Chapitre 5 (2/3)
Encouragés par le suc d'euphoréa et se croyant poussés par les regards féminins, les plus téméraires ne tardèrent en effet pas à entreprendre la montée.
Naxim ne voulait pas être en reste. Il se porta aux côtés de Celui-qui-court-vite pour engager l'ascension. Un coup d'œil sur sa droite lui apprit que Murlac grimpait aussi, puis Kobré, qui se positionna rapidement entre eux. Même si la plupart des garçons les accompagnaient, quelques-uns, dont Kuradjo et Gali, étaient restés en bas. Les filles se contentèrent d'observer, autant stupéfaites par la témérité des jeunes hommes que sidérées par leur stupidité.
Dans l'esprit de Naxim, le magister Polem lui ressassait que monter était Péril, que c'était descendre qui était sage. Le garçon chassa cette pensée. Il fixa son regard sur l'arête qui marquerait à la fois la fin de la paroi et le début de la terrasse, loin au-dessus de lui. Il s'interdisait de regarder en bas, ne voulant mesurer ni la distance qui le séparait du sol, ni celle qui lui restait à parcourir. La tête commençait déjà à lui tourner. Dans les Grottes de Pierre, on apprend très jeune à creuser, pas à grimper.
Le jeune homme essayait de repérer grâce aux lueurs de la lune les moindres prises que ses doigts pouvaient crocheter, les moindres fentes où ses pieds pouvaient s'insérer. Il oubliait le risque de chute, tentait d'accélérer la vitesse de ses mouvements. Il voulait être le premier à se tenir debout sur la plate-forme supérieure. Sitôt celle-ci atteinte, il se dresserait fièrement et s'assurerait que Perle le voyait bien.
Il épia Murlac. Le sableux, d'une taille sensiblement égale à la sienne, semblait peiner autant que lui. Kobré, entre eux, paraissait en revanche plus à son aise. Naxim soupçonna son ami de caler sa vitesse sur la sienne propre, par égard pour lui. Il en fut touché et redoubla d'efforts, mais ses muscles, déjà éprouvés par la course contre la vouje le matin même, commençaient à être lourds. Ses mains aussi étaient douloureuses. Il serra les dents.
Enfin, dans une dernière extension, ses paumes attrapèrent une saillie puis se posèrent à plat. Tirant une ultime fois sur ses bras qui protestèrent, il s'éleva encore un peu et bascula sur la petite terrasse, à bout de souffle.
Il prit quelques instants pour reprendre sa respiration, à quatre pattes sur la pierre, et manqua l'occasion de savoir s'il était effectivement arrivé le premier. Cela n'avait plus d'importance. Il l'avait fait, il était monté jusqu'en haut. Cela représentait déjà un exploit en soi, une victoire personnelle. Il se redressa, frotta ses mains irritées l'une contre l'autre en grimaçant, puis chercha le regard de Perle au-dessous.
Un vertige soudain s'empara de lui lorsqu'il regarda vers le bas. Il constata que dans la nuit, à cette distance, malgré la pleine lune, il était impossible de distinguer quoi que ce soit.
Il prit surtout conscience de la hauteur à laquelle il se trouvait. Il recula prudemment, mais paniqua derechef lorsqu'il sentit que les garçons qui étaient montés avec lui s'étaient tous massés contre le fond. La corniche était tout juste assez grande pour tous les accueillir. Il se plaqua autant que possible contre les autres, ferma les yeux et essaya de maîtriser son souffle, de calmer ses nerfs.
Dès que l'impulsion de la prise de risque fut essoufflée, instant qui coïncida avec la fin des effets euphorisants de la racine végétale, l'excitation générale retomba d'un coup dans le froid de la nuit. Le silence s'installa, seulement troublé par le frémissement du torrent qui s'écoulait tout proche. L'escalade en elle-même avait pris plus d'importance que son objectif, et nul ne se souciait à présent de savoir si le sentier qui menait à la Terre Sauvage était ou non accessible.
Certains commençaient déjà à redescendre. Le rituel de virilité que les garçons se croyaient obligés de passer avait été accompli, les filles avaient été plus ou moins impressionnées, et la majorité de ces jeunes gens n'aspirait maintenant qu'à rentrer auprès de leurs clans respectifs.
Naxim en profita pour s'éloigner du bord. Il prétendit vouloir rester encore quelques instants pour admirer la vue offerte par la lumière de la lune, mais craignait de ne pas trouver assez de courage en lui pour entamer la descente. Regardant discrètement de biais pour s'assurer que Murlac partirait avant lui, il découvrit que celui-ci l'observait tout autant et ne semblait pas vouloir lui prendre la priorité.
Kobré, à la grande surprise de Naxim, se tenait à proximité d'une fille. Il avait cru que seuls les garçons avaient tenté l'escalade. Elle était fine, bien que musclée, et aussi grande que son camarade. La jeune femme, aux cheveux auburn et à la peau dorée, lui souriait.
— Tu as vu comme je vous ai dépassés ? Et pourtant, je suis partie après vous !
Kobré resta interdit.
— Oui, finit-il par répondre. Oui, très impressionnant pour une fille... Enfin, non, je voulais dire que...
— Tu as l'air costaud, toi. Si tu veux, nous ferons de nouveau l'escalade, mais de jour, et en partant en même temps. Nous verrons bien lequel de nous deux arrivera le premier. Viens me voir lorsque ce sera le moment des trocs. Je m'appelle Vouje-agile. Je suis de la Prairie.
Ses yeux vrillaient ceux de Kobré. Son sourire se devinait même en cette nuit de pleine lune.
— Bien sûr, bégaya le jeune homme pris au dépourvu. D'accord... Vouje-agile.
— Et toi ? le relança-t-elle.
— Moi ? dit-il, ses yeux s'arrondissant. Non, je ne suis pas de la Prairie.
— Et toi, comment t'appelles-tu ? dut-elle préciser.
— Ah ! Ah oui... Kobré. Je m'appelle Kobré, du clan de la Pierre.
— Alors à bientôt, Kobré du clan de la Pierre, lança-t-elle tandis qu'elle se dirigeait déjà vers le rebord.
Elle s'assit les jambes dans le vide, pivota d'un coup sur le ventre, sourit une dernière fois à Kobré et disparut à sa vue.
Les premiers garçons avaient déjà atteint le sol lorsque Naxim décida qu'il était temps d'y aller à son tour. Il prit une grande inspiration, s'avança vers l'arête, lorsqu'un éclat de lumière brilla soudainement dans le coin de son œil. Il tourna d'instinct la tête vers le scintillement.
Dans l'eau noire d'une flaque stagnante, de l'autre côté du torrent, un reflet étincelait comme une étoile dans le ciel nocturne.
— Kobré ? appela Naxim.
Celui-ci avait commencé à prendre ses appuis pour entamer la descente et n'avait pas remarqué le trouble de son ami, ni l'appel de son nom.
— Kob ! répéta le garçon, pointant son doigt vers la rive opposée. Tu vois cette mare, là-bas ? Juste en face. Regarde, il y a quelque chose qui renvoie la lumière.
— Une pierre plus lisse que les autres qui reflète la lune, répondit Kobré après avoir jeté un regard dans la direction indiquée. Viens Nax, tout le monde descend. Nous devons rentrer.
— Attends encore un peu. Ça brille trop pour être un simple caillou. On dirait plutôt du métal.
Les quelques garçons qui n'étaient pas encore descendus s'approchèrent de Naxim et de Kobré pour scruter la poche d'eau en question, formée par une excroissance du torrent.
— Je ne sais pas ce que c'est, dit l'un d'eux, mais ça restera là. Pas question que j'aille voir. Même en journée, je ne me risquerais pas à traverser, alors en pleine nuit...
— Nax, nous verrons cela une autre fois, insista Kobré, anticipant la réaction de son ami d'enfance. Tu as entendu ? Si tu veux, nous reviendrons lorsqu'il fera jour, et je t'aiderai à passer de l'autre côté. En plus, je crois qu'il y a une jolie sableuse aux cheveux ondulés qui t'attend pour partir. Tu vas peut-être passer une bonne fin de nuit, toi !
Ce n'était toutefois plus de la fanfaronnade qui animait l'esprit de Naxim, ni les effets des racines euphorisantes, ni l'influence du groupe. Un objet en métal était enfoui dans ce trou d'eau, depuis sans doute très longtemps, et l'éclat qu'il reflétait indiquait qu'il était manufacturé.
La curiosité avait pris le dessus, il devait savoir ce que c'était.
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