Chapitre 4

Bonnie trainait ses babines dans le cou nu de Dulcie. Elle insinuait les doigts entre chacune de ses pétales et déballait son pistil délicat. Quand soudain, un claquement de porte retentit. Tout près. Elle retira immédiatement cette main de sous les volants de la robe et se baissa comme pour renouer des lacets invisibles.

Le majordome débarqua dans le couloir et les salua d'un sourire poli, pendant que Dulcie faisait mine de chercher la carte magnétique de leur chambre. Il marcha dans une extrême lenteur, déambulant de seuil en seuil pour vérifier chaque plaque, chaque numéro. Imperturbable, il continua sa ronde, droit comme un piquet, s'éloignant pas à pas du feu qui impatientait Bonnie.

Lorsqu'il eut enfin disparu au tournant, cette dernière remonta ses ongles le long du mollet de Dulcie pour presser la rondeur de son doux fessier. Elle coulissa un bras sous sa cuisse et la colla contre la porte. Dulcie inhala l'odeur prenante de noix de coco qui parfumait les frisotis de Bonnie, tandis que celle-ci promenait ses paumes sur les contours de sa partenaire, l'enduisant de toute son effervescence. Bonnie défit le haut de son cache-cœur, avant de papillonner autour de ses mamelons qu'elle mordilla à pleine bouche. Ce fut comme d'empoigner la pulpe d'une mangue parfaitement lisse.

― Je peux goûter ? demanda-t-elle à demi essoufflée, en louchant vers le bas.

Dulcie répondit d'un signe de tête, puis l'embrassa. Elle l'entraina vers elle en fourrant une main dans ses cheveux, et elles s'appuyèrent toutes les deux contre la poignée. Alors qu'elles mêlaient encore goulûment leurs papilles, la serrure se déverrouilla finalement pour les laisser entrer.

Elles se détachèrent le temps de ce qui leur parut être une éternité. Dulcie enleva sa culotte d'un seul mouvement, se rua sur le lit et écarta les jambes.

― Bonne dégustation, dit-elle le regard malicieux inséré dans celui de Bonnie.

Cette dernière rejoignit la fleur qui l'attendait sur les draps, et la recouvrit d'innombrables caresses, toutes plus envoûtantes les unes que les autres. Le visage de Dulcie rosissait peu à peu sous les gestes agiles de Bonnie, qui savoura avec ardeur cette friandise si convoitée. Elles exultèrent. Leur corps luisant sous la chaleur de l'instant, comme si l'on y avait aspergé un film d'huile, elles haletèrent d'émotion.

― Oui ! souffla Dulcie entre deux gémissements aigus.

Elle eut la chair de poule. Son cœur se précipita dans ses veines et elle ne tarda pas à jouir. Des secousses dans la poitrine. Des paillettes de dopamine. Une vraie merveille. Ce fut comme être constamment happée par une force irrésistible, sans jamais atteindre son point de rupture. Le cours d'une minute, alors que l'orgasme rugissait en elle, Dulcie ne vit ni n'entendit plus rien. Ce ne fut plus que ce bonheur tentaculaire, plus que ce sentiment inouï.

Quand la légèreté la berça ensuite, Bonnie lui donna un long baiser sur la cambrure des reins. Puis un deuxième, et un troisième, qu'elle fit courir jusqu'au milieu de ses omoplates.

― C'est trop bon, murmura Bonnie.

Dulcie hocha la tête et elles s'étalèrent l'une à côté de l'autre, euphoriques. Après un moment à flâner, leurs ailes déployées, virevoltant comme deux papillons colorés, elles se rendirent dans la salle de bain.

Elles se déshabillèrent pendant que la baignoire se remplissait de savon et d'eau chaude. Dulcie y plongea la première, puis son amante la suivit en s'allongeant sur elle. La mousse à la surface sentait la lavande. Le thorax de sa partenaire se gonflait et s'abaissait mollement sous son dos, dans un va-et-vient reposant, et Bonnie se liquéfia sur place, surtout lorsque les bras de sa sulfureuse s'enroulèrent autour d'elle.

― Dis, au fait, s'interrogea Dulcie, ça s'est bien passé ton exam ?

― Tu veux dire à part le fait que j'ai failli arriver en retard ? Oui.

― C'est à cause de moi ?

― Non, non, pas du tout ! rassura Bonnie, un peu embarrassée d'avouer l'obsession qui l'avait prise depuis leur rencontre. J'étais juste euh... ailleurs.

― Hmm... ailleurs, hein ?

― Voilà, c'est ça. Sinon, tu étais sérieuse quand tu parlais de tes études en langues ?

― Non, ria-t-elle, c'est dans la mode que j'ai voulu me lancer, mais faut croire que c'était pas pour moi.

― Tu as toujours voulu devenir styliste ?

― Oh oui ! Depuis toute petite. Enfin, on a toutes joué avec des vêtements de poupées.

― Euh... bien sûr...

― Quoi ? Pas toi ?

― Pas vraiment, j'étais plutôt du genre à trainer dans la cuisine. Je ne savais pas encore ce que je voulais faire, et comme tu le vois, indiqua la jeune étudiante en relevant une cuisse de sous la surface savonneuse, ça a pas mal évolué.

― Arrête, t'es parfaite comme t'es... Dis tu crois que ta vie ressemblera à quoi dans dix ans ? demanda Dulcie après un petit silence.

― À sûrement quelque chose d'inattendu, dit-elle tout bas. Et toi ?

― Probablement pas loin de la tienne.

Bonnie posa sa joue entre les seins de cette dernière et ferma les yeux. Elle pouvait s'endormir là, et y rester jusqu'à la fin de ses jours. C'était peut-être le pouls serein de Dulcie contre son oreille gauche, l'essence poudrée de sa peau mouillée, la caresse de l'eau qui les enlaçait toutes les deux, ou bien le confort du silence qui s'accordait entre elles, mais elle la sentit enfin, cette connexion.

Bonnie avait toujours eu du mal à se faire des amis, disons, durables. Elle n'était presque jamais elle-même avec qui que ce soit. Elle gardait tout en elle, et s'enfermait trop souvent derrière sa fausse quiétude et son rire de façade. Elle ne faisait confiance à personne jusque-là. Jusqu'à Dulcie.

Elle n'aurait su dire combien de temps après, un faible jet tiède l'arrosa d'en-haut. Elle releva la tête vers Dulcie, qui lui rinçait une partie du buste. Puis elle se détacha du bain, remit machinalement sa culotte, et s'avança vers le meuble sous le miroir.

― Tu penses qu'on peut trouver des trucs intéressants là-dedans ? dit-elle en explorant chacun des tiroirs de la commode.

Dulcie ne put s'empêcher de sourire. Elle pourrait passer sa vie là, dans cette baignoire près de Bonnie, parce qu'elle la faisait se sentir hors du temps. Avec elle, Dulcie oubliait les frontières de sa réalité. Elle la contemplait d'un endroit où la beauté et la laideur ne faisait qu'un. Alors son naturel était la plus belle des délicatesses.

Jamais elle n'avait été aussi animée par quelqu'un. Elle pouvait enfin se reconnecter à son corps, l'apprécier dans toute sa sensibilité. Elle aimait que Bonnie la touche. Elle aimait écouter sa voix douce et lumineuse. Elle adorait sentir ses effluves se coucher sur elle. Et ce dont elle raffolait le plus, comme lorsqu'une baie de cassis la faisait saliver, c'était le goût exquis qui infusait sa langue dès qu'elle pensait à elle.

À son tour, elle s'arracha finalement du bain, et s'approcha de Bonnie pour lentement l'embrasser à l'arrière du cou. Elle y laissa glisser ses lèvres, jusqu'à rompre le contact et quitter la pièce. Elle ramassa une serviette qu'elle enroula autour d'elle, et alla s'asseoir sur l'une des chaises de la chambre.

Quelques secondes plus tard, une fois la tentation trop grande, Bonnie revint près de sa délicieuse amie et prélassa ses fesses sur ses genoux. Dulcie goba alors dans sa bouche le charnu de sa poitrine, pendant que sa main rampait sous la lingerie de la séduisante brune. Celle-ci était bouillante et trempée. Les phalanges de sa partenaire remuèrent de plus en plus vite. Entraient et sortaient. Pressaient. Cerclaient. Frottaient.

Tandis que l'ascension était lancée, un courant les traversa. Cette sensation électrique qui partait des pieds quand on sautait d'une falaise. Des eaux claires et galopantes. Une harmonie de contrebasse. Sentir chacune de ses impulsions cardiaques. La puissance des cymbales. Une vitalité submergeante. La naissance d'une nouvelle synapse. Volcanique. Le plaisir explosa, crépita comme un feu d'artifice. Il culmina bientôt, fusa dans chaque vaisseau, bouscula les nerfs et transporta les sentiments.

L'espace d'un court instant, Bonnie fut soulevée par l'extase. Elle se dressa d'un coup, Dulcie encore en elle, avant de chavirer à deux sur le lit. Puis elles s'étreignirent ; liées comme le ciel et l'océan à l'horizon.

Tout était tellement sombre et confus auparavant dans l'esprit de Bonnie. Dorénavant, il y avait cette femme, son baume à lèvres, la chaleur qui émanait de son cœur, et le velouté de sa chair. Plus rien d'autre ne comptait.

Toutes deux l'avaient attendu si longtemps qu'elles ne l'espéraient plus. Se remettre à croire était hallucinant, quasi irréel. Elles n'étaient plus seules. Elles avaient envie de vivre un milliard de nouvelles choses, et la paix qu'elles avaient tant cherchée était là, couchée près d'elles, les serrant tendrement dans ses bras.

Les yeux perdus dans le vide, Dulcie balada son index le long des hanches et de la taille de Bonnie.

― T'as toujours su ? demanda Dulcie.

― Quoi ? dit-elle toute aussi songeuse.

― T'as toujours su que t'aimais les femmes ?

― Euh je crois... je ne sais pas trop en fait. Quand j'ai commencé à me poser la question, je veux dire à vraiment me la poser, j'ai réalisé que les hommes ne m'attiraient pas plus que les femmes. Ensuite, j'ai compris que les femmes m'excitaient bien plus, et c'est juste devenu évident ; même s'il ne s'était encore rien passé avec personne.

Dulcie lui donna un léger baiser sur le bras.

― Et toi, poursuivit Bonnie, comment tu l'as découvert ?

― Moi ? Oh ! J'ai couché avec tout le monde.

― Et donc ?

― J'en sais rien, dit-elle en haussant les épaules, j'imagine que j'ai pas à choisir.

― Je ne pense pas que ce soit une question de choix. Si j'avais eu à décider, j'aurais certainement fait autrement...

― Qu'est-ce que tu veux dire ?

― Il y a ce qu'on veut de toi, et ce que tu veux toi. La plupart du temps, ce sont deux choses distinctes.

― Tu me demandes ce que je veux moi ?

― M-hmm...

― Je veux ça, indiqua-t-elle en pointant l'abdomen de Bonnie. Et ça, et ça...

Dulcie descendit son doigt sur la cuisse de celle-ci, avant de venir allonger un autre baiser dans le creux de sa nuque.

― Je te veux toi, rajouta-t-elle, c'est tout ce que je sais.

― Même si j'étais différente ?

― Même si t'étais une vieille limace baveuse ou un alien complètement difforme ! affirma Dulcie en grimaçant.

Puis elle roula sur le dos en soupirant.

― Tu sais, je cherche pas un sexe, un genre, ou un type de personne. J'ai suffisamment fait le tour et je peux te dire que c'est pas le plus intéressant. L'important, je dirais, c'est la connexion. Sinon je serais tombée amoureuse de chaque client que j'ai croisé.

Sans plus un mot, leurs commissures s'étirèrent en discret sourire. Elles traînèrent ainsi, sans plus bouger, coulant dans un calme parfait. Bonnie ferma les yeux, Dulcie laissa ses paupières glisser doucement vers le bas, et le monde des rêves qui embrumait déjà leurs pensées les emporta au même instant.

*

Les lueurs de l'aube perçaient à peine quand Dulcie approcha son visage de celui de Bonnie, et laissa le bout de leur nez se toucher. Elle prit le risque de la réveiller en remuant faiblement la tête, mais la jeune endormie avait le sommeil profond. Ces câlineries ne lui firent que se tortiller un peu plus, sans que cela ne semble la déranger. Elle inspira plus fort, bougea un petit moment, avant de se rendormir pleinement.

Ce ne fut que lorsqu'il fit entièrement jour qu'elle s'éveilla enfin. Les draps étaient vides.

― Tu es dans la douche ? demanda-t-elle en se redressant brutalement.

― Non, je termine d'incuber !

Bonnie rigola en roulant des yeux. Elle avait parfois tendance à s'imaginer le pire. Apaisée, elle sortit un crayon et un carnet de sa sacoche. Elle avait un peu de temps avant que Dulcie ne s'extraie de la salle de bain.

Passé un bon quart d'heure, cette dernière réapparut dans la chambre en peignoir. Elle démêla ses cheveux mouillés et se mit à siffloter, sans prêter attention à autre chose que le paysage derrière la baie-vitrée. Bonnie la regarda, entre deux phrases, comme un peintre contemplait sa muse.

Elle, observa une tourterelle à l'angle d'un immeuble, qui se jeta dans le vide. Le volatile se laissa porter par le vent, puis sa silhouette atteignit les nuages et Dulcie le perdit de vue. Elle continua de scruter au loin, très loin, aussi loin que ses rêveries l'attiraient. Elle aurait voulu être cet animal qui avait décollé du toit et qui s'en allait, parce qu'elle savait qu'il y aurait des conséquences à ce qu'elle faisait, elle savait que les bons moments ne duraient pas. Et s'envoler, pour disparaitre dans le ciel couvert de cette matinée, lui parut comme étant la meilleure des perspectives.

Dulcie recherchait constamment du regard un oiseau dans les airs. Elle aspirait souvent à prendre son envol elle aussi. Mais c'était une question d'habitude. Parce qu'avec Bonnie, elle se fichait de là où elle se trouvait. Elle avait déjà l'impression de flotter.

Soudain, elle se retourna, surprise par un minuscule bruit de grattement.

― Qu'est-ce que tu fais, dis-moi ?

― J'écris..., répondit lentement Bonnie, toujours concentrée sur ses notes.

― Et t'écris quoi ?

― Mon journal...

― Je peux lire ? demanda Dulcie d'un ton intéressé.

― Oui. Quand je serai morte.

― Oh merci !

― Je t'en prie.

― Bonnie ! Allez, s'il-te-plait ? insista-t-elle en grimpant sur le lit dans un petit bond.

― Mais je t'ai dit oui.

― Ah ! Tu comptes mourir dans dix minutes ?

― Euh..., feignit-elle de réfléchir. Je ne crois pas, non.

― Bon, et bah alors ?

― Alors, dit Bonnie en plissant les yeux d'un air plaisantin, il te faudra patience et détermination pour arriver à tes fins.

Elle se reconcentra sur ce qu'elle griffonnait, et finit par écrire les dernières lignes de ses pensées :

« J'ai beau lui résister, je ne veux pas m'en séparer. Je ne veux plus m'en éloigner. Peu importe ce que nous ferons, tant que nous sommes ensembles. Elle est mon remède, mon nouvel espoir, mon éclat. Je ne peux pas me permettre de le laisser s'estomper ou de le perdre encore une fois. »

― Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises ? reprit Dulcie, la figure à présent toute proche de celle de Bonnie.

― Méfait accompli !

Celle-ci referma son carnet, qu'elle rangea aussitôt en lieu sûr. Ce fut tout ce dont elle se souvint, tandis que des lèvres moites et pulpeuses lui effleuraient la ligne du dos. Elle s'était assoupie, profil écrasé contre l'oreiller. Les nuits étaient courtes depuis peu, et la responsable, qui lui frôlait maintenant l'épaule avec la bouche, chuchota d'une voix magnétique.

― T'es libre ce week-end ?

― Pour ? marmonna Bonnie à moitié dans les vapes.

Dulcie n'avait passé que de très bons moments en sa compagnie. Elle n'avait pas du tout envie de penser aux conséquences, ni de cette journée, ni de cette relation.

― Je t'invite. Tu verras...

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