32 - Recherche infructueuse
Chapitre 32 : Recherche infructueuse
- Tiens-toi correctement, ça changera pour une fois.
Céleste grogna pour signifier qu'elle avait compris le sous-entendu, sa menace était suffisamment claire pour qu'il n'ai pas besoin de se répéter, et claqua la portière. Sa promesse s'envola bien vite, mais il n'en tint pas compte puisque les parents de son partenaire s'engagèrent à leur rencontre, demandant à leur fils de prendre les vestes et accessoires afin de les apporter dans la chambre. Elle ne concevait pas le fait que les enfants soient considérés comme une sorte de main d'œuvre gratuite ; il est normal de les aider dans les tâches ménagères, mais il ne devrait pas être obligé de leur donner à boire dès qu'ils le demandent. Son père agissait de la même manière, dès qu'il était à l'aise dans son fauteuil, il exigeait parfois son journal et ses pantoufles. Elle détailla la maison de l'extérieur, mais elle lui apparaissait comme une résidence banale dans le quartier, les parents de Conrad semblaient appartenir à une catégorie de personnes moyennes. Capables d'avoir des loisirs, mais qui est dans le besoin de compter pour ne pas dépenser plus qu'ils n'en n'ont.
La maison s'étendait sur moins de cents mètres carrés, et était élevé sur un étage. Le balcon au premier, dépassait de la structure initiale et lui donnait un style moderne et branché. Cependant, le reste ressemblait davantage à une maison qui ne se distingue pas forcément des autres, sans détails intrigants comme une poutre où des fenêtres de différentes formes. Non, tout était définitivement basique. Par contre, le jardin avait une superficie délirante, au moins trois fois la taille de la maison, et elle ne discernait pas l'arrêt de la clôture avec celle du voisin. Dès que les pneus de la voiture avaient crissé sous les graviers, le chien de Conrad s'était empressé d'accourir pour saluer les nouveaux arrivants. Son père n'avait évidemment pas apprécié l'éducation du chien, qu'il jugeait défectueuse, mais sa mère, dès que son mari eut le dos tourné, en avait profité pour le caresser. Dans un coin du jardin, elle remarqua une vieille cabane dans les arbres, laissée à l'abandon depuis des années au vu de l'état du bois et du fait que la bâtisse s'affaissait. Une balançoire et un toboggan étaient entassés, rongés par de la rouille, au coin opposé à la cabane. La seule distraction qui restait en état, comme si la guerre avait ravagé toutes les autres constructions, était la niche du chien, flambant neuve et peinte en blanche, que l'on distinguait même si le soleil déclinait peu à peu.
Leni sortit comme un tempête, suppliant ses parents d'inviter une de ses amies pour ne pas la laisser seule. Ils ne flanchèrent pas, mais lui promirent néanmoins une boule de glace pour le dessert, ce qui l'enchanta, et elle repartit en sautillant joyeusement à travers la maison. La petite avait la faculté de ne pas se démoraliser, peut-être n'avait-elle aucun souci à se tracasser comme Céleste pouvait en avoir actuellement, mais cela lui procura un sentiment intense de nostalgie. Après avoir déposé les manteaux dans la chambre de ses parents, Conrad vint à sa rencontre pour discuter et dévêtue de sa protection, elle lui demanda à rentrer. Le mois de novembre était connu pour ses températures fraîches, parfois glaciales au petit matin, et cette année-là n'échappait pas à la règle. L'intérieur ne changeait pas drastiquement par rapport à l'extérieur, il y avait peu de pièces au rez-de-chaussée. Seulement une salle de bain, des toilettes et la pièce principale qui accueillait cuisine, salle à manger et salon.
Cette dernière la fascina, elle paraissait à la fois si petite, mais disposait de tout ce dont avait besoin la famille avec quelques avantages. La bibliothèque occupait un très grand espace puisque sa mère travaillait -bénévolement ou contre quelques billets les mois les plus rudes, dans une librairie dans la rue principale. Pour s'y être rendue une fois, elle reconnaissait que l'endroit était parfait pour s'installer et lire des heures, si le temps lui permettait. Le salon avait deux grands canapés bleus et une télévision de grande envergure, ainsi qu'un vaisselier splendide avec une valeur sentimentale grandement importante selon Conrad, pour rien au monde son père ne voudrait s'en séparer, lui apprit-il. Un autre meuble trônait dans la pièce ouverte, qui intrigua davantage Céleste. Il comportait plusieurs photos des enfants, et elle aperçut un Conrad miniature ce qui lui arracha un rire et provoqua un changement de couleur chez le principal intéressé. Il n'avait pas changé, le sourire espiègle des enfants mais toujours ses yeux noisettes. Sa tête faisait des allers-retours constants entre le grand et la photo pour tenter de démontrer que ce n'était pas la même personne. Des médailles et des clichés de Conrad avec ses différentes partenaires prenaient une majorité de la place disponible, et la jeune fille remarqua que la plus affichée était Livia Romano. Elle nota ainsi l'évolution des costumes pour le club et se moqua d'un, qui était très particulier, pour ne pas dire absolument hideux.
- T'es patiné combien de temps avec Livia ?
- Quatre ans.
Ils avaient atteint le sommet européen en quatre ans. Si cela la faisait rêver, elle espérait qu'elle réussirait à son tour et plus rapidement, à se hisser au niveau qu'elle convoitait réellement.
- Félix s'occupait de nos costumes, je me dédouane de toutes responsabilités.
- Je réfute : tu avais ton mot à dire ! Ludmila m'a toujours laissé le choix.
Conrad secoua négativement la tête.
- Il ne nous accordait aucun choix, selon lui nous étions jeunes et ferons des erreurs que nous regretterons par la suite. Au final, il était le plus jeune d'entre-nous.
Elle émit un petit rire et se remémora le choix de costume qu'ils avaient dû effectuer quelques semaines auparavant. Son coach n'avait pas été une catastrophe comme elle avait pu se l'imaginer, bien que ses goûts en matière de textile laissent à désirer, il les voulait en tenue pour grand-mère, il avait réussi à imposer son style tout en adaptant pour que ses élèves ne sortent pas d'une maison de retraite. Les essayages avaient été particulièrement agités puisque les couturières avaient omis de prendre le tissu exprès pour les mouvements de souplesse, ainsi, quand Céleste tenta un grand écart, la tenue s'était déchirée sans attendre. Mortifiée, elle avait refusé d'assister à celle de Conrad.
- Sache que maintenant que je suis au courant que tu as osé porter un costume bleu, jaune et vert, tu es condamné à être moqué jusqu'à la fin de ta vie.
- Mais c'est Félix !
Céleste se boucha les oreilles, signe d'une maturité discutable mais qui amusa tout de même le garçon. Après avoir fait le tour des photographies compromettantes, elle prit le temps d'observer la maison en elle-même. De s'imprégner des meubles comme il l'a fait lors de ses deux visites, de constater que les murs étaient remplis de dessins, à moitié coloriés ou effacés avec le temps, des deux enfants, et de remarquer plusieurs plantes parfaitement entretenues près du canapé. Cassiopée et Apollon achetaient des fleurs à leur mère à chaque Noël puisqu'elle s'entêtait à répéter qu'elle ne souhaitait que la présence de ses enfants mais se vexait si elle n'avait aucun cadeaux, c'était la parade idéale. Mais elle ne s'en occupait pas aussi bien que la mère de Conrad, toutes ses feuilles tenaient solidement à la branche, et aucune d'elles ne jaunissait avec le temps. Les adultes rentrèrent finalement, après une longue discussion qui n'avait pas passionné personne au vu du soulagement qu'ils exprimèrent en passant la porte. Les conversations d'adultes se résumaient en quelques mots ; beaucoup de promesses, de mots, pour peu d'actions qui en résultent. Étrangement, elle pouvait démontrer sans soucis qu'ils agissaient de la même manière à la patinoire, pourtant, les conséquences étaient plus dramatiques.
Entre le temps où ses parents avaient finalement accepté le dîner et ce dernier en lui-même, il ne s'était déroulé qu'une petite heure ; le temps de se changer et de préparer le repas, pour autant, la table regorgeait de plats tous plus succulents les uns que les autres. Des mets dont elle raffolait, comme le risotto qui attendait son tour, trônait sur la table exiguë qui accueillait difficilement les sept personnes à table. Néanmoins, la jeune fille eut la surprise d'être placée entre son partenaire et sa petite sœur, ce qui la rendit d'autant plus joyeuse puisqu'elle n'avait aucune envie d'entendre les reproches de ses parents qui oseraient moins à haute voix. Leni, à peine installée, se servit dans les plats, ce qui provoqua des regards noirs de la part de ses parents, la jugeant si fort qu'elle fût sûre qu'ils ne se retiendront pas pour lui lancer une critique désobligeante au cours du repas. Conrad lui raconta les derniers exploits sportifs hors patinage de la région, c'est-à-dire le club de foot qui faisait vibrer petits et grands, et quelque sport à grande échelle. Céleste ne s'était jamais intéressée à d'autres sports à part le sien, il lui accaparait déjà suffisamment de temps pour qu'elle se préoccupe d'un autre. Une jeune fille de quinze ans avait gagné une médaille d'or en natation, c'est un exploit selon lui puisqu'elle était contre des adultes expérimentées. Pourtant, ici, personne pour la suspecter de se doper, alors que les résultats sont les mêmes ; des efforts incroyables, qu'on punit dans un cas et qu'on laisse dans l'autre. Un sentiment d'injustice l'anima, mais elle l'abandonna. Pourquoi comprendre le monde qui l'entoure ? Il fonctionnera toujours à sa guise, comme lui le veut.
Elle goûta à tous les plats, profitant du fait que ses parents n'osaient pas lui reprocher une quelconque erreur. Leur relation s'était considérablement dégradée lorsqu'elle a comprit que c'était notamment eux, les responsables de son malheur. Eux qui n'ont pas refusé le traitement pour être plus performante. Eux qui ont autorisé qu'elle ruine onze ans de sa vie pour une gloire qui n'était même pas assurée. Ils n'ont pas cherché à comprendre les raisons de sa mauvaise humeur permanente, ils pensaient simplement qu'elle passait par une énième phase qui s'arrêtera. Mais à l'heure actuelle, la seule chose qui s'était arrêtée, c'est l'amour malsain qu'elle leur portait. Céleste n'écoutait plus ce que son cerveau lui disait à propos de son père, ce n'était plus l'homme à idolâtrer. Quand elle admirait les actes héroïques de son père pour sauver leur famille, ce dernier avait ses propres méthodes pour ne pas faire face à cette destruction progressive. Bourreau d'une adolescente. Comme elle-même l'avait été face à Ducastel. Céleste connaissait la jeune fille qui avait subi l'horreur, elle l'avait rencontrée, c'était la recrue la plus à même de gagner cette année-là. Joyeuse, optimiste, puis la tornade avait tout effacé.
Elle croisa le regard insoutenable et tenace de son père, et baissa aussitôt ses yeux qui se teintaient d'une mélancolie familiale. Il avait délibérément trompée sa femme avec une adolescente deux fois plus jeune qu'elle, et en ressortait indemne, quoi que blessé dans son amour propre puisqu'elle l'a appris. Sa prestance n'avait pas été touchée. La respiration saccadée, la patineuse tenta de reprendre ses esprits et calqua son rythme à celui de son partenaire, qui discutait gaiement avec ses parents. Elle se souvenait que le soir du drame, toute la famille dînait autour d'un plat de pâtes, et quand son père a franchi le pas de la porte, détrempé car la pluie diluvienne s'abattait sur leur ancienne ville, sa mère avait laissé tomber ses couverts. En premier lieu, il n'avait pas parlé, secouant la tête à la question silencieuse de sa femme, et s'était servi des pâtes. Puis, après avoir avalé la première bouchée, il avait dit « le déménagement doit être avancé pour le mois prochain. » Elle n'avait jamais compris la raison de ce changement de décision, peut-être avait-il peur que l'adolescente ose prendre la parole ? Il avait raison. Les jours qui avaient suivi ont été longs, dès que les informations à la télévision n'étaient plus identiques à ce qui était prévu, il tressautait. Puis, cinq semaines après, elle avait été au commissariat, et avait déposé plainte. Seulement, il avait déjà fui loin de la ville tranquille. Elle l'avait un jour cru innocent, pourtant, tout chez-lui transparaissait une culpabilité poignante, il vivait dans une peur absolue.
Ce n'était pas la première fois qu'elle remarquait ses sursauts en entendant les sirènes des voitures de police, mais elle mettait ses réactions sur le dos de la surprise, mais il n'en était rien. Il avait peur pour lui. Chaque fois que Conrad était en présence de ses parents, elle notait le regard qu'il leur adressait, empli de bienveillance, de générosité et de gentillesse, un regard auquel les siens n'auraient jamais le droit. Cette différence l'effrayait, mais lui permettait de mettre le doigt sur ce qui n'allait pas et l'aidait pour avancer et se détacher de leur emprise. Jusqu'à la fin de sa carrière sportive, elle était aussi liée à eux qu'ils n'étaient liés à elle, mais elle espérait que le détachement arrive avant, pour ne pas avoir à les supporter jusque-là. Leni était sortie de table et sa mère en profita pour dévier la conversation sur leur deux protégé.
- J'avais dit que la reprise était prématurée.
- Félix a l'air décidé à les faire concourir à la prochaine pourtant, n'est-ce pas chérie ?
Les partenaires ancrèrent leur regard dans leur pot à yaourt.
- Pourtant, leur spectacle était merveilleux. Je pensais sincèrement qu'ils arriveraient à dépasser leur peur.
- Quelques figures à apprendre et ils se désistent déjà, où vont-ils aller ?
Céleste se mordit la langue pour ne pas laisser échapper une remarque acerbe tandis que l'adolescent recula bruyamment sa chaise pour attirer l'attention des adultes, qui tournèrent leur tête vers l'origine du bruit sourd.
- On peut sortir de table ?
Avec plus où moins de résistance, ils acceptèrent et Céleste le remercia. Entendre des conversations les incluant sans avoir la possibilité de participer à ces échanges étaient la dernière de ses envies. Elle suivit Conrad, qui zigzaguait au travers des jouets de sa petite sœur, étalée partout dans le couloir, et lui ouvrit la porte de sa chambre. Céleste ne pensait partager que la glace avec celui qu'elle considérait comme ennemi, mais le temps avait eu raison de sa méchanceté légendaire et elle a rangé au placard son animosité. Après la découverte de l'endroit où il dormait, ils n'auront plus aucun secret l'un pour l'autre, ayant connaissance de tous les endroits qui leur permettait de s'évader quelques instants. Sa chambre était plus petite, mais elle contenait tellement de désordre que la jeune fille était persuadée que, rangée, la pièce aurait des airs de palace. Un lit simple près d'une fenêtre qui donnait sur le jardin, une armoire et un bureau en chêne, avec un tas d'accessoire pour ses patins, une guitare dans un coin et une bibliothèque noire et à motif rayé sur laquelle était disposée plusieurs figurines de film. Elle reconnut sans difficulté celles appartenant à l'univers d'Harry Potter, mais les autres se révélaient être une tâche plus ardue. Des posters des patineurs emblématiques étaient accrochés au mur de gauche, ainsi que le calendrier des compétitions et une annotation qui la rendit curieuse. Elle tourna vivement les yeux vers son partenaire.
- Comment tu sais que c'est bientôt mon anniversaire ?
- Les réseaux sociaux, ça aide.
Elle leva les yeux au ciel, un sourire désabusé sur ses lèvres. Sa chambre avait plus de potentiel qu'elle ne l'imaginait, mais elle restait un capharnaüm sans nom. Il lui proposa sa chaise de bureau, seul endroit où elle ne risquait pas de tomber sur une pile de linge.
- Donc si je résume, le patinage, la guitare, les films, les livres, tu t'arrêtes quand ?
- Oublie pas Bretzel !
- Et c'est qui lui ?
- C'est le nom de mon chien.
Elle écarquilla les yeux, et ne put se retenir de rire. Elle nota mentalement qu'il avait un chien qui s'appelait comme un biscuit alsacien.
- Explique-moi comment tu peux te répartir en autant d'activité ?
- Je ne peux pas.
- Mais t'avais dit que tu m'aiderais !
- Deux secondes espèce d'impatiente. J'ai pas le temps de tout faire toutes les semaines, parfois, je ne fais pas de guitare pendant plusieurs jours, et je lis que deux livres par mois, c'est pas un ratio très miraculeux.
- Même moi je lis plus que ça.
Il lui jeta un regard profondément ennuyé et elle se maudit intérieurement. Pourquoi fallait-il systématiquement qu'elle se compare aux autres ?
- Qu'est-ce que t'aimes regarder ?
Elle réfléchit sérieusement à la question. Depuis sa tendre enfance, elle n'avait que le patinage, c'était un fait, mais elle se savait entièrement responsable. Trouver d'autres activités ne faisaient pas partie de sa liste de priorité lors de son repos quotidien et la jeune fille repoussait toujours le moment de la réflexion. Même en prenant ce temps, la seule réponse qui lui venait à l'esprit était toujours la même. Elle ouvrit la bouche pour lui répondre, mais il la coupa.
- Si tu me dis le patinage, je t'assure que je t'oblige à redescendre.
La menace lui parut suffisamment sérieuse pour qu'elle s'y remette. Chaque fois que la chaise s'arrêtait, Céleste donnait un coup afin de la laisser en mouvement perpétuel et ainsi l'aider à faire la liste de ce qu'elle appréciait. Aucune idée n'affluait comme il l'aurait souhaité, et à force de voir l'assise tourner sur elle-même, il souffla.
- On va y aller différemment. Musique ?
Elle secoua la tête, c'était trop de discipline, son cerveau devait lâcher.
- Jeux ?
Elle réitéra la même action, la compétition était exclue dès le début.
- J'exclue directement le sport, t'es suffisamment défoulée à mon avis.
Elle s'offusqua mais fût bien obligée de lui donner raison. Lui-même se creusa les méninges de longues minutes, et trouva, comme il l'appela, le remède miracle.
- Ne fais rien, repose-toi. T'es un cas perdu.
Il la rejoignit dans le rire qui la secoua.
***
Bonjour, sincèrement désolée pour l'absence, j'avais pas toujours le temps et l'envie, mais je pense donc répartir les deux chapitres que j'aurais déjà dû avoir posté ce week-end :)
Que pensez-vous de cette petite soirée chez Conrad ?
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