38 - Leçon sur l'échec
Chapitre 38 : Leçon sur l'échec
- Pourquoi faut-il que tout le monde ai un défaut ? La vie serait plus simple sans.
Eden lui jeta un regard suspicieux, se demandant certainement s'il était tombé sur la bonne personne, puis comprit lorsqu'il la vit changer de page sur son téléphone. La jeune fille cherchait désespérément un journaliste compétant qui puisse l'aider à se confier et de préférence, quelqu'un ayant suffisamment de visibilité pour que tous ses efforts ne soient pas vains. Beaucoup d'exigences, et peu de candidats potentiels. Elle parvenait toujours à leur trouver des problèmes, certaines fois d'orthographe et d'autres fois des analyses peu scrupuleuses, la perle rare n'existait pas. Enfin, elle le pensait sérieusement, mais voilà que l'arrivée d'Elijah O'brian bouleversait tous ses plans. Céleste savait que la meilleure personne à qui s'adresser était cet homme, mais elle n'acceptait pas qu'il sorte avec sa sœur, et après la façon dont elle l'avait traité, elle n'était absolument pas prête à l'affronter de nouveau. Il ferait semblant d'oublier, et c'était sans doute la chose à faire, mais comment oublier que maintenant, à chaque repas de famille, elle verrait ce journaliste qui lui rappellerait le bon vieux temps de leur rencontre. Non, sa tête refusait. Sa fierté aussi, mais cette dernière n'était pas une bonne élève. Écarter ce qui provoque des sensations désagréables sans jamais y être confrontée directement, c'était son seul moyen de défense.
Céleste commençait à s'arracher les cheveux quand Eden le remarqua et lui lança un regard torve. Elle soupira et se tourna pour se mettre dos à lui. Après leur séance, son copain lui avait proposé de s'installer dans le bosquet, non loin de la mare, et la jeune fille avait naturellement posé ses affaires auprès de l'étendue d'eau. Ah oui, Eden ne supportait pas les canards, comment avait-elle pu omettre une telle information ? Elle allait déplacé son sac mais il avait mis une main sur son épaule, arguant qu'il en était capable. Résultat : Eden se tendait dès qu'une vilaine bestiole s'approchait de lui, ce qui consistait en un divertissement réellement amusant. Céleste, qui avait vu l'arrivée d'un groupe, d'une armée si on écoutait le capitaine de l'équipe de hockey, s'était en prévention retournée pour tenter de la rassurer, mais il avait pris sur lui, et les fixait seulement de son œil méchant. Il ne faisait pas vraiment peur, mais elle ne voulait pas interrompre son face à face avec un canard, il avait l'air de se débrouiller.
- Rappelle-moi de t'offrir un répulsif à canard pour ton anniversaire.
- Eh ! C'est une peur comme une autre ! Je suis sûr que tu as une peur ridicule aussi.
Céleste lâcha son portable, qui glissa dans l'herbe, pour y réfléchir. La patineuse ne s'installait jamais aussi longtemps pour que de telles questions existentielles affluent jusqu'à son cerveau. Et pourtant, les pensées de ce dernier étaient tout de même dans un désordre dont elle préférait taire la connaissance. Il arrivait parfois à faire un lien entre deux informations que, apparemment, tout opposent, avec une logique amenée et cohérente. Mais ce n'était pas souvent le cas de son interlocuteur à qui elle parlait, qui se contentait de hocher la tête pour ne pas la vexer. Les seules peurs qui arrivaient à son esprit, n'étaient en aucun cas ridicules, enfin du moins, prenaient sens pour elle. Son développement de vie n'était pas identique à celui d'Eden, et elle trouvait cela normal qu'ils n'aient pas les mêmes peurs, ils ne faisaient nul doute que si elle avait elle-même été confrontée à de tels canards, elle aurait pris peur au fil des années. Elle secoua alors négativement la tête.
- Non, et puis, ce ne sont même pas des peurs matérielles.
Eden planta ses yeux marrons dans les siens, dans l'attente d'une suite. Pourquoi son regard est-il si persuasif ? Elle avait tout d'abord refusé, il ne lui avait jamais dis qu'il avait peur des canards, elle l'avait simplement deviné, alors rien ne l'obligeait à faire de même, mais devant son envie de savoir, elle se résigna.
- J'ai peur de ne pas réussir. Tout ce que j'entreprends semble voué à l'échec, alors je me dis que c'est peut-être un signe. Je sais que c'est quand même le comble pour un athlète, puisqu'un jour où l'autre, nous sommes obligés de perdre mais...
- Perdre et échouer sont deux choses totalement différentes. Rassure-toi, je ne suis pas adepte du discours que nous apprenons toujours, même dans nos échecs. Perdre à une compétition, et pas finir deuxième, parce que je sais que tu le considères comme un échec, c'est simplement que tu n'as pas rassemblé toutes tes qualités sportives le jour requis, au moment donnée. L'échec, c'est une autre chose. Tu n'as pas réussi et je sais que ça peut être rageant, mais tu as une autre chance. Des milliers mêmes. Il faut simplement les saisir. Quand mon père t'a proposé de travailler avec Conrad, je pense que c'était ta deuxième chance. Et un échec est subjectif, pour moi, tu gagnes toujours, même si tu es deuxième. Tu as gagné ta compétition l'autre fois, parce que tu as osé continuer, ce que d'autres couples n'ont pas fait.
Céleste s'apprêtait à répliquer pour contredire ses propos, mais ils sonnaient justes. Il avait réussi à raisonner cette peur qui la tiraillait, en assemblant simplement quelques mots au moment donné.
- Et puis, tu considères échecs chaque objectif que tu ne réussis pas dans la vie, mais si tu baissais tes objectifs, n'aurais-tu pas moins d'échecs ?
Les idées fusèrent dans son esprit, à la vitesse de la lumière. Premièrement, plusieurs reproches envers elle-même, sur son incapacité à comprendre rapidement ce qu'elle désirait et le monde qui l'entourait, et en second plan, ce qu'elle allait mettre en place dans le but d'attirer Aubray dans ses filets. La phrase avait résonné en elle, c'était ce dont elle avait besoin d'entendre pour accélérer le processus qui devait l'aider à être reconnue innocente. Tandis qu'elle fouillait frénétiquement dans ses poches afin de retrouver son portable, Eden lui jeta plusieurs regards inquiets. La jeune fille avait brusquement couper court à son occupation de se moquer de lui, ce qui représentait beaucoup pour elle, pour chercher son téléphone. Ce dernier, gisait au sol, entouré de canards qui ne paraissaient pas inoffensifs. Ils l'examinaient sous tous les angles, et elle maudit son inconscience de la laisser à terre alors qu'ils étaient dans une forêt et que des animaux rôdaient autour. Peu rassurée, elle le récupéra et fit fuir les canards en les effrayant avec un faux coup de pied.
- C'est ce qui arrive quand on se moque des gens.
Céleste lui tira puérilement la langue, l'embrassa et lui promit de tout lui expliquer dans les jours qui suivraient, mais que le temps était compté aujourd'hui.
Céleste courut à travers le bosquet, s'épuisant avant de rencontrer la lumière du jour, mais en ressortit beaucoup plus sereine. L'adrénaline nécessaire à la traversée de la forêt venait de lui offrir un plan parfait, elle savait comment aborder Aubray pour le convaincre. Elle franchit la porte d'entrée, accepta la biscuit de Jacques, qui vint à sa rencontre pour la soutenir dans cette épreuve difficile, et se dirigea, sûre d'elle, vers les bureaux administratifs. Les hommes qui s'y trouvaient ne l'appréciaient pas, elle leur avait causé du tort, mais c'était la dernière de ses inquiétudes, elle avait besoin de Aubray pour exécuter son plan, et ainsi, recueillir la bénédiction du tribunal pour qu'elle puisse à nouveau patiner en compétition. C'était pour cela qu'elle défiait son ancien directeur, pour remporter la bataille contre ces journalistes. Elle ne s'avouait jamais vaincue, et les personnes qui la voyaient déjà reléguée à la saison prochaine ne la connaissait sûrement pas. Céleste tentait le tout pour le tout, afin de n'avoir aucun regret.
Depuis l'annonce du verdict du tribunal, Ducastel partageait son bureau avec Aubray, qui avait clairement repris possession des lieux. Une moitié du bureau concentrait les affaires de l'ancien directeur, avec les papiers importants et les fiches des licenciés, et l'autre semblait impeccablement rangé, à croire qu'elle n'était jamais utilisée. Ce qui ne serait pas invraisemblable au vu du caractère de Ducastel. Céleste inspira, et se tint négligemment dans l'encadrement de la porte, les bras croisés. Immobile, elle put se rendre compte que son intuition était la bonne, le directeur actuel fumait et observait les rues aux alentours, tandis que Aubray s'affairait à régler des dossiers préoccupants au vu de ses sourcils froncés. Avant l'histoire, elle avait eu beaucoup d'estime pour ce jeune directeur, qui ne dépassait pas la quarantaine. Il était brillant, avait su mettre les limites à son insolence – bien que cela lui coûte de s'en rappeler – et gérait la patinoire d'une manière correcte, personne n'avait jamais rien trouvé à lui dire. Aubray était le directeur idéal pour un centre épanoui, mais il avait fallu que cet incapable se mêle de ce qui ne le regardait pas, dans le seul but de l'atteindre. Silencieuse, elle entendit les touches du clavier de Aubray flancher sous la force de ses doigts et les expirations de l'autre directeur, qu'elle avait dû mal à caractériser d'homme.
Plusieurs minutes s'écoulèrent sans que personne n'interrompe ce calme relaxant, et Céleste commença presque à se reposer. Le bruit continu du clavier formait une mélodie étrange mais pas désagréable, Aubray n'appuyait pas très fort, et malgré l'environnement qui lui rappelait de mauvais souvenirs, elle s'y plu. Ce dernier leva les yeux de son écran et sursauta en remarquant la jeune fille, qui attendait patiemment son tour. Il comprit qu'elle souhaitait s'entretenir avec lui, et la pria de se cacher, le temps qu'il explique à Ducastel qu'il devait urgemment appeler sa femme. Dans le couloir, Céleste souffla à nouveau et l'ancien directeur la sermonna sans méchanceté sur son idée saugrenue de se trouver près des bureaux administratifs. Les responsables ne l'appréciaient plus beaucoup après sa révélation compromettante, et elle aurait pu se faire traiter de perturbatrice des directeurs. Que ne fallait-il pas faire pour la punir d'être aussi juste dans ses patins. Sans qu'elle ne réclame, il lui commanda un jus de fruit et prit un café. Comment savait-il qu'elle n'appréciait pas le chaud ? Eden lui avait-il dit ?
- J'ai assisté à des compétitions, et tu ne bois que du frais.
Et en plus, Aubray était capable d'interpréter ses interrogations, pourquoi avait-elle été effrontée envers cet homme qui avait visiblement des principes ? Céleste porta la boisson à ses lèvres, et ne leva pas les yeux de son jus d'orange. Ses doigts tapotèrent sur son verre, et Aubray la questionna silencieusement. Pourquoi avoir risquer d'être punie ? Quelle était l'urgence ?
- Je suis au courant de l'affaire. Je sais que l'on m'a dopé à mon insu. Et je sais aussi que c'est Mr Ducastel qui a tout organisé.
Le quarantenaire tressaillit sous l'effet de ses mots et lâcha brusquement son café qui, heureusement, ne se renversa pas. Son corps exprimait la réaction qu'il n'osait faire à l'oral ; ses muscles se tendirent, ses mains attrapèrent le premier objet à sa disposition pour le retourner dans tous les sens et son visage se ferma considérablement. Il avala plusieurs fois sa salive, pour préparer sa réponse qui se formait déjà dans son esprit. Il était de toute évidence surpris qu'une jeune fille puisse découvrir leur secret ficelé de manière amateure pourtant. Elle n'avait eu aucun mal à déceler la supercherie puisque la patineuse en était la protagoniste, mais les difficultés étaient survenus au moment de la conception et de la mise en place du plan. Comment ? Quand ? Si certains détails lui manquaient, elle espérait qu'il puisse combler ses lacunes en commettant quelques erreurs d'inattention.
- Je ne suis pas fier, j'aurai dû refuser la somme que me proposait Léandre, mais nous avions besoin de cet argent. Alors je l'ai aidé à concevoir ce plan. C'était mon unique implication. J'aurai dû l'arrêter, mais il peut se montrer persuasif quand il le veut.
Céleste montra volontairement une facette stoïque même si la jeune fille était loin de l'être, la culpabilité qu'il éprouvait maintenant dépassait de loin ce qu'elle pouvait se permettre d'imaginer. Il regrettait ses gestes, ses yeux le démontraient pour lui, mais pourquoi l'avoir fait alors ? L'argent rentrait en jeu, mais tout ne se faisait pas par des sommes astronomiques tout de même ? Il avait toujours eu cet air mélancolique avec son regard empli de nostalgie, mais cet après-midi là, c'était des remords. Il semblait vivre dans un passé permanent, à repasser des scènes merveilleuses qui remontaient à des années, mais le jour où il avait accepté ce contrat, sa vie était resté bloquée.
- Pourquoi prendre autant de risques pour lui, si ce n'était pas ce que vous vouliez ?
- Je te l'ai dit, l'argent a aidé. Et puis, ses menaces m'ont décidé. Personne ne touche à mon fils.
Une intense bataille dans son esprit fit rage et elle dût mordre sa joue pour éviter de répliquer. Eden avait un père protecteur, prêt-à-tout pour qu'il ne soit pas pris dans le piège Ducastel. Il avait choisi de se battre pour son fils, et c'était honorable, mais elle n'expliquait pas son départ anticipé.
- J'aime ma place ici, mais il m'a fait comprendre qu'il pouvait se passer de moi. J'ai dû renoncer à mon poste pour qu'il puisse obtenir ce qu'il voulait.
- Et que voulait-il ?
- Garantir tes succès. Cet homme n'en a que pour toi, Céleste. Il ne parle que de toi.
- Je sais.
Quelqu'un d'autre avait remarqué, et une personne de plus s'était tu. Elle avait arrêté de compter à partir du moment où l'adolescente avait compris que le monde n'était pas tel qu'elle l'imaginait, il ne suffisait pas de relever une anomalie dans le système pour vivre tranquillement. Certains hommes n'étaient jamais débusqués, ils coulaient des jours heureux dans leur villa au bord de la mer. Elle détourna les yeux et renifla bruyamment, pourquoi fallait-il que tout le monde soit perspicace mais que personne ne se serve de ce talent ? L'une de ses mains étaient restées sur la table, et Aubray posa la sienne au dessus. Habituée à ces gestes qui la blessaient, elle la retira et il s'excusa, ce n'était aucunement son attention.
- Quand était-ce Céleste ? Cet homme doit payer !
- La vie n'est pas juste. Il ne sera jamais inquiétée, je me suis faite une raison, parlons de ce qui m'amène ici s'il vous plaît.
Elle jeta un dernier coup d'œil dehors, et en risqua un vers son interlocuteur. La pitié avait remplacé la nostalgie. Tout le monde la regardait différemment, mais ce n'était pas de cela dont elle avait besoin. Elle reprit ses esprits.
- J'aimerai que vous répariez les torts que vous avez commis. Je voudrais que vous organisiez une conférence avec le directeur et que vous avouiez ce que vous avez fait. Je ne suis pas la seule à être exemptée de compétition, Conrad aussi.
- Léandre ne le fera jamais.
- Cessez de penser uniquement par lui, faites-la seule si nécessaire. J'appuierai vos propos en soutien, mais je suis incapable d'affronter toutes ses caméras seule.
Aubray tapota nerveusement sur son téléphone portable, et demanda un deuxième café. Une telle décision ne se prenait pas sur un coup de tête. Maintenant qu'elle avait toute son attention, Céleste décida de jouer l'étiquette de la fille malheureuse, et qui n'avait aucun autre moyen. La dernière partie était véridique, mais elle avait horreur d'en user. Cependant, constatant qu'il était sur le point de craquer, elle se pencha vers lui et utilisa son dernier argument.
- Si vous voulez m'aider, c'est l'unique manière.
Hésitant, il lui serra pourtant fébrilement la main. Eden lui avait soufflé l'idée, mais elle dût reconnaître qu'elle appréciait le jeu qu'elle avait mis dans cette discussion et eut presque pitié qu'il soit aussi naïf. Aubray tiendrait parole, il ne reculait pas devant le danger, mais elle ressentit un soupçon de peur, qu'adviendra-t-il de lui si Ducastel découvrait tout, avant l'interview ? Non, elle ne devait pas s'adonner à des pensées aussi tristes quand elle venait de gagner la confiance de cet homme. Céleste sourit et dégusta la fin de son jus d'orange. Eden avait raison, il suffisait de réduire l'objectif initial.
Plusieurs minutes passèrent, sans qu'un seul bruit ne fût entendu au café, et cela lui provoqua les mêmes sensations qu'au bureau des directeurs. Cependant, le répit fût de courte durée, des pas venaient dans sa direction, et ne sachant à qui s'attendre, la jeune fille leva les yeux vers le nouvel arrivant. Ducastel se tenait devant elle, le dos droit, et un sourire charmant collé à son visage.
- Que voulez-vous ?
- Connaître la discussion que tu as eu avec Aubray.
Les muscles de Céleste se tendirent tandis qu'il tira la chaise pour s'y installer, sans se préoccuper de son autorisation. Elle prit sur elle pour affronter ce monstre, mais il la répugnait, ces traits imprégnés d'une telle horreur lui faisait froid dans le dos.
- Je n'ai pas parlé à Aubray.
- Ne mens pas, je vous ai vu.
Il ne servait visiblement à rien de nier.
- Lui as-tu révélé notre petit secret ? Tu sais que je serais affreusement fâché si tu le faisais.
Il avait approché sa main de son visage, et au moment où il toucha son menton, elle se recula. C'en était trop de lui. Elle avait suffisamment souffert pour ce monstre.
- Intéressez-vous à des gens de votre âge. Un jour, à trop jouer avec le feu, vous vous brûlerez, et croyez-moi, je ramasserai vos cendres pour les balancer à la poubelle.
Il attrapa son poignet, et elle ne pouvait se dégager de cette emprise. Il lui déposa un baiser sur son bras, puis, délivrée, elle courut, sa mère l'attendait.
***
Bonjour !
Excusez-moi de l'heure tardive, j'avais beaucoup de choses à faire. Que pensez-vous de Céleste dans ce chapitre ? De sa manigance ?
On entre dans la dernière ligne droite, plus que cinq chapitres :)
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