Chapitre 9 - Le sportif et la bénévole (Apolline)


 Deux jours sont passés depuis la double victoire de Léon Marchant et notre entrevue dans l'ascenseur (je n'ose toujours pas croire que ça s'est réellement passé). Les journaux ne parlent que de lui, c'est à croire qu'il n'existe aucun autre athlète français. Cela dit, je dois bien reconnaître que sa sérénité, sa tranquillité et ses victoires font plaisir. Les français sont heureux de soutenir un sportif. Mon père dit que ça fait plaisir de voir la France unit et de les entendre dire « On a gagné », comme si eux et Léon ne faisaient qu'un.

De mon côté, je n'ai pas eu l'occasion de le recroiser, les heures filent trop vite. La semaine prochaine, tout le monde sera concentré sur l'Athlétisme, il ne reste donc que quelques courses à Leon pour s'imposer, avant que son séjour olympique soit terminé.

Une part de moi se questionne : va-t-il rester, une fois ses jeux finis ? J'imagine qu'il voudra se reposer, passer du temps avec sa famille dont il semble si proche, et ses amis de Toulouse. Peut-être retournera-t-il aux Etats-Unis ? Au fond, peu importe. C'est sa vie, pas la mienne (n'est-ce pas ?). Moi, j'en ai encore pour plusieurs semaines, mon bénévolat s'étend à la fois sur les olympiques et paralympiques. Je regrette d'ailleurs que ces derniers ne soient pas davantage médiatisés. Les athlètes handis méritent autant d'être vus et montrés - si ce n'est plus - que les valides. Ils ont beaucoup de courage, un mental d'acier et réalisent des prouesses incroyables.

— Apolline. Pourriez-vous aller vérifier si tout est en ordre dans les vestiaires ?

La voix de l'un des encadrants me tire de ma réflexion. Je viens juste d'arriver dans la piscine, il est 19h30.

— Oui, bien sûr.

L'encadrant me tend un document avec une liste de tâche à effectuer et je le remercie. Je me dirige vers les vestiaires en me demandant où est Léon à l'heure qu'il est.

Sans surprise, il s'est qualifié pour la finale du 200m 4 nage ce soir, sa spécialité. C'est peut-être l'une de mes dernières occasions de le croiser. Ce matin, j'ai eu la chance d'échanger quelques minutes avec Laure Manaudou, présente pour soutenir la délégation française de natation, et son frère, Florent. C'était incroyable, mais pas autant que ma conversation avec Léon dans l'ascenseur. Ça, c'était à la fois étrange et grisant. J'ignore pourquoi il a souhaité rester discuter avec moi, mais j'ai senti une réelle complicité entre nous. Quand j'ai revu Olivia et Sophie le lendemain, elles étaient évidemment sorties faire la fête, mais cela ne les a pas empêchés de me demander comment s'était passé le « retour dans nos chambres respectives. ». Le « respectif » contenait une sorte de sous-entendu bizarre. Je me suis demandée si elles ne s'étaient pas imaginés des trucs. Le genre de trucs auxquels j'ai d'ailleurs rêvé avant de me réveiller en sursaut en m'insultant de tous les noms d'oiseaux.

« Non, mais ça ne va pas Apolline ! Arrête de déconner là, et reconcentre-toi ».

— J'y vais.

Je quitte la piscine et pénètre dans les vestiaires. Les serviettes sont posées, les bouteilles aussi. Avant leurs compétitions, les sportifs attendent là, vêtus de leurs grosses doudounes pour garder leurs corps au chaud, malgré la canicule. Il ne faut pas que les muscles refroidissent.

— Salut !

Je sursaute et me retourne brusquement.

Léon Marchand se trouve derrière moi, son traditionnel sourire aux lèvres et il me dévisage d'un air amusé.

— Je t'ai fait peur ?

— Absolument pas. Qu'est-ce que tu fais ici ?

Son sourcil s'arque d'une drôle de manière, symbole de son étonnement.

— C'est plutôt moi qui devrais te poser la question, ma compétition va bientôt avoir lieu.

— C'est dans une heure.

Je le sais, j'ai vérifié trois fois. Pour preuve, je tends le doigt vers l'horloge, tout en tcheckant si tout est en ordre dans le vestiaire. Pendant que je m'occupe de compter les serviettes, bonnets et maillots, Léon s'assoit sur un banc.

— J'aime bien venir me poser ici avant, ça m'aide à me concentrer, m'explique-t-il.

Je hoche la tête. Effectivement, tout le monde parle de sa préparation mentale et de son calme. J'imagine qu'il a des techniques de méditation. Je ferais bien de lui demander de partager son secret et de l'appliquer avant les examens. J'ai obtenu ma licence de lettres sans trop savoir comment, je stresse toujours avant mes parties. Plus tard, je veux devenir professeure de lettres, il faudra donc que j'arrive à canaliser mes angoisses pour préparer le concours du CAPES.

— Je vais te laisser, déclare-je.

— Ça ne me dérange pas si tu restes.

Ah oui ?

Interloquée, j'hésite à m'en aller quand même, mais quand il tapote le banc à côté de lui, je me résous à le rejoindre et m'assois. Qu'est-ce que je suis en train de faire au juste ? Je dois m'assurer que tout est en place pour les athlètes, pas taper la discute avec Léon.

Il a déjà fermé les yeux, posé sa main sur son ventre et il respire doucement par la bouche.

Je l'observe, intriguée, laissant mes yeux courir sur la ligne de sa mâchoire, son nez droit, son menton fier, ses cheveux qui rebiquent légèrement sur le côté. Il est beau, à sa manière. Il a un visage taquin, et une vraie attitude de gentil. « Le gendre parfait », comme dirait ma mère. « Le meilleur Bookboyfriend », comme diraient mes copines de fac. Pour sûr, ce n'est pas un Bad Boy de Dark Romance. Lui, il est plutôt du genre romance doudou. Les yeux rivés sur lui, je commence à m'imaginer tout un scénario de romance, du genre Le sportif et la bénévole, quand je le vois souffler doucement, puis inspirer.

— Comment tu fais ?

Léon rouvre les yeux. Ses lèvres s'étirent en un sourire alors qu'il répond :

— Fais quoi ?

— À rester aussi calme. Moi, je suis une pile électrique, je n'arrive jamais à me canaliser, surtout quand je stresse. Si c'était moi qui devais nager dans cette piscine, je serai morte de trouille.

Son sourire s'accentue.

— Je mentalise ce qui pourrait arriver de pire et je repousse mes pensées négatives.

— Ah ! Et tu mentalises quoi ? Ta mort ?

Il éclate de rire.

— Ça, c'est radical.

— Tu connais pire que la mort ?

— La défaite ?

C'est sûr que pour un sportif, la défaite est pire que la mort. Une mort métaphorique. C'est que répétait toujours Yohan (Pourquoi faut-il toujours que je pense à mon ex ?).

— Donc tu visualises que tu vas perdre ? reprend-je.

— C'est ça, et je me rends compte que ce n'est pas si grave. Ça ne m'empêchera pas de retourner nager si je pers.

— Mais tu décevras des gens.

— Certes, mais ils s'en remettront non.

Il n'a pas tard.

— Sauf si tu meurs. Si tu meurs, tout le monde risque d'être triste.

— Tu veux que je meure ?

— Bien sûr que non.

Il faut vraiment que j'arrête de dire n'importe quoi.

— Tu es toujours comme ça ? demande-t-il.

— Comme ça quoi ?

— Inquiète ?

Je hausse les épaules. Non pas toujours, mais c'est vrai que j'ai tendance à angoisser et que je stress par anticipation.

— J'essaye juste d'apprendre à te connaître. Tout le monde parle de toi dans les journaux, sur les réseaux, à la télé. Ils te construisent une image, mais j'aimerais savoir qui tu es vraiment.

Mais bon sang, qu'est ce qui me prend ?

— Si tu veux, on peut aller boire un verre après la course ? me propose-t-il. Et je te dirais tout ce que tu veux savoir.

C'est tentant. Je devrais dire non.

— D'accord.

Bon, OK, mon corps prend le pas sur mon cerveau et ma langue répond à ma place. Sympa !

— Je vais te laisser, déclare-je en me levant.

— Attends.

Sa main s'agrippe à mon poignet. Mon cœur se met à accélérer subitement, comme si je devais moi-même dépasser l'ukrainien au 200m papillon. Qu'est-ce qui m'arrive ?

— Je peux te montrer quelque chose ?

Je hoche la tête et me rassois. Léon prend ma main et la pose sur mon ventre. La sienne est toute douce.

— Ferme les yeux, respire doucement, par le ventre.

Je m'exécute. Il me montre les mouvements à effectuer, me fait inspirer, expirer. Je reproduis ce qu'il me dit, en miroir. Le calme m'envahît...

Sa main reste posée sur la mienne alors que mon ventre ondule et que les papillons (attendez, quels papillons ?) viennent chatouiller mon bas ventre et mon cœur.

Mes doigts glissent sur les siens.

Je rouvre les yeux.

Son visage est près du mien, très proche même.

Ses yeux sont fermés mais il se penche vers moi.

Ses lèvres se rapprochent des miennes et...

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