1. C'est quoi ce bordel ?

Maxime.

D'abord l'odeur de la terre...

De minuscules particules qui s'invitent dans mes narines et y déposent une odeur de soufre suffisamment forte pour raviver le souffle de vie.

Ensuite, il y a les voix... de plus en plus proches.

Elles s'immiscent dans mon esprit, tels des parasites, et l'astreignent à sortir du néant.

— Par ici ! Il y en a d'autres !

L'impression d'avaler une poignée d'aiguilles me provoque une quinte de toux. J'évacue la poussière qui obstrue ma gorge alors que dans ma tête, une nouvelle réalité s'imprime. Implacable.

Je suis vivant !

La surprise me fait suffoquer. J'inspire un grand coup et l'oxygène qui pénètre brusquement dans mes poumons, m'arrache un cri muet.

La sensation est horrible. Comme si on me brûlait de l'intérieur. Cette douleur se diffuse dans tout mon être. Intense... à la limite du supportable.

Je la sens s'insinuer dans chaque cellule, chaque parcelle de mon corps, à mesure que la substance vitale envahit mes membres engourdis. Je les imagine reprendre lentement leur forme originelle, leur couleur ...

Mon Dieu, mais qu'est-ce qui m'arrive ?

J'ai envie de hurler, mais aucun son ne sort de ma bouche asséchée. Mes paupières restent closes, comme si on les avait soudées l'une à l'autre.

Une peur panique, mêlée d'incompréhension s'empare de moi alors que mon cerveau s'obstine à réfuter les faits.

Je suis vivant.

Je dois me rendre à l'évidence. Pourtant, le seul mot qui revient dans ma tête alors que je ressasse l'information, c'est : impossible. Impossible que je sois allongé là, sur ce sol que je ne connais pas. Impossible que je sente mon cœur battre de nouveau dans ma poitrine.

J'étais mort, putain !

Et cette mort, je l'ai voulue. Désirée. Ardemment.

Alors quoi ? Est-ce le sort qui continue de s'acharner sur moi ? Ou alors, les maîtres du destin ont décidé de s'amuser à torturer le parjure que je suis ? Je n'ai pas assez souffert, c'est ça ?

Mes doigts s'enfoncent rageusement dans le sol meuble comme pour y puiser sa force. La terre s'incruste sous mes ongles et me redonne lentement la sensation du toucher.

Je parviens seulement à serrer les poings quand une voix d'homme s'élève au-dessus de ma tête.

— Hey Valerius ! Viens voir ça.

Des pas se font entendre, juste à côté de mes oreilles. On me pousse du bout du pied, comme si je n'étais qu'une vulgaire dépouille. Je perçois quelqu'un qui s'agenouille près de moi.

— C'est quoi ce bordel ?

Une autre voix, plus grave, répond alors que dans mon dos, je sens la brûlure glaciale des doigts qui me frôlent.

— Ce bordel, c'est un ange qui a perdu ses ailes...

Je frissonne à ces mots.

J'aimerais le contredire, mais je suis toujours prisonnier de mon corps et je n'y parviens pas.

Le type se redresse.

Et alors que, dans ma tête, je continue de hurler ma frustration, son ordre claque comme un coup de fouet.

— Embarquez-le ! Je suis sûr que le Maître sera ravi de cette trouvaille.

***

Le brouhaha force ma conscience et me fait grimacer alors que je reviens lentement parmi les vivants. Je ne sais pas où je suis, ni depuis combien de temps je gis, là, sur ce lit, mais peu à peu, je sens que mon corps reprend vie.

Mes yeux s'ouvrent enfin et à travers le brouillard qui voile ma vue, j'aperçois des silhouettes qui s'affairent autour de moi. Rapidement, la lumière se fait agressive et m'oblige à retourner dans l'obscurité bienfaitrice.

Des éclats de voix aigues retentissent et me martèlent le crâne. Les ombres s'invectivent. Malgré ma tentative pour me concentrer, je suis trop faible pour distinguer clairement leurs propos.

Je me souviens m'être réveillé à plusieurs reprises, et avoir entendu ces timbres particuliers. Mais à chaque fois, j'ai sombré si vite que je n'ai rien compris à leurs échanges. La douleur était trop dure à supporter. C'était comme si mon esprit se protégeait en s'enfermant sur lui-même.

J'ai perdu la notion du temps et de l'espace. Et je n'ai aucune idée de ce que je fais là.

Une forte odeur de camphre s'insinue dans mes narines. Je me souviens.

Ces voix... Ce sont elles qui m'ont soigné. Elles m'ont badigeonné d'huiles, m'ont m'a forcé à avaler des mixtures au goût de terre. Et à présent, je commence à ressentir le bénéfice de ces traitements.

Comme pour vérifier mes pensées, je remue légèrement les pieds et les mains. Ce sont les seuls mouvements que je puisse faire pour l'instant. Mais le reste viendra. Enfin, je crois.

Les voix s'éloignent, me laissant seul avec mes tourments.

Je devrais me réjouir de cette situation. Pourtant, la colère est toujours là. A l'intérieur.

Parce qu'au fond de moi, je n'ai pas envie. Pas envie d'être soigné. Pas envie de vivre...

Je me suis sacrifié pour ceux que j'aime. Et ça me rend dingue de savoir que même ça, on veut me l'enlever.

Est-ce là ma pénitence pour avoir osé braver la destinée ? Pour avoir supplanté la grande faucheuse avant qu'elle-même ne vienne me prendre ? Est-ce là ma récompense pour un tel sacrifice ? Je suis voué à la souffrance éternelle... A croire que je n'ai pas le droit de mourir en paix.

Je ne sais même pas si mon acte en valait la peine. Est-ce que Kataline est parvenue à sauver Raphaël ? Est-ce qu'ils ont vaincu l'ennemi et réussi à se retrouver ? Et maintenant, sont-ils heureux ?

Je déglutis péniblement.

Ces pensées me font mal... Et pourtant, si je pouvais remonter le temps, je ferais exactement les mêmes choix. Sans aucune hésitation.

Parce qu'à quoi bon vivre en sachant que l'amour nous est inaccessible. Que le destin a promis à un autre la seule personne avec laquelle on a envie d'être. Cet être unique, qui nous donne la volonté de vivre.

Argh....

Mes doigts tordent machinalement les draps de ma couche.

— Calme toi, ápteros (1*). Ou alors, jamais tu ne guériras.

Une voix tremblotante me sort du semi-coma dans lequel je m'étais réfugié. Elle est différente de celles que j'ai entendues jusqu'à présent et ne peut appartenir qu'à une dame d'un certain âge. Elle me rappelle étrangement celle de Rosa.

Frappé par cette idée, j'ouvre grand les yeux et constate du même coup que j'ai recouvré la vue. J'ai envie de me redresser. Mais je reste lamentablement cloué sur ce foutu matelas.

— Qu...Où...

Ma salive m'étouffe et je termine ma phrase par un toussotement. Merde ! Il m'est impossible de prononcer une parole intelligible sans avoir la sensation d'avaler du feu.

— Chut... souffle la femme. Il est encore trop tôt pour les questions. Elles auront toute leur place plus tard. A présent, tu dois te reposer pour récupérer tes forces. Les Séides de Panacée ont œuvré. Maintenant, c'est à toi de terminer le travail.

Son visage mangé par les rides semble en apparence, bienveillant. Pourtant, en y regardant de plus près, je distingue dans ses prunelles quelque chose qui m'inspire la méfiance. Une lueur, aussi froide que le marbre.

Cette femme est une imposture...

Comme pour illustrer mes pensées, son faciès affiche une expression dégoûtée lorsqu'elle se rapproche et plonge ses yeux durs dans les miens. Et comme je l'avais pressenti, elle finit par montrer sa vraie nature.

— Je n'aurais jamais cru qu'un jour, on nous obligerait à soigner un ange... Pouah !

Elle fait volteface pour se diriger vers une petite commode d'où elle sort un flacon vert opaque, avant de revenir vers moi. Lorsqu'elle ouvre le bouchon, une fumée sombre s'en échappe et diffuse un odeur poivrée dans l'atmosphère.

— Sacrifier ses ailes entraine des séquelles irréversibles. Il faudra du travail pour réparer... tout ça.

Elle désigne d'un doigt griffu mon corps inerte et faible. Puis, avec une rapidité étonnante pour une femme de son âge, elle fond sur moi pour agripper mes cheveux sans ménagement.

Je ne peux que subir son assaut quand elle se penche pour me renifler.

— Tu pues la souffrance à plein nez, l'ange, grimace-t-elle.

Elle relâche sa prise et ma tête retombe lourdement sur le matelas.

— Mais je suis certaine que tu plairas à Thanos. Il n'est pas donné à tout le monde de compter un dissident des Dieux dans ses rangs...

J'ouvre la bouche pour protester, mais la vieille m'en empêche en appuyant sa paume sur mon front.

— Il suffit. J'ai besoin de silence pour officier !

A l'instant même où ces mots quittent sa bouche, une vive douleur me vrille le crâne et me fait sombrer dans l'inconscient.


1* Sans ailes, en grec ancien. Ça fait très reptile du Jurassic, non ? 

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