Réalité

Elle marchait dans les couloirs quand une voix retentit.

- Barbara.

- Qu'y a t-il Dimitri ? demanda t-elle en se retournant.

- Tu peux nous aider pour...

- Désolé. Pas le temps.

Elle tapota sa poitrine en fixant son collègue dans les yeux. Ils étaient gris, comme les siens. Comme tous les yeux.

- Compris. Dépêche-toi, on t'attendra au labo. Un nouveau spécimen va bientôt naître.

- Je serai là dans une heure exactement.

Ils se séparèrent en silence, chacun partant de son côté.

Barbara continua d'avancer. Son regard vide balaya les murs d'acier monochromes, sans paraître les voir.

Finalement elle s'arrêta devant une porte d'acier, aussi grise que le reste. Elle tapota négligemment sur le digicode sans même le regarder et s'infiltra rapidement dans la pièce.

Des rangées de casiers rectangulaires s'alignaient jusqu'à perte de vue, certains munit d'une diode verte et d'autres d'une rouge. Elle s'approcha du plus proche affichant une lumière verte et ouvrit la porte. Il était rempli d'une mousse grisâtre où se découpait vaguement une forme humaine.

Barbara s'empara d'un épais câble accroché à la porte tout en ouvrant sa chemise. Sur sa peau parfaitement blanche se découpait un étrange carré de métal noir au niveau du cœur. Elle brancha le fil électrique dans cette cavité de métal et s'allongea dans le casier.

La porte se referma immédiatement, sans un bruit. Un léger bip retentit dans la pièce et la lumière de la cabine vira au rouge.
Le seul bruit qui résonnait dans la pièce était le bourdonnement léger d'une dizaine de ventilateurs accrochés au plafond.

‡‡

Dans une autre pièce du bâtiment, une dizaine de silhouettes humanoïdes s'agitaient. Toutes portaient une tenue bleue, tranchant avec la blancheur immaculée de la pièce.

Plus de la moitié des individus étaient debout derrière des machines, relevant régulièrement la tête pour lâcher un ou deux mots brefs. Dans ces moments là, l'activité ralentissait de manière infime jusqu'à ce que l'homme qui semblait dirriger les opérations aboie un nouvel ordre.

En dépit du fouillit apparent, on sentait une mécanique huilée par l'habitude derrière chaque geste. Rien n'était superflu, chaque mouvement était calculé et optimisé.
Sur une table métallique au centre de la pièce, une jeune femme était allongée, nue. Son ventre était gonflé et son corps agité de spasmes.

Une centaine de fils de toutes tailles s'échappaient de son crâne rasé, disparaissant dans le plafond.

Ses yeux à elle n'étaient pas gris. Ils étaient verts. Et contrairement à tous ceux qui l'entouraient, on pouvait lire quelque chose dans ses yeux. Une émotion puissante. Si forte qu'elle s'était inscrite dans sa rétine, indélébile. Le désespoir dans sa forme la plus pure.

Insensible à ce regard de damné, les scientifiques qui l'entouraient continuaient leur travail.

Le chef des opérations demanda d'une voix forte :

- Le SDR est bien branché ?

- Oui directeur. Le transfert de la cellule de stockage à la salle d'opération s'est bien passé. Le spécimen a bien vécu la déconnexion temporaire.

- Le SDR ? demanda timidement une jeune femme.

- Oh, c'est vrai tu es nouvelle, lui répondit un des scientifiques. C'est notre abréviation pour le système de déconnexion de la réalité. Ici, on a arrêté d'utiliser la version longue. On sait que ce n'est pas habituel pour ceux qui ne travaillent pas à l'usine, mais ici chaque seconde est importante.

- En parlant de seconde, gronda directeur, ferme là et concentre toi sur ton travail Taylor.

- Oui, directeur.

- Où est Barbara ? C'est notre spécialiste des accouchements. On va avoir besoin d'elle.

Une autre personne prit la parole

- Directeur, je l'ai croisée il y a peu. Son cœur était déchargé, elle est allée se brancher. Elle devrait bientôt arriver.

- Merci Dimitri. En parlant de coeurs, comment vont ceux des spécimens ?

Une voix hésitante résonna dans la pièce.

- Directeur, la machine indique 87 battements par minute... Mais je comprends pas ce que ça veut dire...

- Qui a laissé le moniteur cardiaque sous la seule surveillance de la nouvelle ? Dimitri prend le relai.

Ce dernier s'exécuta immédiatement.

- Préparez les instruments pour la césarienne. La nouvelle, tu viens là et tu regardes.

La porte s'ouvrit soudainement et Barbara entra en coup de vent.

- Taylor, passe moi ce bistouri. C'est moi qui vais dirriger l'opération.

Le fameux Taylor s'exécuta sans un mot, rejoignant Dimitri aux moniteurs.

Sous le commandement expérimenté de Barbara et du directeur d'expérimentation, l'opération se déroula en un éclair.

-Eh, la nouvelle, tu penses pouvoir t'occuper de recoudre la patiente ? interpella Barbara.

La concernée acquiesça et s'approcha.

- Je vais l'aider, ajouta aussitôt Taylor. Comme ça, tu pourras t'occuper toi-même du nouveau spécimen, Barbara.

La jeune femme hocha la tête et sortit de la pièce, le nouveau né dans les bras.

Elle débarqua dans une pièce ressemblant à un bureau, les murs recouverts d'écrans.
Elle posa l'enfant dans une cuve remplie d'un liquide visqueux posée sur une table.
Au contact de la matière bleu, tout le sang qui couvrait l'enfant disparut, dissout par l'étrange liquide.

- Bon, murmura la scientifique à voix haute. Début de la procédure d'enregistrement. Spécimen numéro 621437. Né à la centrale électrique numéro 6. Sexe, mâle. Année 7067. Mère, spécimen numéro 611297.

Et alors qu'elle énonçait ces mots, ils s'affichaient sur un écran à l'autre bout de la pièce.

Elle s'approcha du bébé et tata ses membres, tout en continuant de parler. Au bout d'un long moment, les mots "Fin de la procédure" retentirent.

- Je ne fais vraiment pas à ces battements de cœur. Toi et les autres "humains " êtes vraiment des créatures étranges.

La porte s'ouvrit brusquement, mais la jeune femme ne sursauta pas. Ce fut à peine si son regard glissa vers la source du bruit.

- Alors, que préconises-tu pour ce spécimen ?

- Tu devrais être moins brusque Taylor. Mais je dirais quatre ans de maturation dans une cuve de croissance. Une autre vérification de son état puis l'implantation du système SDR.

- Seulement quatre ans ? Il doit être un spécimen costaud.

Comme comprenant qu'on parlait de lui, l'enfant se mit à s'agiter. Ses yeux s'ouvrirent, aussi verts que ceux de sa mère.

- Ils sont vraiment répugnants. Tu ne penses pas, Barbara ?

En dépit de leur ton enjoué, les expressions des deux êtres restaient inchangées.

- Oui. C'est pourquoi c'est toi qui va aller installer le nouveau dans sa cellule de croissance.

- Tu es vraiment pénible.
Il s'empara du caisson contenant l'enfant et sortit de la pièce.

- Ah, au fait, la nouvelle recrue s'est bien débrouillée ? Taylor ?

Mais il était déjà loin.

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