2. Il est temps


Nyx.

La chaleur m'embrase.

Elle prend naissance au plus profond de mon être et monte comme une vague déferlant dans mes veines.

Lorsqu'elle atteint mon cerveau embrumé, je rejette la tête en arrière pour accueillir la jouissance.

Des étincelles crépitent derrière mes paupières closes au moment où l'orgasme me balaye. Un son rauque s'échappe de ma bouche et je m'agrippe aux épaules de mon partenaire pour ne pas sombrer. Mes ongles s'enfoncent dans sa chair tandis et je l'entends grogner dans mon cou. Il en redemande.

Et bordel ! J'adore ça...

A peine quelques minutes plus tard, l'homme s'affale sur moi et entreprend de me caresser doucement le bras, pour accompagner mon retour à la réalité. Je le repousse sans aucune douceur.

Oui, j'aime le sexe. Brut et violent. Autant que j'exècre la tendresse qui succède à ces étreintes passionnelles et éphémères. La douceur, c'est pour les faibles...

Mes yeux se posent sur nos jambes encore entremêlées et cette vision ravive en moi une vieille douleur.

Je me redresse, soudain excédée par la couleur de ma peau, contre celle, parfaitement blanche, du guerrier. Je l'entends bougonner lorsque j'emporte avec moi le drap, le laissant nu comme un ver sur l'immense lit de ma chambre.

Il affiche une moue déçue.

— Tu pars déjà, Ímisi (1) ?

L'entendre prononcer mon surnom m'énerve un peu plus. Je lui lance un regard noir.

— Non. C'est toi qui dégages. T'as cinq minutes pour déguerpir de là avant que Thanos ne rentre.

Le pauvre devient blême. Je m'adosse au mur et le regarde chercher ses vêtements. Son empressement mû par la crainte me fait rire et apaise du même coup ma colère. Je suis ses mouvements des yeux et apprécie ses muscles qui roulent sous sa peau.

Il est vraiment bien bâti ce con ! Ça frôle la perfection.

Comme tous les guerriers de la Pléiade, finalement. C'est un vivier des plus beaux spécimens qu'on puisse trouver dans cette partie du monde. Je pourrais l'appeler « mon supermarché », en vrai...

Je ne peux empêcher un éclat de rire en voyant mon partenaire de passage quitter la pièce en se prosternant, ses habits à la main et la queue entre les jambes.

La simple évocation de mon amant l'a fait fuir, comme un lapin pris en chasse. Il faut dire que le chef de l'Elite peut se montrer vraiment cruel. S'il trouvait l'un de ses hommes dans mon lit, je n'ose imaginer ce qu'il adviendrait de lui.

Je souris en me dirigeant vers ma salle de bain. Je n'éprouve absolument aucun sentiment pour Thanos. Cela dit, je dois lui reconnaître certaines qualités. Au-delà d'être un très bon amant, toujours prêt à me satisfaire, c'est aussi un guerrier redoutable et un excellent alibi pour me débarrasser des aventures d'un soir qui se montrent un peu trop... sentimentales.

Bon, j'avoue qu'il est aussi un bon moyen pour moi de faire rager mon père. Ce dernier déteste savoir que son bras droit passe ses nuits dans mon lit. Et je le comprends. Le sexe est parfois plus redoutable que les armes...

J'enjambe le drap qui tombe sur le sol et dévoile ainsi mon corps nu. Et alors que je m'apprête à pénétrer dans l'immense douche italienne, le reflet qui s'affiche dans le miroir mural m'agresse avec violence, telle une insulte.

Je serre les poings et soutiens cette vision que je déteste. Jusqu'à ce que mes yeux me brûlent et que mes ongles percent la peau fine de mes paumes, faisant perler des gouttes de sang.

La rancœur qui m'habite menace de me submerger. Je n'arrive plus à me contrôler. Alors, brusquement, j'ouvre les mains et par ce simple geste, fais exploser la glace en mille morceaux.

Merde !

***

Des coups frappés à la porte me sortent de ma rêverie alors que je m'applique à répartir une poudre blanchâtre sur mon visage.

Avant même que je ne réponde, le battant s'ouvre sur une jeune femme brune, à la peau diaphane et aux yeux noirs comme la nuit. Sa tenue et ses armes ne font aucun doute sur sa condition de guerrière. Elle se prosterne devant moi, en signe d'allégeance, et sa tunique courte remonte un peu plus sur ses cuisses, dévoilant la lame d'un couteau fixé sur sa jarretière en cuir.

— Je t'en prie, Thalie, entre, dis-je avec une pointe d'ironie, tout en reprenant mon activité.

Mon amie se redresse, une main sur le cœur.

— Excuse-moi, Nýchta (2). Mais... ils sont arrivés.

Je trésaille légèrement mais me force à rester stoïque. Je suis de ceux qui évitent de montrer leurs émotions, même aux personnes de confiance.

— Très bien.

Thalie se rapproche. Je vois bien qu'elle n'est pas dupe face à mon calme apparent. Elle me connait par cœur et a parfaitement conscience de la rage qui sommeille à l'intérieur de moi. Mon amie jette un œil vers la salle de bain attenante et ses traits se tordent dans une grimace qui ne parvient pas à l'enlaidir.

— Encore un miroir de brisé...

J'ignore son sarcasme et m'obstine à tapoter méticuleusement la houppette sur ma peau.

— Combien sont-ils, cette fois ? demandé-je sans grand intérêt.

Elle se dirige vers la fenêtre et écarte le voilage pour regarder à l'extérieur.

— Il y en a bien une soixantaine. De beaux gabarits.

Une soixantaine. Et bientôt ils seront tous morts ou presque...

Sans entrain, je repose mon matériel et rejoins la jeune femme. Sur les pavés qui tapissent le parvis du palais, des hommes marchent en file indienne. Des colosses, forces de la nature, enchainés comme des bêtes les uns aux autres.

Ils semblent résignés à ce qu'on décide de leur sort, la tête baissée en signe de soumission.

Le son caractéristique de la corne de brume nous rappelle l'échéance qui approche. Mon amie tourne la tête vers moi.

— Le conseil va bientôt commencer, Nyx. Il va falloir y aller.

Je hoche la tête à contrecœur. Mon père a convoqué une assemblée exceptionnelle après la séance d'offrande. Ce n'est pas dans ses habitudes et je m'inquiète de la raison qui l'a poussé à réunir les seigneurs de l'ombre à huis clos.

L'heure doit être grave pour qu'il agisse ainsi.

En tant que princesse de l'Erèbe, je suis forcée d'assister à toutes les instances qui concernent ce monde. Mais j'ai de plus en plus de mal avec ces obligations alors que le seul but des participants est de s'attirer les faveurs de mon père. La compétition est rude et ça m'horripile de devoir subir courbettes hypocrites et les plans machiavéliques.

L'éternité a un prix. Et certains sont capables de tout pour la gagner. Même du pire.

— Tiens tiens ! On dirait bien qu'ils ont ouvert un centre de soins, par ici.

La voix amusée de Thalie me sort de mes pensées.

— Hein ? Pourquoi dis-tu cela ?

Elle fait un geste de la tête, en direction des prisonniers. L'un d'eux est transporté sur une civière. Ce n'est pourtant pas le genre de mon père de s'embarrasser de... ce genre de chose. Quel est celui qui ose lui faire un tel affront ?

D'un battement de paupières, je projette ma vision. L'homme semble mal en point. Je l'examine de plus près, avec curiosité. Il est inconscient et la sueur qui perle sur son front dénote la souffrance qui l'habite.

Quel gâchis ! C'est un spécimen magnifique.

Visage carré, nez droit, bouche charnue... et un corps qui semble assez solide pour s'y accrocher fermement.

J'inspire profondément pour m'imprégner de son odeur, mais c'est un autre parfum qui attire mon attention.

Oh...

Asclépiade. La plante guérisseuse.

Seule une Séide peut en extraire la sève.

Mais que possède cet homme de si particulier pour que les prêtresses s'abaissent à le soigner ?

Poussée par une curiosité grandissante, je poursuis mon inspection, et finit par trouver la raison d'une telle faveur. Il a bien quelque chose, sur la peau. Quelque chose de particulier et parfaitement reconnaissable.

Je regagne rapidement mon corps, troublée.

— C'est un ange, soufflé-je.

J'ai beau être réputée pour mon insensibilité, cette découverte m'interpelle. Thalie me fixe avec un air aussi stupéfait que le mien.

— Un ange ? Mais pour quoi faire ?

Je n'en ai aucune idée, mais j'ai la drôle d'impression que je ne vais pas tarder à le savoir.

Une nouvelle sonnerie retentit.

— OK. Il est temps à présent, dis-je en rajustant les pans de ma toge de cérémonie.

Oui. Il est temps d'enfiler mon masque impassible pour affronter mes démons.

Je m'approche machinalement du miroir pour vérifier mon maquillage quand le visage de Thalie apparait à côté du mien.

— Tu n'as vraiment pas besoin de te cacher, Nýchta. Tu es magnifique, souffle mon amie, tout contre ma joue.

Je merenfrogne et m'écarte d'elle, avant de changer la couleur de ma peau, d'ungeste de la main.


(1)Moitié, en grec. Nan mais c'est quoi ce surnom à la con ?

(2) Nuit, en grec. Ça va, pas trop dur à retenir...

Je sens qu'on va être des pros en grec avec ce bouquin. lol !


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