🔮 Chapitre 2 : Lilith
Maman est morte.
Un hurlement d'effroi s'échappe de ma gorge. Haletante, je me redresse en sursaut. Ma couverture est au sol, mes joues sont trempées de larmes.
J'agrippe les draps pour m'assurer que ce n'était qu'un rêve. Mes paupières s'ouvrent sur des murs lilas et un bureau jonché de livres volumineux. Je me trouve toujours dans ma chambre, dans le château du seigneur Bardolf.
Pourtant, cette fois, j'en suis persuadée. Maman est morte.
Je ne ressentais plus son énergie depuis des semaines, et cet affreux cauchemar confirme mon intuition. Du sang s'écoulait de ses lèvres, elle était étendue à terre, inerte. Ses derniers mots m'étaient adressés. Sois forte, ma Lilith.
De violents sanglots secouent soudain ma poitrine. Je suffoque, le cœur déchiré en mille morceaux. Maman est partie sans que je ne puisse lui faire mes adieux. Elle s'est éteinte loin de moi, seule et désemparée.
Où était-elle ? Comment est-elle morte ? L'a-t-on assassinée ?
La rage et la tristesse me submergent, provoquant des tremblements dans tout mon corps. Pourquoi a-t-elle choisi cette vie ? Pourquoi m'a-t-elle abandonnée ici, me rendant visite seulement une fois dans l'année ?
J'entends tout à coup des pas provenant du couloir. Rapidement, j'essuie mes larmes du revers de ma chemise en flanelle, tente de reprendre mon souffle.
S'ils m'attrapent encore en train de pleurer, ils ne cesseront de me poser des questions et de me surveiller, par crainte que je ne fasse une nouvelle crise. Jamais je ne leur avouerai ce que je sais.
S'ils m'offrent le gîte et le couvert, c'est uniquement parce que le Seigneur Bardolf a une dette envers ma mère. Même si elle les a aidé à reconquérir les Îles de la Nuit grâce à ses pouvoirs, ils me mépriseront toujours pour ce que je suis : une sorcière de l'Ombre.
Hélas, maintenant que maman est décédée, je crains qu'ils ne considèrent leur dette caduque.
On toque à la porte. Mon cœur s'emballe.
— Mademoiselle Lilith, tout va bien ? Encore un cauchemar ? s'enquit Fala, ma gouvernante.
J'avale ma salive, inspire un coup.
— Oui, Fala, ce n'est rien. Je..., j'ai seulement rêvé que je tombais d'une falaise, fabulé-je en adoptant un ton rassurant.
Quelques secondes de silence suivent mes propos. Je l'entends se racler la gorge.
— D'accord... Souhaitez-vous que je vous fasse couler un bain ? De toute façon, il est bientôt l'heure de se lever.
Je lui réponds positivement. Enfin, ses souliers claquent sur le plancher en s'éloignant. Au moins, cela me donne le temps de reprendre mes esprits.
Je soupire faiblement, puis sors du lit pour me diriger vers ma coiffeuse.
Mes longs cheveux noirs s'emmêlent au-dessus de mes épaules, des cernes trahissent mon manque de sommeil.
Il faut que j'arrive à reprendre le dessus sur mes émotions. Sinon, j'exploserai de nouveau.
Je m'observe plus attentivement dans la glace.
Mon reflet reste mon unique consolation. En grandissant, je reconnais maman dans mes traits. Quand je me parle à moi-même dans le miroir, c'est un peu comme si nous conversions toutes les deux.
Sois forte, ma Lilith.
Je serre les poings, retient difficilement mes larmes en me mordant la lèvre inférieure.
— Oui, maman. Je te le promets.
***
Nous prenons le petit-déjeuner sur l'immense table en noyer de la salle principale. A travers les fenêtres attenantes, je distingue l'aube qui commence à pointer dans le ciel.
Sur les Îles de la Nuit, le jour se lève aux alentours de neuf heures et se couche à quinze heures.
Le seigneur Bardolf arrache goulûment la chair d'une cuisse de dinde rôtie avec ses dents, sa moustache brune en récupère les restes. Dame Charlotte, son épouse coiffée d'une longue tresse blonde, boit du lait de chèvre chaud de manière plus distinguée.
Leurs jumeaux machiavéliques tout aussi blonds sont assis face à moi.
Charline joue distraitement avec un quignon de pain, comme si chaque chose qu'elle touchait ne méritait pas l'attention de ses yeux d'un bleu glaçant.
Bastian, quant à lui, croque dans une pomme tout en me dévisageant avec une voracité qui me met mal à l'aise.
Si je n'étais pas la protégée de son père, il ne se serait pas gêné pour poser ses mains sur moi. Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai surpris des servantes sortir de sa chambre, débraillées et honteuses, quelques pièces d'or coincées dans leurs corsets.
Je lui lance un regard noir en remuant mes lèvres en silence, comme si je lui jetais un sort. Il détourne rapidement la tête, mâchant son fruit consciencieusement. Un rictus se dessine sur mes lèvres. Au moins, la peur que je leur inspire a le mérite de les garder à distance.
Il y a quelques mois, Charline m'avait encore gratifié de son venin, me traitant de monstre.
Sans que je ne puisse l'expliquer, la colère avait explosé en moi, renversant tout ce qui m'entourait dans une onde de choc. Par chance — ou par malheur, Charline n'en a été que légèrement blessée. Toutefois, depuis cet incident, leur attitude envers moi a changé.
Les jumeaux ont cessé de me persécuter, tandis que leur père a recruté un énième mage pour m'enseigner son savoir. Le seigneur Bardolf a vu ma mère à l'œuvre, et pour lui, c'est une preuve suffisante de mes propres capacités.
Je soupire en l'observant dévorer sa dinde. Il ne me considère que comme une arme précieuse. Rien de plus. Cependant, la magie des sorcières de l'ombre diffère de toutes les autres magies. Elle est très ancienne, instinctive, et ne se transmet que de mère en fille. Sans oublier son extrême rareté. Les sorcières de l'Ombre sont appelées ainsi, car la majorité d'entre elles cachent leurs pouvoirs. Elles ne seraient plus qu'une dizaine, disséminées dans les Terres.
Tous mes précepteurs ont fini par abandonner, car dans leur discipline, mes résultats étaient exécrables. J'ai toujours pensé que je n'avais que de faibles pouvoirs, jusqu'à cette violente crise, il y a quelques mois.
Au cours de ses brefs passages sur les Îles, maman ne m'a enseigné que deux sorts. Je ne peux les utiliser que sur moi-même : le sort de protection, afin de me protéger des attaques magiques et physiques, et le sort de guérison, afin de soigner mes propres blessures.
Si elle m'a abandonné ici, c'est pour me préserver du monde extérieur jusqu'à ce que je sois prête. J'ai conscience que lorsque nos pouvoirs se révèlent, ils exercent une fascination telle que nous nous retrouvons traquées. Soit dans le but de nous recruter, soit pour nous tuer, car nous représentons une sérieuse menace. Ainsi, le seigneur Bardolf a promis à ma mère qu'il me garderait en sécurité dans son château.
Quoi de plus isolé que les îles les plus à l'Ouest des Terres ?
A chacune des visites de ma mère, j'espérais être enfin prête, pour qu'elle m'emmène sillonner royaumes et forêts enchantées. Découvrir le monde à ses côtés représentait mon rêve le plus cher. Hélas, elle ne viendra jamais me chercher...
— Père, Fala vous a-t-elle informé que Lilith a encore cauchemardé cette nuit ? déclare soudain Charline, son insolent menton pointé vers Bardolf.
Ce dernier grogne, agacé qu'on le dérange en plein festin. Puis, il hausse les épaules.
— Père, j'exige que l'on déménage sa chambre ! Je suis fatiguée d'être réveillée par ses hurlements, je dors dans le même couloir, je vous signale ! s'énerve la jeune fille à la tresse blonde.
— Charline, calmez-vous, enfin, intervient sa mère. Nous trouverons une solution.
— Moi, ça ne me dérange pas qu'elle soit près de la mienne, ajoute Bastian dans un sourire libidineux.
Ses yeux brillants se plissent en deux fentes, lui donnant un air porcin.
Je manque de vomir mon lait de chèvre.
— Lilith ? Votre avis ? questionne soudain Bardolf, plongeant ses yeux noirs semblables à deux billes dans les miens.
Je toussote. Mon avis ? Peu importe, je ne me sentirai jamais chez moi ici.
— Je préfère rester dans ma chambre actuelle, si c'est possible. Je tâcherai de boire quelques gouttes d'hydromel avant le coucher pour ne pas faire de cauchemars, et je pense qu'il serait plus facile pour Charline de déménager où bon lui semble, proposé-je, prenant plaisir à provoquer la fille de Bardolf.
Cette dernière fulmine, ses iris bleus me lançant des éclairs.
Le seigneur des Îles de la Nuit acquiesce dans un hochement de tête.
— C'est décidé, Charline, établissez donc vos nouveaux appartements où cela vous plaira, à part les miens et ceux de votre mère, évidemment.
Il se lève d'une traite, s'essuie sommairement la bouche avec une serviette, puis prend congé après avoir baisé la main de sa femme. Enfin, il disparaît de la pièce suivi d'un de ses gardes. Un frisson de terreur s'insinue le long de ma colonne vertébrale.
J'espère que personne ne l'informera du décès de maman.
Charline boude en plaçant ses mains sur les hanches telle une enfant. Son frère décide de se retirer à son tour, puis, au moment où il passe derrière moi, je l'entends glisser à mon oreille :
— Un jour, je t'aiderai à mieux dormir. Et tu me supplieras de continuer. Je serai ton Seigneur d'ici quelque temps, ne l'oublie pas.
Je me mords les joues de toutes mes forces pour ne pas lui flanquer un coup de poing. Le jour où il m'aidera à mieux dormir, sera le jour où il se taira à tout jamais.
Alors que je croque dans une pomme, ma décision est prise. Ma place n'est plus ici. Je dois m'enfuir le plus vite possible.
Lorsque je quitte la table, je préviens dame Charlotte.
— Je souhaite me promener dans les jardins quelques heures.
Elle acquiesce sans méfiance, habituée à ce que je passe mes journées à flâner dans le parc du château.
— Fala t'accompagnera, se contente-t-elle de répondre, savourant quelques fruits rouges qu'elle picore dans une assiette.
Agacée, je retiens un grognement. Bien sûr, Lilith la dangereuse sorcière doit rester constamment sous surveillance.
Une fois dans les jardins, la pauvre Fala a du mal à me suivre tellement mes foulées se font rapides.
Le deuil de ma mère que je ne peux même pas pleurer, l'impression de n'avoir ma place nulle part, d'être un monstre, toutes ces émotions bouillonnent en moi.
Il faut que j'arrive à me calmer, sinon je risque d'imploser. Mon regard parcourt les environs. Je dois étudier chaque coin de l'île pour planifier mon évasion.
Mes pas me mènent jusqu'à la lisière du parc du château, donnant sur une falaise.
Aujourd'hui, le ciel est gris, les nuages semblent menaçants. On dirait que la nuit ne s'est jamais vraiment arrêtée.
J'inspire l'air marin, hume le parfum salé de la brise. Le vent fouette mes cheveux, ceux-ci volent autour de mon visage, chatouillant ma peau.
J'envie le vent. Lui qui est si léger, si libre, si insouciant.
Pendant une seconde, je me demande ce qui se passerait si je sautais de cette falaise. Mes pouvoirs m'empêcheraient-ils de sombrer ? Eux que je ne maîtrise pas ? Et si je mourrais, mon existence aurait-elle eu un sens ?
Maman... Tu m'avais promis de venir me chercher...
Mes larmes menacent de couler de nouveau. Sois forte, ma Lilith.
— Mademoiselle Lilith ! A l'aide ! hurle soudain Fala.
Sa voix provient d'un buisson à quelques mètres. Les sens en alerte, le cœur battant à tout rompre, j'accours pour la sauver.
— Fala ? Vous êtes tombée ? Que se passe-t-il ?
Je relève ma robe en velours pourpre pour permettre à mes jambes d'aller plus vite.
Pourtant, une fois arrivée au niveau du buisson, aucune trace de ma gouvernante.
Tout à coup, je sens des bras qui s'enroulent avec force autour de ma taille, m'empêchant de bouger.
A l'instant où j'essaie de crier à l'aide, un tissu épais se presse sur mon visage. Une odeur âcre et sucrée envahit mes narines. Mes jambes flageolent aussitôt, ma vue se brouille rapidement, le monde tangue sous mes pieds.
— Vite, il n'y a pas de temps à perdre, souffle une voix masculine dans mon dos.
Une silhouette floue se matérialise devant moi.
— Je suis désolée, mademoiselle Lilith, murmure Fala.
Mes paupières deviennent lourdes et se ferment contre mon gré, puis l'obscurité m'enveloppe.
👑🥀✨
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Merci pour votre lecture 🤗 J'espère que ce chapitre vous a plu 💖N'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile pour m'encourager ⭐
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