Chapitre 4 (3/3)


     Tandis que Naxim répondait aux questions de son auditoire, un membre du clan du Sable, un dénommé Murlac, ne cessait de l'interrompre avec des réflexions acerbes et des remarques moqueuses. Les deux garçons s'étaient déjà côtoyés, mais sans aménité, à l'occasion de visites à Perle sur la Plage.

     Le murlac était un grand piscide prédateur, musculeux, tout en longueur, qui faisait office de trophée chez les pêcheurs du Sable. Nul doute que le père du garçon devait être un gaillard solidement bâti pour avoir ainsi nommé son fils, mais le Murlac-bipède en question, s'il avait tout de même de larges épaules sur une forte charpente osseuse, n'en demeurait pas moins courtaud et trapu. Celui-ci tentait, en vain, de susciter des rires en mettant en doute le courage de Naxim, ou même la véracité de toute l'histoire. Il jetait lui aussi, après chaque provocation verbale, un regard vers Perle.

     Kobré comprit bien vite que Naxim avait là un rival. Avant que la situation ne s'envenime et ne vienne gâcher cette belle soirée, il reprit la main sitôt le récit achevé.

     — Quoi qu'il en soit, conclut-il, j'espère bien qu'elle était seule, cette grosse bestiole.

     — Je suis sûr qu'elle est tombée de la Terre Sauvage, avança un garçon de la Forêt qui se présenta sous le nom de Celui-qui-court-vite. Il vit là-haut des créatures à vous faire avoir des cauchemars pendant plusieurs saisons.

     — J'ai entendu dire, enchérit Petit-léporide, un enfant à la peau ambrée comme tous ses Frères de la Prairie, que l'air était tellement chaud qu'on ne pouvait respirer qu'une seule fois, parce qu'après cela, on risquait de brûler de l'intérieur.

     — En fait, expliqua un autre sur un ton didactique, la Terre Sauvage est une sorte de plaine ronde, fermée sur les bords par de hautes murailles de pierres, qui se remplit d'eau à chaque pluie pour donner naissance aux trois flots de Gaïa : la Vivenuit, l'Altakva et la Subakva. Soyons heureux que tout retombe de notre côté, car l'autre face de la montagne descend directement dans l'Océan !

     — Oui, c'est vrai, confirma Petit-léporide. Une fois, je suis allé avec mon père au bout de la Prairie, là où le bord du volcan rejoint la mer. Il n'y a pas de terre plate pour vivre, de l'autre côté.

     — D'accord, d'accord, intervint alors à son tour Kuradjo, mais si la Terre Sauvage est vraiment inaccessible ou inhabitable, comment les magisters font-ils pour s'y rendre et pour y vivre ? À l'âge de cent saisons, ils quittent les Clans pour s'exiler là-haut : ce n'est quand même pas pour y mourir brûlés à la première inspiration.

     Des gloussements naquirent. Le petit garçon de la Prairie haussa les épaules. Tacitement, tous s'accordèrent sur le fait qu'ils ne savaient finalement pas grand-chose sur les parties voilées de Gaïa.

     La nuit était maintenant bien avancée et le froid avait fait sortir les derniers baigneurs. La surface du Lac miroitait sous l'éclat de la lune, éclairant de son ondulant reflet les berges tourbeuses. Quelques-uns évoquaient le chemin du retour vers leurs territoires respectifs, s'invitaient mutuellement à se rendre visite, à troquer quand l'Ardente serait plus chaude, mais au détour d'une dernière conversation, le garçon du clan du Bois raconta encore :

     — Dans mon clan, on dit qu'un soir de Réveil, des jeunes auraient suivi un magister qui partait faire son Exil et qu'ils auraient vu par où il prenait. Je n'y suis moi-même jamais allé, mais je sais où ce chemin commence. C'est pour ça que je pense que la Terre Sauvage n'est pas complètement fermée. Donc si des magisters peuvent y monter, des monstres peuvent en descendre et se balader dans les Territoires.

     — On raconte beaucoup de choses dans le clan du Bois, dis-moi, intervint de nouveau Murlac. Tu vas nous dire quoi, maintenant ? Que les magisters grimpent au sommet du plus grand des arbres, qu'ils se font pousser des ailes dans le dos et qu'ils s'envolent vers le sommet de la montagne ?

     — C'est pourtant vrai ! Pas que les magisters grimpent aux arbres, se reprit Celui-qui-court-vite, mais je connais l'entrée du chemin : il leur faut juste remonter le torrent.

     — Alors ce n'est plus en oiseaux qu'ils se changent, mais en piscides !

     Cette fois, les provocations de Murlac finirent par faire rire quelques-uns des jeunes en présence et piquèrent au vif le garçon de la Forêt.

     — Je peux même te le montrer ! s'insurgea celui-ci. Il y a un sentier qui monte, là-bas. Viens, on y va, si tu veux ! Qui d'autre vient avec nous ?

     Visiblement, Murlac ne tenait pas tant que ça à s'y rendre précisément à cet instant, mais son interlocuteur l'avait piégé en l'incluant d'office dans le groupe. Si personne ne relevait l'invitation, cette expédition tomberait peut-être à plat, chacun rentrerait chez soi... Sans doute ragaillardi par la présence des filles et l'absorption de jus d'euphoréa, un anonyme lança :

     — Ce serait une bonne manière de finir cette nuit de fête, non ? La meilleure façon ! Allez, on y va !

     Tout ce petit monde s'agita, certains ravis que cette soirée ne s'achève pas tout de suite, d'autres inquiets qu'elle prenne une telle tournure.

     — Wiggi, appela Kobré en se détournant. Toi, tu rentres aux Grottes avec les petits.

     Le ton ne souffrait aucune discussion. L'enfant acquiesça puis obtempéra. La jeunesse de Gaïa, tout au moins les plus grands, commença alors à faire mouvement vers la Faille qui serpentait le long du Mur et permettait d'accéder au haut-plateau.

     Naxim ne bougeait pas, hésitait à suivre le groupe, peu enthousiaste à l'idée de faire le chemin de nuit. Murlac ne le lâchait pas des yeux.

     — Hé, Tueur-de-vouje ! héla-t-il à haute voix. Nous aurons besoin de quelqu'un pour nous défendre en cas de danger. Tu ne vas pas faillir à ta réputation ?

     — Nax... chuchota Kobré dans le dos de son ami.

     Tous les regards étaient sur Naxim, tous sauf un : Perle fixait Murlac. Sa bouche était pour une fois pincée, et ses beaux yeux bleu-vert étaient durs.

     — Qu'est-ce qu'on attend ? lança Naxim d'un ton légèrement plus aigu qu'à l'habitude. Essaie de ne pas ralentir le groupe, toi, ajouta-t-il en dépassant le garçon de la Plage.

     Kobré, les poings serrés, emboîta aussitôt le pas de son ami. Perle soupira, secoua la tête, puis fit de même.

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