Chapitre 17 (TW: violence)

Elles ne pouvaient plus faire demi-tour.

Elles y étaient entrées séparément, et avaient feint de ne pas se connaître. Néanmoins, leur plan contenait quelques zones troubles. Alors au moment de payer les chambres qu'elles avaient occupées toute la journée, Dulcie attrapa Bonnie par derrière, et désempara l'hôtesse en pointant son pistolet contre la jugulaire de sa complice.

― Vous ne tirerez pas, tenta de dissuader le portier, ses mains en avant comme pour amadouer un animal agressif.

― Ah ouais ! Tu veux parier ?

Il secoua la tête tandis que, sous la directive de Dulcie, il se faisait attacher par la réceptionniste à l'une des colonnes de marbre. Elle s'approcha ensuite, remua l'arme sous son nez, en soulevant un sourcil.

― Il était vide, dit-elle en chuchotant, t'aurais pu parier.

Puis elles fichèrent le camp sans plus s'éterniser.

Devant l'état des choses, le reste des employés ne put faire autrement que de les laisser partir. Seulement les forces de l'ordre avaient été prévenues. Elles étaient officiellement en cavale désormais. Il fallait faire vite. Elles reprirent la route vers leur objectif ultime : la capitale.

Après avoir roulé sans interruption, elles arrivèrent aux alentours d'une heure du matin. Elles garèrent leur véhicule volé deux ou trois rues plus loin, dans l'ombre bleuté de la nuit, au fond d'une impasse discrète.

Dulcie coupa le moteur et se tourna vers sa partenaire.

― Tu crois vraiment que c'est ce qu'il faut faire, dis ?

― Non, répondit Bonnie d'un air intrépide, mais c'est le mieux pour nous. Tu as eu raison de vouloir agir, mais pas en te livrant à la police, tu n'as rien fait de mal. Il faut bel et bien prendre le problème à bras le corps. Il ne faiblit pas. Avec le temps, il parait même se ravir de la situation. Et puisqu'il ne reviendra jamais sur ses intentions... Je préfère tuer le danger plutôt que de mourir d'angoisse dès que je ne t'ai pas dans les bras.

― Et si on arrivait à le convaincre, à le faire renoncer ? dit la grande blonde sans même y croire.

― À quel moment tu as eu l'impression qu'il voulait discuter ?

― Non mais... Je sais, soupira-t-elle, c'est vrai. C'est juste que... Je me disais qu'on pouvait peut-être arriver à un compromis, tu sais... Je veux pas que ça finisse en bain de sang.

― Moi non plus. C'est pour ça qu'on va le faire. On met un point final à tout ça Dulcie.

Celle-ci hocha la tête, avant d'ajouter :

― J'espère simplement que ça sera efficace. Ce sera quitte ou double.

― Je sais. Et il vaudrait mieux qu'il réalise à qui il a à faire. Dulcie et Bonnie reprennent le contrôle ! affirma-t-elle en lui serrant la main. On est ensemble quoi qu'il arrive.

― L'horizon ?

― L'horizon !

Dulcie eut soudain la sensation de flotter, comme si l'entrain de Bonnie avait suspendu la gravité. Elle inspira à pleins poumons l'air sec de l'été, et ne pensa plus à rien d'autre qu'à la revanche qu'elle se sentit enfin prête à prendre. Elle y était. C'était l'heure de son envol.

Elles descendirent sur le trottoir, près d'un lampadaire, d'où elle observa la façade vitrée qu'elles pouvaient voir de là. Une faible lueur à l'étage indiquait sa présence. Il avait gardé ses mêmes habitudes. Leur existence à toutes les deux avait entièrement basculé, et lui ne semblait pas le moins du monde perturbé. Il n'avait pas changé mais elle si. Des frissons sur sa peau, au plus profond de ses tripes, elle le su d'un coup. C'était ce qu'elle devait faire.

Elles se dirigèrent à pieds jusqu'aux bureaux, un bidon de cinq litres et un pistolet à la main. Insouciantes, elles entrèrent par l'accès principal, puis montèrent à son niveau, là où Mr. Laurent travaillait encore par cette heure tardive. Ainsi, elles l'aperçurent, toujours sur son trône, dans l'unique salle encore allumée du bâtiment.

Tandis qu'elle réajustait ses bottes en cuir, Dulcie transmit l'arme à son binôme, qui vérifia une nouvelle fois le nombre de balles dans le chargeur. Puis la brune téméraire pointa le canon devant elle et enfonça la porte d'un grand coup de talon.

Le couple en symbiose pénétra avec assurance dans la pièce. Bonnie pensait que la peur la paralyserait, mais à sa grande surprise, Dulcie planta fermement ses pupilles noires dans celles du dirigeant, dans celles du coupable. Sans défaillir. Sans même une once d'inquiétude. Elle s'était affranchie de lui, et de son emprise.

La benjamine, bras tendu et le doigt sur la détente, ne se montra pas moins confiante. Elle non plus ne se laissa pas intimider. Tête baissée, elle parut même sur le point de rire.

― Vous savez, amorça-t-elle en remuant le poignet qui tenait la crosse, quand une chose devient trop lourde, il peut arriver de perdre son contrôle.

Bonnie releva finalement les yeux et les ancra fixement dans le sien. Une fente dans les stores de la fenêtre traça une lame de lumière de part en part de son œil, dans lequel scintilla la hargne de la jeune femme, qui avait décidé de ne plus y aller de main morte. Elle était déterminée, et le rayon ambré dans sa rétine en dévoilait toute l'intensité.

― Et ces derniers temps Mr. Laurent, il y a quelqu'un de particulièrement pesant dans notre vie.

Lui s'était levé d'un bond, l'air furieux. Puis son expression s'était radoucie, comme s'il escomptait leur venue depuis le début. Il fit un pas en avant et s'apprêta à parler, lorsque Bonnie l'interrompit, l'arme toujours braquée sur lui :

― Je vous en prie, rasseyez-vous. On a encore quelques petites choses à vous dire.

Il s'étonna quand Dulcie s'avança et lui détacha férocement sa ceinture. Une joie crédule escalada sa figure.

― Elles te vont bien ces cuirasses noires, dis-moi. Et puis tu as coupé tes cheveux, n'est-ce pas ? J'aime assez...

Brutalement, elle le poussa sur le siège, l'y sangla avec vigueur et, toutes griffes dehors, elle l'érafla dans une puissante gifle sonore.

De profil, il rehaussa le menton et remua sa mâchoire dans un rictus amer. À peine tenta-t-il de répondre, qu'elle jeta son pied dans son fauteuil et le fit partir à la renverse. Elle se défoula sur lui comme l'avait fait son homme de main plus tôt sur elle.

La honte et la rancœur qui l'enlisaient. La rage dans laquelle elle s'égarait. La vérité qui se noyait en elle et qui ne demandait qu'à émerger. Cette chose qu'elle aurait dû faire mais qu'elle n'avait pas pu. Ce dégoût d'elle-même et cette amertume qu'elle ressentait, dès qu'il lui faisait face ou qu'il lui effleurait l'esprit. Tout se déchaina en elle, une seconde avant de saillir et d'exploser avec violence contre le responsable.

Bonnie ne bougea pas d'un pouce. Elle resta adossée au chambranle, et contempla la scène sans un mot, indifférente au bruit que faisaient les poings de Dulcie sur la figure de cette pauvre raclure. Il commença par se prendre des salves d'impacts dans l'estomac, puis reçut une décharge dans les testicules, avant de se faire fracasser les genoux par les talons pointus de sa bien-aimée. Prostré, il l'amusait presque. Ça la soulageait tellement de le voir aussi bas ; à terre.

― Connard ! Connard ! T'es qu'un vicelard, un gros dégueulasse ! Tu m'oublies ! Je ne reviendrai pas ! cracha Dulcie en lui assénant un ultime coup au visage, qui fit jaillir une giclée de sang de son nez. Ça je prends, c'est à moi.

Elle retira sa carte d'identité et son passeport de la poche de pantalon de Mr. Laurent, avant d'enjamber son corps quasi inerte. Il respirait encore, difficilement, avec comme un sifflement coincé entre les bronches, mais il était toujours conscient. C'était ce que voulait l'ancienne escorte, qu'il puisse sentir chaque seconde de sa chute sans rien pouvoir y faire.

Une semelle sur son thorax, elle s'accroupit et se pencha jusqu'à avoir la bouche tout près de son oreille. Il gémit à cause du poids qui l'empêcha visiblement d'inspirer.

― Tu vois, dit-elle hors d'haleine, c'est comme ça que j'aime être à bout de souffle.

Exaltée, elle se releva en s'appuyant contre lui, et d'un choc à l'épaule, le fit tousser une énième coulée écarlate et visqueuse. Elle ne savait plus comment s'arrêter, si même elle en avait envie, et ça lui était égal. Tout ce qui compta, à ce moment précis, fut d'avoir le dessus sur celui qui n'avait cessé de la contrôler.

Alors elle le redressa sur sa chaise, saisit le bidon qu'elles avaient rempli en arrivant, et lui déversa la totalité du contenu sur la tête. Elle prit son temps pour le vider, pour le regarder se noyer dans l'horreur liquide. Lorsque la dernière goutte âcre s'abattit contre son crâne, elle abandonna le récipient à ses pieds et rejoignit Bonnie près du seuil.

― Tu viens ? acheva Dulcie dans un dernier essoufflement.

― J'ai encore une chose à faire.

― Je t'attends en bas, précisa-t-elle avant de l'embrasser sur la joue et de s'en aller.

Bonnie marcha vers Mr. Laurent, le contourna froidement, puis s'accota sur le bord du bureau, juste en face de lui.

― Vous allez payer pour tout, dit-elle tout bas ; à tel point qu'elle crut un instant ne pas s'être fait entendre.

― Vous ne pouvez pas me ruiner, se moqua-t-il d'une voix fragile, en esquissant une grimace hautaine.

Elle hissa alors un large sourire, sans un mot, qui fit froncer les sourcils de son interlocuteur. Elle l'examina en silence, renifla, et distingua aussitôt les contours d'un briquet dans la poche pectorale de sa chemise tâchée de rouge.

― Les moisissures s'éliminent, vous savez, répliqua-t-elle en saisissant l'objet de sa main libre. Une petite question. Vous avez déjà regretté quelque chose dans votre vie Mr. Laurent ?

Pas de réaction visible. Sans doute que sa mine tuméfiée le privait d'une certaine liberté d'expression. Pourtant il l'avait remarqué. Elle avait prononcé son nom d'une étrange façon, en insistant dessus.

― Saches une dernière chose, conclut-elle en allumant sèchement le brûleur. On ne touche pas à Dulcie.

― Dulcie ? bredouilla-t-il subitement, le regard plongé dans le sien, alors qu'elle s'approchait de son front dégoulinant.

Pendant que de dangereuses étincelles surgissaient parfois de l'appareil, la flamme dansa avec souplesse entre leurs deux visages. L'un brusquement stoïque, et l'autre au bord des larmes.

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