Un cimetière, un rituel


« Moi, Elmah et Elvis arrivâmes sur cette rue en face du collège. Nous ne nous parlions pas depuis le début du trajet, seul un grand : « Putain ! » tout droit sorti de mes cordes vocales vint briser le silence lorsque je constatai, en scrutant l'horloge située non loin du sommet du bâtiment, qu'il nous restait encore près d'une heure à attendre. Ça, c'était bien à cause d'Elmah et de sa manie à toujours vouloir partir trop tôt pour pouvoir marcher tranquillement dans la rue en écoutant sa musique.

Soudain, je me souvins d'un truc. Alors comme ça, Elmah voulait marcher ? J'allais la faire marcher, moi. Je proposai à mes amis de me suivre. Nous descendîmes la rue jusqu'en bas ; c'était le chemin que nous prenions habituellement en cours de Sport pour nous rendre à l'IUFM, où se trouvait le gymnase où l'on faisait cirque. Je me rappellerai toujours qu'en bas de cette rue, il y avait une pancarte pointant à gauche où était indiqué « Cimetière. »

Nous virâmes sur la gauche, nous commençâmes par nous balader sans vraiment savoir où nous allions. Mais les pancartes indiquant toujours la même direction étaient là pour nous aider. Si je me fie à mes souvenirs assez flous, nous avions eu à passer devant un tabac-presse, un arrêt de bus, une pharmacie, un parc, voire même une piscine. Je me rappelle qu'un jour en empruntant ce chemin-là le matin, j'avais vu une lune énorme se lever entre deux bâtiments. Elle était encore assez basse, je me rappelle que nous étions restées, moi et Elmah, plusieurs longues minutes à l'observer, comme vampirisées. Mais ce n'était pas ce jour-là.

Ce jour-là, nous découvrions le trajet pour la première fois. Après avoir longtemps, très longtemps marché, nous étions arrivés devant un imposant portail. Je crus rêver en découvrant que nous étions parvenus à notre destination : le cimetière...

À cette heure-ci, il était déjà ouvert, et nous étions déjà rentrés à l'intérieur. Mes souvenirs sont très flous à ce moment-là. Je pensais que ces moments allaient me marquer, et pourtant... C'est à peine si je me souviens que nous avions traîné et marché parmi les tombes, un jour nous avions même atteint le bout du cimetière après un voyage passionné. La seule chose dont je me souviendrai toujours parfaitement, c'est l'ambiance qui régnait dans mon cœur à ce moment-là... Une ambiance sombre, mais douce. Une ambiance à la fois angoissante et soulageante. Une ambiance qui me faisait mourir intérieurement, mais qui pourtant m'aidait aussi à vivre. Une ambiance de vie sombre, une ambiance de mort lumineuse. Une ambiance déprimante, l'ambiance de rêve pour un suicidaire. Une ambiance absolument vampirique. Je ressentais tout ça rien qu'en me rendant ici, dans ce cimetière. Ça m'a immédiatement plu. Elmah ressentait exactement la même chose.

Elle et moi échangeâmes un regard. Ses yeux noirs cafés croisèrent mes yeux à moi, verts-bleus, nos deux chevelures blondes voletaient devant notre visage. Elvis, resté en retrait, dit purement et simplement : « Vous êtes tarées. » Il s'en alla. Elmah et moi restâmes seules parmi les morts, personne d'autre n'était dans les alentours.

Les jours suivants, ce trajet jusqu'au cimetière était devenu un rituel. Nous le connaissions par cœur. Quelques fois, nous étions accompagnées par Angèle, par Gaïa, par Gimmia, par Elvis, par Bruce, mais la plupart du temps, nous n'étions que toutes les deux. Une fois même, il me semble que j'y suis allée seule. À chaque fois, je ressentais cette même aura en pénétrant dans le cimetière. Une aura qui était sans doute créée par les morts... Le cimetière les jours ensoleillés avait un charme tout autre, il semblait juste être un lieu de paix où les âmes faisaient la fête. Mais moi, à l'époque, la lumière, ce n'était pas mon délire. Du coup, je préférais y aller les jours sombres. Les jours d'averse, les jours d'orage, quand le ciel était couvert de nuages gris et tristes, quand ces larmes du ciel qu'étaient les gouttes de pluie tombaient en petite quantité et venaient s'écraser sur le sol, quand le froid régnait dans l'air.

Au bout d'un moment, ce trajet, je le connaissais par cœur, et je l'attendais toujours avec impatience. Je mourais sans cesse d'envie de retourner, encore et encore, me promener dans le cimetière, pour pouvoir libérer mon âme un moment avec celles des morts. J'aurais voulu les rejoindre, m'enterrer dans un cercueil et me laisser mourir. M'évader à jamais de ma vie tourmentée, durant laquelle je pensais ne jamais pouvoir revoir la lumière. Dès qu'un de mes professeurs était absent, dès que j'avais une occasion de pouvoir sortir plus tôt, la première chose que venait en tête n'était pas de pouvoir rentrer chez moi me reposer. Non. La première chose qui me venait en tête, c'était : « Trop cool ! Je vais en profiter pour aller au cimetière ! »

Finalement, je ne l'ai que très peu fait pendant la journée lorsque je finissais tôt, mais pendant une très longue période, je l'ai fait le matin en arrivant exprès trop tôt au collège pour pouvoir combler le temps. En plus de combler le temps de l'attente, il comblait aussi le temps de ma vie.

À cette période-là de ma vie, je me fichais de mourir. Je voulais mourir. Je voulais être enterrée vivante. Ça ne me dérangeait pas, parce que de toute évidence, je pensais que j'étais immortelle.

Ce rituel-là, je l'adorais. C'était le rituel. Le rituel du cimetière. Un rituel de vampire. »

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