Chapitre 13

            Paupières closes, Bonnie était restée un instant le menton relevé vers le ciel bleu, comme un tournesol prenait la lumière. Puis elle était entrée, l'air de rien, aux côtés de Dulcie qui portait l'une de ses longues robes bohèmes et translucides.

Derrière ses lunettes de soleil turquoise, Bonnie cherchait toujours le modèle parfait. Les yeux rivés sur une pièce de lingerie, elle réajusta l'une des branches de sa monture. Elle hésita encore. Laquelle choisir ? Celle de la vitrine principale lui avait directement tapé dans l'œil. Néanmoins, plus elle découvrait celles de l'intérieur, plus elle s'émerveillait.

Entre les divans cosy, les grands voilages au plafond, et les nombreuses plantes tropicales qui dissociaient les différentes sections les unes des autres, le lieu ne ressemblait pas vraiment à une boutique de sous-vêtements, mais à une sorte de salon privée, caché au beau milieu d'une jungle luxuriante. Il y avait presque plus de vases, de miroirs et de luminaires que d'articles.

Soudain, la jeune novice repéra la perle rare. Elle contempla une seconde sa trouvaille, parcourant les fines courbes du mannequin transparent, et elle s'estima déjà triomphante. Dulcie n'en reviendrait pas, pensa-t-elle, ce modèle était une victoire à coup sûr !

― Psst ! appela Dulcie depuis le fond du magasin, en passant la tête à travers l'épais rideau clair de sa cabine d'essayage.

Bonnie s'y introduit en douce et découvrit sa petite amie, uniquement vêtue d'un seyant harnais rouge sang. Son nombril, ses hanches et ses seins mis en valeur par les anneaux dorés, et soulignés par les sangles entrecroisées comme un chef-d'œuvre de soie sur son corps nu.

À califourchon sur l'accoudoir d'une chaise, la sublime blonde se mit sur la pointe des pieds et avança une main après l'autre, fixant sa cible d'un regard bestial. La sensualité d'une flamme en mouvement, elle savait comme Bonnie raffolait de jouer avec le feu. Alors le désir leur bomba aussitôt le cœur.

L'entrejambe aussi brûlante que cette après-midi, Dulcie commença à remuer du bassin, comme pour allumer l'étincelle qu'elle avait déclenchée dans les pupilles de sa concurrente. Quand la voix d'une employée les interrompit. Réussissant tant bien que mal à la faire partir, la belle tatouée s'aperçut d'une chose.

― T'as vu la taille de cet antivol ? dit-elle tout bas en manipulant le dispositif.

― On fait comme d'habitude ? proposa Bonnie.

Elles hochèrent simultanément la tête et leur ballet démarra. La benjamine sortit furtivement de la loge avec le dessous entre les mains, puis se dirigea vers la caisse.

Dulcie attendait à proximité, avant de discrètement récupérer le produit, tout sourire, lorsque la vendeuse le lui tendit dans un sac noir brillant. Elle s'écarta ensuite pour remettre son large chapeau souple, et s'en alla sans soucis. Tandis que sa complice faisait mine de ne se rendre compte de rien.

Cette dernière était supposée faire un scandale, s'insurger contre la commerçante qui venait de donner son achat à une totale inconnue. Sur le chemin de leur hôtel, alors que l'ombre de son couvre-chef protégeait ses yeux clairs du soleil tapant, Dulcie s'imagina l'esclandre, toujours aussi impressionnée des talents cachés de Bonnie.

Avec le recul, elle s'étonna même de constater qu'elles s'en tiraient à chaque fois. Mais grâce à cette technique, elles avaient tout le temps su s'offrir le moindre de leur caprice. Il fallait bien se fondre dans tous les décors cossus qu'elles arpentaient avec brio.

De retour dans leur chambre, Dulcie ne put se changer entièrement. Elle eut à peine le temps de poser son chapeau et d'extirper son harnais du sac, que la porte d'entrée claqua. Elle surgit de la salle de bain en culotte et soutien-gorge, terminant d'attacher son ras-du-cou rubis, pour surprendre sa ravissante héroïne au centre de la pièce. Les courbes bronzées et luisantes, celle-ci venait définitivement de gagner leur défit.

Habillée d'un simple, et pour autant magnifique bijou raffiné, qui lui parcourait la poitrine en triangle, la taille de part en part, et le dos dans sa longueur comme une ribambelle de fils d'or. Une splendide goutte cristalline pendait subtilement entre les deux rondeurs de son buste, et Dulcie s'enflamma tout à coup de pouvoir la croquer.

― J'adore ce jeu, murmura-t-elle.

Dans une foulée impatiente, elle la rejoignit près du lit et s'assit. Puis la bouche coquelicot de Bonnie se rapprocha lentement, comme un pétale porté par la brise, et lui effleura délicatement la joue. Sur le point de l'embrasser, elle se retint juste devant ses lèvres, et attendit que la tension ne tire Dulcie jusqu'à elle.

Comme une panthère à l'affût, Bonnie monta en silence au-dessus de sa proie, et abaissa le visage au niveau de son échine cambrée. Elle redescendit plus bas encore avant de demander de la plus suave des intonations :

― Prête ?

Sa partenaire acquiesça à la hâte, et fondit sous ses caresses. Bonnie lui enleva son string, étreignit ses cuisses, et immergea sa vulve de douceur. Des tendres baisers aux coups de langue sauvages, Dulcie ne crut pas cela possible mais son amante s'était améliorée.

Elle fut instantanément absorbée par la luxure. Fermant légèrement les yeux, elle fut prise d'une immense satisfaction quand les phalanges de sa bien-aimée la pénétrèrent. D'avant en arrière, en boucle, sans jamais cesser de sucer sa zone nerveuse. Il ne fallut que quelques minutes pour atteindre l'apogée.

Alors, comme aspirée par le bas-ventre, elle fut soulevée au zénith. Elle éclata en gémissements, dans une montagne de plaisir. Jusqu'à provoquer une giclée d'eau fraîche en pleine canicule. Les cordes frottées et pincées d'un violon. Une mélodie sans fin. La symphonie des couleurs.

Les teintes aux alentours semblèrent vibrer. Les lumières se mirent à clignoter. Les formes se tordirent dans tous les sens. Les respirations sifflèrent presque à force d'haleter, et l'odeur euphorique du délice ne la quitta plus.

Allongées l'une auprès de l'autre, la planète parut s'être arrêtée ; même si Bonnie se crut sur celle ardente de Mars.

― Il fait beaucoup trop chaud ! se plaignit-elle. Je vais prendre une douche. Tu veux venir ?

― Je te rejoins, dit Dulcie en saisissant le téléphone sur sa tablette de chevet. Je vais nous commander le dîner.

Vers la fin de sa réservation, pendant que le jet d'eau recouvrait encore les fredonnements de Bonnie, quelque chose glissa sous le seuil de la chambre. En y regardant de plus près, l'ancienne escorte vit la photo de la commune où elles se trouvaient et perdit la parole. Elle abrégea son coup de fil, enfila le bas de son survêtement bordeaux en vitesse, puis se releva pour ramasser le rectangle de carton.

Brusquement, dans une impulsion de rage, elle ouvrit la porte en grand et jaillit sur le palier, pour savoir qui venait de lui faire parvenir la carte postale. Seulement, elle n'affronta rien d'autre que le vide de l'étage.

Des palpitations frappèrent en elle comme les ailes désespérés d'une colombe en cage. Soudain, l'oxygène se raréfia dans le couloir. Elle se recroquevilla sur elle-même, essoufflée, une feuille morte dans le froid, avant de se précipiter à l'intérieur.

La colonne vertébrale plaquée contre la serrure, une énorme bouffée de chaleur la fit tressaillir. Elle sentait la nausée lui remonter la gorge. Lorsque péniblement, ses poumons se rétractèrent dans une interminable expiration.

Son attention retomba sur l'image du centre-ville qu'elle tenait et, une larme de sueur dévalant sa tempe, elle y lut automatiquement ce qui était écrit :

« C'est ça, fais de moi le méchant de l'histoire. En attendant, c'est moi qui paie les pots cassés. Mais tu sais, il y a les gens qui restent, dont on ne se défait pas, et ceux dont il est bien plus facile de se débarrasser. »

― Tu as attrapé une insolation ? s'exclama Bonnie, qui était réapparue en peignoir.

― Hmm, hein ? Quoi ?

― Ça va ? dit-elle en fronçant les sourcils.

Dulcie secoua la tête dans un frisson, comme pour se défaire d'un nuage de fumée trop opaque ou d'une nuée de mouches trop bruyantes.

― Oui oui, bien sûr ! Tout va parfaitement bien.

Persuadée qu'elle était sur le point de gâcher leur moment, elle lâcha l'illustration sans se faire remarquer, et feignit de n'avoir jamais reçu de menace de mort. Elle alla se serrer contre sa précieuse amie, puis elles s'étalèrent de tout leur long sur le matelas. Elles rabattirent le drap au-dessus de leur crâne comme un dôme de coton, et la lueur tamisée du jour perça à travers, se diffractant en dentelle sur leur figure souriante.

Bonnie piocha dans le bol de fraises qu'elle avait trouvé sur la table, et en proposa à Dulcie qui déclina d'un signe de main.

― Ça serait quoi la journée parfaite pour toi p'tit chou ? demanda subitement cette dernière, dans le calme de l'instant.

― Je crois qu'on ne serait pas très loin de celle d'aujourd'hui.

― Ah bon ?

― Oui, dit-elle en se prenant un autre morceau de fruit, il manquerait juste un bon dessert glacé ! Sinon, ça serait magique...

― Et ta pire journée ?

― Toutes celles avant t'avoir rencontré évidemment !

― Non mais sérieusement ?

― Je ne sais pas, je dirais notre première engueulade, peut-être.

― T'as peur qu'on se dispute ?

― Bah... comme tout le monde.

― Personne n'aime ça, se redressa Dulcie en retirant le pan de literie, mais je suis pas sûre que beaucoup en ai peur.

― Non mais tu vois ce que je veux dire ? Je n'ai juste pas envie que ça arrive, c'est tout.

― Oui, enfin tu sais que c'est pratiquement inévitable ?

― Voilà, sourit Bonnie, exactement.

― D'accord, donc toi, tu vises le un pourcent de gens qui se prennent jamais le bec.

― Pourquoi pas ? dit-elle en approchant son nez de celui de Dulcie. Et puis je trouve qu'on est plutôt bien partie...

― Dis-moi, c'est quoi ma meilleure qualité ?

― Euh... c'est pas dans l'autre sens normalement cette question ?

― Et alors ?

― Okay euh, je pense que... ce serait ta joie de vivre.

― Ma joie de vivre ?

― Oui.

― C'est toi qui me parles de joie de vivre ? J'ai jamais connu quelqu'un d'aussi jovial que toi, et tu me parles de joie de vivre ! Je veux dire, si tu devais en prendre une, pour te réveiller avec demain, laquelle ce serait ?

― Ah donc je suis censée changer ma réponse là ? s'étonna-t-elle en haussant les sourcils.

― Bien sûr que oui ! Tu peux pas obtenir ce que t'as déjà.

― Et bah... je te prendrais toi, répondit-elle en pointant son doigt sur la clavicule de Dulcie.

― Je suis pas une qualité Bonnie.

― Si ! Et si je pouvais me lever demain en étant toi, ce serait ma plus belle manière d'être.

Elle se leva ensuite et se dirigea devant la fenêtre béante ; le rideau ondoyant dans la pièce avec la grâce d'une méduse aurélie.

― Je ne pourrais pas être plus proche de toi que ça, elle ajouta alors que le tissu la dérobait partiellement à la vue de Dulcie.

Un coup de vent fit flotter le textile vaporeux plus haut dans la chambre, et Bonnie laissa tomber son peignoir au sol, offrant une vision presque féérique à sa compagne.

Celle-ci la rejoignit dans un élan instinctif. Une bourrasque entra et sa chevelure chatoyante vola en désordre hypnotique autour de son visage. Quand, d'un air pensif, Dulcie lui effleura les lèvres, jusqu'à humer le parfum sucré de la fraise qu'elle finissait de manger, et les rayons du couchant se projetèrent sur leurs corps enlacés, dans un subtil papillonnement ambré.

― Et la mienne ? s'interrogea Bonnie, parée d'air, alors qu'une brise plus fraîche et délicate lui donna la chair de poule.

― Ton existence, chuchota Dulcie à travers l'étoffe, avant de doucement presser sa bouche sur la sienne.

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