10.

Point de vue de Kayla

Cette nuit, j'ai encore eu une crise liée à ma dernière phase de surpuissance. Si je le sais, c'est parce que je me suis réveillée entièrement nue dans une pièce que je ne connaissais pas. Dans celle-ci, il n'y a qu'un seul matelas. Rien d'autre. Même pas une fenêtre. Heureusement, je ne suis pas claustrophobe, sinon je serais entrée en état de panique.

J'ai quand même attendu un bon moment avant que Fabien n'arrive avec Quinn qui porte une pile de vêtements. Je la remercie et me rhabille graduellement.

-Ça t'arrive souvent de te transformer dans ton sommeil? Me demande Quinn.

-C'est ma première fois, si tu veux tout savoir. Pitié, dites-moi que j'ai rien cassé chez Florian?

-Mis à part la porte-fenêtre qui mène à sa cour arrière... Non.

Je me tiens la tête en m'allongeant sur le dos. Je suis dans cette phase que depuis quelques semaines et j'en peux déjà plus.

-Ne t'en fais pas, tu n'auras pas à payer pour les dommages. Me dit Fabien.

-Mais non, j'y tiens. C'est de ma faute...

-Non, c'est un truc sur lequel aucun contrôle n'est possible. C'est pour ça que dès que Florian m'a appelé pour me dire que tu étais partie, je suis venue t'attraper pour t'emmener ici.

-Ouais, c'est quoi... Cet endroit? Demandais-je.

-Un bunker. Mon arrière-grand-père l'a fait construire pour les alphas qui éprouveraient des difficultés pendant la DPS. Pendant les trois jours de la mienne, je n'ai pas quitté cet endroit un instant. Sinon, si tu penses que tout est bon, on pourrait remonter, qu'en dis-tu?

Je hoche la tête et me remets sur mes pieds. Puisque Florian nous attend dans la voiture, nous le rejoignons dès que nous sommes sortis de la forêt (l'endroit où est situé ce bunker) et il nous conduit dans un restaurant déjeuner. Une fois que nous avons commandé et que nos petits déjeuners sont devant chacun d'entre nous, nous commençons à manger.

-Au fait, Kayla. Puisque ça fait plus d'une semaine que vous êtes là, je crois qu'il serait temps de parler des modalités de notre alliance, non? Débute Fabien.

-Tu es sérieux? Toujours partant?

-Bien sûr que oui. Votre présence à toutes les deux a fait du bien à l'ensemble de ma meute et surtout à Florian et Quinn.

Ceux-ci ricanent et je vois qu'ils se tiennent la main pendant qu'ils mangent. Puisque Florian est gaucher et Quinn droitière, ça fonctionne très bien. C'est justement pour cette raison que je décide de leur avouer la véritable raison de notre venue.

-Écoute... Ça me touche de vous savoir d'accord, mais on... Je ne vous ai pas tout dit. Si vous ne souhaitez plus être alliés avec nous par la suite, je comprendrai. Leur dis-je.

Les deux frères se jettent un regard et Quinn se fait silencieuse. Elle sait que c'est à moi de parler. Étant donné que nous sommes dans un coin reculé du restaurant, je me sens suffisamment à l'aise pour leur parler de mes mauvais pressentiments qui se sont finalement avérés fondés. Je leur parle de la menace de la meute de Valère qui pèse sur nous et qui pourrait nous attaquer à tout instant.

-Je sais que je vous en demande énormément...

Les deux frères hochent la tête.

-C'est un assez gros morceau que tu viens de nous lâcher. Parce qu'à présent, si nous acceptons votre proposition d'alliance, nous nous exposons aussi au danger. Commence Fabien.

-Oui, tout à fait. J'en suis entièrement consciente. Je sais que ce que je vous demande n'est pas une décision à prendre à la légère...

-D'autant plus que concrètement, notre meute n'aura pas d'avantage dans tout ça. Si on accepte, ce sera entièrement un geste altruiste. Poursuit Florian.

Je dépose ma fourchette.

-Écoutez, je tiens à ce que vous sachiez que je ne vous oblige à rien du tout. Peu importe ce que vous déciderez de faire avec votre conseil... Je l'accepterai sans essayer de vous contredire. Cette décision n'appartient qu'à vous seuls. Parce que moi-même je ne sais pas si j'aurais accepté de me lancer dans une telle affaire, si les circonstances avaient été différentes.

Ils hochent la tête.

-Je vais convoquer une réunion du conseil. Je t'explique comment nous allons procéder. Nous allons commencer avec ta demande, face à nous tous. Tu peux également y assister, Quinn. Votre rôle sera de donner des arguments, tout simplement. Par la suite, vous partirez et nous nous mettrons en huis clos aussi longtemps qu'il le faudra avant de rendre notre décision. Avez-vous des questions quant à la procédure? Termine Fabien.

Je secoue la tête et Quinn fait la même chose. Florian convoque le conseil et nous nous rendons chez Fabien où nous allons dans son sous-sol. Les autres membres du conseil arrivent quelques minutes après nous et commence ainsi la réunion. Je suis la première à parler. Je commence par les points positifs d'une entente entre nos deux meutes et je souligne également le fait que ma semi-immersion dans la meute a semblé plaire à tout le monde.

Je finis par leur parler de la menace qui pèse sur nous, puisque je ne peux la cacher. Je leur raconte l'histoire du triangle entre mes parents et Valère, le fait que celui-ci l'a tué et a laissé ma meute sans alpha pendant plusieurs années (et sans père pour moi) et tous nos déplacements pour tenter de nous sauver d'eux (ce qui a également engendré notre perte de contact initiale). J'aborde notre bataille contre lui et le fait que notre victoire a été libératrice pour tout le monde. Ensuite, je leur parle de Rufus, ancien membre de ma meute, qui s'est joint à lui avec plusieurs inconnus dans le but de prendre leur revanche. Je leur parle du fait que nous n'avons pas la moindre idée du nombre de personnes qui sont avec eux et qui tiennent absolument à régler notre compte.

-Très bien... Mais qu'est-ce qui nous garantit que votre meute n'est pas un peu fautive?

-Je sais qu'il y a plusieurs flous dans l'histoire... Mais pour certains points, c'est du passé. Si nous prenons le cas de Valère, pour commencer, celui-ci était en conflit avec mon père, l'ancien alpha. Il... Il l'a tué! Tout ça pour une simple histoire de triangle amoureux. C'est quelque chose dans le passé et même en ayant eu ce qu'il voulait, il a quand même continué de venir nous hanter pendant une bonne décennie, au moins! Et encore aujourd'hui, il en a après nous et contre son ancienne meute qui s'est retournée contre lui.

-Très bien, mais de ce "Rufus", il était pourtant dans votre meute et très loyal, auparavant, non? Que s'est-il passé pour que les choses changent? Demande un membre du conseil.

Je souffle.

-Lui et moi, nous ne nous sommes jamais bien entendus, je le consens. Je le reconnais. Dans mon cas... C'est surtout parce que je sentais que lui ne m'appréciait pas, alors je lui rendais sa rancœur, si on peut le dire de cette façon... J'ai enfin compris pourquoi lorsqu'il m'a provoquée en duel pour le titre d'alpha. J'étais la fille de son ancien Alpha, pas le fils. Il ne voulait pas d'une femme à la tête de sa meute. Il était certain de me battre, mais quand le contraire s'est produit... Il ne s'en est pas remis. Et il a quitté la meute.

Ils hochent la tête et un silence se crée dans lequel nous pouvons doucement entendre les frottements des nombreux crayons sur le papier. Ils prennent des notes depuis le début, sans doute pour peser les pour et les contre.

-Ché... Quinn. Tu as été silencieuse, depuis le début. Aurais-tu quelque chose à rajouter face à tout ça? Demande Florian.

Je la regarde et je hoche la tête. Par la voie de notre lien de meute, je lui fais comprendre qu'elle peut se lâcher, tant qu'elle reste honnête.

-Je sais que je ne fais pas partie des dirigeants de ma meute et que, contrairement à vous tous, je n'ai aucune idée de comment il faut prendre des décisions au sujet d'un groupe. Mais je veux que vous ayez l'avis d'une personne externe à tout ça, qui a dû subir le fait que pendant des années, la mauvaise décision était prise : celle de la fuite et non celle de la confrontation.

Elle prend une pause, puis reprend. Je lui prends la main pour l'encourager.

-Je sais qu'il n'y a rien de positif dans une guerre. En temps normal, ce n'est pas le genre de chose que je privilégie. Mais dans mon cas, celui de mes amis, celui de ma famille, celui des enfants... Rien de cette période n'a été facile, pour nous. Au nombre de déménagements que nous avons faits d'année en année rien que pour assurer notre protection... Nous avons oublié d'apprendre comment vivre. Nous n'avions aucune attache, aucun point de repère, rien qui pouvait nous garantir que tout allait bien se passer. Avez-vous la moindre idée de ce que c'est, de vivre dans une peur constante? C'est au point qu'on ne ressentait même plus cette peur, elle était omniprésente et nous avons tous appris à vivre avec elle. Mais ce n'est pas ce qui est bon, pour personne sur cette planète! Peu importe leur espèce. Personne ne devrait "sous"vivre de cette façon. Même pas vous. Même pas nos descendants. Et... Peu importe où j'irai, je n'ai pas envie qu'une menace place sur nos enfants que parce que nous n'avons pas su les protéger convenablement. C'est à nous tous de promettre aux plus jeunes un avenir plus sûr. Parce que la fuite n'est pas la solution. Tout ce que ça fait, c'est briser des êtres. Je ne sais pas si nous aider est la meilleure solution, mais s'il vous plaît. Aidez-nous. Vous n'aimeriez pas qu'un truc de la sorte vous arrive, alors pourquoi nous laisser planer dans l'obscurité sans rien tenter pour faire changer les choses?

Quinn prend une inspiration.

-Voilà, c'est tout ce que j'avais à dire.

En jetant un regard aux membres du conseil, je vois que les yeux de Florian brillent tandis que tous les autres ont le regard rivé sur leur feuille de papier sur laquelle ils prennent mille et une notes.

-Bien. Si vous n'avez plus rien à rajouter, nous allons nous mettre en huis clos pour une durée indéterminée. Vous êtes libres d'aller chez Florian. D'ailleurs, donne-leur tes clés. Demande Fabien.

Son frère se lève et donne un trousseau à Quinn. Il la prend dans ses bras et ils échangent rapidement un baiser avant que nous ne sortions. Nous nous dirigeons vers la maison de son âme sœur.

-C'était vraiment bien, ce que tu as dit.

-Oh. Merci... Mais vraiment, j'ai juste dit tout ce que j'avais sur le cœur.

-Je sais, je l'ai senti. Et crois-moi, je suis loin d'être la seule.

Elle sourit et pouffe. Puis, je l'arrête.

-Tu t'es toujours sentie comme ça?

Elle hoche la tête.

-Pourquoi tu n'es pas venue m'en parler, Quinn? Tu sais bien que j'étais là pour t'écouter.

-Je sais, Kayla... Si je ne t'ai rien dit plus tôt, c'était pour que tu ne t'inquiètes pas. Au bout d'un moment passé à changer de place, on ne voit plus la différence, même si le processus devient lassant. On finit par s'y habituer alors qu'on ne devrait pas, donc ça devient un sentiment parmi tant d'autres.

-Je comprends... Je devais me montrer forte devant tout ça, surtout avec la mort de mon père... Mais au fond, je ressentais la même chose.

Je souris et nous nous faisons un câlin au beau milieu du trottoir.

-Ça te dit qu'on se commande quelque chose à manger et qu'on se fasse une petite soirée film? Ça va nous permettre à toutes les deux de décompresser, je crois.

-Je trouve que c'est une super idée!

Une fois chez Florian, nous commandons et nous allons dans la collection de films de notre hôte pour écouter quelque chose. Je place le film dans le lecteur.

-Oh, attends, avant de lancer le film! Je vais appeler Calum, pour lui donner de nos nouvelles. Ça va aussi me permettre de lui annoncer que nous allons rentrer prochainement, même si je n'ai pas de date précise.

Je commence à m'éclipser.

-À ce propos, Kayla...

-Oui?

Quinn me regarde. Elle ouvre et ferme la bouche à plusieurs reprises avant de secouer la tête et de sourire.

-Non, laisse, ça peut attendre. Allez, va parler à ton homme.

Je hoche la tête en souriant et l'appelle sans plus attendre pour tout lui raconter.

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Fait divers: aujourd'hui j'ai vu de véritables loups (vraiment très adorables)!