Chapitre 7 (3/3)
— Retournez dans la Terre Sauvage, toi et tes monstres !
L'imprécation surprit tout le monde, à commencer par Sol-TorGaTé lui-même. Le chasseur, un grand Frère fin et tout en muscles qui avait devancé ses camarades lors de l'approche, s'était encore avancé de deux enjambées. Il levait sa pioche en direction de l'homme.
— Retournez là où vivent les Cauchemars ! poursuivit-il en montrant le sommet de la montagne. Nous sommes les Enfants de Gaïa, nous n'appartenons qu'à Elle !
Sol-TorGaTé sursauta. Il ouvrit de grands yeux et fixa un court moment le chasseur. Il tourna alors la tête pour regarder le Korgol, puis revint au Frère.
— Vous avez dit « Gaïa »? Vous connaissez Gaïa ?
Il allait ajouter autre chose, mais tout s'anima brusquement. L'une des créatures insectoïdes réagit promptement à l'invective du chasseur de la Pierre : elle plia ses grandes pattes fines qui lui faisaient office de jambes et, d'un bond prodigieux, s'envola dans les airs. Elle atterrit juste devant le Frère qui venait de parler pendant qu'un camarade était venu le rejoindre. Le déplacement se déroula d'une façon si soudaine et inattendue que les deux hommes restèrent bouche bée.
— Non ! cria Sol-TorGaTé à l'adresse des deux chasseurs. Attendez !
Il émit ensuite un crissement avec sa bouche, un bruit strident et très désagréable à l'oreille, qu'il destinait cette fois au Databi... En vain.
La grande Bête tendit ses deux pattes-bras. De chacun d'eux fusa une longue pique effilée et brillante, de la même matière que sa carapace noire luisante. Elle les enfonça d'un geste vif dans le buste des deux hommes à sa portée, puis elle retira ses membres. Les pointes rétractiles se replacèrent. Les deux chasseurs hoquetèrent, crachèrent un flot de sang, et, dans un dernier spasme nerveux, s'effondrèrent, la poitrine percée. L'insecte fit un pas en avant, un grand pas souple en extension sur ses pattes-jambes toutes fines : il levait de nouveau les bras.
Le Databi s'apprêtait à tuer deux autres hommes lorsqu'un aboiement rauque retentit dans la basse-plaine. Le colosse de pierre-écaille, exerçant une évidente autorité sur l'ensemble de cette étrange population, rappelait l'insecte à l'ordre. Le monstre noir se figea dans son geste, puis se tourna vers l'être gris-bleu, sifflant et caquetant, semblable à une vouje furieuse à laquelle on aurait enlevé sa proie.
L'instant de flottement entre les protagonistes belliqueux n'échappa pas aux réflexes de Ristark. Bondissant à son tour derrière la chose vivante que l'homme venu des étoiles avait nommé Databi, il lui enfonça sa rivelaine dans le dos d'un seul coup d'estoc. La pointe de métal ressortit par l'abdomen de la créature. Aussitôt, le Korgol poussa un autre bref commandement guttural, et, dans un mouvement coordonné, tous les poilus munis de gantelets en fer noir levèrent le bras en direction des Frères et Sœurs qui se tenaient là. Le temps d'un souffle, tous tombèrent au sol, lourdement, sans avoir eu le temps d'émettre le moindre cri.
Le cœur de Naxim s'arrêta de battre, son sang reflua dans son corps, ses oreilles se mirent à bourdonner, masquant les bruits alentours. Le temps pour lui cessa d'exister.
— Ristark !
Il n'avait pu retenir une déchirante plainte de souffrance qui s'acheva en sanglots.
Non, c'est impossible ! Pas lui !
Pas Ristark...Mon frère...
Ses poings se crispèrent, enfonçant ses ongles dans ses paumes jusqu'au sang.
Vais-je moi aussi mourir là, couché dans l'herbe, invisible aux yeux de tous ? Ce serait sans doute aussi bien. Je le rejoindrais peut-être dans la mémoire de Gaïa.
Il n'avait plus envie de réfléchir, de penser. Il aurait voulu que tout s'arrête, là, maintenant.
Alors c'est ainsi ? Venus du ciel ils arrivent, et nous mourons...
La moitié de son clan gisait sur la terre de la basse-plaine, la moitié de sa famille, de ses Frères et de ses Sœurs, terrassés en un instant, même les chasseurs, les forts et braves chasseurs de la Pierre, fierté du Clan, respectés parmi tous les Fils de Gaïa.
Même Ristark...
Un mouvement attira son attention. Son esprit ne réagissait qu'au ralenti, engourdi dans une léthargie traumatique, mais il apercevait tout de même un déplacement, un peu plus loin, sur la gauche.
Il reconnut Kobré. Ratos et les trois jeunes pisteurs étaient arrivés en bas du Grand Mur, se trouvant de fait dans le dos des inquiétantes entités.
Ils n'ont rien vu de la précédente confrontation, pensa aussitôt Naxim. Ils n'ont pas la moindre chance.
Sans préambule, pensant aider les leurs, avec à l'esprit l'image des deux garçons fauchés par les étranges instruments des monstres, le vieux traqueur et ses trois apprentis se ruèrent sur les prédateurs. Ratos menait l'élan. Il se jeta sur la créature velue la plus proche de lui. La distance à couvrir n'était pas grande, l'effet de surprise joua en sa faveur : il abattit un puissant coup de pioche vertical dans le creux de l'épaule du petit monstre trapu, enfonçant profondément une des pointes de la rivelaine dans son cou. Le Varshilian ouvrit la gueule, gigota d'un seul et unique spasme, avant de s'effondrer à terre. Le corps devint aussitôt une charge qui pesa sur l'outil du chef-pisteur, et celui-ci, toujours planté dans le cadavre, lui glissa des mains lorsque la Bête tomba au sol.
Kobré, lui, s'était dirigé vers le Korgol, gourdin brandi, choisissant de neutraliser le plus fort, le chef de meute, en premier. Il parvint, bénéficiant de la diversion de Ratos, à s'approcher assez près pour lui asséner un coup de sa massue. Celle-ci explosa sous le choc. L'objet n'avait pas rencontré la surface tendre d'une chair ou d'une peau : le colosse gris-bleu n'avait pas uniquement la couleur de la pierre, mais aussi sa consistance.
Une fois de plus, les créatures poilues pointèrent leurs bras gauches, et les pisteurs tombèrent.
Le silence s'installa d'un coup dans la basse-plaine. La chasse était terminée pour ceux qui venaient d'ailleurs. Les Varshilians sans gantelets avaient déjà commencé à ramasser les corps des Frères et Sœurs pour les emmener dans la grande coquille couleur d'orage.
Un monstre-insecte ne put malgré tout s'empêcher de faire sortir les piques de ses pattes-bras une dernière fois et d'achever deux hommes étendus, inconscients, sur la terre devant lui.
— Non ! cria Sol-TorGaTé. Ils connaissent Gaïa !
Le Korgol aussi hurla brièvement de sa voix forte et cassante. Il s'avança vers le Databi en trois gigantesques enjambées et le toisa. Naxim put constater que malgré la taille déjà impressionnante de l'insecte, ce Kerg le dépassait encore d'au moins deux têtes d'homme. Le monstre bleu asséna alors un magistral revers de la main au niveau du thorax de son vis-à-vis qui projeta l'insecte au sol, à plusieurs pas en arrière. Celui-ci se releva, baissa ce qui lui servait de tête en crissant quelques paroles.
Les Varshilians retournèrent à leur récolte, mais aucun d'eux ne toucha aux corps des quatre morts qui gisaient sur le sol.
Naxim, terrorisé par ce qu'il venait de voir, retrouva l'usage de ses membres et recula lentement, sans un bruit, glissant en arrière sur le sol aride du haut-plateau. Il se leva enfin et s'enfuit, choqué, n'ayant absolument aucune idée de sa destination.
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