Chapitre 10 - Quatrième médaille d'or (Léon)
— Léon ! Go on ! You are...
Apolline sursaute et je rouvre les yeux.
Son visage est proche du mien, très proche même. L'entrée de Bob interrompt mon mouvement et je recule, lâchant au passage ma main posée sur celle d'Apolline. Je me retourne vers mon coach, alors que Miss-Océan pique un fard et se lève d'un bond.
— Je dois y aller... pardon... tournée des vestiaires et... euh... bonsoir M. Bowman... ... à plus tard, Léon.
Son discours est haché, mais il m'arrache un sourire. Même quand elle s'est enfuie, laissant derrière elle un parfum de lilas et de rose, je continue de sourire comme un idiot. Bob me regarde d'un drôle d'air.
— Who is it ?
— Nothing. I'm ready.
Il a l'air sceptique. Il faut dire que je n'en mène pas plus large qu'Apolline. Mes joues sont brûlantes et mon cœur bat à plus de cent pulsations par minutes. Mon entraîneur va me tuer s'il apprend ça.
Est-ce que j'allais vraiment l'embrasser ? Qu'est-ce qui me prend ?
Ce n'est clairement pas le moment ! Je ne connais même pas cette fille, je n'ai pas le temps d'avoir une petite copine, je ne suis pas venue à Paris pour me trouver quelqu'un et je ne peux pas me permettre de faire ça là, maintenant. C'est une inconnue. Et si la presse nous surprend, il pourrait m'accuser d'avoir enfermé une fille dans un vestiaire pour l'embrasser. Les journalistes sont de vrais requins, prêts à tout pour me faire tomber. Ils n'hésiteront pas à décortiquer ma vie, maintenant que j'ai atteint un certain niveau de célébrité.
Cela dit, Apolline et moi ne faisions rien de mal. Nous avons le même âge, on s'apprécie (du moins, je crois ?), elle avait l'air d'apprécier autant que moi ce moment à deux. Je ne sais pas... Peut-être que je m'emballe.
Je m'emballe sûrement et...
— Who is woman ? répète Bob.
— Just Friend.
Il arque un sourcil. OK, il ne me croit pas. Je maintiens pourtant mon mensonge qui n'en est pas vraiment un. Objectivement, nous ne sommes pas amis avec Apolline, mais en anglais le mot « Friend » veut tout et rien dire. Il désigne à la fois les connaissances, les copains et copines de passage et les amis proches. J'ai croisé cette fille à plusieurs reprises, et même si je ne connais rien d'elle, c'est un peu comme si nous étions des « plus si affinités » maintenant, non ?
— You must stay focused !
— Yes ! Yes !
Je lève mon pouce. Je sais que je ne dois pas perdre de vue ce pourquoi je suis ici ce soir. Je suis là pour écrire l'Histoire, pas pour me laisser distraire. Je reprends aussitôt mes exercices de méditation pour me recentrer et me reconcentrer sur la course à venir. Bob me prodigue ses conseils, nous échangeons sur ma stratégie, il me rappelle que je dois rester le plus longtemps sous l'eau (sans dépasser la limite des 15m autorisés sous l'eau) et que je dois respirer le moins possible (c'est tout Bob, ça : « Respire le moins possible », à croire qu'il a oublié que je suis un être humain, pas un poisson).
Il est vingt-heure passés lorsque les autres athlètes me rejoignent dans la call room.
Bob me prodige ses derniers encouragements et disparaît. Je me relève, fébrile. J'ai beau affiché un calme apparent, je n'en mène pas large. J'ai peu dormi cette nuit, mes scores n'étaient pas bons à l'entraînement ce matin. J'essaye de me rappeler des conseils que j'ai moi-même prodigué à Apolline pour canaliser mon stress : si j'échoue, je décevrais sûrement des gens... Mais ce ne sera pas la fin de ma carrière, j'ai déjà la chance d'avoir trois médailles.
Certains n'en ont même pas une, Léon, ressaisis-toi !
Il est temps.
Je suis prêt à en découdre. Mes concurrents sont annoncés les premiers, uns à une, et je suis le dernier à sortir sous les ovations du public.
La foule scande mon nom lorsque j'émerge de la call room, mains levées.
Les bénévoles se ruent vers nous pour nous aider à retirer nos doudounes, je tente de voir Apolline, mais elle a déjà filé dans les gradins. Je l'aperçois brièvement et échange un sourire avec elle, puis lève la tête vers ma famille. Oscar cri mon nom. Je lève le poing, les salue.
Puis, je me prépare.
Encore quelques secondes avant le top départ.
Je me place devant la piscine, frappe dans mon torse pour réchauffer mes muscles, avale une gorgée d'eau, place mes lunettes, mon bonnet.
200m, 4 nages ! Tout va bien se passer. J'ai connu pire : je peux y arriver.
Ce n'est rien d'autre qu'une quatrième potentielle victoire, après tout. Une balade de santé !
Bip !
La course est partie. Je m'élance, déjà dans les premiers, porté par la foule et ses encouragements.
— Léon ! Léon ! Léon.
Je reste fixé sur mon objectif. Je ne dois pas prendre la victoire pour acquise. Pourtant, quand j'entends que je suis en tête de course lorsque je me retrouve sur le dos, cela me galvanise. J'opère un troisième tournant. Plus que la brasse et le crawl. Mes membres sont en feu. Je cherche à respirer le moins possible, pousse sur mes jambes, tire sur mes bras.
Plus que quelques mètres et ...
— LÉON MARCHAND ARRIVE EN TÊTE DE LA COURSE ! QUATRIÉME VICTOIRE POUR LÉON MARCHAND !
La foule hurle ! Les gens se lèvent ! C'est la folie.
Purée, j'ai réussi.
Quatrième victoire. Quatrième médaille d'or en moins d'une semaine, j'y suis arrivé. Même le président de la République, qui se trouve dans les tribunes et dont le visage s'affiche sur l'écran, affiche sa joie. Je lève ma main, quatre doigts levés. J'ai marqué l'Histoire de ces jeux, ça y est. Je me hisse hors de l'eau et Bob me tombe dessus, frappant mon épaule avec force, criant sa joie. Mes parents me rejoignent, mes amis me font des signes depuis les gradins. Je lève les deux bras, salue la foule.
Je n'arrive pas à y croire.
— Léon, s'exclame alors un journaliste. Un mot sur votre performance de ce soir, s'il vous plaît ? Vous venez de décrocher votre quatrième médaille d'or olympique, c'est fascinant. Comment vous sentez vous ?
Un journaliste, micro brandit, me le plaque presque sur la bouche. Je tente de canaliser les tremblements de mes bras, l'adrénaline dans mon corps, mon cœur qui bat avec frénésie. Je me concentre pour répondre :
— Fébrile ! Galvanisé ! C'est incroyable, on ne vit rarement ce genre de moment, en tant que sportif, alors je vais savourer.
— Oui, Léon, vous êtes incroyable, vous nous faites rêver.
Tant mieux, je suis heureux de les rendre heureux.
— Le public est plus excité que vous.
J'éclate de rire, souris. C'est vrai.
— Quel est votre secret ?
C'est fou, tout le monde me pose cette question. Je n'ai pourtant pas l'impression de faire quelque chose de particulier.
— Je gère bien mon énergie, répond-je calmement. Grâce à ma préparation mentale, j'arrive à garder l'énergie en moi, et je me sers du public qui m'encourage me nourrir de leur force et avancer plus vite.
— C'est incroyable ! Incroyable ! Vous savez ce qu'on dit de vous ? Vous êtes l'étoile montante de la natation, et vous parvenez quand même à rester concentrer et à garder les pieds sur terre. Ce n'était pas gagné d'avance pourtant.
— Oui, c'est sûr. Il ne faut jamais prendre une victoire pour acquise, surtout qu'hier soir, j'étais fatigué, mais j'ai gardé mes jambes pour la brasse et le crawl et ça a payé.
— Impressionnant.
Le journaliste me remercie pour mon temps et me laisse m'en aller. Tant mieux, car j'ai besoin de serrer mes proches dans mes bras. Et justement, Oscar me tombe dessus, puis mes parents. J'échange quelques mots avec eux tout en cherchant Apolline du regard.
Où est passée la Miss-Océan ?
C'est alors que je l'aperçois, en compagnie de Tony Estanguet, le président du comité olympique. J'ignorais qu'il serait là ce soir. L'ancien champion olympique, médaillé de canoë, s'avance vers moi. Il me tend la main, sourire aux lèvres :
— Félicitations Léon, quel exploit.
— Merci.
— Vous nous faites rêver.
Je souris. Les gens parlent plus de moi que moi-même, je me sens comme le spectateur de ma propre vie.
— Ma fille ne tarit pas d'éloges sur vous.
Hein, quoi ? Qui ?
— Votre fille ?
— Papa, soupire Apolline.
Attendez : quoi ?
Apolline est la fille de Tony Estanguet. Oh merde ! Enfin mince. Mais comment s'est possible ? Pourquoi ne l'a-t-elle pas dit avant ? Je croyais que ce n'était qu'une bénévole parmi tant d'autres. Juste une fille aux yeux océans qui distribuait de l'eau et des serviettes. Mais à bien y réfléchir : pourquoi aurait-elle dormi dans le même hôtel que moi si elle n'était pas la fille de quelqu'un d'important ?
— C'est moi qui vous remettrais votre médaille ce soir, m'apprend Tony.
— C'est... cool.
Mes yeux glissent vers Apolline. Je n'arrive pas à y croire, j'ai failli embrasser la fille du président du comité olympique, tout à l'heure. Heureusement que Bob est arrivé. Qu'aurait pensé Tony Estanguet ?
— Bon, eh bien, je vous laisse avec vos proches...
— Oui.
— À tout à l'heure, Léon.
— À tout à l'heure.
Je m'apprête à dire un mot à Apolline, mais le public se remet à applaudir et crier le nom de nageurs français que j'ai promis d'aller soutenir.
Je reverrai Apolline plus tard, au village olympique.
Après tout, ne m'a-t-elle pas promis d'aller boire un verre avec moi, plus tard ?
Je pourrai toujours lui demander pourquoi elle a omis de me dire qu'elle était la fille du président du comité.
*
Infos importantes : j'ai pris une petite liberté concernant ce récit. Tony Estanguet, le président du comité olympique, a bien des enfants, mais comme vous le voyez sur la photo ci-dessous, ses enfants sont jeunes. Il n'existe pas une Apolline, née à quelques jours de Léon, qui soit la fille de Tony Estanguet (ou seulement dans mes pensées alors ;D). Apolline reste donc un personne fictif et inventée ;) ! Vous pouvez donc tout à fait vous imaginer à sa place avec Léon <3 chouchou !
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