Chapitre 4 (1/3)


     Après que tous eurent bien mangé et tandis que le jour commençait à décliner, les jeunes gens s'étaient éloignés du grand feu qui brûlait toujours devant les Grottes. Ils allèrent se livrer à un autre rite aussi ancien que celui du Réveil de Gaïa : la baignade au Lac, l'un des rares moments où les clans se retrouvaient.

     — Dépêchons-nous, lança Kobré à la cantonade. J'ai hâte de les rencontrer. Vous allez voir : les boiseux ont des noms amusants... et les terreuses une jolie peau dorée !

     — Nous sommes juste à côté, souligna l'un de ses camarades. Nous arriverons les premiers.

     Naxim, Kobré et les autres adolescents de la Pierre ne cheminèrent en effet pas bien longtemps puisque le point de rassemblement en question se situait dans la basse-plaine. Il en était de même pour ceux du Sable et de l'Eau. Les Frères de la Terre, en revanche, viendraient du haut-plateau par la côte orientale de l'île, là où elle s'affaissait en pente douce jusqu'à la basse-plaine, rejoignant ainsi le territoire du clan de l'Eau. Les membres du Bois, eux, vivaient dans la Forêt, à l'ouest du haut-plateau, au-dessus de la Falaise. Il leur faudrait donc descendre par la Faille qui sinuait verticalement dans le Grand Mur près de la chute de la Altakva.

     Contrairement à la Vivenuit qui naissait près de la Terre Sauvage avant de s'écouler de manière régulière sur le flanc ouest de la montagne, la Altakva sourdait d'une ouverture dans la roche sur la face méridionale, à mi-hauteur entre le haut-plateau et le sommet. Son flux là-haut était puissant, son lit profond. Elle atteignait rapidement le bord de son socle rocheux pour chuter brutalement, ayant percé depuis longtemps son sillon vertical. Elle fendait alors le haut-plateau qui à cet endroit n'était qu'une étroite corniche entre la Forêt et la Prairie, puis allait s'écraser sur la basse-plaine, dans un vaste bassin nommé le Lac. Lui-même se déversait ensuite en une large voie liquide jusqu'à l'Océan, comme une ligne fluide qui séparait le territoire de la Pierre de celui de l'Eau.

     La Altakva coupant de fait l'île en deux parties, le Lac étant par conséquent un point géographique central, c'était là l'endroit unanimement usité par la jeunesse de Gaïa pour se retrouver le soir du Réveil.

     Bien que le temps fût encore frais au sortir de la Froidure, certains avaient eu la témérité de s'immerger tandis que d'autres se plaisaient à regarder, assis autour du Lac. L'eau tiède, chutant des hauteurs du grand volcan depuis longtemps endormi, générait une auréole de douceur aux abords du bassin et du ruisseau qui en découlait.

     Les membres de chaque clan avaient une tendance naturelle à s'isoler, comme sous l'emprise d'un instinct atavique qui les poussait à rester entre eux, mais les bavardages, apostrophes et coups d'œil de part et d'autre permettaient, lentement, les rapprochements.

     Le groupe de la Pierre avait pris position sur un monticule herbeux qui bordait le point d'eau. Ils débattaient de la façon d'aller vers les autres, ainsi que du moment propice pour le faire. L'opportunité vint de Sœurs de la Terre qui leur proposèrent des racines d'euphoréa amenées de la Prairie. Naxim et Kobré en avaient chacun accepté un morceau mais s'étaient interposés lorsque l'un des leurs, parmi les plus jeunes, avait tendu la main.

     — Quand tu seras grand ! avait intimé Kobré.

     L'enfant avait retiré sa main et baissé les yeux, déçu, un peu honteux. Naxim s'était penché vers lui pour lui expliquer, d'un ton plus doux :

     — Sais-tu, Wiggi, que nous aussi avons attendu plusieurs saisons avant d'y goûter ? L'euphoréa rend malade lorsque l'on est trop jeune.

     Après avoir été sucé et mâché longuement, le suc d'euphoréa offrait un effet relaxant, légèrement lénifiant, qui favorisait davantage les discussions et les contacts. Les magisters avaient depuis longtemps admis que ce rite officieux du Réveil de Gaïa était indispensable pour maintenir les liens, hélas parfois ténus, entre les Clans.

     Les deux amis se posèrent dans l'herbe en mâchouillant leur bout de racine. Naxim observait le ciel qui s'obscurcissait imperceptiblement, mais sûrement, à mesure que le soleil déclinait. Il essayait de distinguer l'allumage des premières étoiles. Malgré toutes les mises en garde des magisters, il n'avait jamais eu peur du ciel. Il en éprouvait plutôt de la fascination. Pour ce soir, il serait difficile d'y déceler quoi que soit : la lune serait bien ronde et noierait de son éclat ses minuscules voisines.

     Kobré, à ses côtés, plus à l'aise quant aux relations sociales, participait à une discussion regroupant des jeunes de différents clans. Naxim écoutait d'une oreille distraite.

     — Toi, disait l'un d'eux, un garçon du Clan de l'Eau aussi grand que Kobré mais en plus fluet. Tu es bien de la Pierre, n'est-ce pas ? Pourrais-tu me faire une belle lame courbe, bien affûtée ? Je vais bientôt avoir le droit de porter la faucille, je ne voudrais pas perdre de temps.

     — Avec plaisir, répondit Kobré. Que proposes-tu en échange ?

     — Un panier en osier ? Pour faire plaisir à ta mère...

     Kobré eut une moue d'incertitude. Le garçon de l'Eau relança aussitôt :

     — Un chapeau alors ? En roseau tout frais ! Avec l'Ardente qui commence, ce sera parfait.

     — Je prends le chapeau, conclut Kobré en tendant ses mains vers son nouvel ami, paume droite vers le haut, la gauche vers le bas. Son vis-à-vis fit de même et quatre mains claquèrent.

     — Kobré, se présenta le garçon du clan de la Pierre.

     — Kuradjo, fit celui de l'Eau.

     — Hé, il te faudra un manche ! intervint un autre jeune homme que l'on devinait Frère du Bois par la teinte sombre de sa peau. Je peux t'en faire un. Je veux bien le panier, moi...

     Les deux scellèrent également l'échange. Lancés par ce premier commerce, les cellules claniques se rompirent et les trocs entre Frères de Gaïa démarrèrent.

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