Chapitre 5 : Rose

Rose était accroupie, la tête entre les genoux, concentrée sur sa respiration. Une grande inspiration par le nez et une longue expiration par la bouche. Rien d'autre ne comptait. Seul ce rythme régulier et contrôlé occupait son esprit.

Elle ne détestait pas les bateaux, mais voyager à bord de l'un d'entre eux était toujours compliqué le premier jour. Son corps avait besoin de s'adapter au léger mouvement apporté par les vagues et qui ne s'arrêtait jamais. Mais aussi à l'odeur de la mer encore plus forte et plus présente lorsque le bateau se retrouvait en plein milieu de l'eau.

Heureusement pour elle, le voyage ne durait que deux jours. Deux jours de trop pour son corps.

A côté d'elle se trouvait une bassine, vide pour le moment, mais qui ne le resterait pas longtemps si les vagues continuaient de s'intensifier à cause du vent qui venait de pointer le bout de son nez.

Satané vent.

Rose fixait un point au sol depuis tellement longtemps qu'elle avait arrêté de le voir réellement. Ses yeux ne bougeaient même plus, eux aussi fixé sur les planches de bois. Soudain une ombre apparut près d'elle et elle s'obstina à ne pas bouger et à ne surtout pas relever la tête. Même un léger mouvement pourrait faire vaciller son calme intérieur difficilement acquis et très instable. La personne qui s'était approchée, s'accroupi à ses côtés, juste devant elle.

— Je t'ai ramené un peu d'eau, lui dit gentiment son père.

De l'eau ? Vraiment ? Et puis quoi encore ? Du poisson pas frais tant qu'on y est. Quelle idée. Rose poussa un gémissement pour lui signifier qu'elle n'en voulait pas de son eau.

— Je vais prendre ça pour un non, dit son père.

Il vint s'asseoir à côté d'elle, posa une main dans son dos et commença à faire de petits cercles. Elle essaya de se concentrer sur le mouvement dans son dos et la sensation légère qu'elle ressentait.

— Quand j'étais plus jeune, j'ai pris un bateau un jour depuis la capitale jusqu'à la contré d'Enarant, commença doucement son père, presqu'en murmurant.

La contré d'Enarant. Réputée la plus belle de leur monde avec un climat doux toute l'année et des paysages à couper le souffle. Elle se trouvait plus ou moins au nord-ouest avec au sud, la contré de Webolis, avec qui elle partageait une frontière délimitée par une forêt. 

A l'est, il y avait la contré de Donos, juste au-dessus de la quatrième contrée, là d'où venait Rose, Volans. C'était une île, tout comme la capitale, Horaria, se situant au centre de toutes les autres contrés.

Rose n'avait encore jamais eu l'occasion de se rendre dans les autres contrés mais faisait des allers-retours jusqu'Horaria, pour rendre visite à ses grands-parents, assez régulièrement. Des allers-retours synonymes de torture.

— J'avais un ami, continua son père, qui était comme toi, malade en mer. Et je me souviens la première fois que nous sommes montés à bord d'un grand bateau, il avait développé comme technique pour faire passer son mal de mer, de s'allonger sur le ventre.

Rose haussa les sourcils. Même si son père ne pouvait pas la voir, il devina son étonnement car il répondit :

— Une idée qui s'est avérée stupide car au premier mouvement de vagues, il a eu un haut le cœur et s'est vomi dessus. Il en avait partout et l'odeur était....

Il n'en fallu pas plus pour que le calme intérieur de Rose s'effondre et l'image qu'elle s'était fait de la scène la propulsa vers l'avant, au-dessus de la bassine. Elle rejeta le peu de nourriture qu'elle avait dans l'estomac. N'ayant pas mangé ce matin, ce fut vite fait bien fait.

Une fois son estomac complètement vidé, elle repoussa la bassine au loin pour ne pas avoir l'odeur et s'assit. Elle releva la tête pour jeter un regard assassin à son père. A sa grande satisfaction, il avait l'air déconfit.

— Désolé. Je ne pensais pas que cette histoire allait te faire vomir. J'avais plus l'idée de te divertir.

— Tu parles d'une diversion, rétorqua Rose.

Son père se rapprocha d'elle et poussa une grande inspiration.

— Mais à la fin, il développa une autre technique, repris son père. Il s'imaginait dans un endroit qui lui tenait à cœur, calme et immobile. Une sorte de méditation. Ça avait marché pour lui.

Rose haussa les épaules. Elle avait essayé toutes les techniques. Et rien n'avait jamais marché. Des concoctions aux goûts plus horribles les unes que les autres, des techniques de respiration en tout genre, des positions farfelues pour faire passer le mouvement. Mais rien n'y faisait. La mer ne l'épargnait jamais et lui faisait vivre un vrai calvaire.

— Ça ira mieux ce soir, quand on sera arrivé, souffla son père.

Rose acquiesça.

— Qu'est-il devenu ? demanda Rose.

— Qui ?

— Ton ami.

Son père se referma soudainement et son visage devint moins détendu. Elle avait touché une corde sensible. Mais après tout, c'est lui qui avait amené le sujet.

— Je ne sais pas, finit-il par répondre. On s'est perdu de vue il y a des années.

— Pourquoi ne parles-tu jamais de ton passé ? demanda Rose.

— Parce que c'est trop douloureux, répondit-il.

— Mais n'est-ce pas parce que tu n'en parles jamais que c'est douloureux ?

Son père l'observa longuement et esquissa un sourire.

— Probablement, dit son père. Mais le passé est mieux là où il est. Le ressortir ne ferait que provoquer que de la souffrance.

Rose ne força pas plus longtemps. Après tout, il n'en avait jamais parlé toutes ces années. Pourquoi le ferait-il aujourd'hui ? Et puis, la guerre était finie. Il voulait peut-être passer à autre chose. Comme s'il lisait dans ses pensées, il lui avoua :

— Ce qu'il s'est passé il y a des années, me hante nuit et jour. Et je ne le raconte pas, car c'est mon fardeau à porter. Ce n'est celui de personne d'autre. Il est hors de question que de telles histoires vous hantent vous aussi. Ta mère connait une partie de ce qu'il s'est passé, la partie qui me ronge le plus dans toute cette histoire. Mais même la femme de ma vie ne peut pas rencontrer mes plus affreux démons. Je ne peux pas m'y résoudre. Et ta mère, la belle personne qu'elle est, l'accepte. Elle accepte que mon passé soit trop lourd et trop douloureux pour être raconté entièrement.

Rose, qui avait observé son père tout du long, le pris dans ses bras et lui chuchota tout bas :

— Fais juste attention que tes démons ne finissent pas par t'emporter un jour, surtout si tu es tout seul pour les affronter.

*

Rose poussa un soupir de soulagement lorsque ses deux pieds touchèrent la terre ferme. Ce fut comme un déclic. Un moment elle était patraque et nauséeuse et le moment d'après elle pouvait de nouveau respirer normalement, l'esprit clair et revigoré. Son sourire, qui s'était fait la malle, réapparut sur ses lèvres.

Et comme à chaque arrivée, elle eut le souffle coupé lorsqu'elle leva la tête pour observer son environnement. Horaria. La capitale était une ville d'une beauté à couper le souffle. Malgré le monde, elle dégageait la paix et le calme grâce à la nature qui prenait le dessus sur tout le reste.

Tout le long du port se trouvait des arbres hauts de plusieurs mètres et produisant différents fruits : des citrons, des oranges ou encore des pommes. Et tout le monde pouvait se servir comme bon leur semblait. A l'instant même où Rose admirait les arbres, un homme portait sur ses épaules un petit garçon pour qu'il attrape le citron qu'il voulait.

Derrière les marchands situés le long du port, se trouvaient de la roche couverte de lierre mais aussi d'autres plantes grimpantes de différentes couleurs. C'était comme un tableau où plusieurs traits ondulants se croisaient à un point pour se recroiser un peu plus haut ou un peu plus bas. Toutes les couleurs étaient représentées sur cette roche à travers des fleurs et arbres en tout genre, allant du sol jusqu'au sommet, à plusieurs mètres au-dessus de leur tête.

Les ports de la capitale étaient situés un peu partout sur l'île et le port à l'est était le deuxième plus grand après celui de l'ouest, mais parfaitement identique. En face des bateaux amarrés se trouvaient des boutiques et des marchands qui s'agitaient dans tous les sens pour attirer l'attention des nouveaux arrivants afin qu'ils dépensent leur argent dans leurs produits frais, faits maison ou encore de grande qualité comme venait de crier un homme de forte corpulence avec une barbe taillée de façon particulière.

Une fois toutes leurs affaires déchargées, Rose et sa famille se mirent en route. Ils passèrent devant plusieurs commerçants et durent s'arrêter un nombre incalculable de fois. En effet, Rozenn connaissait bon nombre d'entre eux car son père était marchand et il y a quelques années, c'est elle qui se trouvait le long du port à essayer de vendre la marchandise de son père. Des tissus et des tapis, qui maintenant faisait la renommée de la famille.

Une fois le port derrière eux, ils s'engagèrent dans les dédales de rues où aucunes d'entre elles ne se ressemblaient mais où il était extrêmement facile de se perdre tellement il y en avait et tellement elles étaient remplies de boutiques, de restaurants et d'habitations qui faisait fourmiller des gens de partout.

Rose était perdue dans son admiration quand sa sœur s'approcha d'elle. Elle détourna la tête lorsqu'elle entendit son prénom et, vu l'expression de sa sœur, entre l'inquiétude et l'exaspération, ce n'était pas la première fois qu'elle l'appelait.

— Toujours dans la lune. Comme si ce n'était pas la première fois que tu mettais les pieds dans la capitale, dit Alis. Efface cet air ahuri, on dirait une démente.

Rose rigola et donna un coup d'épaule à sa sœur, ce qui la déstabilisa. Elle manqua de percuter un jeune homme à sa droite qui la dévisagea de haut en bas. Elle s'excusa vivement et retourna près de Rose.

— A cause de toi et tes bêtises, j'ai failli heurter ce jeune homme, s'indigna-t-elle.

— A voir sa tête et la façon dont il t'a dévisagé, je ne pense pas que ça lui ait déplu, rigola Rose.

— Tu devrais avoir honte de dire des choses pareilles, bafouilla-t-elle, le rouge se frayant un chemin sur tout son visage et son cou malgré sa peau hâlée.

Alis baissa la tête afin d'éviter tous les regards autour d'elle. Rose passa un bras autour de ses épaules et la rapprocha d'elle.

— Ne sois pas ridicule à te cacher comme ça. Tu es très jolie, dit Rose.

Alis releva la tête mais n'avait pas l'air convaincu. Elle était pourtant très belle, pensa Rose. Elle avait hérité de presque tout de sa mère. Son teint hâlé pratiquement métisse, ses cheveux roux aux reflets magnifiques au soleil et son corps élancé. Tout le contraire de Rose avec sa petite taille, sa peau pâle, ses cheveux de couleur noire peu importe le soleil, la pluie, la neige ou la grêle.

Mais sa sœur avait donné sa confiance un peu trop vite à un énergumène qui n'en valait pas la peine. Un jour elle avait été tout pour lui et le lendemain elle n'était que la dernière conquête de la longue liste. Sa confiance en soi était alors partie en fumée à cause d'un moins que rien. Depuis, elle évitait les regards pour ne plus tomber dans le panneau. Mais à trop éviter les choses et les personnes on finit par ne plus rien voir du tout.

— Être jolie ne m'a pas apporté grand-chose, rétorqua sa sœur, qui se renferma de nouveau.

— Un jour tu rencontreras quelqu'un et tu ne pourras plus baisser les yeux, dit Rose fermement. En attendant, arrête de regarder tes pieds. Ils sont moches en plus.

Alis éclata de rire, ce qui rassura Rose, puis lui tendit un muffin à la myrtille qu'elle avait préparé la veille avec Denel.

— Denel t'a aidé à préparer les muffins ? s'étonna Rose. Ils sont trop réussis, ce n'est pas possible.

— Ne t'emballe pas, répondit Denel qui s'était rapproché lorsqu'Alis avait mentionné son nom. Je n'ai fait que déposer les myrtilles dans la pâte à muffin. Rien de trop extravagant. En plus elle a refusé catégoriquement que je touche à autre chose d'autre.

Rose croqua dans le gâteau. Il était délicieux.

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