Chapitre 6 (1/3)
Cinq saisons plus tard...
Naxim n'avait de cesse de manipuler son couteau de chasse. Il en appréciait le manche en bois fraîchement taillé pour sa main propre, il éprouvait le tranchant effilé de la large lame, le soupesait, le rangeait sur la droite de son ceinturon afin de le saisir plus rapidement, puis finalement à gauche parce que cela gênait moins les mouvements.
Il jubilait. Que de choses il aurait à raconter à Perle lorsqu'il la retrouverait ! Quelle excitation de se trouver là, en expédition de pistage en dehors des Grottes, avec ses amis ! À voir leurs mines exaltées, le jeune homme devinait que Kobré, Natine et Gali ressentaient la même fierté : ils étaient quatre traqueurs en devenir qui, tout juste entrés dans l'âge adulte, allaient apprendre à repérer, débusquer et piéger le petit gibier.
Partis depuis l'avant-veille, dès l'aube afin de profiter de la fraîcheur résiduelle de la nuit, les jeunes Frères et Sœurs de la Pierre s'étaient dirigés vers l'est, vers le territoire de l'Eau. Ils avaient traversé la Altakva en aval du Lac puis s'étaient rendus jusqu'à la Subakva, la rivière autour de laquelle vivaient les Frères de l'Eau. Ils avaient bénéficié là de l'hospitalité de la Caverne et avaient pu apprécier les différences, sensibles mais néanmoins notables, qui existaient entre les deux lieux de vie souterrains.
La Subakva était le troisième cours d'eau qui irriguait la basse-plaine, mais, au contraire des deux autres, ne venait pas des hauteurs de Gaïa. La rivière sortait d'une ouverture aussi large que haute qui béait à même le Grand Mur. Le flot, disait-on, provenait du ventre de la montagne, d'un immense réservoir d'eau qui versait par cette fente en creusant au fil du temps de vastes cavités dans la roche. Les Frères et Sœurs de l'Eau logeaient donc dans des poches naturelles, arrondies, aux angles doux, depuis longtemps polies par l'onde liquide. Les Grottes, hormis le premier niveau, avaient en revanche été taillées de main d'homme et s'enfonçaient dans le sous-sol de Gaïa en privilégiant le fonctionnel à l'esthétique. Cela avait engendré des alcôves carrées, des saillies aiguës, des couloirs droits.
Après que leurs hôtes les eurent nourris de délicieux petits piscides grillés puis conduits dans une des grandes cellules vides pour y passer la nuit, Ratos, le chef des traqueurs de la Pierre, était venu les voir.
— Cette sortie est une grande étape dans la vie d'un jeune homme. D'une jeune femme aussi, se reprit-il immédiatement en semblant découvrir Natine qui souriait de l'embarras du vieux pisteur. C'est un grand jour pour vous, mais aussi pour le Clan. Oh, bien sûr, vous devez vous dire que rien n'égale le prestige des chasseurs, lorsqu'ils partent en quête d'un bovide et qu'ils reviennent portant fièrement une énorme carcasse de viande sur les épaules. Il suffit pourtant de goûter une fois dans sa vie à un léporide lentement rôti, généreusement arrosé de miel, ou à une gallinace farcie aux petits oignons d'eau, aux herbes et aux baies pour apprécier à sa juste valeur le travail des traqueurs.
Il laissa la vision culinaire se nicher dans l'esprit des jeunes gens pourtant repus, puis reprit :
— Croyez-moi : les meilleurs chasseurs que nous avons aujourd'hui étaient d'excellents pisteurs lorsqu'ils avaient votre âge. Je le sais, c'est moi qui les ai formés !
L'homme bourru posa, le temps d'un battement de cœur, un regard amusé sur Naxim. Tous comprirent que l'excellent pisteur en question n'était autre que Ristark.
— Maintenant, reposez-vous. Demain sera une rude journée. Je veux que cette pièce soit parfaitement propre lorsque vous la quitterez, ajouta-t-il brusquement. Tout comme moi, c'est tout le clan de la Pierre que vous représentez ici. C'est d'ailleurs pourquoi je me dois de rejoindre Forto et Sadjo. Ils souhaitent que je fasse honneur à une vieille outre de liqueur de miel aux fruits particulièrement fermentés, inoubliable à ce qu'ils disent. Je ne peux décemment refuser !
Puis, laissant retomber le rideau de cuir, il quitta la chambre de pierre.
— Forto et Sadjo ? répéta Gali à l'adresse de ses camarades.
— Le chef et le magister du clan de l'Eau, lui répondit Natine.
Elle ajouta cependant, devant le regard perplexe de son ami :
— Gali, ils nous ont accueillis lorsque nous sommes arrivés devant la Caverne.
Celui-ci hocha la tête sans grande conviction, mais Natine changeait déjà le sujet de la conversation.
— Hé, les garçons, j'ai une idée. Si nous nous levions tôt demain matin ? Nous pourrions peut-être dénicher Kuradjo et Beleca, puis aller nous baigner dans la Subakva.
— Je ne sais pas, hésita Naxim. Ratos a dit que la journée de demain allait être épuisante, je ne suis pas sûr qu'il apprécierait de nous voir barboter au lieu de nous reposer. Il risquerait de penser que...
— De penser quoi ? l'interrogea froidement Natine.
Ce fut Kobré qui répondit :
— Tu sais bien... Que nous faisons des activités de filles au lieu de se comporter comme de valeureux traqueurs, acheva-t-il en imitant la voix rauque de Ratos, ce qui suscita les rires de Gali et de Naxim.
Natine, elle, pinça les lèvres.
— Il est fort dommage que se laver le matin soit une activité de filles. Il faudra bien que Ratos, comme Zaffo, Polem et les autres anciens avec eux, comprenne qu'une femme peut aussi bien traquer qu'un homme. Et tout en restant propre ! Peut-être même un jour une Sœur dirigera-t-elle un clan. Ce n'est pas Nax qui me contredira, n'est-ce pas ?
Ce dernier comprit la référence et haussa les épaules.
— Je n'ai rien dit, moi. C'est Perle : elle s'est mise dans la tête de devenir disciple, puis magister du clan du Sable, se justifia-t-il à l'adresse de ses deux amis masculins.
— Et elle y parviendra ! insista Natine. Magister, ou cheffe de Clan ! Elle est trop intelligente pour passer ses journées à réparer des filets de pêche. Tu as beaucoup de chance d'être avec une fille comme elle, Nax.
Naxim tourna rapidement la phrase dans sa tête, cherchant à évaluer la pertinence du compliment. Puis, connaissant l'amitié qui unissait Natine et Perle, il ne voulut prendre aucun risque. Il acquiesça en souriant.
Natine eut l'air satisfaite, ce qui eut pour effet de clore la conversation. Tous purent se coucher sur les paillasses, aucun ne tarda à s'endormir.
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