Mes doigts ouvrent fébrilement l'enveloppe, en tremblant légèrement. Jamais je n'ai été anxieux de ma vie. La lettre se glisse entre mes mains, exhibant ainsi l'écriture marquée de mon père. Je l'avais presque oubliée. Aller Harry, courage ! Mes yeux parcourent les premières lignes, c'est le plongeon.

« Cher Harry,

Tu ne liras peut-être jamais cette lettre car depuis le temps que tu ne réponds pas, je me suis fait une raison. Cependant, je vais tout de même écrire à quel point tu me manques, à quel point j'en veux à la vie de m'avoir repris le cadeau offert ce matin de septembre. Comme je regrette le temps où rien ne s'était passé... Où tu étais le petit garçon le plus heureux du monde, qui me prenait pour le monstre marin du parc. Tu sais, dans le bateau pirate ? Ou bien dans ton bain lorsque que n'avais que trois ans... Eh oui, toujours autant de nostalgie... Tu dois être un homme maintenant ! J'aimerais tant te revoir, mais je ne sais pas si je peux. Après tout, je t'ai abandonné. J'ai été lâche, mais à l'époque je ne savais que faire. Tu m'en veux sûrement et c'est compréhensible. De plus, ta mère ne doit pas avoir un discours laudatif à mon propos ! Mais qu'importe. L'essentiel c'est toi mon fils. J'espère avoir un signe de ta part. Pour l'adresse de ton université, ça n'a pas été difficile, surtout aujourd'hui avec les réseaux sociaux ! La sociologie alors ? Je suis si fier de toi ! J'aimerais continuer cette discussion face à face, j'espère en avoir la chance.

Dans l'espoir que tu lises cette lettre, ton père à qui tu manques. »

Absorbé par la lecture, je n'ai même pas remarqué mes larmes abondantes. Je me rassois contre le mur en les essuyant d'un geste rageur. J'ai envie de hurler, de me laisser aller aux sanglots, de taper dans un objet, de tout envoyer valser. La colère, le ressentiment, la peine profonde et l'espoir agitent mon esprit. Voilà comment je me retrouve en pleine nuit dans la rue, seul. En pleurs aussi. Ce retour de papa dans ma vie est si brusque, si inattendu. J'y crois à peine.

Il me faut de longues minutes pour reprendre mes esprits, heureusement qu'il ne fait pas froid.

C'est alors que je pense à regarder ce que m'a donné Emma. Quelle femme mystérieuse, douce, altruiste et un peu autoritaire. Elle n'a pas hésité à me venir en aide, ce début de nuit est assez étrange. D'abord cette lettre, puis ma course improvisée et Emma. D'ailleurs, cette course est plutôt une fuite. J'ai eu peur des mots tournant désormais dans ma tête. En boucle, tel le plus triste des refrains.

Le carton blanc dévoile une suite de chiffres. Son numéro de téléphone. Elle entrera d'avantage dans ma vie, c'est obligé. Moi qui voulait l'en éloigner, c'est raté. Mais peut-être qu'elle me tend juste la main, pour que j'aie quelqu'un a qui parler. Peut-être que ce geste a servi à la rassurer. Dois-je l'appeler ? Il est tard. Je ne sais pas. Je me sens perdu. Perdu par le passé venu frapper à ma porte.

Ma mère ne doit surtout pas le savoir. De toute façon, elle peut toujours courir pour obtenir une information aussi importante. L'attachement qui me reste se soucie des blessures que ça provoquerait chez elle. Ces cicatrices qu'elle cache sous sa colère. Dieu seul sait ce qu'elle dissimule sous son masque neutre.

Que vais-je faire maintenant ? Je ne vais pas non plus rester ici toute la nuit. De plus, aucun bar n'est ouvert. C'est donc l'âme en peine que je rentre au campus, à pas lents. La nuit resplendit, parée de son immense toison argentée. Comme si elle voulait plaire à la terre, avec la Lune faisant office de Soleil nocturne. On dit que l'étoile n'apparaît pas la nuit, mais elle rappelle sa présence en éclairant l'astre lunaire. En fait, le Soleil est toujours là. Pour cette raison, je devrais essayer de rester positif. Mais je me sens encore perdu.

Le froid commence à mordre mes joues, je ferme ma veste et accélère le pas. Heureusement que j'ai une bonne mémoire, sinon j'aurai oublié le trajet fait avec Max l'autre jour. C'est donc basé sur mes souvenirs que je regagne mon studio.