Chapitre Dix-Sept
17.
Point de vue d'Éléa
Je dois dire que j'en ai assez d'être menottée. Pas seulement parce que les menottes serrent mes poignets et laissent des marques rouges géantes, mais aussi parce que ça m'empêche de faire quoi que ce soit. Je veux dire, ce n'est pas parce que je suis retenue ici qu'on ne peut pas me mettre la radio! Ou juste m'apporter un livre, tiens! Ces liens m'interdisent la liberté de mouvement, mais j'aimerais au moins avoir la liberté de ne pas m'ennuyer.
Le seul brin de conversation que j'ai, à présent, c'est avec Rufus. Étant donné que c'est le seul avec qui je passe du temps étant donné qu'il m'apporte à manger, je lui parle. Je sais qu'il fait partie de nos ennemis, mais il est littéralement l'un des seuls visages que je peux voir. Et puis, on ne dirait pas vraiment qu'il souhaite être ici.
La porte s'ouvre et je tourne la tête. C'est Jeffrey.
-Premier accès aux toilettes de la journée. Si tu veux prendre une douche, c'est maintenant.
-D'accord.
Il vient me détacher et je masse rapidement mes poignets avant de me lever et de me rendre dans la salle de bain. Il me tend une serviette, une bouteille de shampoing 2-en-1 et un pain de savon. Une fois qu'il me fait dos, je me déshabille et grimpe dans la douche où je m'empresse d'allumer l'eau. Quand la température est réglée, je mouille mes cheveux et commence à les laver. Quand c'est fait, je passe au reste du corps. Je souris en constatant que mon ventre commence graduellement à prendre de l'ampleur. Je passe mes mains dessus. L'embryon à l'intérieur est encore trop petit pour qu'il puisse bouger, mais je sens sa présence. C'est grâce à mon bébé que j'arrive à tenir, je ne suis pas seule et je veux que nous en sortions tous les deux. J'en profite pour rapidement jeter un coup d'œil à travers la fenêtre.
Je suis tout de suite surprise. La forêt n'est même pas proche, je suis dans une sorte de champ. Je vois une grange, pas très loin d'où je me trouve. C'est ce qui me permet donc de savoir que je n'ai aucune possibilité d'évasion, du moins, en plein jour: je serais repérée tout de suite. Le mieux, ce serait la nuit, mais je suis sûre que l'endroit est gardé. Bien que je fasse entièrement confiance à ma meute et à celle d'Alistair, j'aimerais pouvoir essayer de me sauver par moi-même. Cependant, puisque je ne connais pas la maison, je suis très mal disposée pour le faire. Le peu d'informations que je viens de recueillir ne m'aidera pas non plus.
N'ayant aucune ressource, je termine ma douche, me sèche et me brosse les cheveux avant de me rhabiller. Quand c'est terminé, Jeffrey me ramène dans ma pièce, où je suis rattachée sur le champ. L'homme ne rajoute rien avant de quitter la pièce. Je souffle. Je replonge dans ma solitude, à présent. J'en profite donc pour faire une petite sieste, n'ayant rien de mieux à faire.
Je suis cependant réveillée quand la porte s'ouvre sur Rufus qui m'apporte mon repas.
-Qu'est-ce que j'ai, aujourd'hui?
Il ne répond pas et détache mes poignets. Je regarde ensuite ce que j'ai sur le plateau face à moi. Du poulet frit accompagné par du riz et quelques légumes. Dans mon verre, j'ai de l'eau, comme d'habitude. Je prends une petite gorgée et commence à manger le contenu de mon assiette.
-Dis, j'aimerais savoir, est-ce toi qui les prépare?
Rufus m'observe quelques secondes avant de hocher la tête. Décidément, il n'est pas très bavard. Ayant tout de même envie de parler, je continue.
-Et bien... Sache que c'est super bon, jusqu'à présent. Est-ce que tu travailles dans la restauration?
-Ce ne sont pas de tes affaires, je crois.
-Et alors? Je ne crois pas que ce genre d'information puisse m'aider à sortir d'ici.
-Tu comptes sortir d'ici?
-Bah... Un jour oui. Je pense que c'est un sentiment commun à toutes les personnes retenues en captivité.
Il hausse les épaules et je me retiens de grogner. Non, mais c'est pas vrai! Il fait tout pour couper court à la conversation! Est-ce que je suis vraiment de si mauvaise compagnie?
-Au fait, si c'est pas trop personnel, je peux savoir pourquoi tu en veux autant à ton ancienne meute? Demandais-je tranquillement.
Je l'entends grogner.
-Ça non plus, ce ne sont pas de tes affaires.
-Oui, et alors? C'est pas comme si je pouvais leur dire et les défendre. Je veux simplement savoir. Je jugerai pas.
Il me toise un instant.
-Tu es une sacrée pipelette. Mais te voyant, c'est normal.
-Parce que j'ai personne d'autre à qui tenir la conversation?
-Non, parce que tu es une pauvre femme et que tout ce que vous savez faire, c'est avoir une grande gueule.
Je me renfrogne. Kayla m'a déjà parlé du fait qu'il pouvait être assez misogyne. J'imagine qu'il fallait le voir pour le croire...
Je termine mon assiette dans le silence et bois le reste de mon eau. Il s'empresse de rattacher mes poignets et quitte la pièce sans rien faire d'autre. Je souffle. Je me demande réellement ce qu'ils ont à ne pas être bavards! À l'exception de Valère que je n'ai revu qu'une seule fois depuis le début de ma captivité, je ne côtoie que deux loups: Rufus qui m'apporte à manger et Jeffrey qui m'escorte aux toilettes. S'ils cherchent à me rendre folle, c'est en voie de réussite.
Je passe un autre long moment à compter le nombre de craques que comporte le plafond quand la porte s'ouvre sur Jeffrey pour m'escorter aux toilettes. Une fois détachée, il m'y emmène et je fais mes besoins avant de me laver les mains. En retournant dans ma pièce, je lui pose une question.
-Est-ce que je pourrais au moins avoir un livre?
Il hausse les sourcils en me faisant m'asseoir pour attacher mes chevilles.
-Un livre? Pour quoi faire?
Je suis exaspérée.
-Bah pour lire. Je veux dire, je passe mes journées à rien faire, lire aiderait à passer le temps.
-Ça impliquerait de laisser tes poignets détachés, c'est hors de question.
-Vous savez tous très bien que si j'avais voulu m'enfuir, ce serait déjà tenté, que je sois attachée ou non. Le pire que je puisse faire avec un livre, c'est me couper avec le coin d'une feuille. Je ne vous demande pas le dictionnaire! Juste de quoi m'occuper.
-Nous allons y réfléchir.
Il rattache mes poignets et quitte la pièce. Cependant, il ne referme pas la porte derrière lui. J'écarquille les yeux. Ça veut dire que PERSONNE ne surveille ma pièce! Du moins, pas en restant devant la porte. Si quelqu'un surveille effectivement l'endroit, il est peut-être à quelques mètres.
Un autre loup fait son entrée, un livre à la main, après un bon moment. Il détache mes poignets et me tend le livre. C'est un roman en version poche. The Da Vinci Code.
-Tiens, voilà ton livre. Maintenant, tu ne nous demandes plus rien de ce type.
Sans rajouter quoi que ce soit, il quitte la pièce, en refermant cette fois la porte derrière lui et en la verrouillant. Je hoche la tête. J'ai l'impression qu'ils ne me surveillent pas et que leur seul moyen de me retenir, c'est avec ce verrou. Est-ce possible que je ne sois gardée que la nuit? Si seulement j'avais un moyen de le savoir avec certitude...
Je commence donc à lire le roman qu'on m'a remis. À première vue, cette copie a plusieurs années et a été lue plusieurs fois. J'en suis à la moitié du troisième chapitre quand la porte s'ouvre sur Rufus avec mon troisième repas de la journée. Ce n'est qu'à ce moment que je réalise que je lis plus lentement que d'habitude, mais puisque ça risque d'être mon seul livre pendant un moment, autant le savourer le plus lentement possible.
Je mange en silence, ne voulant cette fois pas engager la conversation avec lui. De toute manière, je pense qu'il m'a assez bien fait comprendre qu'il n'était pas le moins du monde intéressé. Je ne vais pas trop forcer.
J'en suis à la moitié quand je l'entends dire quelque chose.
-Pardon? Demandais-je, n'ayant pas été attentive.
-Tu veux vraiment savoir pourquoi je fais tout ça? Pourquoi je leur en veux?
Je suis surprise.
-Euh... Oui. Enfin, si tu veux le dire.
-Ça ne fera pas de mal.
Je l'écoute pendant qu'il me raconte ce qui l'a poussé à joindre ce groupe. Essentiellement, tout ce que j'en retiens, c'est la haine qu'il porte à Kayla. D'après lui, sa seule existence a poussé tout le monde à se rallier contre lui alors qu'il était l'un des membres les plus respectés dans sa meute. J'avais toujours entendu que la version de Kayla et d'Alistair, mais je dois avouer que c'est intéressant d'avoir une autre vision de l'histoire. De ce que je vois, Rufus était un mal compris et il s'est surtout senti délaissé.
-Donc si je comprends bien, c'est surtout à Kayla que tu en veux?
-Oui.
-Mais... Pourquoi tu veux infliger du mal à tous les autres, dans ce cas? Tu serais vraiment prêt à faire du mal à ceux qui ont été tes amis parce qu'ils ont pris le parti de Kayla plutôt que le tien?
-Ils se sont tournés contre moi par sa faute.
-Non, Rufus. Tu t'es tourné contre toi-même. Kayla était la fille de votre ancien Alpha. Même s'il faut plus que de simples gènes pour prendre ce poste, c'était quand même à elle qu'il lui revenait. Elle t'a battue à la loyale. Que voulais-tu qu'il fassent?
Il se tait.
-Écoute, je ne suis pas en train de défendre Kayla, mais tu ne trouves pas que c'est un peu excessif de s'en prendre à tous tes anciens amis, ton ancienne famille à cause d'une seule personne? Ils ne méritent pas de mourir à cause de ça.
Il détourne la tête.
-De toute façon, c'est trop tard, maintenant. J'ai tué plein de personnes que je ne connaissais pas pour assurer cette vengeance. Je ne peux plus reculer.
-Mais bien sûr que si! Épargne-les! Et... Joins-toi à nous! Tu as passé toutes ces années à aider cette meute à fuir Valère pour te joindre à lui? Je ne sais pas s'ils vont te recueillir de nouveau, mais tu ne crois pas que ça vaut le coup d'essayer?
-Je...
Il secoue la tête et étouffe un rire. Je fronce les sourcils. Mais qu'est-ce qu'il y a de drôle?
-Tu pensais vraiment que tu allais m'avoir aussi facilement? Je ne suis pas si naïf, moi.
-Quoi? C'est pas du tout...
-Je parie que tu cherchais même à ce que je te délivre? Comme ça, tu m'aurais assommé avant de t'enfuir? Tu crois que je suis né de la dernière pluie?
-J'y avais même pas pensé. Lui dis-je en toute honnêteté.
-Mais oui, c'est ça!
Il prend mon assiette que je n'ai même pas terminée sous mes protestations.
-Tu ne mérites pas ça. J'espère que tu n'auras pas trop faim jusqu'à demain matin.
Sans rajouter quoi que ce soit, il quitte la pièce en prenant le soin de fermer la porte derrière lui. Cette fois, je ne me retiens pas et je pousse un cri de frustration. J'en ai plus qu'assez. J'essuie rapidement les larmes de rage et m'étend sur le dos. Seulement, il y a quelque chose derrière moi. Je me relève et j'écarquille les yeux. Il a oublié d'apporter la fourchette! Je l'attrape précipitamment et à l'aide de ma force, je plie les dents à l'exception d'une. Je l'enfouis dans la serrure du cadenas qui maintient la chaîne autour de mes chevilles en place.
Après un bon moment passé à tenter de crocheter la serrure avec cet ustensile, le cadenas se débloque enfin. Je manque de pousser un cri de joie, mais je me tais. Il ne faudrait surtout pas éveiller les soupçons. Je détache mes chevilles et retire la chaîne. J'ai envie de la balancer le plus loin possible, mais je me retiens. Je déplie les dents de la fourchette et je la glisse dans ma poche. Ce n'est pas une arme puissante, mais je peux toujours m'en servir pour crever un œil.
Je me lève et me dirige jusqu'à la porte. Seulement, je décide de ne pas la forcer. Je vais attendre que Jeffrey arrive pour m'escorter aux toilettes. Je m'appuie contre le mur à gauche, puisque la porte ouverte se dirige vers la droite. Maintenant, je n'ai qu'à patienter.
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