Maman a encore disparu, sans doute chez l'une de ses amies des alcooliques anonymes. Heureusement, j'ai eu le temps de remettre l'intérieur en ordre. Notre dispute repasse sans cesse dans ma tête, les larmes menacent de monter. Une boule se forme dans mon ventre alors que ma gorge se serre. Ses reproches acerbes sont toujours aussi douloureux mais il faut tenir bon. Si la petite remarquait mon trouble, je serais obligée de lui mentir. Il faut la préserver de la réalité bien trop dure pour son jeune âge. Son inconscience me fait du bien, me permet de penser à autre chose.

Le passé vise notre dos de son arme, le présent nous tient la main tandis que le futur nous observe du haut de son mirador.

Si je devais dessiner ma conception de la vie, ce serait ressemblant à ça. Les trois divisions temporelles humanisées, à une place bien précise. Et me voilà partie dans de mauvaises pensées... Ce n'est pas le moment de se laisser aller.

Soudain, je sens un petit corps contre moi. Je sors de mes pensées puis baisse la tête.

- Mia ! Ta journée s'est bien passée ma puce ?

- Oui ! J'ai un mot pour maman, elle est là maman ?

Je la prends dans mes bras alors que mon cœur se serre. Le sourire reste malgré tout. Je l'emmène dans la voiture pour éviter le froid et les regards curieux.

- Je ne sais pas, elle travaille beaucoup tu sais. Tu peux me montrer, c'est quoi comme mot ?

Demi mensonge. Elle a quand-même un emploi. Elle me met encore dans une situation inconfortable.

- Tu sais ma puce, tu devrais me donner tous tes mots. Maman travaille trop et risque d'oublier. On fait comme d'habitude d'accord ?

Si ça la rend triste, elle le cache. Difficile à dire avec ce magnifique sourire.

Une fois que nous sommes bien installées dans l'habitacle, elle me donne fièrement sa feuille. La nouvelle que ça contient semble la ravir.

- La maîtresse veut nous emmener voir des oiseaux ! On va aller dans une cabane avec des jumelles et les gens qui travaillent là bas, ils vont nous apprendre plein de choses !

- Mais c'est génial ma chérie ! Tu as hâte alors ?

- Oui ! Trépigne-t-elle.

Je signe la petite fiche jaune et lui demande de se calmer avant de de démarrer.

Le trafic est fluide, nous rentrons assez vite. Toujours aucun signe d'elle. J'hésite à l'appeler. Finalement, je laisse tomber pour m'occuper de Mia, c'est elle qui mérite mon attention après tout. De plus, ça me focalisera sur autre chose que ses mots aux griffes acérées, ceux qui ont la force de briser le mur de défense.

Il n'y a personne au monde que j'aime plus que Mia. Elle est mon rayon de soleil, ma joie, elle éloigne la noirceur de ma vie. Grâce à ce petit être, mes problèmes se cachent. Pour parfois mieux ressurgir, mais je ne faiblis pas. Pas devant les autres en tous cas.

- Emma, tu viens prendre le goûter ? Je peux regarder Winnie l'Ourson ?

- D'accord mais seulement deux épisodes ! Je ne veux pas que tu restes trop longtemps devant la télé.

- Oui ! Tu as fait quoi à ton travail ?

Je souris, sa façon innocente de parler m'amuse. Alors que je l'invite à s'installer sur le canapé, elle me sert un bol de céréales ainsi qu'un verre de jus d'orange. Son geste me surprend mais me touche.

- Tu as décidé d'être serveuse ? Tu es sûre que c'est ce que j'ai commandé ? Je la taquine.

- Tu t'occupes tout le temps de moi alors je te fais ton goûter. Et puis je veux faire le même travail que toi !

Sur ces paroles, elle m'entoure de ses petits bras. L'émotion me serre la gorge, si elle savait à quel point ses mots sont touchants... Je remue ciel et terre pour Mia, elle s'en rend compte et me remercie. J'ai vraiment de la chance de l'avoir. Jamais je ne regrette le temps d'avant.

Lorsqu'elle me lâche, nous nous installons sur le canapé. Elle me fixe, curieuse de connaître le déroulement de ma journée.

Je repense alors à mon attitude face à Mary, ce n'était pas très correct. Cependant les souvenirs ont pris le dessus. Peu importe. L'orage est passé mais le sol reste trempé.

- Aujourd'hui, ce n'était pas très différent tu sais. Les gens arrivent, on prend leur commande et on les sert !

Malgré la banalité de ma réponse, elle savoure son jus d'orange sans me lâcher du regard.

- Enfin, il y a quelque chose. Mary a fait une rencontre !

- Qui ? Elle va avoir un amoureux ?

- C'était deux jeunes hommes, et l'un des deux plaît à Mary... Je ris.

- Ils s'appellent comment ?

- Tu es policière maintenant ?

Elle rit en hochant négativement la tête. Sa bonne humeur contagieuse remonte mon moral.

- Celui qui plaît à Mary s'appelle Max et il est très grand ! Le nom de son ami est Harry.

- Grand comment ? Et Harry il est beau ?

Je me fige brièvement à sa deuxième question. Ils vont tous s'y mettre aujourd'hui ?

- Max mesure deux mètres, il toucherait presque le haut de la porte !

- Ouah ! C'est un géant ! s'exclame-t-elle en regardant la porte.

- Il est grand, mais ce n'est pas gentil de le traiter de géant. Peut-être qu'il n'aime pas.

- Pardon. Répond-t-elle d'une voix penaude.

- Je voulais juste te prévenir, ce n'est rien.

Je débarrasse la table puis lui installe son dessin animé.

- Je vais prendre une douche, tu restes sage d'accord ?

- Je reste avec Winnie !

- A tout de suite !

Alors que les émotions remontent, mon pas se hâte jusqu'à la salle de bain. Une fois sous l'eau, je m'autorise à craquer. C'est alors que mon cœur libère son contenu au moyen de perles salines. Je cesse de lutter quelques instants. Je déclare forfait face à l'équilibriste marchant sur mes cordes sensibles. Mais il y aura un deuxième round.