Chapitre Douze
12.
Point de vue de Kayla
Une semaine.
Ça fait une semaine qu'ils sont en huis clos et l'attente est en train de me dévorer graduellement. J'ai bien essayé de passer le temps en compagnie de Quinn en allant jouer les touristes dans la grande ville, mais un sentiment continu d'inquiétude pèse sur nous. Ça fait deux semaines que je suis ici et plus je reste loin de ma meute, moins ils sont en sécurité.
En plus, le temps a commencé à se rafraîchir et depuis quelques jours, le sol se recouvre d'une mince couche de givre qui disparaît plus la journée avance. Là où je vis, la baisse de température est quelque chose de bien connu, mais ce n'est pas comparable à celle de cet endroit. J'ai dû m'acheter un manteau un peu plus chaleureux à cause de ça. Vraiment, c'est un record.
Je décide finalement de prendre une douche. Quinn est sortie se dégourdir les jambes dans la forêt avec d'autres loups-garous tels que nous. Je retire mes vêtements un à un et me glisse sous le pommeau. J'allume l'eau et la laisse me couler sur le corps. J'utilise ensuite mon savon pour me nettoyer. Je ferme les yeux tout en me frottant. Ça m'aide à m'apaiser. Seulement, quand je les ouvre de nouveau. Je ne suis plus sous la douche. Je n'ai aucune idée d'où je suis. Tout est noir, là où je me trouve. C'est comme si j'avais été transportée ailleurs sans même m'en apercevoir.
J'entends soudainement un rire. Rien de jovial. Je me tourne vers la source, mais je ne vois rien.
-Y'a quelqu'un? Demandais-je bêtement.
Je m'avance, puis m'arrête en sentant une pression sur mon poignet. Je baisse les yeux et je vois une main dont les ongles sont plutôt des griffes qui me transpercent la peau. J'essaie de me dégager en voyant le sang qui commence à couler de cette nouvelle plaie.
-Alors, on a perdu sa langue?
Je me crispe en reconnaissant cette voix. Je me tourne et je vois son visage recouvert par le coup de patte que lui avait laissé mon père il y a maintenant plusieurs années.
-Valère. C'est quoi, tout ça? Où suis-je? Demandais-je en me dégageant finalement.
Je me tourne pour être à bonne distance de lui. Il regarde sa main en souriant et ses griffes se rétractent. À présent, ses mains ont des ongles normaux.
-Tu es encore sous ta douche, Kayla. Je voulais simplement te faire passer un message.
-Tu aurais pu venir chez moi... La pierre n'était pas suffisante?
-Je sais que tu n'es pas en ville. J'ignore où tu te trouves et encore moins pourquoi tu as laissé ta propre meute sans défense... Vraiment, les abandonner à leur sort? Ce n'est vraiment pas digne d'une Alpha...
-Si tu leur fais quoi que ce soit, je...
-Tu ne pourras rien faire. Mais rassure-toi, tes petits protégés sont en "sécurité" tant et aussi longtemps que tu ne seras pas rentrée.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi il ne saute pas sur cette occasion pour détruire tout ce à quoi je tiens.
-Ce serait moins drôle de tuer tes proches si tu n'es pas là pour y assister... Seulement, sache que ma patience a tout de même une certaine limite. Je ne vais pas attendre ton retour pour toujours.
-Tu pourrais aussi te contenter de gentiment retourner là d'où tu viens et de nous laisser tranquilles.
-Pas tant et aussi longtemps que ma vengeance ne sera pas accomplie.
-Mais quelle vengeance? Tu as tué mon père! Qu'est-ce qu'il te faut de plus?
-Tu penses réellement que je suis fâché qu'à cause du fait que ton père m'a laissé pour ta mère? Allons, Kayla... Ce n'est pas sérieux. Il faudrait être complètement idiot pour penser que ce n'est que ça.
Pour le coup, je suis surprise.
-Alors... Pourquoi?
Je le vois sourire de plus belle. Sincèrement, son sourire est tellement sinistre qu'il me procure un frisson à chaque fois.
-Tu aimerais vraiment le savoir, hein? Désolé, je ne t'accorderai pas cette satisfaction. Et de toute façon, je ne suis pas le seul à demander des comptes. Rufus te passe le bonjour, au fait.
Je lève les yeux au ciel.
-Assez. Maintenant, dis-moi ce que tu voulais me transmettre.
Il s'approche de moi. Il est tellement près que nos nez se frôlent. J'ignore pourquoi il a besoin d'autant de proximité, mais s'il croit réellement que cette position m'intimide, il se trompe royalement.
-Je vais te détruire. Toi et tout ce qui te constitue, en commençant par ta petite meute de rien. Je te laisse cinq jours pour rentrer, sinon je donne l'ordre d'attaquer ta meute sans aucun préavis.
-Donc tu souhaites que nous nous battons dans cinq jours?
-Ah, non. Pas dans cinq jours. Ça, ce n'est que si tu n'es pas encore là. Tu ne penses quand même pas que je vais te donner un préavis sur la vraie date de notre attaque? L'effet de surprise est le meilleur.
-Pas si elle est mauvaise, cette surprise.
-Tout dépend de quel côté de la médaille on se situe. Crois-moi, vous allez tomber. Et ce ne sera pas beau à voir.
Je suis alors prise d'une quinte de toux épouvantable et je ferme les yeux brutalement. Je ressens comme une poussée et lorsque mon dos frappe le mur, j'ouvre mes yeux en inspirant bruyamment. Je suis de retour sous la douche.
Je reprends graduellement mon souffle. Ensuite, je sens une vive douleur dans mon poignet et je relève mon bras. Celui-ci est troué et saigne. Je fronce les sourcils. Si tout ce que je viens de vivre n'était qu'une simple vision, comment se fait-il que la prise de Valère ait réellement laissé une trace sur mon corps?
Je nettoie rapidement la plaie avant de sortir de la douche et de me sécher. Sans prendre le temps de m'envelopper dans une serviette, je me dirige vers la pharmacie. J'y prends de quoi me faire un bandage. Une fois que c'est fait, je vais m'habiller. La porte de derrière s'ouvre et j'y découvre Quinn.
-Kayla, ils sont sortis.
J'écarquille les yeux et n'attends rien d'autre pour aller mettre mes chaussures et attraper mon manteau. Nous courrons jusqu'à la maison de Fabien. Alice nous ouvre la porte et nous fait entrer.
-Le conseil vous attend en bas.
-Merci. Lui dis-je.
Sans plus attendre, nous allons les rejoindre. Comme prévu, ils sont tous là. Je distingue immédiatement les cernes couronnant leurs joues. Ont-ils pris quelques heures pour se reposer au moins un peu?
-Bonjour, Alpha Kayla. Quinn. Nous salue Fabien.
-Bonjour à vous tous. Merci de nous recevoir.
-Asseyez-vous. Nous demande cette fois Florian.
Nous prenons place sur les deux chaises qui n'étaient pas là la dernière fois que nous nous sommes retrouvées toutes les deux dans cette pièce. Quinn s'installe à ma gauche. Fabien se racle la gorge. J'arrive à ressentir la nervosité de Quinn. J'aimerais la rassurer, mais je ne sais toujours pas quelle tournure prendra ce huis clos. Le moment de vérité est enfin arrivé.
-Nous avons passé les derniers jours à étudier votre cas de fond en comble. Avant de vous annoncer notre choix, nous allons d'abord vous résumer notre processus de réflexion. Florian, je te cède la parole.
Celui-ci se lève, une pile de papiers dans les mains.
-Très bien, je vais commencer par vos arguments principaux avant de vous énoncer les nôtres en dépit de toute la situation. Évidemment, une alliance entre nos deux meutes peut être bénéfique du point de vue partenarial. Si nous devenons alliés proprement, il sera possible de faire le pont et d'apporter des ressources que l'autre n'a pas. Dans votre cas, votre alliance déjà établie avec cette meute de coyote qui peuvent offrir des perspectives différentes sur une variété de sujets et nous avons une connexion avec une famille de chamans depuis des années. Dans ce cas, un point pour vous. De plus, votre présence à toutes les deux au sein de notre meute ces deux dernières semaines ont plu à plusieurs d'entre nous et puisque vous représentez l'ensemble de notre meute, nous imaginons qu'une possible entente entre nous ne rencontrera aucune embûche de ce point de vue.
Florian continue à enchaîner nos arguments et à énumérer les conclusions qu'ils ont pu en tirer. Il réussit à relever quelques coquilles, mais jusqu'à présent, rien de vraiment énorme. En fait, nous avons tellement de points positifs que je pense que tout va aller pour le mieux. Je pense qu'ils vont nous aider.
-Maintenant, nous arrivons au point qui nous a tous fait hésiter pendant plusieurs jours. Bien sûr, c'est cette fameuse menace qui pèse sur votre meute. Nous pouvons comprendre que c'est un danger bien réel qui peut vous tomber dessus à tout moment pour vous éradiquer. Par contre, de notre point de vue, s'ingérer dans cette histoire cause quelques problèmes, au bout du compte. Le fait que nous ne sommes pas impliqués n'a pas été pris en compte. Si nous acceptons l'alliance, nous devenons automatiquement vos alliés de guerre. Dès lors, nous sommes également impliqués et nous nous exposons au danger. Ça ne concerne pas que les membres qui prendront part au combat physique, mais ainsi ceux qui resteront ici, loin de tout. Le risque de perte d'effectif est énorme d'autant plus que nous n'avons pas la moindre idée du nombre potentiel d'adversaires. Il s'agit peut-être d'une petite meute de quelques membres ou d'une meute avec une quarantaine de personnes. Nous n'avons l'identité que de deux individus, ce qui est trop peu pour évaluer précisément le niveau de danger. Dans le doute, nous n'avons pas d'autre choix que de l'établir à très élevé.
Je hoche la tête puis écoute attentivement le reste de ses explications concernant cette partie. Plusieurs des points qu'ils soulèvent sont vrais. En plus du risque qui serait pris s'ils venaient à nous aider, prendre part au combat ne leur rapporterait rien, concrètement. En somme, ils arrivent aux mêmes conclusions que moi. C'était plutôt prévisible, mais il va falloir s'adapter.
-Pour résumer, en dépit des nombreux arguments qui sont en votre faveur, nous en sommes venus à la conclusion que ce conflit est un facteur qui prend trop d'ampleur dans cette situation d'alliance.
-Donc, vous ne nous aiderez pas. C'est pas...
-Au contraire. Nous allons vous apporter notre aide. Seulement, ce ne sera pas en effectif de combat. Intervient cette fois Fabien.
Sur le coup, je suis surprise.
-Et donc tu peux préciser? Demandais-je.
-On vous propose de vous accueillir ici et de vous intégrer à notre meute. Vous aurez donc notre protection et...
Je souffle.
-Je t'arrête, Fabien. C'est bien gentil... Mais le fait de nous recevoir ne réglera pas notre problème. Quand Valère était à la tête de son ancienne meute, le fait de se déplacer ne l'a pas empêché de nous poursuivre. Peu importe où nous allions. Le fait de venir ici n'est pas ce qui va l'arrêter pour de bon. Il faut l'abattre, il n'y a pas d'autre moyen. Et nous essayerons de le faire, même si pour ce faire, ce sera sans vous.
Je me lève.
-Je vous remercie pour votre temps, mais je décline votre offre. Merci pour votre hospitalité. Leur dis-je.
Je quitte la pièce, suivie de Quinn, que je sens réticente. Pendant que nous marchons vers la maison de Florian, je la vois regarder derrière elle à plusieurs reprises.
-Quinn, qu'est-ce que t'as? Demandais-je finalement.
-Moi? Bah... Rien...
-Quinn, ne m'oblige pas à te tirer les vers du nez.
Comprenant de quoi je parle, elle s'arrête et me tire avec elle vers un coin un peu plus isolé. Elle hésite encore à parler.
-Je vais commencer à croire que c'est grave, si tu ne me parles pas.
-Promets-moi simplement que tu ne m'en voudras pas.
-Pourquoi je t'en voudrais? Quinn, qu'est-ce qui se passe?
-Je... Je songe à quitter la meute pour venir dans celle-ci.
Je la regarde sans rien dire. Je ne l'avais pas du tout vu venir. Je secoue la tête pour moi-même et reprends la route.
-Kayla... Réagis... S'il te plaît!
-Pas. Maintenant. Nous en reparlerons une autre fois. Dis-je en utilisant ma voix autoritaire.
Elle semble comprendre parce qu'elle me laisse reprendre la route sans me retenir. Je suis en train de bouillir, présentement.
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