Chapitre 2

Bonnie se réveilla lentement, étreinte par la sensation des draps fins qui effleuraient son corps. Elle n'avait jamais dormi totalement nue mais c'était la meilleure des impressions. Elle apprécia le tissu qui lui frôla les jambes et le bas du dos, et l'air que ses étirements brassèrent. Elle releva les paupières, puis fut aussitôt éblouie par le jour blafard qui avait inondé les lieux.

Elle était seule, et elle ne sut pas exactement si ça n'était que dans la chambre, seulement le temps lui sembla magnifique. Elle se sentit exceptionnellement détendue. Elle en profita pour prendre le téléphone sur sa droite et appela la réception pour commander quelque chose de copieux. Elle renfila sa culotte et revêtit le t-shirt beige qu'elle avait apporté comme rechange. Elle saisit son portable et patienta en musique.

Ça n'arrivait pas souvent mais ça lui prenait parfois, dès qu'elle était de bonne humeur. C'était une manière de se donner de l'énergie en pratiquant ce qu'on aurait pu confondre avec des gesticulations hystériques. Évidemment, tout était relatif. C'était son moment, celui où elle avait la possibilité de se défouler. Et même si elle n'excellait pas dans ce domaine, elle dansa comme si personne ne pouvait la voir.

Elle dandina au beau milieu du séjour, puis s'enroula dans l'un des rideaux en coton, avant de se ruer vers le lit pour bondir dessus. Elle poursuivit ses pas improvisés en se tortillant près de l'entrée et en mimant les paroles de la chanson. Elle sautillait encore quand elle se rapprocha de la salle de bain, et fit brusquement irruption devant Dulcie qui était allongée dans la baignoire vide. Celle-ci esquissa un demi-sourire en fronçant des sourcils, tandis que Bonnie s'était figée.

― Euh tu... tu vas bien ? s'étonna cette dernière en baissant le volume de son smartphone.

― C'est plutôt à toi qu'il faudrait poser la question, gloussa Dulcie, parfaitement décontractée, les coudes posés sur le rebord. Pourquoi t'as l'air essoufflée ?

― Génial, je... euh tout va bien... Je... On peut savoir ce que tu... fais ? Tu incubes ?

― Ha ha ! T'es trop chou ! rigola-t-elle en se levant pour sortir de son curieux bain à sec.

Dulcie avoua qu'il s'agissait de son endroit favori. Puis elle attrapa le peignoir en éponge qui pendait à une accroche, se couvrit avec, et s'avança tout proche de Bonnie sans la lâcher du regard.

― Tout le monde en a un, comme une couleur ou un animal préféré. C'est quoi le tien ?

― Je ne sais pas trop...

― Où tu vas pour réfléchir ou pour être tranquille ? Où est-ce que tu te sens le mieux ?

― J'aimais bien allez au zoo, surtout pour les aquariums géants. Celui de la ville a une immense vitre, s'enchanta la jeune étudiante, et un tunnel d'où on peut observer les espèces nager d'en-dessous.

― Tu aimais ?

― Oui, j'ai... j'ai plus trop l'occasion d'y aller, c'est tout.

― Tu m'emmèneras un jour ?

Bonnie perdit toute son insouciance. Elle ne sut quoi répondre. Dulcie, qui sembla le percevoir – peut-être l'avait-elle brusquée ? –, s'éclipsa de la pièce.

C'était une petite salle de bain très lumineuse, aux teintes grises et écrues, avec pour unique touche verte, deux tiges de fleur d'arum blanc dans un bocal en hauteur, sur l'une des deux tablettes en céramique laiteuses.

Seule, vis-à-vis du miroir, alors qu'elle avait coupé le son du morceau, Bonnie réalisa à quel point ses mèches frisées s'étaient ébouriffées et ne put s'empêcher d'avoir honte. Elle empoigna le tube de dentifrice sur le lavabo, et commença à se brosser les dents.

La femme aux yeux d'azur réapparu dans l'encadrement de la porte coulissante. Gênée, elle n'osa réamorcer la conversation qu'à travers le reflet de Bonnie dans la glace.

― Je peux ? demanda Dulcie après s'être raclée la gorge.

― Hmm ? elle marmonna la bouche pleine de mousse.

― Je sais que je suis pas censée rester, mais on s'est assoupie hier soir et j'ai pensé que tu... enfin qu'on pourrait faire ça différemment, faire ça bien pour une fois.

― De quoi tu parles ?

― Se dire au revoir... ou pas ? dit-elle en haussant les épaules.

― Comment euh... Comment est-ce que tu fais d'habitude ?

― D'habitude ? Oh, je suis déjà plus là. Je m'en vais dès qu'ils tombent de sommeil.

― Tu as envie de t'en aller ? interrogea Bonnie, comme une once de regret dans la voix.

― Non ! affirma-t-elle les sourcils relevés. Enfin c'est comme tu veux.

― Alors reste, s'il-te-plait... J'ai un examen cette après-midi mais on pourrait prendre notre petit-déjeuner ensemble, non ?

― Si ! Avec plaisir...

À ces mots, Bonnie redémarra la lecture de sa playlist et tapa du pied sur le même tempo. Elle fit volte-face et se trémoussa de plus en plus vers sa partenaire, comme pour l'inciter à faire pareil. Cette dernière se prit progressivement au jeu mais ce fut terrible. Lorsqu'il était question de danse, Dulcie avait la souplesse d'un éventail. La chorégraphie n'y pouvait rien, et Bonnie ne put se retenir de pouffer. Elle ne s'arrêtait plus.

Elle continuait de ricaner quand on toqua à la porte.

― Vas ouvrir au lieu de te moquer de ma créativité artistique !

― Quoi ? Non mais je... Tu m'as bien regardée ? Je fais peur ! Tu ne veux pas y aller plutôt ? S'il-te-plait ?

― Ah ! s'exclama Dulcie en s'élançant vers l'entrée. Tu fais moins la maligne là, hein ?

Elle fila répondre. Puis elle revint accompagnée d'une serveuse en uniforme ivoire, qui apportait sur un charriot recouvert d'une nappe impeccable, un large plateau chargé de nourriture. Deux tasses vides, trois carafes de boissons orangées, sanguines, et chocolatées, plusieurs petits pots de confiture et de beurre, un panier garnis de diverses mini viennoiseries, un bol de fromage blanc et une cruche de lait, deux assiettes complètes de fruits frais, et une demi-baguette de pain doré. Après avoir placé le tout au pied du lit, elle salua Dulcie et repartit dans la même courtoisie.

Bonnie ressortit la tête du chambranle au retentissement de la porte.

― C'est bon, s'amusa Dulcie, elle est plus là. T'as plus besoin de te cacher.

― Je ne me cachais pas... Je lui épargnais juste l'arrêt cardiaque, voilà.

Bonnie sonda avec joie ce qui avait été amené puis commença à se servir. Elle prit une grosse bouchée dans l'un des croissants chauds et croustillants, avant de se laisser rebondir sur le matelas. Dulcie voulu l'imiter et sauta juste à côté d'elle, bras grands ouverts. Elles éclatèrent de rire à cause de son plat flagrant, et la musique fut relancée à fond. Elles se remirent à « danser », tout en piochant de temps à autre dans leur buffet.

Pendant que Dulcie ne s'acharnait même plus à rendre ses mouvements un minimum coordonnés, Bonnie la dévora des yeux en suçotant le quartier de fruit qu'elle avait entre les dents. Leurs regards se croisèrent avec envie, tandis qu'elle finissait d'avaler le jus qui en avait été pressé.

Au fur et à mesure que les plats se vidaient, la jeune timide devenait de plus en plus nerveuse. Son angoisse s'intensifiait parce qu'elle savait que le moment de payer approchait. Au bout de quelques minutes, il n'y eut finalement plus rien à manger et elle se mit à fixer l'enveloppe. Elle ne se sentait pas des plus à l'aise, mais elle voulait faire les choses bien.

― Voilà... Euh... Tiens, dit-elle en tendant ce qu'elles lorgnaient désormais en silence. Je ne sais pas trop comment... pour euh... qu'on se revoit ? Peut-être ?

― D'accord... mais t'auras pas besoin de ça.

Elle pointa ce que Bonnie reposait devant elle. Celle-ci acquiesça, avant de consulter l'heure sur son portable et de le ranger dans l'une des poches de sa veste, qu'elle dégagea de derrière le fauteuil avec son sac.

― Je vais devoir y aller, annonça-t-elle.

Alors Dulcie la tira vers elle par le bras et plongea sur sa bouche. Elles avaient beau se trouver à l'intérieur, Bonnie senti comme une bourrasque fraîche lui souffler dessus. La brise balaya son épiderme et fit gonfler sa poitrine d'un sentiment éclatant. Ce ne fut néanmoins pas aussi bouleversant que le contact des paumes qui vinrent recouvrir sa nuque. Dès lors, la jolie brune s'abandonna à cette chaleur qui lui prenait délicieusement le visage.

Avec la nuit qu'elles avaient passée, Dulcie ne pensait pas pouvoir se mettre davantage à nu. Pourtant, ce baiser signifiait quelque chose. Elle n'embrassait jamais ses clients et pour cause, Bonnie n'en était plus une.

Cette dernière ne s'imaginait pas comme une telle proximité pouvait avoir un goût si nouveau. Elle ne revint pas de la splendeur de cette caresse sur sa peau, dans sa bouche. Son souffle s'était coupé, et la tendre pression contre elle lui donna le tournis. Puis elle eut un formidable frisson dans tout l'organisme.

Lorsque les lèvres de Dulcie se décollèrent des siennes, Bonnie raffola particulièrement de la saveur de son baume à la myrtille. Désorientée, elle ne parvint plus à penser à autre chose, ni même à réfléchir. Elle sourit, un peu bêtement, rassembla ses affaires sans ajouter quoi que ce soit, et quitta les lieux.

Elle rentra machinalement dans l'ascenseur, dès que les battants s'ouvrirent. Elle avait aimé chaque seconde de cette matinée. Là n'était pas la question. C'était plutôt de savoir ce qu'elle voulait et si elle se sentait prête pour ça. Allait-elle vraiment se lancer là-dedans ? Ou se résignerait-elle à oublier ce qu'il s'était produit ? Et si elle acceptait, comment se déroulerait leur prochain rendez-vous ? Elle ne put faire comme si de rien n'était. Il était arrivé quelque chose. Elle l'avait bien senti. Elle ne pourrait l'ignorer.

Elle marcha en direction de la station du tramway qui l'avait conduite ici. Quand son téléphone bipa. 1 message de « Dulcie » :

Bonne chance pour tes exams !

On dit "merde" dans ce cas lol


Ah bon ?! Et bah merde alors !

J'ai un peu l'impression de t'insulter oups...


Non t'inquiète, haha !

Je le prends bien. Merci


Pardon


De quoi ?

J'ai quand même l'impression de t'avoir insultée.

Je préfère dire bon courage !

C'est mieux, hein ? Ça passe comment ?


C'est parfait ! Il m'en faut en plus...


Je suis sûre que t'en as suffisamment


Maintenant oui ;)

<33

Bonnie était montée dans la rame sans même s'en rendre compte. Lui parler était aussi addictif que son parfum. C'était comme la senteur d'une fleur rare qui ne resterait que quelques instants dans les narines, et qu'on résisterait à humer une deuxième fois. Elle voyait encore son regard venu de l'espace qu'elle ne pouvait soutenir. Elle éprouvait encore son corps contre le sien.

Pouvait-elle se permettre d'envisager autre chose ? Plus ? Mieux ? Elle dût admettre que ça n'était pas ordinaire d'agir de la sorte, mais rien de ce qu'elle venait de vivre ne l'était. Alors pourquoi pas ? Finalement, qu'avait-elle à perdre ? Voilà comment tout ce désastre débuta. Ce qui fut certain, c'était qu'elle ne souhaita plus faire ce qui était prévu.

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