau de se libérer et paraissait aussi déchaîné qu'un taureau en pleine charge.

Un homme le frappa.

— Non !

Niall n'avait pu s'en empêcher. D'instinct, il s'était avancé pour aider Brogan. Il fut maitrisé en quelque seconde à peine. Un coup sur la tempe l'empêcha de se relever, et même d'essayer de négocier quoi que ce soit.

Il fût englouti par les ténèbres.

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