Le poids des mots
Comme la voix l'avait annoncé, Dame Drihel convoqua Aiedail le lendemain. Et la jeune elfe en fut intimidée malgré la présence de sa mère à ses côtés. Les deux entrèrent dans la salle du conseil des vassaux ensemble. Mais Weldenmaëla fut assise d'un côté de la pièce avec les autres seigneurs, quand Aiedail devait se tenir debout devant l'assistance.
Il n'y avait ce jour-là que quelques vassaux dans la grande salle, car Dame Drihel souhaitait traiter cette affaire rapidement, sans attendre que n'arrive l'ensemble de l'assistance. Parmi les présents, la princesse Draya passait pour une enfant, mais son intelligence était connue de tous. La veille, Weldenmaëla avait demandé que l'audience soit délayée le temps que puissent arriver certains de ses alliés au conseil. Mais Dame Drihel avait alors répondu, non sans fourberie, que ce délai retarderait d'autant le départ de la princesse de Loec, et amoindrirait ses chances de guérison. Weldenmaëla s'était alors tue, car il n'y avait rien qu'elle ne pouvait répondre à cela.
Dame Drihel arriva en dernière, vêtue de ses habits royaux de sinople et d'argent. Elle s'adressa à l'assemblée d'un ton calme :
« Vassaux, parmi nous siège Weldenmaëla. Elle et son époux ont tenu leurs rôles de défenseur du royaume sans jamais démériter pendant toutes ces années. Mais nous risquons prochainement de perdre l'un et l'autre, car Skolir est mort, il y a quelques jours, et Weldenmaëla pourrait le suivre sous peu. »
A ces mots, ceux de l'assistance qui ignoraient la mort de Skolir pleurèrent en silence, car le forestier était aimé, bien qu'il ne parût pas souvent à Tal Drost. La reine continua :
« Weldenmaëla souhaiterait que sa fille, Aiedail, qui se tient devant nous, deviennent son héritière, et prenne la tête du clan. Elle deviendrait alors une de mes vassales. Elle en a le droit par son sang. Mais elle est jeune, trop jeune peut-être, et elle ne connait encore rien ni du monde, ni de la tâche qui lui serait confiée. Peut-on alors déjà lui remettre les rênes d'une partie du royaume ? Est-il sage de mettre ainsi en péril le sud de nos frontières ?
- Que proposez-vous donc ? Intervint Draya, car elle était la seule à oser interrompre sa mère. »
Celle-ci répondit d'une voix ferme.
« Aiedail doit rester à Tal Drost le temps d'apprendre à gouverner. Je la prendrai comme fille adoptive, à tes côtés Draya. Et vous autres, conseillers et vassaux, vous lui prodiguerez vos enseignements. Ainsi apprendra-t-elle auprès de nous son rôle dans notre assemblée. »
Il y eut à ces paroles un grand brouhaha dans la salle car de nombreuses personnes manifestèrent leur opposition avec énergie, et parmi eux personne n'était aussi virulent que Weldenmaëla, et après elle Draya car elle craignait que l'adoption d'Aiedail, qui était plus âgée qu'elle, ne lui retire son héritage. Mais les alliés de Drihel répondaient à ces interjections, et ils étaient assez nombreux pour qu'aucun camp ne parvienne à prendre le dessus.
Dame Drihel appela au silence. Mais quand les cris se turent, ce fut Aiedail qui prit la parole avant que la reine ne puisse continuer son discours. La jeune elfe était pleine de rage, et ses yeux clouaient à leur siège ceux qui croisaient son regard. Mais c'est bien à Draya que ses mots s'adressèrent :
« Comment osez-vous donc faire cette proposition quand ma mère elle-même siège en cette assemblée ? Vous voulez, devant tous me voler à mes parents, et voler votre fille d'un trône qui lui est dû. Ce que vous prétendez m'enseigner, mon père, Skolir le forestier, dont vous vantez la valeur, ne me l'a-t-il pas déjà appris ? Il n'y a que les années qui me manque. Elles viendront. Alors il me semble clair qu'en prononçant ces mots, vous ne souhaitez pas tant m'offrir une mère en plus, que faire de moi une vassale avec une mère de moins. Ce conseil pourrait-il approuver cette action ? »
Et Weldenmaëla fut stupéfaite, car jamais sa fille n'avait osé user de mots si durs. Mais pas une de ces paroles n'était celle d'Aiedail. Chaque phrase lui avait été inspirée par la voix qu'elle entendait depuis la veille, et elle les avait alors déclamées avec ferveur car elles reflétaient les pensées que la jeune elfe ne parvenait à transcrire d'elle-même. Et alors Aiedail en comprit qu'elle pouvait faire confiance à cette voix.
Certains membres du conseil jetaient à Dame Drihel des regards de jugement, quand les autres fuyaient honteusement au contraire les yeux de la reine qui cherchaient leur soutien. Alors la reine sut que l'assemblée de ses vassaux ne lui donnerait pas raison.
« Aiedail, accepte mes excuses. Je retire mon offre, car elle t'a offensée. Nous pouvons clore l'assemblée, car cette proposition rejetée, il n'y a plus rien que je ne veuille vous soumettre aujourd'hui. Tu peux sans crainte suivre ta mère dans son voyage, car à ton retour tu pourras gouverner ton clan comme le firent tes parents, si toutefois tu reviens bien de ton voyage. »
Et elle se retira. Les quelques vassaux qui la soutenaient encore quittèrent l'assemblée à sa suite. Une partie des autres, fins politiciens, entourèrent Dame Draya qui commençait à dialoguer avec les nobles les plus proches d'elle. C'est ainsi que la princesse royale renforça son parti parmi les nobles de Tal Drost. Weldenmaëla rejoignit sa fille et la ramena dans leurs quartiers, où, pour la première fois depuis longtemps, Aiedail dormit bien, épuisée par la confrontation. Weldenmaëla veilla sur elle plusieurs heures, les yeux emplis de fierté.
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