1 - Le Scandale

Elijah

Elijah O'brian était un journaliste pour l'union internationale de patinage artistique depuis trois semaines, et s'était spécifié dans la fédération française. L'affaire Céleste Haase était son premier dossier de grande envergure et occupait toutes ses journées, puisqu'il ne parvenait pas à rassembler autant de preuves que souhaitées. Elle était de nature discrète sur les réseaux sociaux et n'affichait que les progrès de ses sauts qui prenaient un demi-tour chaque saison. De plus, quand l'Américain était enfin parvenu à l'approcher et lui poser des questions sur des sujets sensibles, l'adolescente avait su filer entre les branches laissées entrouvertes. Elijah avait désespérément besoin de se changer les idées mais il venait tout juste d'atterrir en France et ne connaissait par conséquent personne. Ses amis étaient tous restés en Amérique quand lui avait décidé de partir pour changer d'air.

Son nouveau bureau se trouvait dans les locaux de la fédération française des sports de glace, dans la capitale, et ce serait un mensonge que de dire qu'il était mal installé. Elijah avait eu le privilège d'avoir une pièce à l'écart de ses collègues, en raison du statut que lui conférait son métier ; fournir des articles pour deux journaux différents. La pièce contenait un imposant bureau central qui pouvait accueillir trois personnes à la fois, agrémenté de plantes déjà fanées, d'une bibliothèque murale avec une grande majorité de livres juridiques pour combler son retard et un tableau effaçable digne des enquêteurs. Il était principalement encombré par des éléments basiques sur Céleste et sur le contexte dans lequel l'ISU lui avait proposé un contrat. L'union internationale l'avait embauché suite à l'annonce de la participation de Céleste Haase, puisque des directeurs de presse avaient des soupçons envers la championne du monde. Toutes ses pensées le ramenaient à cette jeune patineuse désinvolte.

- Elijah, la boss te demande dans son bureau, l'informa son collègue Thomas en passant sa tête à travers l'entrebâillure de la porte.

Thomas était un français à l'allure extravagante, qui l'avait tout de suite pris sous son aile dès les premiers jours. Elijah ne savait pas exactement quel poste il occupait, mais il l'entendait souvent grogner seul à travers la cloison fine comme du plexiglas alors il en déduisait qu'ils devaient plus ou moins avoir le même métier. Des cheveux fins et blonds, ce sourire charmeur qui ne quittait jamais ses lèvres et ses yeux enjôleurs.

- C'est l'anniversaire de Louise ce soir, t'es évidemment invité à la tournée des bars générale de Paris.

Thomas repartit comme si la conversation n'avait jamais eu lieu et Elijah comprit des injures françaises dans les cinq minutes qui suivirent. L'Américain tenta de se donner bonne figure, mais il fallait dire que la boss -comme tout le monde la surnommait, se trouvait être une femme particulièrement imposante. Ce n'était pas la directrice, mais personne ne contestait son autorité naturelle et le titre acquis par des années de terrain acharné. Il devait passer devant la machine à café, l'ascenseur et les toilettes, d'où la silhouette svelte de Louise émergea. Il la salua et finit par frapper à la porte du bureau de la boss.

- On m'a dit que vous désiriez me voir.

Simple, efficace, quoiqu'un peu froid.

- Asseyez-vous je vous en prie.

L'ambiance de la pièce avait drastiquement changé quand la boss lui avait intimé cet ordre. Des cheveux coupés au carré, d'une couleur foncée, qui renforçait l'autorité naturelle qui se dégageait de ses traits tirés et fins de son visage. Sa bouche pincée et ses sourcils froncés, Aurélie Bignard pouvait prétendre au titre de la femme la plus ferme et sévère à la direction d'un service.

- Vous comprenez, monsieur O'brian, que votre enquête piétine, et que cela ne devient plus rentable pour nous. Les gens veulent des faits, peu importe s'ils sont justifiés, lui expliqua Aurélie.

- Vous me demandez d'écrire un article pour écrire un article et non pour sa qualité ?

Ses doigts pianotaient dans un mouvement automatique la table, signe qu'elle perdait patience. Elle eut un rictus moqueur.

- Je ne le permettrai monsieur O'brian. Je vous place sur des affaires minimes mais qui sont nécessaires afin que vous puissiez me sortir quelque chose de finaliser sur le scandale Haase.

Son coeur fit un bond dans sa poitrine à l'annonce de cette bonne nouvelle, mais son oreille prit le temps d'assimiler la deuxième information. Scandale. Qu'avait-il donc manqué ? Pour tous journalistes, ce mot était annonciateur d'un article entier, mais le fait que cela concerne cette adolescente lui arracha un grognement. Bien qu'elle soit d'un naturel insupportable, elle était terriblement jeune.

- Scandale ? demanda-t-il, du bout des lèvres.

- Ne lisez-vous donc jamais les journaux ? C'est amateur pour un journaliste. En bref, des fans mécontents de la défaite de la Danoise ont largement accusé Céleste Haase. Ils pensent qu'elle a ingéré des produits dopants pour améliorer ses résultats.

Elijah accusa le coup, tentant d'apparaître comme neutre dans cette histoire. Son rôle était complexe au sein de cette affaire, le contrat stipulait certes de savoir si elle était impliquée dans une prise de substances, mais pour lui, elle était innocente. C'était un mensonge rapporté par des milliers de personnes puisqu'ils n'acceptaient pas que la française a remporté ce titre. L'ISU lui avait très largement martelé l'importance de son impartialité, alors il ne pouvait exprimer pleinement son avis, même s'il arrivait que l'homme oublie. La tête d'Aurélie Bignard semblait figée, et si sa poitrine ne se soulevait pas pour expirer et inspirer, il se serait sérieusement posé des questions sur son état, était-elle encore vivante ?

- De quels éléments disposez-vous monsieur O'brian ? demanda-t-elle, avec un ton plus calme et posé que ces précédentes affirmations.

- Céleste Haase a commencé le patinage artistique à trois ans, ce qui équivaut à une marge de progression de onze ans. Une blessure à la cheville l'a contrainte à rater les compétitions il y a deux ans. Les médecins lui ont prescrit des médicaments pour se remettre plus rapidement, des anti-douleurs interdits pour les adolescents. Même si ses entraînements sont stricts, elle semble réellement s'y plaire. Sa coach est Russe, ce qui influe sur la difficulté de ces derniers. Elle mange presque convenablement.

Elle acquiesça lentement, tout en prenant des notes sur un carnet marron.

- Travail satisfaisant. Vous arriverez bientôt à quelque chose de plus abouti. Allez-y, vous avez une affaire à élucider.

Son ton était pressant, froid et peu accueillant, mais Elijah sut qu'il était monté dans son estime, et eut un bref sourire à ce constat. Il remarqua que trois cadres trônaient sur son bureau impeccablement rangé et ordonné, où deux enfants posaient fièrement dessus. Des énergumènes supportaient donc cette mère.

Il s'enferma dans son bureau et fût tenté de s'arracher ses cheveux bruns. Il renonça à la seconde où il ressentit une vive douleur venue de son cuir chevelu et se contenta de remonter ses lunettes. L'affaire possédait un semblant de ressemblance avec le passé, où une jeune patineuse du Kremlin avait été sauvagement accusée, mais des preuves l'avaient finalement condamnées. Il admirait cette discipline, et s'était naturellement penché vers elle pour pratiquer une activité sportive, mais il n'avait jamais été doué au point d'être choisi pour l'équipe nationale. La technique devenait de plus en plus poussée, chaque saison, des tours étaient ajoutés. Le choix avait été tout aussi évident pour son métier, qui mêlait l'actualité sportive et le sport. Elijah pouvait contempler les athlètes s'exercer pendant des heures, et encore plus longtemps à les entendre se révéler en interview.

- Elijah, il est déjà quatorze heures et t'as toujours pas mangé, décroche un peu de ton boulot.

Quatorze heures ? Oh god, il avait oublié que la France comptait différemment ses heures et le voilà rendu à travailler depuis près de six heures consécutives. Il se leva de sa chaise de bureau confortable et traversa les bureaux collés de ses collègues, qui lui jetèrent un regard courroucé. Thomas lui sourit, et il dût reconnaître que ce dernier possédait le charme cliché du français : beau parleur et arrogant avec les filles. Elijah avait eu le malheur d'entendre ses techniques de drague douteuses pendant près d'une heure. Sur le pas de la porte du réfectoire, Louise attendait la venue de ses collègues. Elle portait un tee-shirt avec comme inscription «25 ans et presque tous ces cheveux» et redressa la tête en apercevant Elijah. Des yeux rieurs mais cernés depuis quelques jours, sa chevelure flamboyante sur les photographies était devenue terne et abîmée, mais son sourire malicieux ne quittait pas son visage. Elle ne faisait pas son âge, il lui aurait donné une petite trentaine, mais pas un quart de siècle.

- J'ai demandé à ce que l'équipe finisse plus tôt aujourd'hui, j'ai négocié seize heures trente, le temps que les vieux de l'équipe récupère leur marmot à l'école.

- Marmot ? C'est quoi ces mots encore ?

Involontairement, Elijah déclencha l'hilarité générale. Il avait été élevé dans l'état du New Hampshire, proche de la frontière francophone du Canada, et avait suivi l'option français dès la primaire. Il était en mesure de tenir de longues conversations à quinze ans, mais certains mots et expressions familières lui échappaient quelque fois. Après l'explication d'un parent de marmot donc, il s'avéra que malgré une société jeune et dynamique, beaucoup de ses collègues dont Louise, à son grand étonnement, ont au moins un enfant. Il interpréta enfin sa fatigue permanente.

- Je sais que je suis jeune, mais je sais m'en occuper sans demander l'aide de mes parents.

Son ton cassé laissait imaginer le nombre de remarques que la jeune mère avait pu se prendre plein fouet.

- Oh, tu as tout mon soutien, les hurlements me cassent la tête plus de dix minutes, à vrai dire, même cinq minutes, s'empressa-t-il de la rassurer, en levant les bras en l'air dans la précipitation.

- Noée est adorable, je suis certaine que tu serais en mesure de l'apprécier. Thomas a un véritable problème avec les enfants, et pourtant, il me la garde parfois.

Ce dernier lui jeta un regard ennuyé et fit une grimace, à la façon de quelqu'un qui n'assumait pas.

- C'est vrai que tu bosses sur l'affaire Haase ? T'as le grosse enquête dès le début !

Les regards de tous ses collègues convergèrent vers lui, et ses muscles se tendirent de manière imperceptible. Il retint un soupir et se tourna vers l'origine des problèmes, à savoir Franck Prevost, l'un de ses compères qui avaient la fâcheuse tendance à ruiner toutes les discussions. Il avait réussi à oublier le visage figé de Céleste sur la coupure de presse arraché du journal récupéré dans un kiosque parisien l'après-midi et voilà qu'il lui apparaissait subitement.

- Ne m'en parle pas, tout est secret là-dedans.

- Dire qu'en plus, c'est une française, quelle mauvaise image ! Deux décennies sans patineuses capables de rivaliser à l'étranger, et c'est parti pour continuer, commenta sombrement Louise, avec un vague geste de la main.

La troupe se remit rapidement au travail et Elijah en profita pour manger la salade qu'il avait préparé la veille. Il n'était pas complètement végétarien mais consommait de la viande occasionnellement, seulement quand il trouvait son origine complète, du blé aux camions réfrigérants.

Après une pause café où Thomas trouva le moyen de renverser son cappuccino sur la moquette bleue du bureau d'Elijah suite à une visite inattendue, des jurons anglais de toute part et des problèmes d'ordinateur inopinés, seize heures trente sonna comme la libération du siècle. Elijah avait le permis, mais conduire dans la capitale était devenu une source de stress que ses collègues lui évitaient généralement, en prenant le volant et en lui laissant la place passagère. Cependant, ces derniers ne manquaient pas de lui rappeler ses origines : il devait reconnaître que cela pouvait étonner. Grandir dans un pays caractérisé par sa grandeur démesuré mais être effrayé par les bains de foule des grandes places comme le champ de Mars. Mais la campagne du New Hampshire était plus tranquille, et il rétorquait toujours que les campagnards devaient aussi connaître le même effet de peur que lui. Comme tout bon touriste, il avait été découvrir Paris et ses monuments classés au Patrimoine mondial de l'Unesco dès le lendemain de son emménagement dans un vingt mètre carrés. Elijah se moquait pourtant de l'arrogance des français et des bâtiments qu'il voyait perpétuellement sur les réseaux sociaux et à la télévision, mais admirer les merveilles de ses propres yeux était différent. Tout son groupe de conversation familial avait été bombardé par des photographies floues.

Le groupe composé de cinq personnes, Thomas, Louise et deux collègues qu'Elijah ne connaissait que de vue, avait débuté la tournée des bars dans un café parisien, sur une terrasse sur les toits. Louise se souvenait du plaisir qu'elle éprouvait de venir ici quand elle était adolescente, avec son frère plus âgé. La jeune femme avait enfilé une robe rouge fleurie à bretelle, et souriait de la vue qu'offrait la hauteur. Le printemps avait fait son apparition quelques jours auparavant, et elle avait été la seule à vérifier les températures, les hommes étouffaient avec leur veste. De plus, elle lui allait bien et faisait ressortir sa carrure d'ancienne sportive.

- On venait toujours ici avec mon grand frère, même si ça n'a jamais été très légal.

- Louise se rebelle ? Où allons-nous ? la taquina Thomas.

Elle leva les yeux au ciel, désabusée.

- Vous ne savez rien de moi monsieur Loison, peut-être suis-je une sérial killer qui va vous tuez dans votre sommeil.

Son rire était simple, cristallin et pure. Elijah et les deux autres collègues assistèrent à la joute verbale amusée. Depuis qu'il était arrivé au sein de l'équipe, leurs échanges se résumaient à des piques aiguisées visant injustement l'autre, soit des taquineries plus ambiguës qui les trahissaient. Il y avait baleine sous dauphin, c'était une histoire à suivre.

Ils continuèrent ainsi à discuter de leur adolescence mutuelle, et c'est de cette façon que l'américain appris ce qui les avaient tous plus ou moins conduit à faire de leur passion un métier. Ainsi, Louise et ses entraîneurs avaient pour ambition de la faire passer chez les seniors à ses vingt ans mais sa grossesse a bouleversé ses plans et l'a obligé à se restreindre à un métier en contact avec la glace. La carrière de coach ne lui convenait pas, les mouvements lui étaient toujours venus naturellement. Quant à Thomas, des années de compétition en short-track, du patinage de vitesse sur piste de moins de mille cinq cent mètres pour le loisir, l'ont mené à se diriger vers des études de journalisme. Une carrière d'athlète n'avait jamais été dans ses projets.

Quand Elijah jeta un œil à sa montre, dernier cadeau en date offert par sa petite sœur, il était déjà vingt-trois heures et ils attaquaient enfin le quatrième bar, qui faisait aussi office de boite de nuit. C'était la première fois qu'il mettait les pieds dans un tel lieu, et la découverte le laissait perplexe. D'autant plus que c'était un vendredi soir et que les étudiants étaient aussi de sortie, alors la boite de nuit était noire de monde. Elijah ne distinguait déjà presque plus ses collègues mais il ne s'en préoccupa pas, ce n'était pas sa priorité. Celle-ci étant de ne pas se faire marcher sur les pieds et de ressortir de cet endroit vivant. Cette obscurité permanente fatiguait ses yeux, d'autant plus que sa paire de lunettes était restée dans la voiture. Maintenant qu'il avait goûté au plaisir très souvent plébiscité par les jeunes, il n'avait aucune envie d'y retourner. Il avait été là pour que Louise s'amuse, mais c'était la dernière fois que ses pieds empruntaient le chemin de cette boite de nuit. Il tenta de se frayer un chemin jusqu'à la partie bar, et une fois parvenue, il s'appuya sur une géante colonne faite uniquement de fer. Il fit le guet, et quelques minutes plus tard, tous ses collègues l'avaient rejoints.

Quand les poutres étaient faites de fer et l'ensemble en style industriel pour la boite de nuit, le bar était davantage pittoresque et construit dans un bois plus chaleureux et rustique. Quelques tables avaient été disposées, mais personne n'avait pris la peine de s'y installer, alors ils purent commander sans soucis. Elijah remarqua une femme qui ramassait les chaises renversées par des mouvements brusques de ces clients, mais à chaque fois qu'elle s'entêtait à le faire, quelqu'un donnait un coup et le travail était à refaire. Elle soupira lourdement, et retourna au bar, à traîner sur son portable. De loin, la serveuse paraissait mignonne avec ses sourcils froncés. Depuis, la femme était sur son portable, protégé par une coque personnalisable, où Elijah nota la présence d'un garçon blond. A cette pensée, il sentit un pointe de déception naître dans son coeur, il ne voulait certainement pas de relation sérieuse, il désirait simplement oublier cette affaire qui l'obnubilait. La serveuse s'approcha et servit un sourire accueillant à ses collègues.

- Happy Birthday Louise, chantonna-t-elle, désolée de ne pas avoir pu me libérer, mais mon patron me met des horaires de dingue.

Son accent anglais était britannique, il le reconnut dès les premières notes chantante de sa voix. Il soupira, les personnes ne parlaient plus que l'anglais du Royaume-Uni et le faisait souvent répéter plusieurs fois.

- T'en fais pas, j'ai passé une très bonne journée, dit-elle, avec des mots hésitants, probablement sous l'effet de l'alcool.

Quand la serveuse trottinait pour servir un couple tout juste débarqué, Louise retint son amie par le bras, à sa manière, doucement et calmement.

- Attend Cassie ! Tu ne connais pas encore Elijah non ?

- Non, mais il est charmant, lança-t-elle, en repartant, sautillant et légère comme l'air.

La dénommée Cassie avait des cheveux blonds, coupés aux épaules, et des yeux verts qui l'avaient irrémédiablement captivés. Sa silhouette semblait avoir été dessinée puis reproduit dans la vie, tant la jeune femme était parfaitement séduisante quand Cassie balançait ses hanches pour passer au travers des tables. Sa manière de danser était très enfantine, coupée du reste du monde.

Il venait de nouveau d'être envoûté, mais de façon plus agréable cette fois-ci.

***

Bonjour !

On se retrouve pour le premier vrai chapitre de cette histoire, et les ennuis commencent déjà...























Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top