Le voyage
Par chance, Weldenmaëla survécut. Les talents d'Ignasia stabilisèrent son état au surlendemain de la bataille. Elle rouvrit brièvement les yeux deux jours plus tard, et parla dans la soirée du quatrième jour après le combat. En apprenant la nouvelle de la mort de Skolir, elle pleura amèrement, et demanda à être laissée seule. Les elfes obéirent immédiatement, et le grand hall des chefs devint silencieux. Durant les jours suivants, mis à part Ignasia, Aiedail fut la seule à entrer dans le foyer des chefs du clan. La petite elfe passait chaque jour la grande porte de bois avec de quoi nourrir sa mère qui restait à l'intérieur. Quand elle ressortait, ses yeux étaient secs d'avoir trop pleuré.
Après un mois, les forestiers et les éclaireurs retournèrent patrouiller les chemins sombres de Cythral, car leur veille ne pouvait pas s'interrompre plus longtemps. Le reste du clan restait silencieux. Les halls étaient vides. Il y avait toujours quelques elfes au pied du grand chêne en train de prier les morts de la bataille.
Petit à petit, les danseurs de Loec reprirent leurs chants. Des chants tristes d'abord, qui touchaient les cœurs en ces jours de deuil. Mais tout tristes qu'ils étaient, cette musique attira les elfes hors de chez eux. A mesure que les assemblées qui écoutaient leurs litanies grandissaient, les danseurs ajoutèrent des touches de gaieté à leurs histoires. Des souvenirs bénins, des promesses faciles d'avenir meilleur. Puis ils reprirent les sagas et les contes qui avaient le plus de succès, ainsi que des légendes pour les enfants le soir. Et finalement, ils retournèrent à leurs chants les plus festifs comme avant. C'est ainsi que lentement les elfes cicatrisèrent leurs tristesses et revinrent à un semblant de joie .
Mais les blessures étaient encore trop vives pour certains. Aiedail, qui aimait tant les représentations des danseurs, ne paraissait pas. Elle partait errer dans la forêt et ne passait aux halls qu'une fois chaque jour pour aller voir sa mère dans leur foyer. Ceux qui la connaissait s'inquiétaient pour elle, mais ils n'osaient pas aller la voir tant la fille de leurs chefs semblait éviter toute compagnie.
Un soir, un messager arriva en Edur Edoc'sil et demanda à voir Weldenmaëla pour lui transmettre une lettre de Dame Drihel. On reconnut Erisdar le mage, et il fut conduit à la maison de Weldenmaëla. Il entra seul, car les elfes du clan n'osaient pas déranger leur cheffe. Erisdar trouva la princesse de Loec au dernier étage de la bâtisse, assise au bord d'une fenêtre. Quelques pas plus loin, il remarqua un sac de voyage et des armes empaquetées qui attendaient. Le magicien salua Weldenmaëla :
« Vous avez mes condoléances. Pour Skolir, et pour tous les autres. Je partage votre tristesse.
- Je vous remercie, Erisdar. j'aurais souhaité vous accueillir dans d'autres circonstances, et pas seule.
- Je suis venu vous transmettre un message de votre suzeraine, Dame Drihel.
- Il n'est pas dans vos habitudes de servir la reine, s'étonna Weldenmaëla.
- J'ai tenu à venir vous voir quand j'ai appris la nouvelle. Skolir était mon ami, et sa perte est immense pour moi aussi. Ma route m'a fait passer par Tal Drost, où la reine m'a confié cette lettre pour vous. Elle m'a informé de son contenu : Ses condoléances vis-à-vis d'un vassal, ainsi qu'une convocation devant le conseil de Tal Drost. »
Erisdar donna à Weldenmaëla un courrier, que la cheffe parcourut sans hâte. Puis, elle la posa à côté d'elle et, le regard dans le vide, elle annonça à Erisdar :
« Voilà plusieurs jours que je veux partir, et que je ne l'ose pas. Cette nouvelle que vous m'apportez me force à réaliser mes plans.
- Quels sont vos plans, Dame de Loec ?
- Quand les nains sont venus, je n'avais pas réalisé qu'ils apporteraient avec eux la souillure de l'extérieur. En tuant Skolir, ils ont marqué ces terres et désormais, je ne suis plus à l'abri en Cythral, le lieu le plus sûr que j'avais. Ma malédiction ne me quittera plus. Je vais mourir, Erisdar, et je ne veux pas mourir ici. Je veux revenir à Fyr Darric, où j'ai vécu enfant, et là-bas seulement quitter ce monde et rejoindre les esprits.
- Vous ne me dites qu'une partie de vos plans, mon amie. Je sens vos pensées voilées par d'autres projets.
- J'emmène Aiedail avec moi, répondit Weldenmaela. Ma fille doit voir le pays d'où je viens, et d'où elle aussi vient. Avant de partir de ce monde, je veux lui montrer les collines où j'ai vécu, dansé et combattu jadis.
- Est-elle au courant ? S'inquiéta le magicien.
- Je lui ai tout dit, et elle me presse de partir depuis plusieurs jours. La douleur qu'elle ressent ici est forte, et elle espère que voir le monde atténuera sa peine.
- Elle est sage de penser cela » commenta Erisdar. « Weldenmaëla, laissez-moi vous accompagner. La route est longue et difficile jusqu'en Fyr Darric. Vous pourriez avoir besoin de moi, et je veux rembourser la dette que je ressens envers Skolir, mon ami, que je n'ai pas aidé quand il en a eu besoin.
- Je perçois que ce n'est pas la seule raison de votre proposition, questionna la cheffe de clan. Il n'y a jamais qu'une explication à vos actions, me disait mon époux. Pourquoi voulez-vous m'accompagner ?
- On ne vous cache rien, Princesse de Loec, répondit Erisdar avec un sourire triste. Je fais des rêves sombres qui m'appellent au nord, au-delà de Fyr Darric. La route est en partie la même que la vôtre, alors nous pouvons cheminer ensemble. »
Erisdar ne dit pas qu'il avait une troisième raison de venir, et celle-ci concernait Aiedail, car le magicien était toujours intrigué par la manière dont les vents de magie agissaient autour d'elle. Il la croisa ce soir-là, alors qu'elle revenait en son foyer. Il sentit immédiatement qu'autour de la jeune elfe, la magie tournoyait comme la flamme autour d'une branche sèche.
Le lendemain, Weldenmaëla sortit. Elle alla voir les danseurs de guerre et écouta avec les autres leurs histoires. Elle visita les familles qui avaient perdu des proches dans la bataille, et pour chacun d'eux elle eut des paroles réconfortantes. Le soir venu, elle passa à la maison d'Ignasia :
« Ma chère et fidèle amie, je suis ta débitrice pour tout ce que tu as fait pour moi ces dernières années.
- Princesse de Loec, d'autres mots d'introduction ne sont pas utiles. J'ai parlé avec Erisdar ce matin, et lors de ma dernière visite j'ai vu les affaires que vous avez préparées. Je connais votre projet de départ, et je ne veux rien de plus que vous accompagner. Mon sac est prêt, j'y ai mis toutes les baumes et les philtres dont vous aurez besoin. Quand partons-nous ?
- Ignasia ! Chère et fidèle amie ! Tes paroles réchauffent mon cœur ! Je devais t'annoncer mon départ pour cette nuit, et cela rendait mon voyage douloureux, mais puisque tu viens, il sera un peu plus heureux.
- Tout comme l'est pour moi l'idée de vous aider une nouvelle fois, Weldenmaëla. » répondit la guérisseuse. Et elles s'enlacèrent.
Quelques heures plus tard, la nuit tomba sur Edur Edoc'sil. Il faisait noir, car la lune ne s'était pas levée. Weldenmaëla, suivie d'Aiedail, Ignasia et Erisdar, se glissèrent entre les arbres, et quittèrent la clairière du clan sans un bruit. Mais avant de totalement disparaître entre les arbres, Aiedail se retourna pour lancer un dernier regard aux arbres et aux maisons qui constituaient le cadre de son enfance révolue. Ses souvenirs complétaient ce que la pénombre masquait des maisons élancées adossées aux troncs des chênes. Elle se rappelait plus qu'elle ne les voyait les grands arbres aux branches torsadées et les fanions de couleur qui décoraient les halls. C'est alors qu'elle aperçut une personne qui accourait vers eux depuis le village, et elle reconnut Finiarel, le plus jeune de tous les adeptes de Loec du clan.
Il n'était pas le plus talentueux des danseurs, mais il s'était fait connaitre par les tours de passe-passe avec lesquels il agrémentait ses spectacles. Il était d'âge proche d'Aiedail, et se comptait parmi les amis qui l'accompagnaient souvent dans les festivités. Finiarel portait sur le dos un paquetage léger et des armes enveloppées dans des chiffons. Il interpella Weldenmaëla d'une voix suppliante :
« Dame Weldenmaëla, Princesse de Loec ! Ne partez pas sans moi ! Je vous ai vu par ma fenêtre qui rejoigniez la route, sans doute pour Tal Drost, Fyr Darric ou que sais-je, mais ne me laissez pas derrière ! Votre histoire doit être connue, racontée, et dansée dans les halls quand elle sera terminée, et je veux être celui qui le fera ! »
Alors Weldenmaëla n'eut pas le cœur de le renvoyer. Elle lui fit signe de les suivre, et ils disparurent entre les arbres, hors de vue désormais des foyers du clan.
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